Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

ENERGIE

Com., 19 juin 2019, n° 17-20.269, (P)

Rejet

Electricité – Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de la régulation de l'énergie – Pouvoirs – Etendue – Détermination

Le Cordis qui, en application des dispositions de l'article L. 134-20 du code de l'énergie, dispose, dans l'exercice de sa mission de règlement des différends, du pouvoir d'imposer des prescriptions et des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution des conventions, a le pouvoir d'enjoindre un opérateur de conclure une convention ou de la modifier afin de fixer les modalités d'accès au réseau si, en vue de résoudre un différend, une telle décision est nécessaire pour permettre l'accès au réseau ou pour fixer les conditions de son utilisation, sous réserve de respecter les prescriptions d'objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 mai 2017), que la société Bio Cogelyo Normandie (la société BCN) a pour activité la production d'électricité et de vapeur à partir d'installations de cogénération ; qu'elle a été sélectionnée, à la suite d'un appel d'offres portant sur des installations de production d'électricité à partir de la biomasse, pour mettre en place une telle installation sur le site industriel de la société Saipol, spécialisée dans la fabrication d'huile provenant d'oléagineux ; que la centrale biomasse est raccordée au réseau électrique privé de la société Saipol, elle-même raccordée au Réseau public de transport d'électricité ; que la société BCN a conclu avec la société EDF un contrat d'obligation d'achat et, avec la société Réseau de transport d'électricité (la société RTE), un contrat de prestations annexes en décompte pour bénéficier d'un service de comptage de l'énergie fournie à la société EDF ; que ce décompte repose sur une formule consistant à appliquer à la quantité mesurée un coefficient correcteur dit « de perte », correspondant à la déperdition d'électricité entre le point de comptage situé en sortie de centrale et la limite entre le réseau privé et le réseau public qui constitue le point de connexion ; que faisant valoir que la production de la centrale, vendue en totalité à la société EDF, était, en réalité, consommée intégralement par la société Saipol qui la recevait via son réseau privé, sans injection sur le réseau public de transport, de sorte qu'il n'y avait pas de déperdition, la société BCN a demandé à la société RTE de constater qu'il n'y avait pas lieu à correction des données de comptage relevées à la sortie de la centrale, et de supprimer le coefficient de perte dans le contrat de prestations annexes ; que la société RTE s'y est opposée au motif que la société BCN ne vendait pas directement l'énergie à la société Saipol de sorte qu'il importait peu que cette énergie soit consommée à l'intérieur du site privé ; que la société BCN ayant soumis le différend au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie (le Cordis), ce dernier a, le 7 septembre 2015, décidé que la société RTE communiquerait à la société BCN une convention de raccordement pour l'installation de production indirectement raccordée au réseau public de transport d'électricité précisant, notamment, la localisation du point de livraison ainsi qu'un avenant au contrat de prestations annexes, intégrant, le cas échéant, les corrections à apporter à la puissance et l'énergie électrique fournies à la société EDF ; que la société RTE a formé un recours contre cette décision ;

Sur le premier moyen :

Attendu la société RTE fait grief à l'arrêt du rejet de son recours alors, selon le moyen :

1°/ que lorsqu'elles saisissent le Cordis d'une demande de règlement de différend, les parties doivent formuler expressément leurs demandes et les moyens de fait et de droit sur lesquels elles sont fondées, et récapituler ceux-ci dans leurs dernières écritures sur lesquelles le comité se prononce exclusivement ; qu'en affirmant au contraire, qu'en application des articles L. 134-19 et L. 134-20 du code de l'énergie, le Cordis peut toujours enjoindre, de son propre chef, à une partie de conclure une convention, la cour d'appel qui a ajouté aux demandes de la société BCN a violé l'article 6 du décret n° 2015-206 du 24 février 2015 relatif au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, devenu l'article R. 134-13 du code de l'énergie ;

