Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

PREUVE

1re Civ., 13 juin 2019, n° 18-16.838, (P)

Rejet

Règles générales – Moyen de preuve – Admission – Exclusion – Preuve de la nationalité par filiation – Individu remplissant les conditions de l'article 30-3 du code civil – Régularisation sur le fondement de l'article 126 du code de procédure civile – Possibilité (non)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 25 avril 2017), que Mme E... née le [...] à [...] (Inde), a, par acte du 21 juillet 2014, saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une action déclaratoire de nationalité française, en application des dispositions de l'article 18 du code civil, comme fille légitime de M. R..., né le [...] à [...] en Inde française, déclaré français par jugement irrévocable du 6 septembre 2013 ;

Attendu que Mme E... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen, que pour opposer la fin de non-recevoir de l'article 30-3 du code civil au demandeur à la nationalité, en se fondant sur l'absence de possession d'état de français de lui-même et de son ascendant, le juge doit se placer à la date à laquelle il statue ; que la cour d'appel qui n'a nulle part examiné si le père de l'intéressée avait la possession d'état de français depuis le jugement du 6 septembre 2013 qui l'a reconnu français, a violé les articles 30-3 du code civil et 126 du code de procédure civile ;

Mais attendu que, selon l'article 30-3 du code civil, celui qui réside ou a résidé habituellement à l'étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d'un demi-siècle, n'est pas admis à faire la preuve qu'il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n'ont pas eu la possession d'état de Français ; que le tribunal doit, dans ce cas, constater la perte de la nationalité française dans les termes de l'article 23-6 ;

Attendu que ce texte interdit, dès lors que les conditions qu'il pose sont réunies, de rapporter la preuve de la transmission de la nationalité française par filiation, en rendant irréfragable la présomption de perte de celle-ci par désuétude ; qu'édictant une règle de preuve, l'obstacle qu'il met à l'administration de celle-ci ne constitue pas une fin de non-recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune régularisation sur le fondement de l'article 126 du même code ne peut intervenir ; que la solution retenue par l'arrêt du 28 février 2018 (1re Civ., pourvoi n° 17-14.239, publié) doit, donc, être abandonnée ;

Attendu que l'arrêt relève que l'intéressée et l'ascendant dont elle dit tenir par filiation la nationalité n'ont jamais résidé en France ; que Mme E... ne justifie, ni pour elle-même ni pour son ascendant, d'aucun élément de possession d'état de Français, durant la période antérieure au 17 août 2012, lendemain de la date anniversaire des 50 ans de l'entrée en vigueur du Traité de cession par la France à l'Inde, des Etablissements français de Pondichéry, Karikal, Mahé et Yanaon, signé le 28 mai 1956, entre la République française et l'Union indienne ; que la cour d'appel en a exactement déduit que Mme E... était réputée avoir perdu à cette date, la nationalité française, en sorte qu'elle n'était plus admise à rapporter la preuve de sa nationalité française par filiation, peu important que son ascendant ait été déclaré français, par un jugement du 6 septembre 2013 ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 30-3 du code civil ; articles 122 et 126 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : 1re Civ., 28 février 2018, pourvoi n° 17-14.239, Bull. 2018, I, n° 38 (cassation).

1re Civ., 19 juin 2019, n° 18-10.380, (P)

Cassation

Règles générales – Moyen de preuve – Preuve par tous moyens – Domaine d'application – Exposition in utero au DES et imputabilité du dommage à cette exposition

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que soutenant avoir été exposée in utero au diéthylstilbestrol (DES), Mme B... A... a assigné en responsabilité et indemnisation la société UCB Pharma, venant aux droits de la société Ucepha, producteur du Distilbène, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie du Gard aux droits de laquelle est venue la caisse de l'Hérault, qui a demandé le remboursement de ses débours ; que la société UCB Pharma a mis en cause la société Novartis santé familiale, venant aux droits de la société Borne, producteur du Stilbestrol-Borne, et devenue la société Glaxosmithkline santé grand public ; que Mme R... A..., mère de Mme B... A..., est intervenue volontairement à la procédure ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil, ensemble l'article 1353 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que, pour rejeter les demandes de Mme B... A... et de Mme R... A..., l'arrêt retient que l'attestation rédigée par une personne très proche de la victime quelques mois avant l'assignation au fond, même confortée par une ordonnance prescrivant du Distilbène qui n'est pas nominative et est présentée comme se rapportant à une grossesse antérieure de Mme R... A..., ne suffit pas à constituer une preuve de l'exposition au DES, que même en considérant que ces éléments constituent un commencement de preuve, ils doivent être corroborés par d'autres indices, tirés des pathologies présentées, qui peuvent constituer des présomptions graves, concordantes et précises tant de l'exposition que de l'imputabilité des dommages à celle-ci, mais que, pour remplir ce rôle probant, les pathologies présentées ne doivent avoir aucune autre cause possible que l'exposition in utero au DES ; qu'il en déduit, après les avoir examinées, que les anomalies physiologiques présentées par Mme B... A... ne peuvent être imputées avec certitude à une telle exposition ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, s'il n'est pas établi que le DES est la seule cause possible des pathologies présentées, la preuve d'une exposition in utero à cette molécule puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition peuvent être apportées par tout moyen, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, sans qu'il puisse être exigé que les pathologies aient été exclusivement causées par cette exposition, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et sur la deuxième branche du moyen :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu que, pour retenir qu'une exposition au DES ne peut être déduite de l'existence d'une hypoplasie utérine, après avoir énoncé que Mme B... A... présentait un utérus cloisonné qui n'était pas imputable à une exposition au DES ainsi qu'une hypoplasie utérine, l'arrêt relève qu'interpellés par la société UCB Pharma dans un dire sur l'existence d'un lien entre l'utérus cloisonné et l'hypoplasie, les experts n'ont pas exclu un tel lien ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les experts n'avaient pas répondu au dire de la société UCB Pharma sur l'éventualité d'un lien entre l'hypoplasie et l'utérus cloisonné, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise et violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Meier-Bourdeau et Lécuyer ; SCP Hémery, Thomas-Raquin et Le Guerer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil ; article 1353 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, la preuve d'une exposition in utero à la molécule DES contenue dans le « distilbène », puis celle de l'imputabilité du dommage à cette exposition, à rapprocher : 1re Civ., 24 septembre 2009, pourvoi n° 08-10.081, Bull. 2009, I, n° 186 (rejet). Sur la possibilité de rapporter, par tous moyens, et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, la preuve de l'imputabilité du dommage au produit de santé en cause, à rapprocher : 1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 14-18.118, Bull. 2017, I, n° 221 (rejet), et les arrêts cités ; 1re Civ., 18 octobre 2017, pourvoi n° 15-20.791, Bull. 2017, I, n° 222 (rejet), et les arrêts cités.

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