Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

PROTECTION DES DROITS DE LA PERSONNE

1re Civ., 5 juin 2019, n° 18-14.675, (P)

Sursis à statuer

Informatique et libertés (loi du 6 janvier 1978) – Traitement de données à caractère personnel – Données à caractère personnel – Qualification – Applications diverses – Demande de déréférencement – Cas – Données relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté

La décision de la Cour de justice de l'Union européenne à intervenir dans l'affaire CJUE, arrêt du 24 septembre 2019, GC e.a./Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), C-136/17 est de nature à influer sur la solution du pourvoi, dirigé contre un arrêt rejetant la demande formée contre l'exploitant d'un moteur de recherche pour obtenir le déréférencement de données à caractère personnel relatives à une condamnation pénale, initialement publiées sur le site internet d'un journal et, bien qu'archivées sur ce site, toujours accessibles par le biais d'une recherche effectuée à partir des nom et prénom de la personne concernée sur ledit moteur de recherche.

Il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de cette décision.

Donne acte à M. E... de ce qu'il se désiste de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Google France ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 décembre 2017), rendu en référé, que, par jugement du tribunal correctionnel de Metz du 17 novembre 2011, M. E..., qui exerce la profession d'expert-comptable et commissaire aux comptes, a été déclaré coupable d'escroquerie et de tentative d'escroquerie et condamné à quatre mois d'emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d'amende, ainsi qu'à payer une certaine somme à l'administration fiscale ; que, par arrêt du 9 octobre 2013, devenu définitif, la cour d'appel de Metz a confirmé ce jugement, sauf en ce qu'elle a porté la peine d'emprisonnement à dix mois avec sursis ; que, les 18 novembre 2011 et 15 novembre 2013, deux comptes-rendus d'audience relatant cette condamnation pénale ont été publiés sur le site Internet du journal « Le Républicain lorrain » ; que, soutenant que ces articles, bien qu'archivés sur le site du journal, étaient toujours accessibles par le biais d'une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom sur le moteur de recherche Google, et reprochant à la société Google Inc., aux droits de laquelle vient la société Google LLC, exploitant de ce moteur de recherche, d'avoir refusé de procéder à la suppression des liens litigieux, M. E... l'a assignée aux fins de déréférencement ;

Attendu que M. E... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que, selon l'article 9 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce, les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par certaines personnes limitativement énumérées parmi lesquelles ne figurent pas les exploitants de moteurs de recherche ; enfin, que, selon l'article 67 de la même loi, dans sa rédaction applicable, l'article 9 susvisé ne s'applique pas aux traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre aux fins d'exercice, à titre professionnel, de l'activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession ; que ces dispositions réalisent la transposition, en droit interne, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, à la lumière de laquelle elles doivent être interprétées ; que, selon l'article 9 de ladite directive, les exemptions et dérogations pour les traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ne peuvent être prévues que dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour concilier le droit à la vie privée avec les règles régissant la liberté d'expression ; qu'il s'ensuit qu'à supposer même qu'un moteur de recherche puisse bénéficier par transitivité de la même dérogation, celle-ci ne saurait excéder les limites de la dérogation bénéficiant au traitement source, justifiée par la protection de la liberté d'expression ; que dès lors, l'exploitant d'un moteur de recherche ne saurait se prévaloir de la licéité d'un traitement de telles données opéré sur une durée plus longue que celle du traitement source lorsque le responsable de ce traitement a lui-même décidé d'archiver lesdites données, les rendant inaccessibles à partir de son site Internet, marquant par là qu'il n'entend plus faire usage de sa liberté d'expression ; qu'en affirmant le contraire, pour en déduire qu'aucun trouble manifestement illicite n'aurait été caractérisé, la cour d'appel a violé les articles 9, 38, 40 et 67 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

2°/ que, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que, selon l'article 6 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce, un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes : 1° Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite./ 2° Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités (...)./ 3° Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs./ 4° Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour (...)./ 5° Elles sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées ; qu'enfin, selon l'article 7 de la même loi, dans sa rédaction applicable, à défaut d'avoir reçu le consentement de la personne concernée, un traitement de données à caractère personnel doit satisfaire à l'une des conditions suivantes : 1° Le respect d'une obligation légale incombant au responsable du traitement./ 2° La sauvegarde de la vie de la personne concernée./ 3° L'exécution d'une mission de service public dont est investi le responsable ou le destinataire du traitement./ 4° L'exécution, soit d'un contrat auquel la personne concernée est partie, soit de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci./ 5° La réalisation de l'intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le destinataire, sous réserve de ne pas méconnaître l'intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée ; que ces dispositions réalisent la transposition, en droit interne, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, à la lumière de laquelle elles doivent être interprétées ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que si la finalité poursuivie par le journal « Le Républicain lorrain », au sens de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978, était de donner une information sur l'actualité judiciaire d'intérêt local, information journalistique rapidement dépassée, ce qui expliquait l'archivage des deux articles sur son site, celle de Google était nécessairement différente de par son activité même de moteur de recherche, et pouvait légitimer le traitement des mêmes données à caractère personnel pour une durée différente, condition exigée à leur conservation posée par l'article 6 susvisé, sans préciser cette finalité, laquelle conditionnait pourtant l'appréciation de la licéité de ce traitement, tant dans son principe que dans sa durée, la cour d'appel a en tout état de cause privé sa décision de base légale au regard des articles 6, 7, 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