2°/ que lorsqu'elles saisissent le Cordis d'une demande de règlement de différend, les parties doivent formuler expressément leurs demandes et les moyens de fait et de droit sur lesquels elles sont fondées, et récapituler ceux-ci dans leurs dernières écritures sur lesquelles le comité se prononce exclusivement ; qu'en considérant que le Cordis avait pu valablement, dans sa décision du 7 septembre 2015, enjoindre à la société RTE de communiquer à la société Bio Cogelyo Normandie une convention de raccordement pour l'installation de production indirectement raccordée au réseau public de transport, précisant notamment la localisation du point de livraison, après avoir reconnu que « dans le cas d'espèce, le Cordis a été saisi par la société BCN de trois demandes visant « à ce qu'il confirme que la société RTE était compétente pour fixer le coefficient de pertes sur le réseau privé de la société Saipol » tendant « à ce qu'il constate qu'il n'y avait pas lieu, eu égard à la configuration physique du site et aux textes en vigueur d'appliquer un coefficient de perte », et invitant « la société RTE à proposer à la société BCN un avenant au contrat de prestations annexes pour supprimer le coefficient de pertes prévu dans celui-ci » de sorte que les demandes de la société BCN n'ont effectivement pas été formulées dans les termes par lesquels le Cordis a statué, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé de plus fort l'article 6 du décret n° 2015-206 du 24 février 2015 relatif au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie, devenu l'article R. 134-13 du code de l'énergie ;

Mais attendu que l'arrêt retient exactement qu'en application des dispositions de l'article L. 134-20 du code de l'énergie, le Cordis dispose, dans l'exercice de sa mission de règlement des différends, du pouvoir d'imposer des prescriptions et des injonctions ayant une incidence sur la conclusion, le contenu ou l'exécution des conventions, de sorte qu'il a le pouvoir d'enjoindre à un opérateur de conclure une convention ou de la modifier afin de fixer les modalités d'accès au réseau si, en vue de résoudre un différend, une telle décision est nécessaire pour permettre l'accès au réseau ou pour fixer les conditions de son utilisation, sous réserve de respecter les prescriptions d'objectivité, de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité ; qu'ayant relevé, d'un côté, que la société BCN demandait au Cordis de constater qu'il n'y avait pas lieu, eu égard à la configuration physique du site et aux textes en vigueur, de lui appliquer un coefficient de perte et, de l'autre, qu'une telle demande impliquait nécessairement la fixation d'un point de livraison, la cour d'appel, sans méconnaître les conséquences légales de ses constatations et peu important que la demande de la société BCN n'ait pas été formulée en ces termes, a pu en déduire qu'en prononçant à l'égard de la société RTE une injonction de conclure une convention de raccordement avec la société BCN afin que soit précisée la localisation du point de livraison et en lui enjoignant de modifier, le cas échéant, le contrat existant relatif aux prestations annexes, le Cordis, qui avait répondu à la demande de règlement du différend, était resté dans le cadre de sa mission ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société RTE fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que la procédure de règlement de différend devant le Cordis est soumise au respect du principe du contradictoire ; qu'en décidant que le Cordis avait pu valablement enjoindre à la société RTE de conclure une convention de raccordement avec la société Bio Cogelyo, après avoir constaté que par une mesure d'instruction le rapporteur du Cordis avait demandé à la société RTE « si des conventions de raccordement et d'exploitation avaient été conclues avec la société BCN », ce dont il résultait que le débat n'avait porté que sur l'existence ou l'absence de conclusion d'une convention de raccordement, et que la question de la nécessité pour la société RTE de conclure une telle convention avec la société BCN, et plus encore de la possibilité pour le Cordis d'enjoindre à la société RTE de conclure une telle convention, n'avait jamais été contradictoirement débattue, la cour d'appel a violé l'article 3 du décret n° 2015-206 du 24 février 2015 relatif au comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie devenu l'article R. 134-10 du code de l'énergie ;

