Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 5 juin 2019, n° 17-17.477, (P)

Rejet

Acte administratif – Appréciation de la légalité, de la régularité ou de la validité – Question préjudicielle – Nécessité – Exclusion – Cas – Existence d'une jurisprudence administrative établie – Conditions – Détermination

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2017), que la Fédération chimie énergie CFDT (la Fédération) a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande portant sur l'application de l'article 14, § 6, du statut national des industries électriques et gazières (IEG) et sur celle du paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684 du 28 juin 1976 portant sur la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer et l'intégration du personnel dans celui d'Electricité de France ;

Attendu que la Fédération fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à faire juger nul le paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684, de dire que cette circulaire ne peut pas constituer une interprétation conforme de l'article 14, § 6, du statut des IEG et que celui-ci doit permettre à chaque agent EDF affecté sur le territoire d'Outre-mer de bénéficier des majorations appliquées au salaire de base des fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer et d'ordonner à la société EDF, sous astreinte, de faire application des dispositions de l'article 14, § 6, du statut en ce qu'il garantit à chacun des agents une majoration de rémunération équivalente à 40 % de celle de l'agent affecté en métropole pour le même coefficient alors selon le moyen :

1°/ que si l'article 14, § 6, du statut de 1946 ne pouvait plus être appliqué à la lettre aux personnels des industries électriques et gazières travaillant dans les départements d'Outre-mer, son objectif était clairement d'aligner les indemnités spécialement octroyées à ceux des employés de ces entreprises travaillant Outre-mer, sur les indemnités spécifiquement accordés aux fonctionnaires de l'Etat exerçant leur activité Outre-mer ; qu'en refusant d'admettre que cet article, non abrogé ni modifié depuis 1946, consacrait un principe d'égalité de traitement toujours applicable et de vérifier si les agents des IEG affectés dans les départements d'Outre-mer perçoivent, en comparaison des agents travaillant en métropole, des avantages similaires à ceux dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements par rapport aux fonctionnaires exerçant leur activité en métropole, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national des personnels des industries électriques et gazières issu du décret 46-1541 du 22 juin 1946 ;

2°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (...) les protocoles devront être modifiés comme suit » ; que la circonstance que les lois et décrets intervenus depuis 1947 aient eu pour effet de supprimer les indemnités coloniales proprement dites n'a donc pas empêché les partenaires sociaux de manifester expressément leur volonté d'appliquer l'article 14, § 6, du statut en accordant au personnel des entreprises d'électricité des départements d'Outre-mer des compléments de rémunération identiques à ceux octroyés aux fonctionnaires affectés dans ces départements ; qu'en décidant cependant que les dispositions dudit § 6 de l'article 14 étaient privées d'effet du fait de la disparition des indemnités coloniales, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

3°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (10 % + 40 %) les protocoles devront être modifiées comme suit ; » ; qu'en se fondant sur les stipulations des protocoles d'accord conclus entre 1967 et 1969 déclarant l'article 14, § 6, du statut « sans objet pour le personnel de la société », sans examiner si ces accords antérieurs au relevé de conclusions n'avaient pas été rendu caducs par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, ensemble le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

4°/ que la CFDT faisait valoir que la majoration résidentielle de 25 % attribuée aux agents d'EDF affectés dans les départements d'Outre-mer ne devait pas être prise en considération pour comparer leurs indemnités à celles des fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements puisque la majoration résidentielle, égale à 24, 24,5 ou 25 % selon les zones, est attribuée à l'ensemble des agents ; que les juges du fond ont effectivement constaté qu'aux termes de l'article 9 du statut du personnel des IEG, tous les agents perçoivent, en sus du salaire national de base, une majoration résidentielle, et que celle-ci est égale à 25 % du salaire de base pour tous les agents travaillant en zone urbaine ; qu'en prenant cependant en compte cette majoration résidentielle pour vérifier l'égalité de traitement entre les agents des IEG et les fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a violé les articles 9 et 14, § 6, du statut du personnel des IEG ;

5°/ que des accords conclus localement entre 1967 et 1972 ne sauraient empêcher les organisations syndicales représentatives au niveau national de remettre en cause, une quarantaine d'années plus tard, et après une loi de nationalisation des entreprises du secteur, une situation qu'elles considèrent comme irrégulière ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que le Pers. 684 reprend à l'identique les dispositions des protocoles d'accord et des avenants antérieurs ayant pour objet l'application du statut aux agents des entreprises d'électricité dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

6°/ que la circonstance qu'une situation ait été tolérée pendant des années ne démontre pas par elle-même sa régularité ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que l'application de la circulaire Pers. n'a pas été remise en cause avant 2011, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de fondement légal au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

Mais attendu, d'abord, que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation ne peut être accueillie par le juge saisi au principal ;

Et attendu que par arrêt du 16 mars 2015 (n° 372875), le Conseil d'Etat, retenant dans les motifs de sa décision que les textes législatifs et réglementaires adoptés entre 1947 et 1975 avaient privé d'effet le paragraphe 6 de l'article 14 du statut national du personnel des industries électriques et gazières, a jugé que les conclusions de la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie-CGT tendant à ce que le paragraphe 212 de la circulaire Pers. n° 684 du 28 juin 1976 des directeurs généraux des sociétés Electricité de France et Gaz de France relative à la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer-intégration du personnel dans celui d'Electricité de France soit déclaré illégal étaient rejetées ;