3°/ qu'en tout état de cause, selon les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable au litige, toute personne physique a le droit de s'opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l'objet d'un traitement ; elle peut exiger du responsable d'un traitement que soient notamment verrouillées ou effacées les données à caractère personnel la concernant, dont la collecte, l'utilisation, la communication ou la conservation est interdite ; que les articles 12, sous b), et 14, premier alinéa, sous a), de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dont les articles susvisés réalisent la transposition en droit interne, doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre de l'appréciation des conditions d'application de ces dispositions, il convient notamment d'examiner si la personne concernée a un droit à ce que l'information en question relative à sa personne ne soit plus, au stade actuel, liée à son nom par une liste de résultats affichée à la suite d'une recherche effectuée à partir de son nom ; que cette dernière pouvant, eu égard à ses droits fondamentaux au titre des articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, demander que l'information en question ne soit plus mise à la disposition du grand public du fait de son inclusion dans une telle liste de résultats, ces droits prévalent, en principe, sur l'intérêt de ce public à accéder à ladite information lors d'une recherche portant sur le nom de cette personne sauf à ce qu'il apparaisse, pour des raisons particulières, telles que le rôle joué par ladite personne dans la vie publique, que l'ingérence dans ses droits fondamentaux est justifiée par l'intérêt prépondérant dudit public à avoir, du fait de cette inclusion, accès à l'information en question ; que la juridiction saisie d'une demande de déréférencement est tenue de porter une appréciation sur son bien-fondé et de procéder, de façon concrète, à la mise en balance des intérêts en présence ; qu'en se bornant à relever, pour exclure l'existence d'un trouble manifestement illicite à raison du fait qu'une simple recherche à partir du nom de M. S... E... renvoyait à des articles traitant d'une condamnation pénale dont il avait fait l'objet en 2011 pour une infraction fiscale commise dans le cadre de sa sphère privée, que les données litigieuses étaient pertinentes au regard de la profession de l'intéressé, que ces informations intéressaient le public et que M. E... devait être considéré comme ayant un rôle dans la vie publique, sans vérifier ni constater que le droit à l'information du public présentait, au jour où elle statuait, un caractère prépondérant, nonobstant le caractère sensible des données en cause et la gravité de l'atteinte aux droits fondamentaux de M. E... qui résultait de leur traitement, et alors même qu'elle relevait que ces données n'étaient pas relatives à la vie professionnelle de ce dernier, la cour d'appel a méconnu son office et a violé les articles 38 et 40 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans leur rédaction applicable en l'espèce transposant la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ensemble les articles 9 du code civil et 809 du code de procédure civile ;

Attendu que, conformément à l'article 9 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018, qui a transposé l'article 8, § 5, de la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, applicable en la cause, les traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent être mis en oeuvre que par les juridictions, les autorités publiques et les personnes morales gérant un service public, agissant dans le cadre de leurs attributions légales, les auxiliaires de justice, pour les stricts besoins de l'exercice des missions qui leur sont confiées par la loi, et les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer la défense de ces droits ;

Attendu que, saisi de quatre requêtes portant, notamment, sur le droit au déréférencement de telles données, le Conseil d'Etat a, par décision du 24 février 2017 (n° 391000, 393769, 399999 et 401258), renvoyé à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles qui suivent :

1° Eu égard aux responsabilités, aux compétences et aux possibilités spécifiques de l'exploitant d'un moteur de recherche, l'interdiction faite aux autres responsables de traitement de traiter des données relevant des paragraphes 1 et 5 de l'article 8 de la directive du 24 octobre 1995, sous réserve des exceptions prévues par ce texte, est-elle également applicable à cet exploitant en tant que responsable du traitement que constitue ce moteur ?

2° En cas de réponse positive à la question posée au 1° :

- les dispositions de l'article 8 paragraphes 1 et 5 de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que l'interdiction ainsi faite, sous réserve des exceptions prévues par cette directive, à l'exploitant d'un moteur de recherche de traiter des données relevant de ces dispositions l'obligerait à faire systématiquement droit aux demandes de déréférencement portant sur des liens menant vers des pages web qui traitent de telles données ?

- dans une telle perspective, comment s'interprètent les exceptions prévues à l'article 8 paragraphe 2, sous a) et e), de la directive du 24 octobre 1995, lorsqu'elles s'appliquent à l'exploitant d'un moteur de recherche, eu égard à ses responsabilités, ses compétences et ses possibilités spécifiques ? En particulier, un tel exploitant peut-il refuser de faire droit à une demande de déréférencement lorsqu'il constate que les liens en cause mènent vers des contenus qui, s'ils comportent des données relevant des catégories énumérées au paragraphe 1 de l'article 8, entrent également dans le champ des exceptions prévues par le paragraphe 2 de ce même article, notamment le a) et le e) ?

- de même, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que, lorsque les liens dont le déréférencement est demandé mènent vers des traitements de données à caractère personnel effectués aux seules fins de journalisme ou d'expression artistique ou littéraire qui, à ce titre, en vertu de l'article 9 de la directive du 24 octobre 1995, peuvent collecter et traiter des données relevant des catégories mentionnées à l'article 8, paragraphes 1 et 5, de cette directive, l'exploitant d'un moteur de recherche peut, pour ce motif, refuser de faire droit à une demande de déréférencement ?