Mais attendu qu'ayant constaté que la société RTE, interrogée par le rapporteur chargé de l'instruction du dossier devant le Cordis sur l'existence de conventions de raccordement, avait indiqué que la société BCN n'étant pas directement raccordée au Réseau de transport public d'électricité, aucune convention de raccordement n'avait été signée avec elle, ce dont il résultait que la question de savoir si une telle convention devait et pouvait être conclue avec un producteur d'électricité indirectement raccordé au réseau avait été mise dans le débat au cours de l'instruction, la cour d'appel en a exactement déduit que le principe de la contradiction n'avait pas été violé ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, cinquième, sixième, septième et huitième branches :

Attendu que la société RTE fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que depuis le 1er janvier 2016, seule « une installation raccordée à un Réseau public d'électricité » fait l'objet d'une convention de raccordement ; qu'en retenant, pour enjoindre à la société RTE de conclure une convention de raccordement avec la société BCN bien que son installation de production d'électricité ne soit pas directement raccordée au réseau public, que l'article D. 342-10 du code de l'énergie en vigueur depuis le 1er janvier 2016 n'a fait que codifier l'article 2-1 du décret n° 2008-386 du 23 avril 2008 qui prévoyait qu'il est établi une convention de raccordement et une convention d'exploitation pour une installation de production correspondant à un site exploité par un même producteur, la cour d'appel a violé l'article D. 342-10 du code de l'énergie en vigueur à la date à laquelle elle a statué ;

2°/ que si la convention de raccordement définit le point de livraison, elle mentionne aussi les caractéristiques et les performances déclarées de l'installation et contient un descriptif de la solution technique retenue pour ce raccordement ; que la convention de raccordement, liant le gestionnaire du réseau public de transport et le demandeur de raccordement, est établie sur la base de modèles approuvés par la Commission de régulation de l'énergie et publiés ensuite par le gestionnaire du Réseau public de transport ; qu'en considérant que la société RTE devait conclure une convention de raccordement avec la société productrice BCN aux seules fins de déterminer un point de livraison, bien que cette convention ne pouvait correspondre ni à la définition légale d'une telle convention, ni au modèle préétabli en vigueur, la cour d'appel a violé les articles L. 342-1, L. 342-4 du code de l'énergie et 9, § I, du décret n° 2008-386 du 23 avril 2008 relatif aux prescriptions techniques générales de conception et de fonctionnement pour le raccordement d'installations de production aux réseaux publics d'électricité, devenu l'article D. 342-11 du code de l'énergie, ensemble l'article 13 du décret n° 2006-1731 du 23 décembre 2006 approuvant le cahier des charges type de concession du Réseau public de transport d'électricité ;

3°/ que pour toute opération de raccordement directe ou indirecte, d'une nouvelle installation de production d'énergie électrique à un réseau public d'électricité, effectuée en vue de lui permettre de livrer à ce réseau, le point de livraison – ou de connexion - correspond toujours à un point d'accès au réseau public : qu'en affirmant, pour refuser de fixer ce point en limite de propriété entre le réseau privé et le réseau public, au point de raccordement entre les deux réseaux, qu'il faudrait tenir compte de la situation particulière, dans laquelle la société BCN est indirectement raccordée au réseau public et où se déploie entre l'ouvrage électrique de BCN et le réseau public, le réseau privé appartenant à la société Saipol et par lequel l'électricité produite par la société BCN est livrée à la société Saipol, quand les producteurs directement ou indirectement raccordés au réseau de transport d'électricité sont soumis aux mêmes règles, la cour d'appel a violé les articles L. 342-1, D. 342-10 et D. 342-11 du code de l'énergie ;

