Numéro 6 - Juin 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 6 - Juin 2019

ARCHITECTE ENTREPRENEUR

3e Civ., 27 juin 2019, n° 17-28.872, (P)

Rejet

Assurance – Assurance responsabilité – Garantie – Etendue – Non déclaration d'une mission – Effets – Réduction proportionnelle de l'indemnité – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 27 septembre 2017), que la société Résonnance Diderot Hugo, appartenant au groupe Quarante dirigé par M. OE..., a acquis l'immeuble du château de la Chaussade en vue de le vendre à la découpe en offrant des produits immobiliers défiscalisés ; que M. UF..., notaire associé de la société civile professionnelle ZV...-UF...-T...-S...-GF..., a établi l'état descriptif de division et le règlement de copropriété ; que les lots ont été commercialisés auprès d'investisseurs au moyen d'un démarchage effectué par des sociétés de conseil en gestion de patrimoine (CGP), notamment les sociétés Thesaurus, Ingénierie et stratégie financière (ISF) et IU... TO... RT... consultants (MLNC) ; que M. UF... a été chargé de rédiger les actes de vente des lots aux investisseurs ; que l'ASL a confié les travaux à la société Continentale TMO (CTMO), qui les a sous-traités à la société Segment à l'exception de la démolition, confiée à un autre sous-traitant ; que les ventes des lots se sont échelonnées entre le 31 décembre 2003 et le 28 juin 2005 ; que les statuts de l'association syndicale libre Château de la Chaussade (ASL), ayant pour objet la réalisation des travaux de restauration, la répartition des dépenses et le recouvrement des fonds auprès de ses membres ont été déposés le 31 décembre 2003 en l'étude de M. UF... ; que les appels de fonds ont été versés sur un compte ouvert au nom de l'ASL par l'étude de M. UF... auprès de la Caisse des dépôts et consignations ; que seuls les travaux de démolition ont été réalisés, les travaux de restauration ayant été à peine commencés par le sous-traitant de la société CTMO ; que la société CTMO, qui avait encaissé environ deux tiers des fonds destinés aux travaux, a été placée en liquidation judiciaire ; qu'à partir de 2007, de nombreux copropriétaires ont fait l'objet de redressements fiscaux au motif que les sommes versées par ces contribuables à la société CTMO ne correspondaient à des travaux que pour une partie, qui seule pouvait les faire bénéficier des déductions fiscales ; que l'ASL a assigné la SCP et les CGP en indemnisation de ses préjudices ; que M. X... et vingt-neuf autres copropriétaires sont intervenus volontairement en sollicitant l'indemnisation de leurs préjudices ; que, postérieurement, l'ASL a assigné en garantie les liquidateurs des CGP et les sociétés Allianz, assureur de la société ISF, la société Covea risks, assureur des sociétés Cyrus et Thésaurus, la MAF, assureur de M. V... et les MMA, assureur de la SCP ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal, ci-après annexé :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation formées à l'encontre de la SCP et de son assureur, les MMA :

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que l'objectif même des acquéreurs était d'obtenir un investissement défiscalisé permettant la déduction du coût des travaux engagés de l'impôt sur leur revenu, ce dont il résultait que les acquéreurs ne pouvaient ignorer que la réalisation effective des travaux était une condition des déductions fiscales, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en ses autres branches :

