Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

COMMUNE

1re Civ., 26 juin 2019, n° 18-12.630, (P)

Rejet

Maire – Pouvoirs – Pouvoirs de police administrative – Arrêté de placement d'une personne en hospitalisation d'office – Annulation de la décision par un tribunal administratif – Action en responsabilité – Effet – Engagement de la responsabilité de la commune

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 décembre 2017), que Mme N... a été hospitalisée d'office au centre hospitalier Jean-Martin Charcot en exécution d'un arrêté du maire de la commune de Buc du 29 mai 2009, sur le fondement de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique, au regard de la notoriété de la situation de cette personne ; que, le 8 juillet 2013, le tribunal administratif a annulé cet arrêté en conséquence de la décision n° 2011-174 QPC du Conseil constitutionnel du 6 octobre 2011 déclarant inconstitutionnelle la disposition précitée, ainsi que la décision d'admission en hospitalisation dite libre prise par le directeur de l'établissement ; que Mme N... a assigné le maire et l'hôpital en paiement de dommages-intérêts ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la commune de Buc fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable du préjudice subi par Mme N..., alors, selon le moyen :

1°/ que, pour déterminer si une personne a été privée de liberté de façon injustifiée au regard du droit interne, le juge doit tenir compte de la situation juridique telle qu'elle existait à l'époque des faits ; que seuls constituent une faute des agissements caractérisant la violation d'une obligation préexistante par leur auteur ; qu'en inférant l'existence d'une faute de la commune de Buc du seul fait que l'arrêté d'hospitalisation d'office du 29 mai 2009 avait été annulé par le juge administratif le 8 juillet 2013 pour défaut de base légale en ce qu'il avait été pris sur le fondement d'une disposition de l'article L. 3213-2 du code de la santé publique déclarée inconstitutionnelle par une décision du 6 octobre 2011, sans autrement tenir compte de la situation juridique à l'époque des faits, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à caractériser une faute imputable à la commune de Buc, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que ne constitue pas une privation de liberté arbitraire l'hospitalisation d'office nécessaire eu égard aux circonstances de la cause et pour laquelle, en cas d'internement en urgence, l'aliénation a été établie par un avis médical immédiatement après l'édiction de la mesure ; qu'en refusant de rechercher in concreto, ainsi qu'il lui était pourtant demandé, si l'absence de toute faute de la commune de Buc ne se trouvait pas établie au regard, d'une part, de la nécessité d'un internement d'urgence le 29 mai 2009 et, d'autre part, du caractère proportionné de la mesure de privation de liberté, valable pour quarante-huit heures seulement, au regard de la gravité des troubles constatée par un avis médical rendu immédiatement après que l'arrêté litigieux ait été mis à exécution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 5, 3, 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

3°/ que l'administration, ne pouvant refuser de faire application de la loi au motif qu'elle serait non conforme à la constitution, l'adoption d'un acte légal à la date de son édiction ne constitue pas une faute, peut important que la loi fasse ultérieurement l'objet d'une déclaration d'inconstitutionnalité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 1382 du code civil dans sa rédaction applicable, ensemble l'article 62 de la Constitution ;

4°/ que lorsqu'un acte administratif est privé de base légale par l'effet de l'abrogation ultérieure d'une disposition légale sur la base de laquelle il a été édicté, la réparation, au titre de la remise en cause des effets que la disposition légale a produit, incombe à l'Etat ; qu'en condamnant la commune de Buc et non l'Etat, la cour d'appel a violé l'article 62 de la Constitution ;

Mais attendu que l'annulation d'un arrêté de placement d'office par le tribunal administratif oblige l'auteur de l'acte à indemniser la personne dont l'atteinte à la liberté individuelle résultant de l'hospitalisation d'office se trouve privée de tout fondement légal, quel que soit le bien-fondé d'une telle hospitalisation ;

Attendu d'une part, qu'il résulte de la décision du conseil constitutionnel du 6 octobre 2011, applicable aux instances non jugées définitivement à cette date, qu'une hospitalisation d'office ne peut être prise sur le seul fondement de la notoriété publique, d'autre part, que le tribunal administratif a, pour ces motifs, par jugement du 8 juillet 2013, annulé l'arrêté du maire de Buc ; que la cour d'appel en a exactement déduit que l'hospitalisation sans son consentement de Mme N..., par décision du maire prise dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative, engageait la responsabilité de la commune ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la commune fait grief à l'arrêt de la condamner, in solidum avec le centre hospitalier Jean-Martin Charcot, à payer à Mme N... diverses sommes en réparation de ses préjudices, alors, selon le moyen, que seuls peuvent être condamnés in solidum les coauteurs d'une faute présentant un lien causal indivisible avec l'entier préjudice subi par la victime ; qu'en l'espèce, la commune de Buc a pris à l'encontre de Mme N... une mesure de police administrative d'hospitalisation d'office à caractère provisoire pour une durée maximale de quarante-huit heures, soumise aux contrôles de l'autorité préfectorale et du juge des libertés et de la détention, alors que le centre hospitalier a écarté cette procédure par une décision contraire à celle du maire, pour retenir l'intéressée pendant près d'un mois dans le cadre d'une hospitalisation libre à laquelle elle n'était en réalité pas en mesure de consentir ; qu'en infirmant le jugement pour condamner in solidum la commune de Buc avec le centre hospitalier Jean-Martin Charcot à réparer l'entier dommage subi par Mme N... du fait de son hospitalisation pendant vingt-huit jours quand les préjudices subis par la victime du fait de son hospitalisation à compter du 30 mai 2009 avaient pour seule cause juridique la décision du centre hospitalier, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant constaté que l'arrêté municipal provisoire d'hospitalisation d'office était à l'origine de l'hospitalisation irrégulière qui s'était prolongée sans décision administrative, de sorte que la commune de Buc et le centre hospitalier Jean-Martin Charcot avaient chacun concouru à l'internement d'office de Mme N... pendant vingt-huit jours, la cour d'appel a pu en déduire qu'ils étaient co-responsables du préjudice subi et les condamner in solidum à le réparer ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Gargoullaud - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; Me Le Prado ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article 62 de la Constitution ; article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessaire indemnisation d'une personne placée en soins sans consentement à la suite d'un acte administratif irrégulier : 1re Civ., 23 juin 2010, pourvoi n° 09-66.026, Bull. 2010, I, n° 141 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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