4°/ qu'en affirmant que la détermination d'un coefficient de pertes dépend de la fixation d'un point de livraison qui ne peut se confondre en l'espèce avec le point de connexion qui coïncide avec la limite de propriété entre les ouvrages électriques de l'utilisateur et les ouvrages électriques du réseau public, compte tenu de la situation particulière de la société BCN qui n'est qu'indirectement raccordée au réseau public, après avoir constaté que l'article 3.1.3.2 du contrat de prestations annexes conclu en 2011 entre les sociétés RTE et Bio Cogelyo relatif aux modalités de correction des données de comptage prévoit que « les installations de comptage sont installées sur des circuits à une tension différente de la tension de raccordement et/ou éloignés du point de connexion, les données télé relevées sont corrigées par application de coefficients correcteurs pour l'énergie active, fixés à l'annexe n° 1 du présent contrat », ce dont il résulte que lorsque le producteur est raccordé indirectement au réseau public par l'intermédiaire d'un réseau privé, le coefficient de pertes est déterminé à partir du point de connexion du réseau privé au réseau public, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1103 du même code ;

5°/ qu'en affirmant que la société RTE est mal fondée à prétendre que l'injonction ne peut être exécutée parce que le coefficient de perte ne peut être fixé sans l'accord de la société Saipol, après avoir constaté que selon l'article 3.1.3.2 du contrat de prestations annexes conclu en 2011 entre les sociétés RTE et Bio Cogelyo relatif aux modalités de correction des données de comptage que quant aux modalités de comptage, « les installations de comptage sont installées sur des circuits à une tension différente de la tension de raccordement et/ou éloignés du point de connexion, les données télé relevées sont corrigées par application de coefficients correcteurs pour l'énergie active, fixés à l'annexe n° 1 du présent contrat et que le cas échéant, le site producteur en décompte et le client de tête se mettent d'accord pour corriger les données de comptage et les communiquent à RTE », ce dont il résulte que la fixation du coefficient de pertes est notamment subordonnée à un accord préalable entre les sociétés Bio Cogeylio et Saipol la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1103 du même code ;

6°/ qu'en affirmant que la société RTE est malfondée à prétendre que l'injonction ne peut être exécutée parce que le coefficient de perte ne peut être fixé sans l'accord de la société Saipol, dans la mesure où le Cordis ne remet pas en cause la situation de fait de la société Saipol tout en constatant que cette dernière a, par un courrier du 4 janvier 2017, adressé à la société RTE, déclaré accepter le point de localisation du raccordement de la société BCN et le nouveau coefficient de pertes, ce dont il résulte que l'exécution de l'injonction du Cordis n'était donc pas sans incidence sur la situation de la société Saipol, pourtant absente de la procédure et nécessitait bien son accord, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1103 du même code ;