Attendu que l'ASL et les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation formées contre la SCP et son assureur, les MMA, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en se bornant à affirmer que M. UF... ne pouvait être alerté par le fait que le procès-verbal du 31 décembre 2003 mentionnait la présence de M. B... à l'assemblée générale Château de la Chaussade, tandis qu'il était supposé signer ce même jour un acte de vente en l'étude de M. UF..., motif pris qu'en réalité, M. B... avait donné pouvoir à un clerc de l'étude pour le représenter, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les mentions contradictoires de ce procès-verbal, mentionnant tout à la fois que M. B... était présent et représenté, aurait dû attirer l'attention de M. UF... sur la fausseté de ces mentions, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que seul un membre de l'association syndicale libre peut exercer les fonctions de directeur de celle-ci ; que cette disposition est d'ordre public ; qu'en décidant néanmoins que M. UF... n'avait pas commis de faute en exécutant les instructions données par le directeur de l'association syndicale libre Château de la Chaussade et en se départissant ainsi des fonds, bien que celui-ci n'ait pas eu la qualité de membre de l'association syndicale libre, motif pris que la disposition imposant de désigner un directeur parmi les membres de l'association n'est pas d'ordre public, la cour d'appel a violé les articles 22 et 24 de la loi du 21 juin 1865 relative aux associations syndicales ;

3°/ que seul un membre de l'association syndicale libre peut exercer les fonctions de directeur de celle-ci ; que cette disposition est d'ordre public ; qu'en décidant néanmoins que M. UF... n'avait pas commis de faute en exécutant les instructions données par le directeur de l'association syndicale libre Château de la Chaussade et en se départissant ainsi des fonds, motif pris que l'association syndicale libre Château de la Chaussade ne pouvait ignorer que les directeurs successifs n'étaient pas membres de leur association, qu'ils n'étaient pas personnellement intéressés par son fonctionnement et qu'ils étaient mis à disposition par le Groupe Quarante, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a violé les articles 22 et 24 de la loi du 21 juin 1865, relative aux associations syndicales, ensemble l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ qu'en décidant que M. UF... n'avait pas commis de faute en se départissant des fonds en vertu des instructions qui lui avaient été données par le directeur de l'association syndicale libre Château de la Chaussade, désigné lors d'une assemblée générale prétendument tenue le 31 décembre 2003 et dont les mentions étaient en réalité mensongères, au motif inopérant que l'annulation de ce procès-verbal n'avait pas été sollicitée, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

5°/ que le notaire est tenu de s'assurer de la réalité et de l'étendue des pouvoirs du mandataire qui lui donne des instructions ; qu'en décidant que M. UF... était fondé à se départir des fonds en vertu des instructions qui lui étaient données par le directeur de l'association syndicale libre Château de la Chaussade, prétendument désigné lors d'une assemblée générale du 31 décembre 2003, sans pour autant être tenu de vérifier la feuille d'émargement de cette assemblée générale, de nature à faire apparaître l'irrégularité de la désignation, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Mais attendu qu'ayant retenu, procédant à la recherche prétendument omise, que le fait que M. UF... avait reçu le même jour en son étude M. B..., parmi d'autres acquéreurs de lots, alors que ce dernier était censé se trouver à Montpellier, outre qu'il eût pu légitimement échapper au notaire qui n'avait aucun motif de faire un rapprochement entre les dates de son acte et de l'assemblée générale, était démenti par la lecture de l'acte d'acquisition de M. B... dont il résultait que ce dernier, qui avait donné pouvoir à un clerc de l'étude pour le représenter, n'y était pas présent, qu'en l'absence de toute contestation, il ne pouvait être prétendu qu'il appartenait au notaire de solliciter la feuille d'émargement de l'assemblée générale litigieuse pour vérifier la conformité du procès-verbal, dont il n'était apparu que bien plus tard, qu'il contenait des indications erronées et relevé à bon droit que les dispositions de la loi du 21 juin 1865 relatives à la désignation du directeur d'une association syndicale libre n'étaient pas d'ordre public, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Attendu que l'ASL et les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation formées à l'encontre des CGP et de leurs assureurs, alors selon le moyen :