3° En cas de réponse négative à la question posée au 1° :

- à quelles exigences spécifiques de la directive du 24 octobre 1995 l'exploitant d'un moteur de recherche, compte tenu de ses responsabilités, de ses compétences et de ses possibilités, doit-il satisfaire ?

- lorsqu'il constate que les pages web, vers lesquelles mènent les liens dont le déréférencement est demandé, comportent des données dont la publication, sur lesdites pages, est illicite, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens :

- qu'elles imposent à l'exploitant d'un moteur de recherche de supprimer ces liens de la liste des résultats affichés à la suite d'une recherche effectuée à partir du nom du demandeur ?

- ou qu'elles impliquent seulement qu'il prenne en compte cette circonstance pour apprécier le bien-fondé de la demande de déréférencement ?

- ou que cette circonstance est sans incidence sur l'appréciation qu'il doit porter ?

En outre, si cette circonstance n'est pas inopérante, comment apprécier la licéité de la publication des données litigieuses sur des pages web qui proviennent de traitements n'entrant pas dans le champ d'application territorial de la directive du 24 octobre 1995 et, par suite, des législations nationales la mettant en œuvre ?

4° Quelle que soit la réponse apportée à la question posée au 1° :

- indépendamment de la licéité de la publication des données à caractère personnel sur la page web vers laquelle mène le lien litigieux, les dispositions de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que :

- lorsque le demandeur établit que ces données sont devenues incomplètes ou inexactes, ou qu'elles ne sont plus à jour, l'exploitant d'un moteur de recherche est tenu de faire droit à la demande de déréférencement correspondante ?

- plus spécifiquement, lorsque le demandeur démontre que, compte tenu du déroulement de la procédure judiciaire, les informations relatives à une étape antérieure de la procédure ne correspondent plus à la réalité actuelle de sa situation, l'exploitant d'un moteur de recherche est tenu de déréférencer les liens menant vers des pages web comportant de telles informations ?

- les dispositions de l'article 8 paragraphe 5 de la directive du 24 octobre 1995 doivent-elles être interprétées en ce sens que les informations relatives à la mise en examen d'un individu ou relatant un procès, et la condamnation qui en découle, constituent des données relatives aux infractions et aux condamnations pénales ? De manière générale, lorsqu'une page web comporte des données faisant état des condamnations ou des procédures judiciaires dont une personne physique a été l'objet, entre-t-elle dans le champ de ces dispositions ?

Attendu qu'au regard des griefs formulés par le moyen et des question préjudicielles précitées, la décision de la Cour de justice de l'Union européenne à intervenir est de nature à influer sur la solution du présent pourvoi ; qu'il y a lieu, dès lors, de surseoir à statuer jusqu'au prononcé de celle-ci ;

PAR CES MOTIFS :

SURSOIT à statuer sur le pourvoi jusqu'au prononcé de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-136/17 ;

Renvoie la cause et les parties à l'audience du 22 octobre 2019.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 ; articles 9, 38, 40 et 67 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ; article 9 du code civil ; article 809 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 février 2018, pourvoi n° 17-10.499, Bull. 2018, I, n° 31 (cassation partielle sans renvoi) ; Cf. : CE, 24 février 2017, n° 391000, publié au Recueil Lebon.

Ass. plén., 28 juin 2019, n° 19-17.330, n° 19-17.342, (P)

Cassation sans renvoi

Liberté individuelle – Atteinte – Voie de fait – Caractérisation – Défaut – Cas – Atteinte au droit à la vie

Liberté individuelle – Définition – Exclusion – Cas – Droit à la vie

LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, a rendu l'arrêt suivant :

Le premier président a, par ordonnance du 3 juin 2019, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière ;

Le premier président a, le 5 juin 2019, pris une ordonnance de réduction des délais en vertu de l'article 1009 du code de procédure civile ;

Les demandeurs aux pourvois invoquent, devant l'assemblée plénière, les moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Joint les pourvois n° 19-17.330 et 19-17.342 ;

Reçoit, d'une part, Mme B... V..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tutrice de M. W... V..., d'autre part, M. M... V..., Mme G... V..., Mme F... V..., M. E... V..., M. T... X..., M. H... X... et M. N... V..., enfin, l'association Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés en leur intervention volontaire accessoire ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi n° 19-17.330 et sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, du pourvoi n° 19-17.342 :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution ;