7°/ qu'il ressort des propres énonciations de l'arrêt attaqué que la société BCN productrice d'électricité sur le site industriel de la société Saipol a décidé de vendre la totalité de l'énergie produite par son installation, non pas au prix du marché directement à la société Saipol mais, à des conditions financières particulièrement avantageuses à l'acheteur obligé EDF au terme d'un contrat d'achat 22 novembre 2011 ; qu'en retenant, pour enjoindre à la société RTE de fixer un point de livraison distinct du point de connexion au réseau public, que l'électricité produite par la société BCN est livrée à la société Saipol, quand la société BCN s'est engagée à fournir à la société EDF la totalité de l'énergie produite par l'installation, à charge pour lui de la revendre ensuite éventuellement à la société Saipol mais au prix inférieur du marché, la cour d'appel a violé l'article 1134 ancien du code civil, devenu l'article 1103 du même code ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'analysant les documents contractuels, l'arrêt relève que selon le cahier des charges de l'appel d'offres portant sur des productions d'électricité à partir de biomasse, le candidat est tenu de vendre à l'acheteur la totalité de l'électricité produite et que le raccordement indirect est autorisé, que selon l'article 0 des conditions générales du contrat d'achat avec la société EDF, l'énergie fournie, soit l'énergie électrique produite par l'installation et achetée dans le cadre du présent contrat, est calculée au point de livraison défini aux conditions particulières de ce dernier, que selon l'article 2 de ces mêmes conditions, l'installation est raccordée, directement ou par l'intermédiaire d'un réseau électrique privé, au réseau public de distribution ou de transport d'électricité, ce raccordement étant unique et aboutissant à un seul point de livraison, que selon leur article 3, alinéa 3, lorsque l'installation est raccordée au réseau public par l'intermédiaire d'un réseau privé, le producteur établit avec le gestionnaire du réseau public une convention de service de décompte et que selon leur article 5, la puissance et l'énergie électrique fournies à l'acheteur sont mesurées par un dispositif de comptage installé par un gestionnaire de réseau en un lieu choisi d'un commun accord entre le producteur, l'acheteur et le gestionnaire et, s'il est installé sur des circuits à une tension différente de la tension de livraison ou s'il n'est pas situé au point de livraison, les quantités mesurées sont corrigées, avant facturation, des éventuelles pertes de réseau ; qu'il relève en outre que les conditions particulières de ce contrat d'achat mentionnent que le producteur fournit à l'acheteur la totalité de l'énergie produite par l'installation et que le point de livraison et la limite de propriété sont définis dans le contrat de prestations annexes ; qu'il relève enfin que selon ce dernier contrat, dans la mesure où un site n'est pas directement raccordé au réseau public de transport d'électricité et qu'il ne peut dès lors y avoir un contrat d'accès au réseau public de transport d'électricité, la société RTE propose le service de décompte pour permettre aux clients non raccordés de choisir leur fournisseur d'électricité ; qu'il constate en outre que le contrat de prestations annexes définit les points de comptage et de connexion et les modalités de correction des données de comptage mais que, contrairement aux prescriptions du contrat d'obligation d'achat, le point de livraison n'y est ni défini ni mentionné ; qu'il en déduit que cette situation particulière, dans laquelle la société BCN est indirectement raccordée au réseau public, l'électricité produite par elle passant par le réseau privé appartenant à la société Saipol pour être livrée à cette dernière, de sorte que le point de livraison ne peut se confondre avec le point de connexion qui se situe au point de raccordement du réseau privé au réseau public, implique de définir le point de livraison ; qu'en l'état de ces motifs, abstraction faite de ceux surabondants critiqués par les cinquième et sixième branches, la cour d'appel a exactement retenu que la société RTE était tenue de définir, en accord avec le producteur de l'installation indirectement raccordée et l'acheteur obligé, le point de livraison ;

Attendu, en second lieu, qu'ayant relevé qu'aux termes du décret n° 2008-386 du 23 avril 2008, en vigueur à la date de la décision attaquée, il est établi une convention de raccordement et une convention d'exploitation pour une installation de production correspondant à un site exploité par un même producteur (article 2-I) et la convention de raccordement établie entre le producteur et le gestionnaire du Réseau public d'électricité définit le point de livraison (article 9-I), la cour d'appel, abstraction faite des motifs surabondants critiqués par la première branche, a pu en déduire que, pour définir ce point de livraison, nécessaire à la détermination d'un éventuel coefficient de perte par le contrat de prestations annexes et au calcul du volume d'énergie facturé à la société EDF, la société RTE était tenue de conclure une convention de raccordement avec la société BCN ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le troisième moyen, pris en sa quatrième branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Poillot-Peruzzetto - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 134-20 du code de l'énergie.

Soc., 5 juin 2019, n° 17-17.477, (P)

Rejet

Industries électriques et gazières – Personnel – Statut – Agents des départements d'Outre-mer – Salaires et traitements – Indemnités résidentielles – Montant – Montant équivalent aux indemnités des fonctionnaires de l'Etat – Egalité de traitement – Portée

Si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation ne peut être accueillie par le juge saisi au principal.

Il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie de la juridiction administrative quant à la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers. n° 684 du 28 juin 1976 des directeurs généraux des sociétés Electricité de France et Gaz de France relative à la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer-intégration du personnel dans celui d'Electricité de France, que n'est pas fondée la demande tendant à ce que l'application de cet article soit écartée en tant qu'il méconnaissait l'article 14 du statut.