Qu'il apparaît manifestement, au vu de cette jurisprudence établie de la juridiction administrative quant à la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers. 684, que la Fédération n'est pas fondée à demander que son application soit écartée en tant qu'il méconnaissait l'article 14 du statut ;

Attendu, ensuite, que selon cet article 212, les agents perçoivent une « indemnité spéciale DOM » égale à 25 % du salaire national de base affecté de leur coefficient hiérarchique ; que s'y ajoute la majoration résidentielle de 25 % affectant le salaire national de base prévue à l'article 211 de la même circulaire ; qu'il s'en suit que les personnels des IEG des départements d'Outre-mer perçoivent des indemnités résidentielles d'un montant total équivalent à celui des indemnités allouées aux fonctionnaires d'Outre-mer auxquels ils se comparent de sorte que le principe d'égalité de traitement qui résulte de l'article 14, § 6, du statut national n'est pas méconnu ;

Que par ces motifs de pur droit, substitués aux motifs critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 14, § 6, du décret n° 46-1541 du 22 juin 1946, approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières ; articles 211 et 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976.

Rapprochement(s) :

Sur la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976, cf. : CE, 16 mars 2015, n° 372875, inédit au Recueil Lebon.

Ass. plén., 28 juin 2019, n° 19-17.330, n° 19-17.342, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence du juge judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voie de fait – Voie de fait – Définition – Portée

Il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

Viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution, la cour d'appel qui retient qu'en ne déférant pas à une demande de mesure provisoire formulée par le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU et tendant à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales d'un patient ne soient pas suspendues pendant l'examen de son dossier par le Comité, l'État a pris une décision insusceptible d'être rattachée à un pouvoir lui appartenant en ce qu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles sur la vie même du patient, alors que, le droit à la vie n'entrant pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, la décision de l'Etat ne portait pas atteinte à la liberté individuelle et, qu'en l'état de décisions rendues en dernier lieu par le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'homme sur la légalité de la décision d'arrêt des traitements, cette décision n'était pas manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir lui appartenant, de sorte que les conditions de la voie de fait n'étaient pas réunies.

Compétence du juge judiciaire – Domaine d'application – Contentieux de la voix de fait – Voie de fait – Définition – Acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'administration – Exclusion – Cas – Refus de l'Etat de déférer à une demande de mesure provisoire formulée par le Comité des droits des personnes handicapées de l'ONU

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Le premier président a, par ordonnance du 3 juin 2019, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;

Le premier président a, le 5 juin 2019, pris une ordonnance de réduction des délais en vertu de l'article 1009 du code de procédure civile ;

Les demandeurs aux pourvois invoquent, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Joint les pourvois n° 19-17.330 et 19-17.342 ;

Reçoit, d'une part, Mme B... V..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tutrice de M. W... V..., d'autre part, M. M... V..., Mme G... V..., Mme F... V..., M. E... V..., M. T... X..., M. H... X... et M. N... V..., enfin, l'association Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés en leur intervention volontaire accessoire ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi n° 19-17.330 et sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi n° 19-17.342 :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution ;

Attendu qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que, le 29 septembre 2008, M. W... V... a été victime d'un grave accident de la circulation ; que, le 22 septembre 2017, le docteur A..., médecin responsable du service de soins palliatifs au centre hospitalier universitaire de Reims et, à ce titre, en charge de l'unité « cérébro-lésés » au sein de laquelle M. W... V... est hospitalisé, a informé les membres de la famille de sa décision d'engager la procédure collégiale prévue par l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, à l'issue de laquelle le médecin en charge du patient peut limiter ou arrêter des traitements, y compris la nutrition et l'hydratation artificielles, qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ; que, le 9 avril 2018, au terme de la procédure, ce médecin a décidé d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles de M. W... V... ; que, par ordonnance du 24 avril 2019, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté la requête tendant à la suspension de cette décision au motif que celle-ci ne pouvait être tenue pour illégale ; que, le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... (les consorts V...), respectivement parents, demi-frère et soeur de M. W... V..., ont saisi d'une demande de mesures provisoires la Cour européenne des droits de l'homme, qui, par décision du 30 avril 2019, a rejeté la requête après avoir rappelé que, par arrêt du 5 juin 2015, elle avait jugé qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de mise en œuvre d'une décision d'arrêt des traitements ; que, le 24 avril 2019, ils ont également saisi le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) d'une communication au sens de l'article 1er du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées ; que, le 3 mai 2019, le CDPH a demandé à l'Etat de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant l'examen de la requête ; que, le 7 mai 2019, le gouvernement a informé le CDPH que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements, par une nouvelle suspension qui priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, n'était pas envisageable et que, par conséquent, il n'était pas en mesure de mettre en oeuvre la mesure conservatoire demandée ; que, le 10 mai 2019, le docteur A... a averti la famille de M. W... V... de son intention d'initier, au cours de la semaine du 20 mai 2019, le Protocole tendant à supprimer toute aide artificielle au maintien de la vie de celui-ci ; que, par assignation à heure indiquée du 15 mai 2019, les consorts V... ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir ordonner à l'Etat de faire respecter sans délai les mesures provisoires préconisées le 3 mai 2019 par le CDPH et de donner toutes instructions immédiates de maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V... ;

