Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX

1re Civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380, (P)

Cassation

Produit – Défectuosité – Lien de causalité avec le dommage – Preuve par le demandeur – Caractérisation – Présomptions graves, précises et concordantes – Conditions – Exclusion – Cause exclusive de la pathologie

Produit – Défectuosité – Lien de causalité avec le dommage – Preuve par le demandeur – Caractérisation – Présomptions graves, précises et concordantes – Possibilité – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que soutenant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme B... A... a assigné en responsabilité et indemnisation la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Gard aux droits de laquelle est venue la caisse de l'Hérault, qui a demandé le remboursement de ses débours ; que la société UCB Pharma a mis en cause la société Novartis santé familiale, venant aux droits de la société Borne, producteur du Stilbestrol-Borne, et devenue la société Glaxosmithkline santé grand public ; que Mme R... A..., mère de Mme B... A..., est intervenue volontairement à la procédure ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 1353 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de Mme B... A... et de Mme R... A..., l'arrêt retient que l'attestation rédigée par une personne très proche de la victime quelques mois avant l'assignation au fond, même confortée par une ordonnance prescrivant du Distilbène qui n'est pas nominative et est présentée comme se rapportant à une grossesse antérieure de Mme R... A..., ne suffit pas à constituer une preuve de l'exposition au DES, que même en considérant que ces éléments constituent un commencement de preuve, ils doivent être corroborés par d'autres indices, tirés des pathologies présentées, qui peuvent constituer des présomptions graves, concordantes et précises tant de l'exposition que de l'imputabilité des dommages à celle-ci, mais que, pour remplir ce rôle probant, les pathologies présentées ne doivent avoir aucune autre cause possible que l'exposition in utero au DES ; qu'il en déduit, après les avoir examinées, que les anomalies physiologiques présentées par Mme B... A... ne peuvent être imputées avec certitude à une telle exposition ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, s'il n'est pas établi que le DES est la seule cause possible des pathologies présentées, la preuve d'une exposition in utero à cette molécule puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu'il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu que, pour retenir qu'une exposition au DES ne peut être déduite de l'existence d'une hypoplasie utérine, après avoir énoncé que Mme B... A... présentait un utérus cloisonné qui n'était pas imputable à une exposition au DES ainsi qu'une hypoplasie utérine, l'arrêt relève qu'interpellés par la société UCB Pharma dans un dire sur l'existence d'un lien entre l'utérus cloisonné et l'hypoplasie, les experts n'ont pas exclu un tel lien ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les experts n'avaient pas répondu au dire de la société UCB Pharma sur l'éventualité d'un lien entre l'hypoplasie et l'utérus cloisonné, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil ; article 1353 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, la preuve d'une exposition in utero à la molécule DES contenue dans le « distilbène », puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition, à rapprocher : 1re Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-10.081, Bull. 2009, I, n° 186 (rejet). Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, la preuve de l'imputabilité du dommage au produit de santé en cause, à rapprocher : 1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 14-18.118, Bull. 2017, I, n° 221 (rejet), et les arrêts cités ; 1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 15-20.791, Bull. 2017, I, n° 222 (rejet), et les arrêts cités.

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