Les personnels des industries électriques et gazières (IEG) des départements d'Outre-mer, agents percevant, selon cet article 212, une « indemnité spéciale DOM » à laquelle s'ajoute la majoration résidentielle prévue à l'article 211 de la même circulaire, il s'en suit qu'ils bénéficient des indemnités résidentielles d'un montant total équivalent à celui des indemnités allouées aux fonctionnaires d'Outre-mer auxquels ils se comparent, de sorte que le principe d'égalité de traitement qui résulte de l'article 14, § 6, du statut national n'est pas méconnu.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 mars 2017), que la Fédération chimie énergie CFDT (la Fédération) a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande portant sur l'application de l'article 14, § 6, du statut national des industries électriques et gazières (IEG) et sur celle du paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684 du 28 juin 1976 portant sur la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer et l'intégration du personnel dans celui d'Electricité de France ;

Attendu que la Fédération fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à faire juger nul le paragraphe 212 de la circulaire Pers. 684, de dire que cette circulaire ne peut pas constituer une interprétation conforme de l'article 14, § 6, du statut des IEG et que celui-ci doit permettre à chaque agent EDF affecté sur le territoire d'Outre-mer de bénéficier des majorations appliquées au salaire de base des fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer et d'ordonner à la société EDF, sous astreinte, de faire application des dispositions de l'article 14, § 6, du statut en ce qu'il garantit à chacun des agents une majoration de rémunération équivalente à 40 % de celle de l'agent affecté en métropole pour le même coefficient alors selon le moyen :

1°/ que si l'article 14, § 6, du statut de 1946 ne pouvait plus être appliqué à la lettre aux personnels des industries électriques et gazières travaillant dans les départements d'Outre-mer, son objectif était clairement d'aligner les indemnités spécialement octroyées à ceux des employés de ces entreprises travaillant Outre-mer, sur les indemnités spécifiquement accordés aux fonctionnaires de l'Etat exerçant leur activité Outre-mer ; qu'en refusant d'admettre que cet article, non abrogé ni modifié depuis 1946, consacrait un principe d'égalité de traitement toujours applicable et de vérifier si les agents des IEG affectés dans les départements d'Outre-mer perçoivent, en comparaison des agents travaillant en métropole, des avantages similaires à ceux dont bénéficient les fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements par rapport aux fonctionnaires exerçant leur activité en métropole, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national des personnels des industries électriques et gazières issu du décret 46-1541 du 22 juin 1946 ;

2°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (...) les protocoles devront être modifiés comme suit » ; que la circonstance que les lois et décrets intervenus depuis 1947 aient eu pour effet de supprimer les indemnités coloniales proprement dites n'a donc pas empêché les partenaires sociaux de manifester expressément leur volonté d'appliquer l'article 14, § 6, du statut en accordant au personnel des entreprises d'électricité des départements d'Outre-mer des compléments de rémunération identiques à ceux octroyés aux fonctionnaires affectés dans ces départements ; qu'en décidant cependant que les dispositions dudit § 6 de l'article 14 étaient privées d'effet du fait de la disparition des indemnités coloniales, la cour d'appel a violé l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

3°/ que le relevé de conclusions du 22 février 1972 stipulait « Il est décidé d'appliquer l'article 14, § 6, du statut national. A cet effet, pour accorder au personnel des sociétés d'électricité des départements d'Outre-mer des majorations de salaires de base identiques à celles dont bénéficient les fonctionnaires dans ces départements (10 % + 40 %) les protocoles devront être modifiées comme suit ; » ; qu'en se fondant sur les stipulations des protocoles d'accord conclus entre 1967 et 1969 déclarant l'article 14, § 6, du statut « sans objet pour le personnel de la société », sans examiner si ces accords antérieurs au relevé de conclusions n'avaient pas été rendu caducs par ce dernier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG, ensemble le relevé de conclusions du 22 février 1972, l'article L. 2254-1 du code du travail et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction alors applicable ;