Attendu que, pour accueillir les demandes, l'arrêt retient qu'en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le CDPH, l'Etat a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ;

Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que, le droit à la vie n'entrant pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, la décision, prise par l'Etat, de ne pas déférer à la demande de mesures provisoires formulée par le CDPH ne portait pas atteinte à la liberté individuelle, d'autre part, qu'en l'état notamment des décisions rendues en dernier lieu par le juge des référés du Conseil d'Etat le 24 avril 2019 et par la Cour européenne des droits de l'homme le 30 avril 2019, cette décision n'était pas manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir lui appartenant, de sorte que les conditions de la voie de fait n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits au pourvoi n° 19-17.330 par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris par lequel il s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, et d'avoir ordonné à l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures conservatoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées (CDPH) le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir et de l'avoir condamné à verser à titre provisionnel à M. Z... V..., Mme Q... V..., M. L... X... et Mme J... D..., un euro symbolique ;

AUX MOTIFS QUE d'après la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013, « il n'y a voie de fait de la part de l'administration que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » ; que la France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : « le Comité peut à tout moment et avant de prendre une décision sur le fond, soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée ; le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article » ; que les consorts V... ont saisi le CDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues par la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même ; que le CDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et de l'article 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité ; que l'Etat français a répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant ; qu'il n'a pas avancé d'arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée, faculté prévue à l'article 64 du règlement intérieur du Comité car il a estimé ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité ; qu'en ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers se prétendant victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention ; qu'il est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CDPH ; qu'indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international ; qu'en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires, il a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que ce droit constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ; qu'en l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019 ;

1°) ALORS QU'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que la liberté individuelle, au sens de l'article 66 de la Constitution tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel, renvoie au droit à la sûreté ; qu'en considérant que l'atteinte alléguée au droit à la vie justifiait sa compétence en tant que juridiction judiciaire, bien que ne soit pas en cause un droit dont la Constitution réserve à la juridiction judiciaire le soin d'assurer le respect par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution ;

2°) ALORS QUE les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme sont dotées entre les parties de l'autorité de la chose jugée ; que dans son arrêt du 5 juin 2015 (req. n° 46043/14) pris en Grande Chambre, la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par les consorts V... d'une violation par l'Etat français de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a jugé « conformes aux exigences de cet article le cadre législatif prévu par le droit interne, tel qu'interprété par le Conseil d'État, ainsi que le processus décisionnel, mené en l'espèce d'une façon méticuleuse », a considéré que « quant aux recours juridictionnels dont ont bénéficié les requérants, la Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l'objet d'un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s'exprimer et tous les aspects avaient été mûrement pesés, au vu tant d'une expertise médicale détaillée que d'observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques » (§ 181) et conclu « qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 » (§ 182), laquelle rejetait la demande de suspension de la décision du 11 janvier 2014 d'arrêt des traitements de M. W... V... ; que par une décision du 30 avril 2019 (req. n° 21675/19), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'une demande de mesures provisoires par les consorts V... tendant à enjoindre à la France de suspendre l'exécution de la décision du 9 avril 2018 d'autoriser l'arrêt des traitements de M. W... V..., a rejeté la demande motif pris que « la demande de mesures provisoires dont elle est saisie a pour but de s'opposer une nouvelle fois à l'arrêt des traitements qui maintiennent W... V... en vie » et que « par un arrêt de Grande Chambre prononcé le 5 juin 2015, statuant sur cette question essentielle, elle a conclu qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014, autorisant l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de W... V... » ; qu'en considérant que la décision de l'Etat de ne pas s'opposer à l'exécution de la décision d'arrêt des traitements de M. W... V... porte atteinte au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en dépit de ce qu'avait déclaré la Cour européenne des droits de l'homme à deux reprises quant à la conformité de la décision d'arrêt des traitements de M. W... V... au regard de ce même droit, la cour d'appel a violé l'autorité de la chose jugée par la Cour européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 41 et 46 de la Convention précitée ;

3°) ALORS QUE la voie de fait suppose qu'outre l'effet d'atteinte à une liberté individuelle ou d'extinction du droit de propriété, la décision de l'administration soit manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'arrêt attaqué se borne à déduire de la seule circonstance que la décision d'abstention de l'Etat d'exécuter les mesures conservatoires demandées par le CDPH porterait une atteinte au droit à la vie qu'elle serait manifestement insusceptible d'être rattachée aux prérogatives de l'Etat ; qu'en se fondant sur cette circonstance inopérante, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé en quoi cette abstention serait insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative, a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;