1°/ que, tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information, le conseil en gestion de patrimoine doit informer ce dernier des conditions auxquelles le succès de l'opération financière projeté est subordonné et des risques qui découlent, notamment du point de vue fiscal, du défaut de réalisation de ces conditions ; qu'en déboutant l'association syndicale libre Château de la Chaussade et les investisseurs de leurs demandes en réparation de leurs préjudices, motifs pris que les opérations de restauration de Monuments Historiques n'entraînent pas de risques particuliers, étant observé qu'en l'espèce, c'est à la suite de malversations que les sommes versées par les investisseurs ont été détournées de leur destination, bien que les conseils en gestion de patrimoine aient été tenus d'informer les investisseurs des risques pouvant découler du défaut de réalisation des conditions auxquelles l'opération était subordonnée, s'agissant notamment de la remise en cause des avantages fiscaux liés à l'opération, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que, tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information, le conseil de en gestion de patrimoine doit informer ce dernier de ce que l'acquisition conseillée ne garantit pas la bonne fin de l'opération, dont le succès est économiquement subordonné à la commercialisation rapide et à la réhabilitation complète de l'immeuble, ce qui constitue un aléa essentiel de l'investissement immobilier de défiscalisation ; qu'à ce titre, il doit attirer l'attention de son client sur les risques liés aux clauses et conditions du marché de travaux conclu en vue de réhabiliter l'immeuble ; qu'en déboutant l'association syndicale libre Château de la Chaussade et les investisseurs de leurs demandes en réparation de leurs préjudices, motifs pris que les opérations de restauration de Monuments Historiques n'entraînent pas de risques particuliers, étant observé qu'en l'espèce, c'est à la suite de malversations que le sommes versées par les investisseurs ont été détournées de leur destination, bien que les conseils en gestion de patrimoine aient été tenus d'informer les acquéreurs de ce que le marché conclu avec l'entrepreneur chargé des travaux de réhabilitation prévoyait une avance de 50 % du montant des travaux, les exposant à un risque constitué par la perte de la moitié de l'investissement devant être affecté à la réhabilitation de l'immeuble, en cas de défaillance de l'entrepreneur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que, tenu à l'égard de son client d'une obligation de conseil et d'information, le conseil de en gestion de patrimoine doit informer ce dernier de ce que l'acquisition conseillée ne garantit pas la bonne fin de l'opération, dont le succès est économiquement subordonné à la commercialisation rapide et à la réhabilitation complète de l'immeuble, ce qui constitue un aléa essentiel de l'investissement immobilier de défiscalisation ; qu'à ce titre, il doit attirer l'attention de son client sur les risques liés aux clauses et conditions du marché de travaux conclu en vue de réhabiliter l'immeuble ; que le conseil en gestion de patrimoine, qui conseille un investissement immobilier à son client, sans avoir connaissance des clauses et conditions du marché de travaux de réhabilitation de l'immeuble, est tenu de suivre l'évolution de la réalisation des travaux, afin de s'assurer de leur bonne fin ; qu'en décidant néanmoins que les conseils en gestion de patrimoine n'étaient pas tenus de suivre l'évolution de la réalisation des travaux, réalisés au titre des investissements qu'ils avaient conseillé, alors même qu'ils n'avaient pas connaissance des clauses et conditions du marché de travaux, et notamment des conditions de versement des fonds entre les mains de l'entrepreneur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ que les documents publicitaires peuvent avoir une valeur contractuelle dès lors que, suffisamment précis et détaillés, ils ont eu une influence sur le consentement du cocontractant ; qu'en se bornant à affirmer que la mission de suivi de chantier ne relève pas a priori des obligations du conseil en gestion de patrimoine, sauf conventions particulières, dont il n'est pas démontré en l'espèce si elles étaient conclues par les consorts X... ni par d'autres investisseurs, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette mission de suivi de chantier était entrée dans le champ contractuel en raison de ce qu'elle figurait dans les documents publicitaires des conseils en gestion de patrimoine, de manière suffisamment précise pour avoir influé sur le consentement des investisseurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs adoptés, que l'objectif même des acquéreurs était d'obtenir un investissement défiscalisé permettant la déduction du coût des travaux engagés de l'impôt sur leur revenu, ce dont il résultait que les acquéreurs ne pouvaient ignorer que la réalisation effective des travaux était une condition des déductions fiscales, que les modalités du marché passé avec la société CTMO, usuelles en ce qu'elles prévoyaient dès le début le versement d'acomptes importants destinés à une défiscalisation rapide, avaient été fixées dans un contrat signé par le président de l'ASL, sans que les CGP en eussent connaissance, qu'il n'était pas établi qu'il avait été donné mission aux CGP d'assurer le suivi du chantier et que c'était à l'ASL qu'il appartenait d'assurer ce suivi, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur les quatrième et cinquième moyens du pourvoi principal, ci-après annexés :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le sixième moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, réunis :