4°/ que la CFDT faisait valoir que la majoration résidentielle de 25 % attribuée aux agents d'EDF affectés dans les départements d'Outre-mer ne devait pas être prise en considération pour comparer leurs indemnités à celles des fonctionnaires de l'Etat affectés dans ces départements puisque la majoration résidentielle, égale à 24, 24,5 ou 25 % selon les zones, est attribuée à l'ensemble des agents ; que les juges du fond ont effectivement constaté qu'aux termes de l'article 9 du statut du personnel des IEG, tous les agents perçoivent, en sus du salaire national de base, une majoration résidentielle, et que celle-ci est égale à 25 % du salaire de base pour tous les agents travaillant en zone urbaine ; qu'en prenant cependant en compte cette majoration résidentielle pour vérifier l'égalité de traitement entre les agents des IEG et les fonctionnaires de l'Etat affectés dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a violé les articles 9 et 14, § 6, du statut du personnel des IEG ;

5°/ que des accords conclus localement entre 1967 et 1972 ne sauraient empêcher les organisations syndicales représentatives au niveau national de remettre en cause, une quarantaine d'années plus tard, et après une loi de nationalisation des entreprises du secteur, une situation qu'elles considèrent comme irrégulière ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que le Pers. 684 reprend à l'identique les dispositions des protocoles d'accord et des avenants antérieurs ayant pour objet l'application du statut aux agents des entreprises d'électricité dans les départements d'Outre-mer, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

6°/ que la circonstance qu'une situation ait été tolérée pendant des années ne démontre pas par elle-même sa régularité ; qu'en se fondant sur la circonstance inopérante que l'application de la circulaire Pers. n'a pas été remise en cause avant 2011, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et privé sa décision de fondement légal au regard de l'article 14, § 6, du statut national du personnel des IEG ;

Mais attendu, d'abord, que si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation ne peut être accueillie par le juge saisi au principal ;

Et attendu que par arrêt du 16 mars 2015 (n° 372875), le Conseil d'Etat, retenant dans les motifs de sa décision que les textes législatifs et réglementaires adoptés entre 1947 et 1975 avaient privé d'effet le paragraphe 6 de l'article 14 du statut national du personnel des industries électriques et gazières, a jugé que les conclusions de la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie-CGT tendant à ce que le paragraphe 212 de la circulaire Pers. n° 684 du 28 juin 1976 des directeurs généraux des sociétés Electricité de France et Gaz de France relative à la nationalisation de l'électricité dans les départements d'Outre-mer-intégration du personnel dans celui d'Electricité de France soit déclaré illégal étaient rejetées ;

Qu'il apparaît manifestement, au vu de cette jurisprudence établie de la juridiction administrative quant à la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers. 684, que la Fédération n'est pas fondée à demander que son application soit écartée en tant qu'il méconnaissait l'article 14 du statut ;

Attendu, ensuite, que selon cet article 212, les agents perçoivent une « indemnité spéciale DOM » égale à 25 % du salaire national de base affecté de leur coefficient hiérarchique ; que s'y ajoute la majoration résidentielle de 25 % affectant le salaire national de base prévue à l'article 211 de la même circulaire ; qu'il s'en suit que les personnels des IEG des départements d'Outre-mer perçoivent des indemnités résidentielles d'un montant total équivalent à celui des indemnités allouées aux fonctionnaires d'Outre-mer auxquels ils se comparent de sorte que le principe d'égalité de traitement qui résulte de l'article 14, § 6, du statut national n'est pas méconnu ;

Que par ces motifs de pur droit, substitués aux motifs critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article 14, § 6, du décret n° 46-1541 du 22 juin 1946, approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières ; articles 211 et 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976.

Rapprochement(s) :

Sur la légalité de l'article 212 de la circulaire Pers n° 684 du 28 juin 1976, cf. : CE, 16 mars 2015, n° 372875, inédit au Recueil Lebon.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.