Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 5 juin 2019, n° 17-21.749, n° 17-21.750, n° 17-21.751, n° 17-21.752, n° 17-21.753, n° 17-21.754, n° 17-21.755, (P)

Cassation partielle

Salaire – Egalité de traitement – Atteinte au principe – Défaut – Cas – Différence d'évolution de carrière résultant de l'entrée en vigueur d'un accord collectif – Conditions – Détermination – Office du juge – Portée

Le principe d'égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés engagés ou promus postérieurement à l'entrée en vigueur d'un nouveau barème conventionnel soient appelés dans l'avenir à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu'ils ne bénéficient à aucun moment d'une classification ou d'une rémunération plus élevée que celle des salariés engagés ou promus antérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire.

Viole, en conséquence, le principe d'égalité de traitement, ensemble la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 et le protocole du 14 mai 1992, la cour d'appel qui dit qu'au regard de l'avancement acquis au titre de l'article 32, l'Urssaf ne produit aucun élément objectif permettant de justifier la différence entre la rémunération servie aux salariés et les rémunérations servies à leurs collègues ayant obtenu le diplôme de cadre après le 1er janvier 1993, sans constater que des salariés promus après l'entrée en vigueur du nouveau barème conventionnel et placés dans une situation identique ou similaire avaient bénéficié d'une classification ou d'une rémunération supérieures à celles des intéressés.

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-21.749, 17-21.750, 17-21.751, 17-21.752, 17-21.753, 17-21.754 et 17-21.755 ;

Sur le moyen unique :

Vu le principe d'égalité de traitement, ensemble la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 et le protocole du 14 mai 1992 ;

Attendu que le principe d'égalité de traitement ne fait pas obstacle à ce que les salariés engagés ou promus postérieurement à l'entrée en vigueur d'un nouveau barème conventionnel soient appelés dans l'avenir à avoir une évolution de carrière plus rapide dès lors qu'ils ne bénéficient à aucun moment d'une classification ou d'une rémunération plus élevée que celle des salariés engagés ou promus antérieurement à l'entrée en vigueur du nouveau barème et placés dans une situation identique ou similaire ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que M. T... et six autres salariés exerçant les fonctions d'inspecteur du recouvrement auprès de l'URSSAF Provence-Alpes-Côte-d'Azur après l'obtention du diplôme de cadre avant l'entrée en vigueur du protocole d'accord du 14 mai 1992, ont saisi la juridiction prud'homale de demandes de rappel de salaire en application des articles 23, 32 et 33 de la convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale et de dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement ;

Attendu que pour condamner l'employeur à verser une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement concernant l'article 32 de la convention collective, les arrêts retiennent qu'au regard du principe de l'égalité de traitement, notamment en matière de rémunération, la seule circonstance que des salariés aient été engagés avant ou après l'entrée en vigueur d'un accord collectif ne saurait suffire à justifier des différences de rémunération entre eux et il appartient alors à l'employeur de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, qu'en l'espèce, au regard de l'avancement acquis au titre de l'article 32, l'URSSAF ne produit aucun élément objectif permettant de justifier la différence entre la rémunération servie aux salariés et les rémunérations servies à leurs collègues ayant obtenu le diplôme de cadre après le 1er janvier 1993 ;

Qu'en statuant ainsi, sans constater que des salariés promus après l'entrée en vigueur du nouveau barème conventionnel et placés dans une situation identique ou similaire avaient bénéficié d'une classification ou d'une rémunération supérieures à celles des intéressés, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent l'union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) Provence-Alpes-Côte-d'Azur à payer à MM. T..., W... et S... et à Mmes B..., C..., D... et U... la somme de 5 000 euros chacun à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de la violation du principe d'égalité de traitement concernant l'article 32 de la convention collective, les arrêts rendus le 19 mars 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant lesdits arrêts et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

- Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Principe d'égalité de traitement ; convention collective nationale de travail du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 et le protocole du 14 mai 1992.

Rapprochement(s) :

Sur le défaut d'atteinte au principe d'égalité de traitement en cas de différence d'évolution de carrière résultant de l'entrée en vigueur d'un accord collectif, à rapprocher : Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 16-26.729, Bull. 2018, V, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Soc., 5 juin 2019, n° 17-17.477, (P)

Rejet

Salaire – Egalité de traitement – Atteinte au principe – Défaut – Cas – Industries électriques et gazières – Circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976 – Article 212 – Indemnité spéciale des agents des départements d'Outre-mer – Equivalence avec les indemnités des fonctionnaires de l'Etat – Portée

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2017), que la Fédération chimie énergie CFDT (la Fédération) a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande portant sur l'application de l'article 14, § 6, du statut national des industries électriques et gazières (IEG) et sur celle du paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684 du 28 juin 1976 portant sur la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer et l'intégration du personnel dans celui d'Electricité de France ;

Attendu que la Fédération fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à faire juger nul le paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684, de dire que cette circulaire ne peut pas constituer une interprétation conforme de l'article 14, § 6, du statut des IEG et que celui-ci doit permettre à chaque agent EDF affecté sur le territoire d'Outre-mer de bénéficier des majorations appliquées au salaire de base des fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer et d'ordonner à la société EDF, sous astreinte, de faire application des dispositions de l'article 14, § 6, du statut en ce qu'il garantit à chacun des agents une majoration de rémunération équivalente à 40 % de celle de l'agent affecté en métropole pour le même coefficient alors selon le moyen :