4°) ALORS QUE l'abstention de l'Etat de faire obstacle à l'exécution de la décision prise par le médecin, conformément aux dispositions du code de la santé publique et en particulier des articles L. 1110-5 et suivants, d'arrêter les traitements, notamment l'alimentation et l'hydratation artificielles du patient, qui a fait l'objet de plusieurs recours juridictionnels aux termes desquels il a été jugé que cette décision était conforme à la légalité ne saurait constituer une voie de fait en tant qu'elle serait insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative ; que dans sa décision prise en Assemblée du contentieux le 14 février 2014 (req. n° 375081, points 3 à 5), le Conseil d'Etat a fait évoluer l'office du juge des référés statuant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de la justice administrative, sur le recours contre une décision prise par un médecin en application du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ; que le Conseil d'Etat a posé que le juge des référés, ou le cas échéant la formation collégiale, devait prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à l'exécution de la décision lorsqu'elle pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en conciliant le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable ; que dans ce cadre, le juge des référés ou sa formation collégiale peut suspendre la décision à titre conservatoire, surseoir à statuer et ordonner une expertise médicale avant de statuer sur la requête ; que, saisi d'un recours contre une décision médicale du 11 janvier 2014 d'arrêt des soins prodigués à M. W... V..., le Conseil d'Etat, par cette même décision du 14 février 2014 (req. n° 375081), s'est estimé insuffisamment éclairé et a, avant dire droit, désigné un collège constitué du président de l'Académie nationale de médecine, du président du Comité consultatif national d'éthique et du président du Conseil national de l'ordre des médecins afin d'examiner M. W... V..., de décrire son état, de se prononcer sur la réversibilité de ses lésions cérébrales, d'apprécier s'il existe des signes de réaction aux soins et, dans l'affirmative, si ces réactions peuvent être interprétés comme un rejet de ces soins, une souffrance, le souhait que soit mis fin au traitement qui le maintien en vie ou comme témoignant, au contraire, du souhait que ce traitement soit prolongé ; que statuant au fond, et au vu notamment de cette expertise, le Conseil d'Etat, dans sa décision prise en Assemblée du contentieux le 24 juin 2014, a considéré, au point 32, « que les différentes conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. W... V... et au vu de l'instruction contradictoire menée par le Conseil d'État, comme réunies, que la décision du 11 janvier 2014 du Dr. C... de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de M. W... V... ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale » et a jugé qu'il y avait lieu de rejeter la requête en référé ; que la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par les consorts V..., a, dans son arrêt de Grande Chambre du 5 juin 2015 (req. n° 46043/14), énoncé « qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 », « qu'il n'y a pas lieu de se prononcer séparément sur le grief tiré de l'article 8 de la Convention » et que les griefs tirés de l'article 6, § 1, de la Convention sont manifestement mal fondés (pts 185 à 187) ; que saisi d'un recours contre la nouvelle décision de mettre à l'arrêt les soins en date du 9 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, par ordonnance avant dire droit du 20 avril 2018, ordonné une nouvelle expertise afin de déterminer la situation médicale de M. W... V..., et a, par ordonnance du 31 janvier 2019, rejeté la requête des consorts V... ; que saisi en appel, le Conseil d'État, statuant en formation collégiale, a, au vu notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, décidé le 24 avril 2019 (req. n° 428117) « que les différentes conditions exigées par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. W... V... et au vu de l'instruction contradictoire conduite dans le cadre de la présente instance, comme réunies, que la décision du Dr A... du 9 avril 2018 d'arrêter l'alimentation et l'hydratation artificielles de M. W... V... et d'assortir l'arrêt de ce traitement d'une sédation profonde et continue, ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale » ; que par décision du 30 avril 2019 (req. n° 21675/19), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'une demande de mesures provisoires par les consorts V..., a rejeté la demande au motif que par un arrêt de Grande Chambre prononcé le 5 juin 2015, elle a conclu qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'Etat du 24 juin 2014 ; qu'en refusant de prendre en considération ces circonstances essentielles, pourtant rappelées par l'Agent judiciaire de l'Etat, le ministre de la solidarité et de la santé et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dont il résulte que la décision d'arrêt de traitements de M. V... avait été jugée conforme à la légalité à plusieurs reprises et dans son dernier état très récemment par le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'homme, en sorte que l'Etat ne saurait être regardé comme ayant pris une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative en ne s'opposant pas à l'exécution d'une décision d'arrêt de traitement jugée légale, peu important que le CDPH lui ait demandé de prendre une mesure conservatoire contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

5°) ALORS,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

QUE les mesures conservatoires formulées par le CDPH n'ont aucun effet contraignant dans l'ordre juridique français ; qu'en se fondant néanmoins sur la décision de l'Etat de ne pas exécuter les mesures conservatoires que ce comité lui demandait de mettre en oeuvre pour établir que cette décision était manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative et en déduire sa compétence, malgré l'absence d'effet contraignant d'une telle demande du CDPH, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

6°) ET ALORS QUE, au surplus, le seul engagement pris par l'Etat français de respecter les principes posés par la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et par son Protocole facultatif ne saurait faire du refus de l'Etat français d'exécuter les mesures conservatoires formulées par le CDPH une décision insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures conservatoires demandées par le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir et de l'avoir condamné à verser à titre provisionnel à M. Z... V..., Mme Q... V..., M. L... X... et Mme J... D..., un euro symbolique ;