Attendu que l'ASL et M. V... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées à l'encontre de la MAF, alors, selon le moyen :

1°/ que la police d'assurance souscrite par M. V... auprès de la MAF a pour objet de le garantir « contre les conséquences pécuniaires des responsabilités spécifiques de sa profession d'architecte, qu'il encourt dans l'exercice de celle-ci (article 1.1 des conditions générales) ; qu'afin de permettre « à l'assureur d'apprécier le risque qu'il prend en charge », l'architecte assuré « fournit à l'assureur la déclaration de l'ensemble des missions constituant son activité professionnelle » (article 5.21 des conditions générales), de sorte que « toute omission ou déclaration inexacte d'une mission constituant l'activité professionnelle de la part de l'adhérent de bonne foi n'entraîne pas la nullité de l'assurance, mais conformément à l'article L. 113-9 du code des assurances, donne droit à l'assureur si elle est constatée après sinistre, de réduire l'indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues pour cette mission si elle avait été complètement et exactement déclarée », étant précisé qu'« en cas d'absence de déclaration, la réduction proportionnelle équivaut à une absence de garantie » (article 5.22 des conditions générales) ; qu'il résulte de ces dispositions que l'absence de garantie ne peut résulter que de l'absence de déclaration par l'architecte d'au moins un chantier, tandis que l'absence de déclaration d'un seul chantier entraîne une réduction proportionnelle de l'indemnité d'assurance, en proportion de l'ensemble des cotisations payées au titre du contrat d'assurance, pris dans sa globalité ; qu'en décidant néanmoins que l'absence de déclaration du chantier, par M. V..., avait pour conséquence l'absence totale de garantie et non pas uniquement une réduction proportionnelle de l'indemnité en proportion des cotisations payées pour l'ensemble du contrat par rapport aux cotisations qui auraient été dues si le chantier avait été déclaré, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que, subsidiairement, les clauses des polices édictant des exclusions de garantie ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ; qu'à supposer qu'aux termes des dispositions contractuelles, l'absence de déclaration d'un chantier entraîne, non pas une réduction proportionnelle, mais l'absence de la garantie, elle s'analysait nécessairement en une clause d'exclusion de garantie, devant être mentionnée en caractères très apparents ; qu'en décidant néanmoins que la clause de la police d'assurance excluant la garantie en l'absence de déclaration du chantier ne constituait pas une clause d'exclusion de garantie devant être mentionnée en caractères très apparents, la cour d'appel a violé l'article L. 112-4 du code des assurances ;

3°/ qu'aux termes de l'article 8.115 des conditions générales de la police d'assurance souscrite par M. V... auprès de la société MAF, l'assuré devait fournir pour le 31 mars de chaque année « la déclaration de chacune des missions constituant son activité professionnelle garantie de l'année précédente (...) L'adhérent acquitte, s'il y a lieu, l'ajustement de cotisation qui résulte de sa déclaration » ; que l'article 5.22 de ces mêmes conditions générales stipulaient que « toute omission ou déclaration inexacte d'une mission constituant l'activité professionnelle visée au 8.115, de la part de l'adhérent de bonne foi n'entraîne pas la nullité de l'assurance, mais conformément à l'article L. 113-9 du code des assurances, donne droit à l'assureur (...) si elle est constatée après sinistre, de réduire l'indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues pour cette mission si elle avait été complètement et exactement déclarée.