Attendu qu'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu en référé, que, le 29 septembre 2008, M. W... V... a été victime d'un grave accident de la circulation ; que, le 22 septembre 2017, le docteur A..., médecin responsable du service de soins palliatifs au centre hospitalier universitaire de Reims et, à ce titre, en charge de l'unité « cérébro-lésés » au sein de laquelle M. W... V... est hospitalisé, a informé les membres de la famille de sa décision d'engager la procédure collégiale prévue par l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, à l'issue de laquelle le médecin en charge du patient peut limiter ou arrêter des traitements, y compris la nutrition et l'hydratation artificielles, qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait une obstination déraisonnable ; que, le 9 avril 2018, au terme de la procédure, ce médecin a décidé d'arrêter la nutrition et l'hydratation artificielles de M. W... V... ; que, par ordonnance du 24 avril 2019, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté la requête tendant à la suspension de cette décision au motif que celle-ci ne pouvait être tenue pour illégale ; que, le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... (les consorts V...), respectivement parents, demi-frère et soeur de M. W... V..., ont saisi d'une demande de mesures provisoires la Cour européenne des droits de l'homme, qui, par décision du 30 avril 2019, a rejeté la requête après avoir rappelé que, par arrêt du 5 juin 2015, elle avait jugé qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de mise en œuvre d'une décision d'arrêt des traitements ; que, le 24 avril 2019, ils ont également saisi le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) d'une communication au sens de l'article 1er du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées ; que, le 3 mai 2019, le CDPH a demandé à l'Etat de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant l'examen de la requête ; que, le 7 mai 2019, le gouvernement a informé le CDPH que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements, par une nouvelle suspension qui priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, n'était pas envisageable et que, par conséquent, il n'était pas en mesure de mettre en oeuvre la mesure conservatoire demandée ; que, le 10 mai 2019, le docteur A... a averti la famille de M. W... V... de son intention d'initier, au cours de la semaine du 20 mai 2019, le Protocole tendant à supprimer toute aide artificielle au maintien de la vie de celui-ci ; que, par assignation à heure indiquée du 15 mai 2019, les consorts V... ont saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir ordonner à l'Etat de faire respecter sans délai les mesures provisoires préconisées le 3 mai 2019 par le CDPH et de donner toutes instructions immédiates de maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V... ;

Attendu que, pour accueillir les demandes, l'arrêt retient qu'en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le CDPH, l'Etat a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ;

Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que, le droit à la vie n'entrant pas dans le champ de la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution, la décision, prise par l'Etat, de ne pas déférer à la demande de mesures provisoires formulée par le CDPH ne portait pas atteinte à la liberté individuelle, d'autre part, qu'en l'état notamment des décisions rendues en dernier lieu par le juge des référés du Conseil d'Etat le 24 avril 2019 et par la Cour européenne des droits de l'homme le 30 avril 2019, cette décision n'était pas manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir lui appartenant, de sorte que les conditions de la voie de fait n'étaient pas réunies, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :

Moyens produits au pourvoi n° 19-17.330 par la SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer, avocat aux Conseils, pour l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat, le ministère des solidarités et de la santé et le ministère de l'Europe et des affaires étrangères

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé le jugement du tribunal de grande instance de Paris par lequel il s'est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir, et d'avoir ordonné à l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures conservatoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées (CDPH) le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir et de l'avoir condamné à verser à titre provisionnel à M. Z... V..., Mme Q... V..., M. L... X... et Mme J... D..., un euro symbolique ;

AUX MOTIFS QUE d'après la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013, « il n'y a voie de fait de la part de l'administration que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative » ; que la France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : « le Comité peut à tout moment et avant de prendre une décision sur le fond, soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée ; le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article » ; que les consorts V... ont saisi le CDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues par la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même ; que le CDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et de l'article 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité ; que l'Etat français a répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant ; qu'il n'a pas avancé d'arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée, faculté prévue à l'article 64 du règlement intérieur du Comité car il a estimé ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité ; qu'en ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers se prétendant victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention ; qu'il est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CDPH ; qu'indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international ; qu'en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires, il a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que ce droit constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ; qu'en l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019 ;

1°) ALORS QU'il n'y a voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que la liberté individuelle, au sens de l'article 66 de la Constitution tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel, renvoie au droit à la sûreté ; qu'en considérant que l'atteinte alléguée au droit à la vie justifiait sa compétence en tant que juridiction judiciaire, bien que ne soit pas en cause un droit dont la Constitution réserve à la juridiction judiciaire le soin d'assurer le respect par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution ;

2°) ALORS QUE les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme sont dotées entre les parties de l'autorité de la chose jugée ; que dans son arrêt du 5 juin 2015 (req. n° 46043/14) pris en Grande Chambre, la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par les consorts V... d'une violation par l'Etat français de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, a jugé « conformes aux exigences de cet article le cadre législatif prévu par le droit interne, tel qu'interprété par le Conseil d'État, ainsi que le processus décisionnel, mené en l'espèce d'une façon méticuleuse », a considéré que « quant aux recours juridictionnels dont ont bénéficié les requérants, la Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l'objet d'un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s'exprimer et tous les aspects avaient été mûrement pesés, au vu tant d'une expertise médicale détaillée que d'observations générales des plus hautes instances médicales et éthiques » (§ 181) et conclu « qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 » (§ 182), laquelle rejetait la demande de suspension de la décision du 11 janvier 2014 d'arrêt des traitements de M. W... V... ; que par une décision du 30 avril 2019 (req. n° 21675/19), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'une demande de mesures provisoires par les consorts V... tendant à enjoindre à la France de suspendre l'exécution de la décision du 9 avril 2018 d'autoriser l'arrêt des traitements de M. W... V..., a rejeté la demande motif pris que « la demande de mesures provisoires dont elle est saisie a pour but de s'opposer une nouvelle fois à l'arrêt des traitements qui maintiennent W... V... en vie » et que « par un arrêt de Grande Chambre prononcé le 5 juin 2015, statuant sur cette question essentielle, elle a conclu qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014, autorisant l'arrêt de l'alimentation et de l'hydratation artificielles de W... V... » ; qu'en considérant que la décision de l'Etat de ne pas s'opposer à l'exécution de la décision d'arrêt des traitements de M. W... V... porte atteinte au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en dépit de ce qu'avait déclaré la Cour européenne des droits de l'homme à deux reprises quant à la conformité de la décision d'arrêt des traitements de M. W... V... au regard de ce même droit, la cour d'appel a violé l'autorité de la chose jugée par la Cour européenne des droits de l'homme, ensemble les articles 41 et 46 de la Convention précitée ;

