Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

TRAVAIL REGLEMENTATION, CONTROLE DE L'APPLICATION DE LA LEGISLATION

Soc., 5 juin 2019, n° 17-23.228, (P)

Rejet

Lutte contre le travail illégal – Travail dissimulé – Travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié – Elément intentionnel – Caractérisation – Nécessité – Cas – Dispositif de quantification préalable du temps de travail prévue par une convention collective – Portée

Le caractère intentionnel du travail dissimulé, s'il ne peut se déduire de la seule application du dispositif de quantification préalable prévue par la convention collective nationale de la distribution directe du 9 février 2004, est caractérisé lorsqu'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué.

En retenant que l'employeur était informé de ce que les horaires de travail du salarié étaient supérieurs aux temps pré-quantifiés et avait interdit à celui-ci de mentionner sur ses feuilles de route les heures qu'il avait réellement accomplies, une cour d'appel a pu en déduire que la persistance de l'employeur à décompter le temps de travail en se fondant exclusivement sur la quantification préalable des missions confiées ou accomplies par le distributeur caractérisait l'élément intentionnel du travail dissimulé.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 15 juin 2017), que Mme U..., engagée le 18 septembre 2007 par la société Adrexo en qualité de distributrice de journaux et prospectus selon contrat à temps partiel modulé, a saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant à la résiliation judiciaire de son contrat de travail et au paiement de diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture ;

Sur les premier et deuxième moyens : Publication sans intérêt

Sur le troisième moyen :

Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à verser à la salariée une somme au titre du travail dissimulé, alors, selon le moyen :

1°/ que la mention sur le bulletin de paie d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli n'est pas punissable quand cette mention résulte d'une convention ou d'un accord collectif ; qu'en l'espèce, en jugeant que la persistance à se retrancher derrière l'application du système de quantification préalable caractérisait la volonté de la société Adrexo de dissimuler des heures de travail, quand l'employeur pouvait légitimement se croire autorisé à appliquer un système de décompte du temps de travail mis en oeuvre conformément à un accord d'entreprise et à une convention collective signée à l'unanimité par les partenaires sociaux, la cour d'appel a violé les articles L. 8221-1, L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail ;

2°/ que le délit de travail dissimulé est une infraction intentionnelle ; qu'en l'espèce, en déduisant l'élément intentionnel du délit de la persistance qu'aurait eu la société Adrexo à refuser à la salariée le droit de mentionner sur ses feuilles de route le nombre d'heure de travail effectivement réalisées, sans préciser à quelle date auraient eu lieu les refus de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 8221-1, L. 8221-5 et L. 8224-1 du code du travail ;

Mais attendu que la dissimulation d'emploi salarié, prévue par l'article L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, si elle ne peut se déduire de la seule application du dispositif de quantification préalable prévue par la convention collective nationale de la distribution directe du 9 février 2004, est caractérisée lorsqu'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement effectué ;

Et attendu qu'ayant retenu que l'employeur était informé de ce que les horaires de travail de la salariée étaient supérieurs aux temps pré-quantifiés et avait interdit à celle-ci de mentionner sur ses feuilles de route les heures qu'elle avait réellement accomplies, la cour d'appel a pu en déduire, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la persistance de l'employeur à décompter le temps de travail en se fondant exclusivement sur la quantification préalable des missions confiées ou accomplies par le distributeur caractérisait l'élément intentionnel du travail dissimulé ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; article 2.2.1.2 du chapitre IV de la convention collective nationale de la distribution directe du 9 février 2004.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de caractériser l'élément intentionnel du travail dissimulé, à rapprocher : Soc., 16 juin 2015, pourvoi n° 14-16.953, Bull. 2015, V, n° 124 (cassation partielle), et l'arrêt cité ; Soc., 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-22.311, Bull. 2015, V, n° 247 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 26 juin 2019, n° 18-11.230, (P)

Rejet

Règlement intérieur – Modification – Modifications exigées par l'inspecteur du travail – Consultation des institutions représentatives du personnel – Nouvelle consultation (non) – Portée