AUX MOTIFS QUE la France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : « le Comité peut à tout moment et avant de prendre une décision sur le fond, soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée ; le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article » ; que les consorts V... ont saisi le CDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues par la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même ; que le CDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et de l'article 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité ; que l'Etat français a répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant ; qu'il n'a pas avancé d'arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée, faculté prévue à l'article 64 du règlement intérieur du Comité car il a estimé ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité ; qu'en ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers se prétendant victimes d'une violation par cet Etat partie des dispositions de la Convention ; qu'il est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CDPH ; qu'indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international ; qu'en se dispensant d'exécuter les mesures conservatoires, il a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que ce droit constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ; qu'en l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019 ; que le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique ;

1°) ALORS QUE les mesures conservatoires formulées par le CDPH n'ont aucun effet contraignant dans l'ordre juridique français ; qu'en considérant que le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures conservatoires préconisées par le CDPH le 3 mai 2019, malgré l'absence d'effet contraignant d'une telle demande, la cour d'appel a violé la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif ;

2°) ET ALORS QUE, en tout état de cause, le seul engagement pris par l'Etat français de respecter les principes posés par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et par son Protocole facultatif ne saurait fonder le pouvoir du juge des référés de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures conservatoires préconisées par le CDPH le 3 mai 2019 ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif. Moyens produits au pourvoi n° 19-17.342 par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims et M. W... A...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a retenu la compétence du juge judiciaire, repoussé l'exception d'incompétence, puis ordonné à l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS QUE « Les consorts V... qui ont saisi le Comité international des droits des personnes handicapées ont un intérêt à agir devant le juge des référés en constatation d'une voie de fait constituée, selon eux, par le non-respect des mesures provisoires recommandées par le Comité.

Les consorts V... n'agissant pas en qualité de représentants de M. W... V... mais en vertu d'un droit propre, ils ont qualité à agir.

Les fins de non-recevoir sont limitativement énumérées par l'article 122 du code de procédure civile qui ne visent pas le défaut du droit à défendre. Il est dès lors sans objet de répondre à ce moyen d'irrecevabilité et de statuer suries demandes de mises hors de cause.

Le juge administratif, dans sa décision de référé du 15 mai 2019, ayant statué sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge judiciaire qui conserve compétence exclusive pour connaître de la voie de fait.

En vertu de la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 : « Il n'y a de voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ».

La France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées - CIDPH - et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : 'Après réception d'une communication et avant de prendre une décision sur le fond, le Comité peut à tout moment soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée.

Le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article ».

Le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... ont saisi le CIDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues à la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même, lorsque la seule justification médicale tient à son handicap cérébral sans comorbidités.

Le 3 mai 2019, le CIDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité.

L'Etat français a, le 7 mai 2019, répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant. Rappelant l'ensemble des décisions des juridictions précédemment saisies, il a conclu que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements par une nouvelle suspension, priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, et n'est pas envisageable.

Le 17 mai 2019, le CIDPH a rappelé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier, en l'état de l'article 64 du règlement intérieur du Comité, lequel prévoit notamment : « L'Etat partie peut avancer des arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée ».

La cour relève que l'Etat français n'a pas usé de cette faculté au terme de son mémoire adressé le 7 mai, estimant ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité.

En ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité des droits des personnes handicapées a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction, qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention.

L'Etat français est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CIDPH susceptible de donner lieu à une décision sur le fond, et pour laquelle le comité a demandé à l'Etat français de suspendre sa décision de mettre un terme à l'alimentation et à l'hydratation entérales de W... V.... Indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international. Il en résulte qu'en l'espèce, en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l'Etat français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle attrait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles.

En l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019.

La décision entreprise sera dès lors infirmée.

Le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique » ;

ALORS QUE, premièrement, la voie de fait suppose une atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; que cette atteinte suppose une détention arbitraire ; qu'aucun fait de cette nature n'ayant été allégué, ni a fortiori constaté, il était exclu que les juges du fond retiennent l'existence d'une voie de fait ; qu'en décidant le contraire, ils ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, deuxièmement, et en tout état, à supposer que la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 inclut le droit à la vie, dès lors que des décisions de justice, ayant définitivement tranché le conflit entre le droit à la vie et le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable, et ne révélant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, nulle violation de l'article 2 de la convention, avaient autorisé l'arrêt des traitements, il était exclu que les juges du fond retiennent que le refus de suspendre une telle mesure constitue une voie de fait pour porter atteinte au droit à la vie ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, troisièmement, faudrait-il considérer que la liberté individuelle était en cause, l'arrêt du traitement, conforme aux règles de droit applicables, procédait de l'exécution pure et simple de décisions administratives régulières et de décisions juridictionnelles à caractère définitif ; qu'il était dès lors exclu que les juges du fond puissent constater l'absence de lien entre le refus de suspendre l'arrêt du traitement et les pouvoirs conférés à l'administration ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, quatrièmement, si l'arrêt a visé la demande du Comité des droits des personnes handicapées du 3 mai 2019, cette demande ne pouvait être invoquée, faute d'effet direct, par les demandeurs, et ne pouvait dès lors fonder la compétence du juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, cinquièmement, et en tout état de cause, une demande telle que celle formulée par le Comité des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 était dépourvue de tout caractère contraignant à l'égard de l'Etat français et des autorités administratives françaises ; que par suite, l'Etat français, en refusant d'y déférer, ne commettait nulle voie de fait ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, sixièmement, et de toute façon, à supposer que la demande du 3 mai 2019 ait pu être invoquée par les demandeurs et ait eu un caractère contraignant, le fait de ne pas déférer à cette demande aurait pu s'analyser tout au plus en une méconnaissance d'une décision à caractère international sans que l'Etat ou l'administration puisse se voir imputer un acte ou un comportement sans lien manifeste avec un pouvoir qui leur est légalement dévolu ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ET ALORS QUE, septièmement, vainement objecterait-on de ce que la voie de fait est caractérisée en présence d'une décision régulière, dès lors que sa mise à exécution est irrégulière ; que la circonstance que l'Etat français n'ait pas entendu déférer à la demande du Comité n'est pas de nature à révéler l'irrégularité de la mise à exécution de la décision d'arrêt des traitements, dès lors que cette demande du Comité est dépourvue de tout effet direct et tout caractère contraignant ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a ordonné à l'Etat français de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS QUE « Les consorts V... qui ont saisi le Comité international des droits des personnes handicapées ont un intérêt à agir devant le juge des référés en constatation d'une voie de fait constituée, selon eux, par le non-respect des mesures provisoires recommandées par le Comité.