3°) ALORS QUE la voie de fait suppose qu'outre l'effet d'atteinte à une liberté individuelle ou d'extinction du droit de propriété, la décision de l'administration soit manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ; que l'arrêt attaqué se borne à déduire de la seule circonstance que la décision d'abstention de l'Etat d'exécuter les mesures conservatoires demandées par le CDPH porterait une atteinte au droit à la vie qu'elle serait manifestement insusceptible d'être rattachée aux prérogatives de l'Etat ; qu'en se fondant sur cette circonstance inopérante, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé en quoi cette abstention serait insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative, a privé sa décision de base légale au regard de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III ;

4°) ALORS QUE l'abstention de l'Etat de faire obstacle à l'exécution de la décision prise par le médecin, conformément aux dispositions du code de la santé publique et en particulier des articles L. 1110-5 et suivants, d'arrêter les traitements, notamment l'alimentation et l'hydratation artificielles du patient, qui a fait l'objet de plusieurs recours juridictionnels aux termes desquels il a été jugé que cette décision était conforme à la légalité ne saurait constituer une voie de fait en tant qu'elle serait insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative ; que dans sa décision prise en Assemblée du contentieux le 14 février 2014 (req. n° 375081, points 3 à 5), le Conseil d'Etat a fait évoluer l'office du juge des référés statuant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de la justice administrative, sur le recours contre une décision prise par un médecin en application du code de la santé publique et conduisant à interrompre ou à ne pas entreprendre un traitement au motif que ce dernier traduirait une obstination déraisonnable, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ; que le Conseil d'Etat a posé que le juge des référés, ou le cas échéant la formation collégiale, devait prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à l'exécution de la décision lorsqu'elle pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en conciliant le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable ; que dans ce cadre, le juge des référés ou sa formation collégiale peut suspendre la décision à titre conservatoire, surseoir à statuer et ordonner une expertise médicale avant de statuer sur la requête ; que, saisi d'un recours contre une décision médicale du 11 janvier 2014 d'arrêt des soins prodigués à M. W... V..., le Conseil d'Etat, par cette même décision du 14 février 2014 (req. n° 375081), s'est estimé insuffisamment éclairé et a, avant dire droit, désigné un collège constitué du président de l'Académie nationale de médecine, du président du Comité consultatif national d'éthique et du président du Conseil national de l'ordre des médecins afin d'examiner M. W... V..., de décrire son état, de se prononcer sur la réversibilité de ses lésions cérébrales, d'apprécier s'il existe des signes de réaction aux soins et, dans l'affirmative, si ces réactions peuvent être interprétés comme un rejet de ces soins, une souffrance, le souhait que soit mis fin au traitement qui le maintien en vie ou comme témoignant, au contraire, du souhait que ce traitement soit prolongé ; que statuant au fond, et au vu notamment de cette expertise, le Conseil d'Etat, dans sa décision prise en Assemblée du contentieux le 24 juin 2014, a considéré, au point 32, « que les différentes conditions mises par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. W... V... et au vu de l'instruction contradictoire menée par le Conseil d'État, comme réunies, que la décision du 11 janvier 2014 du Dr. C... de mettre fin à l'alimentation et à l'hydratation artificielles de M. W... V... ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale » et a jugé qu'il y avait lieu de rejeter la requête en référé ; que la Cour européenne des droits de l'homme, saisie par les consorts V..., a, dans son arrêt de Grande Chambre du 5 juin 2015 (req. n° 46043/14), énoncé « qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'homme et de Libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'État du 24 juin 2014 », « qu'il n'y a pas lieu de se prononcer séparément sur le grief tiré de l'article 8 de la Convention » et que les griefs tirés de l'article 6, § 1, de la Convention sont manifestement mal fondés (pts 185 à 187) ; que saisi d'un recours contre la nouvelle décision de mettre à l'arrêt les soins en date du 9 avril 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a, par ordonnance avant dire droit du 20 avril 2018, ordonné une nouvelle expertise afin de déterminer la situation médicale de M. W... V..., et a, par ordonnance du 31 janvier 2019, rejeté la requête des consorts V... ; que saisi en appel, le Conseil d'État, statuant en formation collégiale, a, au vu notamment de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, décidé le 24 avril 2019 (req. n° 428117) « que les différentes conditions exigées par la loi pour que puisse être prise, par le médecin en charge du patient, une décision mettant fin à un traitement n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie et dont la poursuite traduirait ainsi une obstination déraisonnable peuvent être regardées, dans le cas de M. W... V... et au vu de l'instruction contradictoire conduite dans le cadre de la présente instance, comme réunies, que la décision du Dr A... du 9 avril 2018 d'arrêter l'alimentation et l'hydratation artificielles de M. W... V... et d'assortir l'arrêt de ce traitement d'une sédation profonde et continue, ne peut, en conséquence, être tenue pour illégale » ; que par décision du 30 avril 2019 (req. n° 21675/19), la Cour européenne des droits de l'homme, saisie d'une demande de mesures provisoires par les consorts V..., a rejeté la demande au motif que par un arrêt de Grande Chambre prononcé le 5 juin 2015, elle a conclu qu'il n'y aurait pas violation de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de mise en oeuvre de la décision du Conseil d'Etat du 24 juin 2014 ; qu'en refusant de prendre en considération ces circonstances essentielles, pourtant rappelées par l'Agent judiciaire de l'Etat, le ministre de la solidarité et de la santé et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, dont il résulte que la décision d'arrêt de traitements de M. V... avait été jugée conforme à la légalité à plusieurs reprises et dans son dernier état très récemment par le Conseil d'Etat et la Cour européenne des droits de l'homme, en sorte que l'Etat ne saurait être regardé comme ayant pris une décision manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative en ne s'opposant pas à l'exécution d'une décision d'arrêt de traitement jugée légale, peu important que le CDPH lui ait demandé de prendre une mesure conservatoire contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