Ayant constaté que les modifications apportées au règlement intérieur initial de l'entreprise qui avait été soumis à la consultation des institutions représentatives du personnel, résultaient uniquement des injonctions de l'inspection du travail auxquelles l'employeur ne pouvait que se conformer sans qu'il y ait lieu à nouvelle consultation, la cour d'appel a pu estimer que n'était pas caractérisé de trouble manifestement illicite.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 novembre 2017), statuant en référé, que le règlement intérieur de la société Schindler du 5 septembre 1983 a fait l'objet de modifications en 1985 à la demande de l'inspection du travail ; que le syndicat CGT des personnels de Schindler des directions régionales de l'Ile-de-France, de la direction régionale Grand Ouest et des filiales RCS, soutenant que ce règlement intérieur ne pouvait être opposé aux salariés à défaut d'indication de sa date d'entrée en vigueur et faute pour l'employeur d'avoir procédé à une nouvelle consultation des institutions représentatives du personnel ainsi qu'aux mesures de dépôt et publicité, a, le 19 janvier 2017, saisi en référé le président du tribunal de grande instance aux fins de constater l'inopposabilité du règlement intérieur aux salariés de l'entreprise, l'irrégularité des procédures disciplinaires mises en oeuvre et de faire interdiction à la société Schindler de mettre en oeuvre des procédures disciplinaires fondées sur ce règlement intérieur ;

Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble de ses demandes et de le débouter de toutes ses demandes, alors, selon le moyen :

1°/ que constitue un trouble manifestement illicite, le non-respect des dispositions de l'article L. 1321-4 du code du travail qui oblige notamment l'employeur à afficher la date d'entrée en vigueur du règlement intérieur après sa modification ; qu'ayant constaté que la société Schindler n'avait pas procédé à l'affichage de la date d'entrée en vigueur de la nouvelle version du règlement intérieur du 5 septembre 1983 issue des modifications effectuées en 1985 en raison de la décision de l'inspection du travail et en décidant cependant que le fait de continuer à apposer sur le panneau d'affichage la date du règlement intérieur de 1983 sans mentionner celle de 1985 ne constituait pas un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé l'article L. 1321-4 du code du travail ensemble l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile ;

2°/ que toute modification du règlement intérieur, qu'elle qu'en soit l'origine et l'ampleur, oblige l'employeur à le soumettre à nouveau à l'avis des institutions représentatives du personnel ; que le non-respect de cette règle impérative est constitutive d'un trouble manifestement illicite ; qu'ayant constaté que seul le projet du règlement intérieur du 5 septembre 1983 avait été soumis aux instances représentatives du personnel et en considérant cependant que la société Schindler avait satisfait à ses obligations légales en ne procédant pas à une nouvelle consultation de celles-ci lors de sa modification en 1985 au motif inopérant que les modifications opérées en 1985 avaient toutes été sollicitées par l'inspection du travail et ne relevaient pas par conséquence du pouvoir de direction et de décision de l'employeur, la cour d'appel a encore violé l'article L. 1321-4 du code du travail, ensemble l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile ;

3°/ que toutes les dispositions de l'article L. 1321-4 du code du travail sont d'ordre public ; qu'une circulaire administrative, dépourvue de valeur réglementaire, ne peut y déroger ; qu'en se fondant sur la circulaire du 1er février 1984 du ministère des affaires sociales et de la solidarité familiale relative à l'application de la loi du 4 août 1982 selon laquelle la consultation des représentants du personnel n'est pas applicable en cas de modification ou retrait d'une clause de règlement intérieur à la suite d'observations de la part de l'inspection du travail pour en déduire que les modifications du règlement intérieur effectuées en 1985 par la société Schindler à la demande de l'inspection du travail n'avaient pas à être à nouveau soumises à la consultation des représentants du personnel, la cour d'appel a violé l'article L. 1321-4 du code du travail, ensemble l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant constaté que les modifications apportées en 1985 au règlement intérieur initial qui avait été soumis à la consultation des institutions représentatives du personnel résultaient uniquement des injonctions de l'inspection du travail auxquelles l'employeur ne pouvait que se conformer sans qu'il y ait lieu à nouvelle consultation, la cour d'appel a pu estimer que n'était pas caractérisé de trouble manifestement illicite ; que le moyen, inopérant en sa première branche et qui critique en sa troisième branche un motif surabondant, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article L. 1321-4 du code du travail, alors applicable.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation de consulter les institutions représentatives du personnel en cas de modification du règlement intérieur, à rapprocher : Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-16.457, Bull. 2015, V, n° 30 (rejet).

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