En cas d'absence de déclaration, la réduction proportionnelle équivaut à une absence de garantie » ; qu'il résulte de ces clauses que ce n'est qu'en l'absence de déclaration d'activité que l'application de la règle de la réduction proportionnelle « équivalait » à une absence de garantie, non en l'absence de déclaration d'un chantier particulier, laquelle n'entraîne qu'une réduction proportionnelle en fonction de la proportion de cotisations réglées par rapport aux cotisations qui auraient été exigibles si la déclaration d'activité avait été complète ; qu'en jugeant au contraire qu'en l'absence de déclaration par M. V... du chantier du Château de la Chaussade, l'application de la règle proportionnelle entraînait la non-garantie de la MAF, la cour d'appel a dénaturé le contrat d'assurance, en violation de l'article 1134 du code civil (nouvel article 1292 du code civil) ;

Mais attendu qu'ayant relevé que l'article 5.21 des conditions générales du contrat d'assurance faisait obligation à l'adhérent de fournir à l'assureur la déclaration de l'ensemble des missions constituant son activité professionnelle, mentionnait que la déclaration de chaque mission renseignait l'assureur sur son étendue, sur l'identité de l'opération, sur le montant des travaux des honoraires, permettait à l'assureur d'apprécier le risque qu'il prenait en charge et constituait une condition de la garantie pour chaque mission et que l'article 5.22 disposait que toute omission ou déclaration inexacte d'une mission constituant l'activité professionnelle de la part de l'adhérent de bonne foi n'entraînait pas la nullité de l'assurance, mais, conformément à l'article L. 113-9 du code des assurances, donnait droit à l'assureur, si elle était constatée après sinistre, de réduire l'indemnité en proportion des cotisations payées par rapport aux cotisations qui auraient été dues pour cette mission, si elle avait été complètement et exactement déclarée, et qu'en cas d'absence de déclaration, la réduction proportionnelle équivalait à une absence de garantie, la cour d'appel, qui a constaté qu'il n'était pas contesté que M. V... s'était abstenu de déclarer le chantier du Château de la Chaussade à son assureur, de sorte qu'il n'avait payé aucune cotisation pour ce risque, en a exactement déduit, sans dénaturation du contrat, que, dans une telle hypothèse, la réduction proportionnelle équivalait à une absence de garantie, selon une disposition, qui était conforme à la règle posée par l‘article L. 113-9 du code des assurances et qui ne constituait ni une exclusion ni une déchéance de garantie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Pronier - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Richard ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Boulloche ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article L. 113-9 du code des assurances.

3e Civ., 6 juin 2019, n° 18-14.547, n° 18-15.386, (P)

Rejet

Géomètre – Responsabilité – Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage – Obligation de renseigner – Etendue – Client professionnel de l'immobilier – Absence d'influence – Portée

Un géomètre-expert, chargé d'établir l'état descriptif de division et le règlement de copropriété d'un immeuble, est tenu, nonobstant la qualité de professionnel de l'immobilier de son client, d'attirer l'attention de celui-ci sur le fait que partie d'un lot se situe sur une parcelle dont, selon son titre, celui-ci n'apparaît pas propriétaire.

Joint les pourvois n° 18-14.547 et 18-15.386 ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 1er février 2018), que la société P... a vendu à Mme W... un immeuble à usage d'habitation par acte authentique dressé par M. N... O..., notaire associé de la société civile professionnelle B... O..., C... X..., A... O... (les notaires) et contenant la clause suivante : « Il existe au premier étage de la portion A, B, C, D du plan ci-joint une pièce dont la plus grande partie se prolonge au-dessus du sol restant à appartenir au vendeur. Cette situation demeurera tant que le vendeur ou ses ayants droit ne jugera pas opportun d'y mettre fin. Tous les frais d'entretien et de réfection de cet étage, en ce compris la totalité de la toiture, resteront à la charge du vendeur.

