Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

ETRANGER

1re Civ., 13 juin 2019, n° 16-22.548, (P)

Rejet

Contrôles – Règlement (UE) 2016/339 du 9 mars 2016 – Article 25 – Rétablissement d'un contrôle à une frontière intérieure – Effets – Modification de la nature intérieure de la frontière (non)

Le rétablissement d'un contrôle à une frontière intérieure de l'espace Schengen, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, tel que prévu à l'article 25 du règlement 2016/399, ne modifie pas la nature intérieure de la frontière.

Entrée ou séjour irrégulier – Règlement (UE) 2016/339 du 9 mars 2016 – Article 25 – Rétablissement d'un contrôle aux frontières intérieures – Directive 2008/115 du 16 décembre 2008 – Application – Portée

Même dans le cas d'un tel rétablissement de contrôle aux frontières, la directive « retour » s'applique et s'oppose à la réglementation permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure, l'emprisonnement d'un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme.

Entrée ou séjour irrégulier – Placement en garde à vue – Régularité – Êxclusion – Cas – Garde à vue fondée sur la seule entrée sur le territoire d'un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme

A défaut d'infraction punie d'emprisonnement, la garde à vue, fondée sur la seule entrée sur le territoire d'une telle personne, est irrégulière.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Montpellier, 22 juin 2016), et les pièces de la procédure, que, pendant la période de réintroduction temporaire, en France, d'un contrôle aux frontières intérieures de l'espace Schengen, conformément aux dispositions de l'article 25 du règlement (UE) 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), M. E..., de nationalité marocaine, a été contrôlé, le 15 juin 2016, au Boulou (Pyrénées-Orientales), dans la zone comprise entre la frontière terrestre séparant la France de l'Espagne et une ligne tracée à vingt kilomètres en deçà, dans les conditions de l'article 78-2, alinéa 9, du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, alors qu'il se trouvait à bord d'un autocar en provenance du Maroc ; qu'il avait précédemment quitté la France à la suite d'une mesure d'éloignement qui lui avait été notifiée le 10 août 2013 ; que, suspecté d'être entré irrégulièrement sur le territoire français, délit prévu à l'article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il a été placé en garde à vue ; que, le lendemain, le préfet a pris à son encontre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et ordonné son placement en rétention administrative ;

Attendu que le préfet fait grief à l'ordonnance de rejeter la demande de prolongation de la rétention alors, selon le moyen, qu'une réglementation d'un Etat membre de l'Union européenne ne peut permettre, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure, conduisant au séjour irrégulier, à l'emprisonnement ou au placement en garde à vue d'un ressortissant d'un pays tiers, pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n'a pas encore été menée à son terme ; que, cependant, en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, un Etat membre peut exceptionnellement réintroduire le contrôle à ses frontières intérieures, paralysant ainsi partiellement l'application de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; que dans cette circonstance, une personne entrée irrégulièrement en France peut être contrôlée selon les dispositions de l'article 78-2, alinéa 4, [alinéa 8, devenu 9, selon le décompte actuel] du code de procédure pénale et être placée en garde à vue ; qu'en l'espèce, à la date de l'entrée en France de M. E..., de nationalité marocaine, en juin 2016, la France avait prononcé l'état d'urgence et rétabli les contrôles aux frontières intérieures en conformité avec les dispositions du chapitre II du titre III du règlement 2016/399 du 9 mars 2016 relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes et de l'article 2, § 2, a), de la directive 2008/115/CE ; qu'ainsi, les mesures protectrices de cette dernière directive n'étaient pas applicables, l'étranger en situation irrégulière étant alors susceptible de recevoir une peine de prison et d'être placé en garde à vue ; qu'en jugeant néanmoins que la directive 2008/115/CE restait entièrement applicable et qu'en conséquence une mesure de garde à vue ne pouvait être exercée à l'encontre de M. E..., entré irrégulièrement sur le territoire français avant que la procédure de retour soit mise en oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 2, 14, 25, 27 et 32 du règlement 2016/399 du 9 mars 2016 relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes, les articles 2, § 2, a), 8 et 15 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ainsi que les articles 62-2 et 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale ;

Mais attendu, en premier lieu, que, par arrêt du 19 mars 2019 (CJUE, arrêt C-444/17), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit :

L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu en combinaison avec l'article 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à la situation d'un ressortissant de pays tiers, arrêté à proximité immédiate d'une frontière intérieure et en séjour irrégulier sur le territoire d'un État membre, même lorsque cet État membre a réintroduit, en vertu de l'article 25 de ce règlement, le contrôle à cette frontière, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure dudit Etat membre ;