Les consorts V... n'agissant pas en qualité de représentants de M. W... V... mais en vertu d'un droit propre, ils ont qualité à agir.

Les fins de non-recevoir sont limitativement énumérées par l'article 122 du code de procédure civile qui ne visent pas le défaut du droit à défendre. Il est dès lors sans objet de répondre à ce moyen d'irrecevabilité et de statuer suries demandes de mises hors de cause.

Le juge administratif, dans sa décision de référé du 15 mai 2019, ayant statué sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge judiciaire qui conserve compétence exclusive pour connaître de la voie de fait.

En vertu de la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 : « Il n'y a de voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ».

La France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées - CIDPH - et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : 'Après réception d'une communication et avant de prendre une décision sur le fond, le Comité peut à tout moment soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée.

Le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article ».

Le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... ont saisi le CIDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues à la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même, lorsque la seule justification médicale tient à son handicap cérébral sans comorbidités.

Le 3 mai 2019, le CIDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité.

L'Etat français a, le 7 mai 2019, répondu, qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant. Rappelant l'ensemble des décisions des juridictions précédemment saisies, il a conclu que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements par une nouvelle suspension, priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, et n'est pas envisageable.

Le 17 mai 2019, le CIDPH a rappelé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier, en l'état de l'article 64 du règlement intérieur du Comité, lequel prévoit notamment : « L'Etat partie peut avancer des arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée ».

La cour relève que l'Etat français n'a pas usé de cette faculté au terme de son mémoire adressé le 7 mai, estimant ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité.

En ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité des droits des personnes handicapées a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction, qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention.

L'Etat français est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CIDPH susceptible de donner lieu à une décision sur le fond, et pour laquelle le comité a demandé à l'Etat français de suspendre sa décision de mettre un terme à l'alimentation et à l'hydratation entérales de W... V.... Indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international. Il en résulte qu'en l'espèce, en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l'Etat français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle attrait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles.

En l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019.

La décision entreprise sera dès lors infirmée.

Le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique » ;

ALORS QUE, premièrement, le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la circonstance que l'Etat n'ait pas entendu déférer à la demande du Comité n'est pas de nature à révéler l'existence d'un trouble manifestement illicite, dès lors que cette décision du Comité est dépourvue de tout effet direct et de tout caractère contraignant ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, ensemble des articles 4 du Protocole facultatif se rapportant à la convention relative aux droits des personnes handicapées et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, deuxièmement, le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, pour prévenir un dommage imminent ; qu'en l'état des décisions de justice ayant tranché le conflit entre le droit à la vie et le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable, et ne révélant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, nulle violation de l'article 2 de la Convention, l'arrêt des traitements, tout comme le refus de suspendre une telle mesure, ne peut être regardé comme à l'origine d'un dommage imminent pour l'intéressé ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, ensemble de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

- Président : M. Louvel (premier président) - Rapporteur : M. Chauvin (président), assisté de Mme Digot, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Molins (procureur général) - Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Foussard et Froger ; SCP Le Bret-Desaché ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Spinosi et Sureau ; SCP Coutard et Munier-Apaire -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 66 de la Constitution.

Rapprochement(s) :

Sur la définition de la voie de fait, à rapprocher : 1re Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-14.571, Bull. 2015, I, n° 68 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 26 juin 2019, n° 17-23.110, n° 17-26.254, (P)

Rejet

Compétence judiciaire – Exclusion – Accord de participation – Réserve spéciale de participation des salariés – Cas – Contestation portant sur les modalités de présentation comptable des dotations aux provisions et la prise en compte des reprises – Effets – Affectation du montant de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la réserve de participation

En application de l'article L. 3326-1 du code du travail, les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée relèvent de la compétence de la juridiction administrative.