Le vendeur pourra mettre fin à cette servitude à son profit en prenant à sa charge la démolition de toutes les constructions érigées sur le sol A, B, C, D en ce compris celle existant au rez-de-chaussée et l'érection d'un mur en DC.

Les présentes sont stipulées à titre de servitude, sans aucune copropriété ni indivision.

Le bien appartenant au vendeur et constituant le fonds dominant est repris au cadastre sous le n° 82 de la section DT » ; que la société P... a ultérieurement vendu ce dernier immeuble à la société Lovinvest qui l'a aménagé et soumis au statut de la copropriété ; que M. et Mme U... ont acquis le lot comprenant la pièce objet de la clause précitée ; qu'à l'occasion de travaux d'aménagement, ils ont constaté la présence dans leur lot du conduit d'évacuation de la chaudière de Mme W... ; que celle-ci a assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence [...] et M. et Mme U... en nullité de la servitude stipulée dans son acte de vente et démolition des constructions édifiées sur sa propriété ; que la société Lovinvest, les notaires et la société Estadieu, géomètres-experts (le géomètre-expert), ayant établi l'état descriptif de division et règlement de copropriété de la copropriété [...], ont été appelés en garantie ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal des notaires, le premier moyen du pourvoi principal du géomètre-expert et les moyens uniques des pourvois incidents de M. et Mme U... et du syndicat des copropriétaires, réunis :

Attendu que les notaires, le géomètre-expert, le syndicat des copropriétaires et M. et Mme U... font grief à l'arrêt d'accueillir les demandes de Mme W..., alors, selon le moyen :

1°/ que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d'ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d'une jouissance spéciale de son bien ; qu'en annulant la clause par laquelle Mme W... avait consenti à son vendeur un droit réel de jouissance sur une portion du bien qu'elle avait acquis parce qu'elle la privait de tout droit de jouissance sur cette portion, quand il était loisible aux parties de constituer un droit réel ne correspondant pas à la définition des servitudes et conférant à son bénéficiaire un droit de jouissance exclusif de celui du propriétaire, la cour d'appel a méconnu la volonté des parties de constituer un droit réel au profit du fonds de M. P..., en violation des articles 544 et 1134 du code civil ;

2°/ que, en toute hypothèse, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'en déduisant la nullité de la clause par laquelle Mme W... avait consenti un droit de jouissance sur une portion du bien acquis par acte du 17 septembre 1993, de ce que les parties avaient qualifié ce droit de servitude et qu'une telle servitude ne pouvait priver le propriétaire du fonds servant de tout droit de jouissance, quand il lui appartenait de restituer l'exacte qualification de ce droit réel de jouissance, la qualification inexacte ainsi retenue par les parties n'étant pas de nature à entraîner la nullité de l'acte, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

3°/ qu'une convention n'est pas privée d'objet par le seul fait que la qualification choisie par les parties n'est pas compatible avec son économie générale ; qu'en l'espèce, pour déclarer nulle la clause permettant aux consorts U... et au syndicat des copropriétaires de la résidence [...] de jouir du fonds appartenant à Mme W... et ordonner en conséquence la démolition des ouvrages qu'ils y avaient édifié, la cour d'appel a retenu que cette clause devait être regardée comme privée d'objet dès lors qu'elle déclarait leur conférer un droit de servitude interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété en méconnaissance des principes applicables ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 544, 637, 686 et les articles 1134, 1108 et 1 [...] du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ qu'il appartient au juge de restituer leur exacte qualification aux actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposé ; qu'en l'espèce, pour dire que la clause prévue à l'acte de vente authentique du 17 septembre 1993 passé entre Mme W... et la société P... constituait une clause instaurant une servitude, et prononcer ensuite sa nullité pour défaut d'objet certain en ce qu'elle conférait au propriétaire du fonds dominant un droit exclusif privant le propriétaire du fonds servant de toute jouissance de sa propriété, la cour d'appel a retenu qu'elle avait été qualifiée de manière expresse et non équivoque ainsi dans cet acte ; qu'en se fondant sur cette seule circonstance, sans rechercher elle-même qu'elle avait pu être l'intention des parties en réservant au vendeur un droit exclusif et absolu sur une partie du fonds de l'acheteur, la cour d'appel a méconnu son office en violation de l'article 12 du code de procédure civile ;