5°) ALORS,

EN TOUT ETAT DE CAUSE,

QUE les mesures conservatoires formulées par le CDPH n'ont aucun effet contraignant dans l'ordre juridique français ; qu'en se fondant néanmoins sur la décision de l'Etat de ne pas exécuter les mesures conservatoires que ce comité lui demandait de mettre en oeuvre pour établir que cette décision était manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative et en déduire sa compétence, malgré l'absence d'effet contraignant d'une telle demande du CDPH, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

6°) ET ALORS QUE, au surplus, le seul engagement pris par l'Etat français de respecter les principes posés par la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et par son Protocole facultatif ne saurait faire du refus de l'Etat français d'exécuter les mesures conservatoires formulées par le CDPH une décision insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir ordonné à l'Etat français pris en la personne de l'Agent judiciaire de l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures conservatoires demandées par le Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir et de l'avoir condamné à verser à titre provisionnel à M. Z... V..., Mme Q... V..., M. L... X... et Mme J... D..., un euro symbolique ;

AUX MOTIFS QUE la France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : « le Comité peut à tout moment et avant de prendre une décision sur le fond, soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée ; le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article » ; que les consorts V... ont saisi le CDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues par la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même ; que le CDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et de l'article 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité ; que l'Etat français a répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant ; qu'il n'a pas avancé d'arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée, faculté prévue à l'article 64 du règlement intérieur du Comité car il a estimé ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité ; qu'en ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers se prétendant victimes d'une violation par cet Etat partie des dispositions de la Convention ; qu'il est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CDPH ; qu'indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international ; qu'en se dispensant d'exécuter les mesures conservatoires, il a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle a trait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que ce droit constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles ; qu'en l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019 ; que le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique ;

1°) ALORS QUE les mesures conservatoires formulées par le CDPH n'ont aucun effet contraignant dans l'ordre juridique français ; qu'en considérant que le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures conservatoires préconisées par le CDPH le 3 mai 2019, malgré l'absence d'effet contraignant d'une telle demande, la cour d'appel a violé la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif ;

2°) ET ALORS QUE, en tout état de cause, le seul engagement pris par l'Etat français de respecter les principes posés par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et par son Protocole facultatif ne saurait fonder le pouvoir du juge des référés de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures conservatoires préconisées par le CDPH le 3 mai 2019 ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées et son Protocole facultatif. Moyens produits au pourvoi n° 19-17.342 par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour le centre hospitalier universitaire (CHU) de Reims et M. W... A...

PREMIER MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt infirmatif attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a retenu la compétence du juge judiciaire, repoussé l'exception d'incompétence, puis ordonné à l'Etat de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité international des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS QUE « Les consorts V... qui ont saisi le Comité international des droits des personnes handicapées ont un intérêt à agir devant le juge des référés en constatation d'une voie de fait constituée, selon eux, par le non-respect des mesures provisoires recommandées par le Comité.

Les consorts V... n'agissant pas en qualité de représentants de M. W... V... mais en vertu d'un droit propre, ils ont qualité à agir.

Les fins de non-recevoir sont limitativement énumérées par l'article 122 du code de procédure civile qui ne visent pas le défaut du droit à défendre. Il est dès lors sans objet de répondre à ce moyen d'irrecevabilité et de statuer suries demandes de mises hors de cause.

Le juge administratif, dans sa décision de référé du 15 mai 2019, ayant statué sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge judiciaire qui conserve compétence exclusive pour connaître de la voie de fait.

En vertu de la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 : « Il n'y a de voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ».

La France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées - CIDPH - et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : 'Après réception d'une communication et avant de prendre une décision sur le fond, le Comité peut à tout moment soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée.

Le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article ».

Le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... ont saisi le CIDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues à la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même, lorsque la seule justification médicale tient à son handicap cérébral sans comorbidités.

Le 3 mai 2019, le CIDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité.

L'Etat français a, le 7 mai 2019, répondu qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant. Rappelant l'ensemble des décisions des juridictions précédemment saisies, il a conclu que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements par une nouvelle suspension, priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, et n'est pas envisageable.

Le 17 mai 2019, le CIDPH a rappelé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier, en l'état de l'article 64 du règlement intérieur du Comité, lequel prévoit notamment : « L'Etat partie peut avancer des arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée ».