Une cour d'appel ayant relevé que la contestation, portant sur les modalités de présentation comptable des dotations aux provisions et la prise en compte des reprises, avait pour effet d'affecter le montant de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la réserve de participation, en a exactement déduit que le tribunal de grande instance était incompétent au profit du juge administratif.

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-23.110 et 17-26.254 ;

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Besançon, 13 juin 2017), que suivant accord conclu le 29 janvier 1991, la société Ge Energy Products France, anciennement SA Alsthom Turbines à Gaz, d'une part, et les syndicats CGT, CFE-CGC et CFDT, d'autre part, ont choisi de retenir pour le calcul de la réserve de participation prévue à l'article L. 3324-1 du code du travail la formule légale ; que la société et les syndicats CFE-CGC de la métallurgie de Franche-Comté, CGT de la métallurgie de Belfort et Sud Technhom ont signé, le 31 octobre 2014, un accord portant rectification conventionnelle du calcul de la réserve de participation pour l'année 2012 ; que le comité d'entreprise et lesdits syndicats ont, le 22 juin 2015, fait assigner la société devant le tribunal de grande instance en régularisation du calcul de la réserve de participation pour les exercices 2010 et 2011 ;

Attendu que le comité d'entreprise et les syndicats font grief à l'arrêt d'estimer recevable et bien fondée l'exception d'incompétence matérielle soulevée par l'employeur et, en conséquence, de déclarer le tribunal de grande instance matériellement incompétent pour connaître du litige, et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant le juge de l'impôt, alors, selon le moyen :

1°/ que le syndicat précisait que le débat ne tendait nullement à soumettre à la censure du juge judiciaire la régularité de la comptabilité de la société, le montant du chiffre d'affaires, du résultat ou des provisions, mais seulement à voir vérifier l'application loyale de l'accord sur la réserve de participation et à solliciter le bénéfice de la méthode la plus favorable aux salariés pour calculer cette réserve dès lors qu'étaient en présence deux méthodes comptables également régulières ; qu'en se déclarant incompétent au motif que les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée relèveraient de la seule compétence du juge des impôts directs, la cour d'appel a modifié les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en tout cas, en statuant ainsi, la cour d'appel n'a nullement répondu au moyen des écritures dont elle était saisie, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que les conventions doivent être exécutées de bonne foi, ce qu'il incombe au juge judiciaire de vérifier ; que pour se déclarer incompétente et inviter le syndicat à mieux se pourvoir devant le juge de l'impôt, la cour d'appel relève d'abord, que la contestation porte sur les dotations aux provisions opérées et sur leur impact sur le calcul de la réserve spéciale de participation des salariés, et ajoute que le cabinet d'expertise-comptable a constaté que sur plusieurs chantiers, l'entreprise avait procédé à des « reprises intégrales de provisions », puis à de nouvelles dotations pour la totalité de la provision lors de l'exercice suivant, alors que le plan comptable général raisonne en termes de variations, si bien que les dotations aux provisions pour chaque chantier n'auraient dû être augmentées d'un exercice à l'autre que de leurs variations de l'année ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a mis en évidence l'absence de bonne foi de l'employeur dans l'exécution de l'accord de participation ou en tout cas l'emploi d'une méthode défavorable aux droits des salariés, sans que soit remise en cause la comptabilité de l'employeur ni ses déclarations fiscales, n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient pourtant de ses constatations, en violation de l'article 1134 ancien 1104 nouveau du code civil, ensemble le principe de faveur ;

4°/ que si le juge judiciaire ne peut remettre en cause le montant des salaires et le calcul de la valeur ajoutée résultant de l'attestation établie par le commissaire aux comptes, il reste compétent pour statuer sur les conséquences des décisions de gestion prises par l'employeur et, lorsque ces montants ne sont pas contestés, pour réintégrer dans le calcul de la réserve spéciale de participation les sommes qui y auraient dû être intégrées ou à l'inverse extraire celles qui n'auraient pas dû y figurer ; que ce pouvoir reconnu au juge judiciaire dans la contestation qui oppose l'employeur aux organisations syndicales et aux salariés est sans incidence sur les déclarations déjà faites par l'employeur auprès des organismes fiscaux et sociaux et sur les éventuels redressements qu'il pourrait encourir si – pour d'autres raisons – le bénéfice net, les capitaux propres, la masse salariale ou la valeur ajoutée venaient à être contestés ; qu'en renvoyant le syndicat à mieux se pourvoir devant le juge de l'impôt alors que n'était nullement question la valeur ajoutée déclarée par la société auprès des organismes fiscaux dont le redressement serait un préalable au calcul de la réserve de participation, la cour d'appel a violé les articles L. 3326-1 et D. 3324-2 du code du travail ;

Mais attendu qu'en application de l'article L. 3326-1 du code du travail, les contestations relatives au montant des salaires et au calcul de la valeur ajoutée relèvent de la compétence de la juridiction administrative ;

Et attendu que la cour d'appel, ayant relevé que la contestation, portant sur les modalités de présentation comptable des dotations aux provisions et la prise en compte des reprises, avait pour effet d'affecter le montant de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la réserve de participation, en a exactement déduit que le tribunal de grande instance était incompétent au profit du juge administratif ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article L. 3326-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge administratif concernant les litiges portant sur des contestations relatives au montant des salaires et de calcul de la valeur ajoutée, à rapprocher : Tribunal des conflits, 11 décembre 2017, n° 4104, Bull. 2017, T. conflits, n° 11.