5°/ que les servitudes ne peuvent être constituées par un droit exclusif interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété ; qu'est donc ambigüe et sujette à interprétation la clause qui, tout en déclarant instituer une servitude au profit du vendeur, lui octroie un droit exclusif de jouissance sur une partie du fonds servant ; qu'en déclarant non équivoque et en refusant d'interpréter la clause de l'acte authentique du 17 septembre 1993, par laquelle la société P... a déclaré se réserver une servitude sur une partie du bien vendu à Mme W..., tout en relevant que, par l'effet de cette clause, Mme W... se trouvait privée de la totalité de la jouissance d'une partie de sa propriété et prononcer en conséquence sa nullité, la cour d'appel, qui aurait dû rechercher quelle avait pu être la commune intention des parties en permettant au vendeur d'user seul du fonds litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

6°/ qu'un propriétaire peut renoncer à son droit de jouir d'une partie du fonds lui appartenant au profit d'un tiers à qui il reconnaît un droit de jouissance exclusif ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la clause figurant dans l'acte du 17 septembre 1993, conférait à la société P... un droit d'usage sur le prolongement au-dessus de la parcelle n° [...] de la pièce située à cheval sur cette parcelle et la parcelle n° [...] ; que pour annuler cette clause, elle a considéré qu'elle avait pour effet d'empêcher Mme W... de jouir de l'espace se trouvant en surplomb de la parcelle lui appartenant et qu'une servitude ayant pour effet de priver le propriétaire du fonds servant de toute jouissance sur son bien est nulle ; qu'en statuant ainsi, quand est parfaitement licite la clause par laquelle un propriétaire confère à un tiers un droit de jouissance exclusif sur son bien et s'interdit ainsi d'en jouir lui-même, la cour d'appel a violé les articles 544 et 686 du code civil et l'article 1134, devenu l'article 1103, du même code ;

7°/ subsidiairement qu'une convention n'est pas privée d'objet par le seul fait que la qualification choisie par les parties n'est pas compatible avec son économie générale ; qu'en l'espèce, pour déclarer nulle la clause permettant aux consorts U... de jouir du fonds appartenant à Mme W... et ordonner en conséquence la démolition des ouvrages qu'ils y avaient édifié, la cour d'appel a retenu que cette clause devait être regardée comme privée d'objet dès lors qu'elle déclarait leur conférer un droit de servitude interdisant au propriétaire du fonds servant toute jouissance de sa propriété en méconnaissance des principes applicables ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 544, 637, 686 et les articles 1134, 1108 et 1[...] du code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

8°/ que le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ; qu'en l'espèce, pour juger que la clause litigieuse instituait une servitude et, partant, devait être annulée, la cour d'appel a retenu, d'une part, que « les parties ont stipulé de manière expresse et non équivoque l'existence d'une servitude et ce, à deux reprises » et que « le vocabulaire utilisé, qui fait référence au fonds dominant, est propre au régime de la servitude » et, d'autre part, que « les termes employés, au demeurant dans un acte authentique, doivent dès lors recevoir leur pleine acception juridique » ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de restituer l'exacte qualification du droit conféré par la clause litigieuse, la cour d'appel a violé l'article 12 du code de procédure civile ;