La cour relève que l'Etat français n'a pas usé de cette faculté au terme de son mémoire adressé le 7 mai, estimant ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité.

En ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité des droits des personnes handicapées a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction, qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention.

L'Etat français est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CIDPH susceptible de donner lieu à une décision sur le fond, et pour laquelle le comité a demandé à l'Etat français de suspendre sa décision de mettre un terme à l'alimentation et à l'hydratation entérales de W... V.... Indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international. Il en résulte qu'en l'espèce, en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l'Etat français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle attrait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles.

En l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019.

La décision entreprise sera dès lors infirmée.

Le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique » ;

ALORS QUE, premièrement, la voie de fait suppose une atteinte à la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; que cette atteinte suppose une détention arbitraire ; qu'aucun fait de cette nature n'ayant été allégué, ni a fortiori constaté, il était exclu que les juges du fond retiennent l'existence d'une voie de fait ; qu'en décidant le contraire, ils ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, deuxièmement, et en tout état, à supposer que la liberté individuelle au sens de l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 inclut le droit à la vie, dès lors que des décisions de justice, ayant définitivement tranché le conflit entre le droit à la vie et le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable, et ne révélant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, nulle violation de l'article 2 de la convention, avaient autorisé l'arrêt des traitements, il était exclu que les juges du fond retiennent que le refus de suspendre une telle mesure constitue une voie de fait pour porter atteinte au droit à la vie ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, troisièmement, faudrait-il considérer que la liberté individuelle était en cause, l'arrêt du traitement, conforme aux règles de droit applicables, procédait de l'exécution pure et simple de décisions administratives régulières et de décisions juridictionnelles à caractère définitif ; qu'il était dès lors exclu que les juges du fond puissent constater l'absence de lien entre le refus de suspendre l'arrêt du traitement et les pouvoirs conférés à l'administration ; qu'à cet égard, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, quatrièmement, si l'arrêt a visé la demande du Comité des droits des personnes handicapées du 3 mai 2019, cette demande ne pouvait être invoquée, faute d'effet direct, par les demandeurs, et ne pouvait dès lors fonder la compétence du juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, cinquièmement, et en tout état de cause, une demande telle que celle formulée par le Comité des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 était dépourvue de tout caractère contraignant à l'égard de l'Etat français et des autorités administratives françaises ; que par suite, l'Etat français, en refusant d'y déférer, ne commettait nulle voie de fait ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, sixièmement, et de toute façon, à supposer que la demande du 3 mai 2019 ait pu être invoquée par les demandeurs et ait eu un caractère contraignant, le fait de ne pas déférer à cette demande aurait pu s'analyser tout au plus en une méconnaissance d'une décision à caractère international sans que l'Etat ou l'administration puisse se voir imputer un acte ou un comportement sans lien manifeste avec un pouvoir qui leur est légalement dévolu ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ET ALORS QUE, septièmement, vainement objecterait-on de ce que la voie de fait est caractérisée en présence d'une décision régulière, dès lors que sa mise à exécution est irrégulière ; que la circonstance que l'Etat français n'ait pas entendu déférer à la demande du Comité n'est pas de nature à révéler l'irrégularité de la mise à exécution de la décision d'arrêt des traitements, dès lors que cette demande du Comité est dépourvue de tout effet direct et tout caractère contraignant ; qu'à cet égard encore, l'arrêt attaqué a été rendu en violation de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, ensemble l'article 66 de la Constitution du 4 octobre 1958.

SECOND MOYEN DE CASSATION :

L'arrêt attaqué encourt la censure ;

EN CE QU'il a ordonné à l'Etat français de prendre toutes mesures aux fins de faire respecter les mesures provisoires demandées par le Comité des droits des personnes handicapées le 3 mai 2019 tendant au maintien de l'alimentation et de l'hydratation entérales de M. W... V..., jusqu'à la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS QUE « Les consorts V... qui ont saisi le Comité international des droits des personnes handicapées ont un intérêt à agir devant le juge des référés en constatation d'une voie de fait constituée, selon eux, par le non-respect des mesures provisoires recommandées par le Comité.

Les consorts V... n'agissant pas en qualité de représentants de M. W... V... mais en vertu d'un droit propre, ils ont qualité à agir.

Les fins de non-recevoir sont limitativement énumérées par l'article 122 du code de procédure civile qui ne visent pas le défaut du droit à défendre. Il est dès lors sans objet de répondre à ce moyen d'irrecevabilité et de statuer suries demandes de mises hors de cause.

Le juge administratif, dans sa décision de référé du 15 mai 2019, ayant statué sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, sa décision n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée à l'égard du juge judiciaire qui conserve compétence exclusive pour connaître de la voie de fait.

En vertu de la décision du Tribunal des conflits du 17 juin 2013 : « Il n'y a de voie de fait de la part de l'administration, justifiant, par exception au principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour en ordonner la cessation ou la réparation, que dans la mesure où l'administration, soit a procédé à l'exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d'une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété, soit a pris une décision qui a les mêmes effets d'atteinte à la liberté individuelle ou d'extinction d'un droit de propriété et qui est manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative ».

La France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées - CIDPH - et son Protocole facultatif, lequel dispose en son article 4 : 'Après réception d'une communication et avant de prendre une décision sur le fond, le Comité peut à tout moment soumettre à l'urgente attention de l'Etat Partie intéressé une demande tendant à ce qu'il prenne les mesures conservatoires nécessaires pour éviter qu'un dommage irréparable ne soit causé aux victimes de la violation présumée.