1°/ que si l'article 14, § 6, du statut de 1946 ne pouvait plus être appliqué à la lettre aux personnels des industries électriques et gazières travaillant dans les départements d'Outre-mer, son objectif était clairement d'aligner les indemnités spécialement octroyées à ceux des employés de ces entreprises travaillant Outre-mer, sur les indemnités spécifiquement accordés aux fonctionnaires de l'Etat exerçant leur activité Outre-mer ; qu'en refusant d'admettre que cet article, non abrogé ni modifié depuis 1946, consacrait un principe d'égalité de traitement toujours applicable et de vérifier si les agents des IEG affectés dans les départements d'Outre-mer perçoivent, en comparaison des agents travaillant en métropole, des avantages similaires à ceux dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements par rapport aux fonctionnaires exerçant leur activité en métropole, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national des personnels des industries électriques et gazières issu du décret 46-1541 du 22 juin 1946 ;

2°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (...) les protocoles devront être modifiés comme suit » ; que la circonstance que les lois et décrets intervenus depuis 1947 aient eu pour effet de supprimer les indemnités coloniales proprement dites n'a donc pas empêché les partenaires sociaux de manifester expressément leur volonté d'appliquer l'article 14, § 6, du statut en accordant au personnel des entreprises d'électricité des départements d'Outre-mer des compléments de rémunération identiques à ceux octroyés aux fonctionnaires affectés dans ces départements ; qu'en décidant cependant que les dispositions dudit § 6 de l'article 14 étaient privées d'effet du fait de la disparition des indemnités coloniales, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

3°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (10 % + 40 %) les protocoles devront être modifiées comme suit ; » ; qu'en se fondant sur les stipulations des protocoles d'accord conclus entre 1967 et 1969 déclarant l'article 14, § 6, du statut « sans objet pour le personnel de la société », sans examiner si ces accords antérieurs au relevé de conclusions n'avaient pas été rendu caducs par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, ensemble le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

4°/ que la CFDT faisait valoir que la majoration résidentielle de 25 % attribuée aux agents d'EDF affectés dans les départements d'Outre-mer ne devait pas être prise en considération pour comparer leurs indemnités à celles des fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements puisque la majoration résidentielle, égale à 24, 24,5 ou 25 % selon les zones, est attribuée à l'ensemble des agents ; que les juges du fond ont effectivement constaté qu'aux termes de l'article 9 du statut du personnel des IEG, tous les agents perçoivent, en sus du salaire national de base, une majoration résidentielle, et que celle-ci est égale à 25 % du salaire de base pour tous les agents travaillant en zone urbaine ; qu'en prenant cependant en compte cette majoration résidentielle pour vérifier l'égalité de traitement entre les agents des IEG et les fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a violé les articles 9 et 14, § 6, du statut du personnel des IEG ;

5°/ que des accords conclus localement entre 1967 et 1972 ne sauraient empêcher les organisations syndicales représentatives au niveau national de remettre en cause, une quarantaine d'années plus tard, et après une loi de nationalisation des entreprises du secteur, une situation qu'elles considèrent comme irrégulière ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que le Pers. 684 reprend à l'identique les dispositions des protocoles d'accord et des avenants antérieurs ayant pour objet l'application du statut aux agents des entreprises d'électricité dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

6°/ que la circonstance qu'une situation ait été tolérée pendant des années ne démontre pas par elle-même sa régularité ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que l'application de la circulaire Pers. n'a pas été remise en cause avant 2011, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de fondement légal au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

Mais attendu, d'abord, que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation ne peut être accueillie par le juge saisi au principal ;

Et attendu que par arrêt du 16 mars 2015 (n° 372875), le Conseil d'Etat, retenant dans les motifs de sa décision que les textes législatifs et réglementaires adoptés entre 1947 et 1975 avaient privé d'effet le paragraphe 6 de l'article 14 du statut national du personnel des industries électriques et gazières, a jugé que les conclusions de la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie-CGT tendant à ce que le paragraphe 212 de la circulaire Pers. n° 684 du 28 juin 1976 des directeurs généraux des sociétés Electricité de France et Gaz de France relative à la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer-intégration du personnel dans celui d'Electricité de France soit déclaré illégal étaient rejetées ;

Qu'il apparaît manifestement, au vu de cette jurisprudence établie de la juridiction administrative quant à la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers. 684, que la Fédération n'est pas fondée à demander que son application soit écartée en tant qu'il méconnaissait l'article 14 du statut ;

Attendu, ensuite, que selon cet article 212, les agents perçoivent une « indemnité spéciale DOM » égale à 25 % du salaire national de base affecté de leur coefficient hiérarchique ; que s'y ajoute la majoration résidentielle de 25 % affectant le salaire national de base prévue à l'article 211 de la même circulaire ; qu'il s'en suit que les personnels des IEG des départements d'Outre-mer perçoivent des indemnités résidentielles d'un montant total équivalent à celui des indemnités allouées aux fonctionnaires d'Outre-mer auxquels ils se comparent de sorte que le principe d'égalité de traitement qui résulte de l'article 14, § 6, du statut national n'est pas méconnu ;

Que par ces motifs de pur droit, substitués aux motifs critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 14, § 6, du décret n° 46-1541 du 22 juin 1946, approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières ; articles 211 et 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976.

Rapprochement(s) :

Sur la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976, cf. : CE, 16 mars 2015, n° 372875, inédit au Recueil Lebon.

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