9°/ en toute hypothèse que l'acte dont les termes sont contradictoires ne saurait être qualifié de clair et doit faire l'objet d'une interprétation ; qu'en l'espèce, la clause litigieuse instituait expressément une servitude au profit de la société P... tout en privant Mme W... de la jouissance de la partie de sa propriété grevée par cette servitude ; qu'à supposer qu'une servitude ne puisse être constituée par la reconnaissance d'un droit de jouissance exclusif au profit du propriétaire du fonds dominant, ayant pour effet de priver le propriétaire du fonds servant de la jouissance d'une partie de sa propriété, la clause litigieuse était entachée de contradiction ; qu'en déclarant néanmoins non équivoque cette clause et en refusant de l'interpréter, la cour d'appel, qui aurait dû rechercher quelle avait pu être la commune intention des parties en permettant au vendeur d'user seul du fonds litigieux, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134, devenu l'article 1103 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, d'une part, que, lors de la vente, les parties avaient entendu créer, de manière expresse et non équivoque, un service à la charge du fonds acquis par Mme W... et au profit du fonds voisin initialement conservé par la société P..., d'autre part, que la convention interdisait, compte tenu de la configuration des lieux, toute jouissance de la pièce objet de la clause par son propriétaire, la cour d'appel n'a pu qu'en déduire que la clause litigieuse avait institué une servitude dont elle a prononcé, à bon droit, la nullité ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi du géomètre-expert :

Attendu que le géomètre-expert fait grief à l'arrêt de le condamner à garantir la société Lovinvest de toutes les condamnations prononcées contre elle, alors, selon le moyen :

1°/ que, le géomètre n'est tenu que d'une obligation de moyen limitée au champ de ses missions, lesquelles n'incluent pas l'appréciation de la légalité des titres de propriété des parties ; que, pour dire la société Estadieu responsable de l'empiétement de la résidence « [...] » sur une partie du premier étage du fonds de Mme W..., résultant de la nullité de la clause de servitude consentie par cette dernière en faveur du propriétaire du fonds voisin, la cour d'appel a retenu que, bien que l'état de division établi fut conforme aux plans d'architecte et aux titres de la société Lovinvest, la configuration des lieux, révélant une surface supérieure au premier étage par rapport au rez-de-chaussée, aurait dû la conduire à rechercher le titre de Mme W... pour déterminer les droits réels de la société Lovinvest sur cette portion ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'il n'entrait pas dans sa mission d'apprécier la légalité de la servitude consentie par Mme W... en faveur du propriétaire du fonds voisin, la cour d'appel a violé l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil ;

2°/ que la faute du maître d'ouvrage exonère totalement ou partiellement le l'entrepreneur de sa responsabilité contractuelle à son égard ; qu'en l'espèce, la société Estadieu faisait valoir qu'en sa qualité de professionnel de l'immobilier, la société Lovinvest aurait également dû se convaincre de la situation des lieux et était par conséquent en partie responsable de son propre préjudice ; qu'en retenant, pour condamner la société Estadieu à garantir la société Lovinvest de toutes les condamnations mises à sa charge, qu'il « importait peu que d'autres professionnels aient concouru à la réalisation du dommage dans la mesure où sa propre faute est établie », la cour d'appel a violé l'article 1147 devenu 1231-1 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que le géomètre-expert aurait dû attirer l'attention de la société Lovinvest, nonobstant sa qualité de professionnel de l'immobilier, sur le fait que le premier étage de son immeuble avait une surface supérieure à celle du rez-de-chaussée, de sorte que partie d'un lot du premier étage se situait sur une parcelle dont cette société n'apparaissait pas être propriétaire selon son titre, la cour d'appel, qui n'a pas exigé du géomètre-expert la vérification des droits de son client en recherchant le titre de Mme W... et en appréciant la légalité de la clause instituant la servitude, a pu en déduire que l'appel en garantie devait être accueilli ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Béghin - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; Me Le Prado ; SCP Gatineau et Fattaccini ; SCP Richard ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles 544, 637, 686 et 1134, devenu 1103, du code civil ; article 12 du code de procédure civile ; article 1147, devenu 1231-1 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité de constituer une servitude créant un droit exclusif interdisant au propriétaire la jouissance de sa propriété, à rapprocher : 3e Civ., 24 mai 2000, pourvoi n° 97-22.255, Bull. 2000, III, n° 113 (cassation partielle).

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