1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-19.011, (P)

Renvoi devant le Tribunal des conflits et sursis à statuer

Conflit de compétence – Renvoi devant le Tribunal des conflits – Conditions – Existence d'une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse – Cas – Demande d'injonction à un producteur de reprendre la distribution d'un produit de santé

Soulève une difficulté sérieuse justifiant le renvoi devant le Tribunal des conflits, la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint à un producteur de reprendre la distribution d'un produit de santé.

Vu l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles ;

Attendu que, lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence ; que l'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce tribunal ;

Attendu que la société Merck santé, fabricant du Levothyrox, délivré sur prescription médicale pour traiter les maladies de la thyroïde et exploité par la société Merck Serono, a, à la demande de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (l'ANSM), modifié la composition de ce médicament, en remplaçant son excipient ; que, par décision du 27 septembre 2016, l'ANSM a modifié en conséquence l'autorisation de mise sur le marché (AMM) de ce médicament ; qu'à compter de mars 2017, la nouvelle formule du Levothyrox (Levothyrox NF) a été commercialisée, l'ancienne formule (Levothyrox AF) ne bénéficiant plus d'une AMM sur le territoire national ; que de nombreux patients traités au moyen du Levothyrox NF ont fait état d'effets indésirables ; que, pour y remédier, le ministre chargé de la santé a invité la société Merck santé à solliciter l'autorisation d'importer des unités de la spécialité Euthyrox, correspondant au Levothyrox AF, commercialisé en Allemagne ; que, le 19 septembre 2017, l'ANSM a délivré à la société Merck santé, à titre exceptionnel et transitoire pour une durée maximale d'un an, une autorisation d'importer un certain nombre d'unités d'Euthyrox, tout en autorisant la distribution et la mise sur le marché en France d'autres spécialités pharmaceutiques à titre d'alternatives thérapeutiques ; que, par actes des 2 et 7 novembre 2017, Mme V... et plusieurs autres personnes physiques ont assigné en référé les sociétés Merck Serono et Merck santé aux fins d'obtenir leur condamnation, sous astreinte, à reprendre la distribution du Levothyrox AF ; que les sociétés Merck Serono et Merck santé ont opposé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ; qu'après avoir déclaré la juridiction judiciaire compétente pour connaître du litige, la juridiction de référé a condamné la société Merck santé à fournir, sans délai et sous astreinte, le produit dans son ancienne formule, par le biais des circuits de distribution et de commercialisation, à plusieurs requérantes munies d'une prescription d'Euthyrox et se présentant dans une pharmacie désignée ;

Attendu que la commercialisation et la distribution d'une spécialité pharmaceutique impliquent, en principe, de bénéficier d'une AMM prévue à l'article L. 5121-8 du code de la santé publique ; que l'ANSM, établissement public de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, est chargée de prendre, en application de l'article L. 5311-1 du même code et sous certaines conditions, des décisions relatives à la fabrication, à l'importation, à la distribution en gros et à la mise sur le marché des médicaments, et notamment à la délivrance d'une AMM ou sa modification ; que, conformément à l'article L. 5121-9-1 du code précité, lorsqu'un médicament est autorisé dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, mais qu'il ne fait l'objet en France ni d'une AMM ni d'une demande en cours d'instruction en vue d'une telle autorisation, l'ANSM peut, pour des raisons de santé publique justifiées, autoriser la mise sur le marché de ce médicament ; que cette autorisation, délivrée pour une durée déterminée, peut être renouvelée ; que la commercialisation ou la distribution d'une spécialité pharmaceutique, sans disposer des autorisations requises et notamment de l'autorisation mentionnée à l'article L. 5121-9-1, est passible de sanctions pénales prévues à l'article L. 5421-2 ;

Attendu que les recours contre les décisions prises par l'ANSM en matière de police sanitaire relèvent de la compétence de la juridiction administrative ; que cette juridiction est également compétente pour connaître d'une action qui, bien qu'opposant des personnes privées, tend à la remise en cause de telles décisions et implique une immixtion dans l'exercice du pouvoir de police spéciale dévolue à cette autorité ;

Attendu cependant que, si la mesure sollicitée en l'espèce pourrait conduire pour sa mise en oeuvre à ce que l'ANSM use de ses prérogatives en matière de police sanitaire et délivre de nouvelles AMM, elle vise à ce qu'il soit enjoint à un producteur de reprendre la distribution d'une spécialité pharmaceutique et ne constitue pas, par elle-même, une mesure de police sanitaire relevant de la compétence du juge administratif ;

Attendu, dès lors, que le litige présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse ; qu'il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question en application de l'article 35 du décret susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

Ordonne le renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits ;

Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal des conflits ait tranché la question de savoir quel est l'ordre de juridiction compétent pour connaître du litige opposant les requérantes à la société Merck santé ;

Dit que l'affaire sera de nouveau examinée à l'audience du 13 novembre 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles.

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