Le comité ne préjuge pas de sa décision sur la recevabilité ou le fond de la communication du simple fait qu'il exerce la faculté que lui donne le paragraphe 1 du présent article ».

Le 24 avril 2019, M. Z... V..., Mme K... V..., M. L... X... et Mme J... V... épouse D... ont saisi le CIDPH afin de, dénonçant les manquements de l'Etat français à l'obligation de soins pesant sur lui au regard des obligations prévues à la Convention, obtenir qu'il se munisse d'un dispositif de nature à empêcher de faire mourir une personne handicapée et incapable de faire part de sa volonté par elle-même, lorsque la seule justification médicale tient à son handicap cérébral sans comorbidités.

Le 3 mai 2019, le CIDPH a, faisant application de l'article 4 du Protocole facultatif et 64 de son règlement intérieur, demandé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. W... V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier par le Comité.

L'Etat français a, le 7 mai 2019, répondu, qu'il était seulement tenu d'examiner avec diligence et célérité cette demande, mais que, cependant, ces mesures sont dépourvues de caractère contraignant. Rappelant l'ensemble des décisions des juridictions précédemment saisies, il a conclu que la remise en cause de la décision d'arrêt des traitements par une nouvelle suspension, priverait d'effectivité le droit du patient à ne pas subir d'obstination déraisonnable, et n'est pas envisageable.

Le 17 mai 2019, le CIDPH a rappelé à l'Etat partie de prendre les mesures nécessaires à ce que l'alimentation et l'hydratation entérales de M. V... ne soient pas suspendues pendant le traitement de son dossier, en l'état de l'article 64 du règlement intérieur du Comité, lequel prévoit notamment : « L'Etat partie peut avancer des arguments pour expliquer que la demande de mesures provisoires devrait être retirée ».

La cour relève que l'Etat français n'a pas usé de cette faculté au terme de son mémoire adressé le 7 mai, estimant ne pas être en mesure de mettre en oeuvre les mesures conservatoires requises par le Comité.

En ratifiant le Protocole facultatif, l'Etat français a reconnu que le Comité des droits des personnes handicapées a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de la juridiction, qui prétendent être victimes d'une violation par cet Etat Partie des dispositions de la Convention.

L'Etat français est donc partie à la communication dont les consorts V... ont saisi le CIDPH susceptible de donner lieu à une décision sur le fond, et pour laquelle le comité a demandé à l'Etat français de suspendre sa décision de mettre un terme à l'alimentation et à l'hydratation entérales de W... V.... Indépendamment du caractère obligatoire ou contraignant de la mesure de suspension demandée par le Comité, l'Etat français s'est engagé à respecter ce pacte international. Il en résulte qu'en l'espèce, en se dispensant d'exécuter les mesures provisoires demandées par le Comité, l'Etat français a pris une décision insusceptible de se rattacher à ses prérogatives puisqu'elle porte atteinte à l'exercice d'un droit dont la privation a des conséquences irréversibles en ce qu'elle attrait au droit à la vie, consacré par l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui constitue un attribut inaliénable de la personne humaine et forme la valeur suprême dans l'échelle des droits de l'homme, et donc dans celle des libertés individuelles.

En l'état de cette violation d'une liberté individuelle, le juge des référés a le pouvoir de contraindre l'Etat français à exécuter les mesures provisoires préconisées par le Comité le 3 mai 2019.

La décision entreprise sera dès lors infirmée.

Le préjudice résultant nécessairement de l'existence d'une voie de fait sera réparé par l'allocation d'un euro symbolique » ;

ALORS QUE, premièrement, le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que la circonstance que l'Etat n'ait pas entendu déférer à la demande du Comité n'est pas de nature à révéler l'existence d'un trouble manifestement illicite, dès lors que cette décision du Comité est dépourvue de tout effet direct et de tout caractère contraignant ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, ensemble des articles 4 du Protocole facultatif se rapportant à la convention relative aux droits des personnes handicapées et 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

ALORS QUE, deuxièmement, le juge peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, pour prévenir un dommage imminent ; qu'en l'état des décisions de justice ayant tranché le conflit entre le droit à la vie et le droit de ne pas subir une obstination déraisonnable, et ne révélant, selon la Cour européenne des droits de l'homme, nulle violation de l'article 2 de la Convention, l'arrêt des traitements, tout comme le refus de suspendre une telle mesure, ne peut être regardé comme à l'origine d'un dommage imminent pour l'intéressé ; qu'à cet égard, l'arrêt a été rendu en violation de l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile, ensemble de l'article 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

- Président : M. Louvel (premier président) - Rapporteur : M. Chauvin (président), assisté de Mme Digot, auditeur au service de documentation, des études et du rapport - Avocat général : M. Molins (procureur général) - Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Foussard et Froger ; SCP Le Bret-Desaché ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Spinosi et Sureau ; SCP Coutard et Munier-Apaire -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 66 de la Constitution.

Rapprochement(s) :

Sur la définition de la voie de fait, à rapprocher : 1re Civ., 19 mars 2015, pourvoi n° 14-14.571, Bull. 2015, I, n° 68 (rejet), et l'arrêt cité.

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