Attendu, en second lieu, qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15) que la directive 2008/115 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à une réglementation d'un Etat membre permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure conduisant au séjour irrégulier, l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers pour lequel la procédure de retour établie par cette directive n'a pas encore été menée à son terme ; qu'il s'ensuit que le ressortissant d'un pays tiers, entré irrégulièrement en France, qui n'encourt pas l'emprisonnement prévu à l'article L. 624-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'aucune procédure de retour n'a encore été menée jusqu'à son terme, ne peut être placé en garde à vue du seul chef de l'entrée irrégulière sur le territoire national ;

Attendu que l'ordonnance retient à bon droit, par motifs propres et adoptés, que la directive 2008/115 précitée est applicable à la situation de M. E... dès lors que le rétablissement d'un contrôle à la frontière entre l'Espagne et la France, en raison d'une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, tel que prévu à l'article 25 du règlement 2016/399, ne modifie pas la nature intérieure de la frontière qu'il a franchie ; qu'il en déduit exactement, d'une part, que cette directive s'oppose à la réglementation permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure, l'emprisonnement d'un ressortissant de pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme, d'autre part, qu'à défaut d'infraction punie d'emprisonnement, la garde à vue était irrégulière, de sorte que la mesure de rétention ne pouvait être maintenue ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article 25 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ; directive 2008/115/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ; articles 25 et 32 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) ; article L. 621-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; article 62-2 du code de procédure pénale.

Rapprochement(s) :

Sur la question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions du code frontières Schengen et de la directive « retour » transmise à la CJUE dans la présente espèce, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-22.548, Bull. 2017, I, n° 179 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne). Sur le défaut d'équivalence entre une frontière extérieure et une frontière intérieure sur laquelle des contrôles ont été réintroduits, cf. : CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. Sur la non-conformité à la directive « retour » d'une réglementation nationale permettant, du seul fait de l'entrée irrégulière par une frontière intérieure conduisant au séjour irrégulier, l'emprisonnement d'un ressortissant d'un pays tiers pour lequel la procédure de retour n'a pas encore été menée à son terme, cf. : CJUE, arrêt du 7 juin 2016, Affum, C-47/15. Sur une application de la jurisprudence Affum, à rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 13-28.349, Bull. 2016, I, n° 214 (cassation partielle sans renvoi). Sur la question préjudicielle relative à l'interprétation des dispositions du code frontières Schengen et de la directive « retour » transmise à la CJUE dans la présente espèce, à rapprocher : 1re Civ., 12 juillet 2017, pourvoi n° 16-22.548, Bull. 2017, I, n° 179 (renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne). Sur l'application de la directive « retour » même en cas de rétablissement d'un contrôle aux frontières intérieures, cf. : CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. CJUE, arrêt du 19 mars 2019, Préfet des Pyrénées-Orientales, C-444/17. A rapprocher : 1re Civ., 9 novembre 2016, pourvoi n° 13-28.349, Bull. 2016, I, n° 214 (cassation partielle sans renvoi).

1re Civ., 13 juin 2019, n° 18-16.802, (P)

Cassation sans renvoi

Mesures d'éloignement – Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire – Fin de la rétention – Diligences de l'administration nécessaires au départ de l'étranger – Caractérisation – Exclusion – Cas – Fait pour l'administration de procéder à des saisines de ses propres services

Le seul fait pour l'administration de procéder à des saisines de ses propres services ne saurait caractériser une diligence nécessaire au départ de l'étranger en rétention au sens de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, et les pièces de la procédure, que, Mme W..., de nationalité congolaise, a été contrôlée sur réquisitions du procureur de la République, conformément à l'article 78-2 du code de procédure pénale, et placée en retenue puis en rétention administrative ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Attendu qu'il résulte de ce texte qu'un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ et que l'administration doit exercer toute diligence à cet effet ; que le seul fait pour celle-ci d'adresser au service compétent du ministère de l'intérieur une demande de présentation de l'intéressé aux fins d'identification, afin que ce service en saisisse les autorités consulaires, ne saurait caractériser une telle diligence ;

Attendu que, pour prolonger la mesure, l'ordonnance retient que l'administration justifie d'une demande de présentation en audition aux fins d'identification adressée, dès le lendemain du placement en rétention, au bureau de soutien opérationnel et du suivi du ministère de l'intérieur ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette demande n'établissait pas la réalité d'un envoi effectif à l'autorité étrangère compétente en vue de l'exécution de la mesure d'éloignement, caractérisant la diligence requise, le premier président a violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 15 septembre 2017, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Rapprochement(s) :

Sur les diligences que l'administration est tenue d'accomplir pour que la durée de la rétention de l'étranger n'excède pas le temps strictement nécessaire à son départ, à rapprocher : 1re Civ., 29 mai 2019, pourvoi n° 18-13.989, Bull. 2019, I, (cassation sans renvoi).

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