Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

VENTE

3e Civ., 25 mai 2022, n° 21-18.218, (B), FS

Rejet

Garantie – Vices cachés – Action en garantie – Exercice – Durée – Limites – Prescription extinctive de droit commun – Délai butoir – Point de départ – Détermination – Portée

La loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice.

Il s'ensuit que le délai de cinq ans de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l'action en garantie des vices cachés relative à des biens vendus après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans résultant de l'article 2232 du code civil et courant à compter de la vente initiale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 février 2021), rendu en référé, et les productions, suivant factures des 31 mai, 31 octobre et 30 novembre 2008, pour les besoins de la construction d'un bâtiment agricole pour l'EARL de la Journeauserie (le maître de l'ouvrage), la société Nouvelle Construction Charles (l'entreprise), assurée auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et Santé, a acheté des plaques de couverture en fibrociment à la société Socobati (le fournisseur), fabriquées par la société Eternit France, aujourd'hui la société Etex France Exteriors (le fabricant).

2. Se plaignant d'infiltrations dans la toiture, le maître de l'ouvrage a assigné, le 31 octobre 2018, l'entreprise et son assureur, et obtenu la désignation d'un expert, par ordonnance du 22 novembre 2018.

3. Le 4 février 2020, la société Aviva a assigné en ordonnance commune le fournisseur et le fabricant.

Sur le moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son moyen, le fabricant fait grief à l'arrêt de lui déclarer communes et opposables les opérations d'expertise ordonnées le 22 novembre 2018 et de rejeter sa demande de mise hors de cause, alors « que l'action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription de cinq années prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel commence à courir à compter de la vente initiale ; que la société Etex a vendu en 2008, à la société Socobati, des plaques de fibrociment qu'elle a ensuite revendues, la même année, à la société Nouvelles Constructions Charles pour la construction d'un bâtiment agricole ; qu'après avoir constaté la survenance de divers désordres dans le bâtiment construit, le maître d'ouvrage a sollicité que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire de la société Nouvelles Constructions Charles et de son assureur de responsabilité, la société Aviva ; que par acte du 4 février 2020, soit plus de douze années après la date de la vente initiale, la société Aviva a assigné la société Etex afin de lui voir déclarer communes et opposables les opérations d'expertise judiciaires ordonnées le 22 novembre 2018 ; qu'en faisant droit à cette demande au motif que l'action en garantie des vices cachés qu'entendait introduire la société Aviva à l'encontre de la société Etex, après le dépôt du rapport d'expertise, n'était pas manifestement prescrite, de sorte qu'elle justifiait d'un motif légitime pour solliciter une extension des mesures d'expertise à l'encontre de la société Etex, tandis que cette action était manifestement prescrite depuis de 2013, cinq années après à la vente initiale des plaques de fibrociment intervenue entre les sociétés Etex et Socobati, la cour d'appel a violé les articles 145 du code de procédure civile, 1648 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

5. Par son moyen, le fournisseur fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente de la chose ; qu'en retenant néanmoins, pour faire droit à la demande de la société Aviva tendant à voir déclarer communes et opposables à la société Socobati les opérations d'expertises ordonnées le 22 novembre 2018, afin de déterminer l'origine des désordres affectant les ouvrages construits par son assurée, la société Nouvelles Constructions Charles, que l'action en garantie des vices cachées que la société Aviva entendait exercer à l'encontre de la société Socobati, en sa qualité de vendeur des matériaux utilisés par la société Nouvelles Constructions Charles, n'était pas prescrite, dès lors que le délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que la responsabilité de la société Nouvelles Constructions Charles fût recherchée par le maître de l'ouvrage, bien que ce délai ait commencé à courir à compter de la vente des matériaux au cours de l'année 2008, de sorte que la prescription quinquennale était acquise depuis 2013, la cour d'appel a violé les articles 1648 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

7. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié).

8. Pour les ventes conclues après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l'article 2232 du code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit (3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, publié).

9. En effet, l'article 2224 du code civil fixe le point de départ du délai de prescription au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice.

10. La loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil.

11. Il s'ensuit que le délai de cinq ans de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale.

12. La cour d'appel a relevé que l'entreprise et son assureur avaient été assignés par le maître de l'ouvrage, le 31 octobre 2018, pour des désordres de la toiture, de sorte que l'action de la société Aviva formée contre les sociétés Socobati et Eternit par actes du 4 février 2020, n'était pas prescrite et que l'assureur de l'entrepreneur justifiait d'un motif légitime pour solliciter l'extension des opérations d'expertise au fournisseur et au fabricant.

13. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Nivôse - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Richard ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article L. 110-4, I, du code de commerce ; articles 2224 et 2232 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; 3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 11 mai 2022, n° 20-22.210, (B), FRH

Cassation partielle

Vendeur – Obligations – Obligation de conseil – Etude des besoins de l'acheteur

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le vendeur professionnel est tenu, avant la vente, d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien qui est proposé et l'usage qui en est prévu.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 18 septembre 2020), afin d'effectuer un voyage sur le continent américain avec quatre passagers, M. [S] a acquis auprès de la société Bourcier (le vendeur) un camping-car fabriqué par la société Laika Caravans. Postérieurement à la livraison du véhicule le 6 mai 2011, il a fait installer par le vendeur des équipements supplémentaires.

2. En novembre 2011, au cours de son voyage, il a constaté un fléchissement de l'essieu arrière et a sollicité à son retour des expertises amiable et judiciaire qui ont imputé le dommage à un excès de poids.

3. Estimant que le vendeur et la société Laika Caravans avaient manqué à leur devoir d'information et de conseil, il les a assignés en résolution de la vente et en réparation de ses préjudices moral et matériel.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Exposé du moyen

4. M. [S] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'obligation de conseil à laquelle est tenu le vendeur lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur et de l'informer lors de l'achat, de l'adéquation du matériel proposé à l'utilisation qui en est prévue ; qu'il s'ensuit que le vendeur devait s'enquérir des besoins de M. [S] qui souhaitait acquérir un camping-car pour réaliser un long voyage d'un an au travers du continent américain avec une famille de cinq personnes pour le conseiller sur l'adéquation des options et des accessoires par rapport à la charge utile restante ; qu'en se satisfaisant de la seule mise en garde donnée postérieurement à la conclusion de la vente par une facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge » ; qu'en imposant à M. [S] lui-même de surveiller la charge de son véhicule pour demeurer dans les limites du poids définis par son permis de voiture, après avoir constaté que le vendeur avait attiré son attention sur la charge du véhicule et, plus particulièrement, sur l'incidence de l'installation de nouveaux équipements en précisant sur la facture de livraison que chaque accessoire diminue la charge utile, quand il appartenait au vendeur de s'informer des besoins de M. [S] et, en particulier, de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage, compte tenu des options et des accessoires qu'il souhaitait installer, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil :

5. Il résulte de ce texte que le vendeur professionnel est tenu, avant la vente, d'une obligation de conseil qui lui impose de se renseigner sur les besoins de l'acheteur afin d'être en mesure de l'informer sur l'adéquation entre le bien qui est proposé et l'usage qui en est prévu.

6. Pour rejeter les demandes de M. [S], l'arrêt retient que le véhicule livré conformément à la commande initiale était apte à l'usage prévu par M.[S], que la surcharge de poids est la conséquence de l'installation à sa demande d'équipements optionnels postérieurement à la livraison, que son attention a été attirée de manière formelle sur la facture de livraison du 6 mai 2011 qui comporte une mention « attention au poids » et qui précise que « chaque accessoire supplémentaire diminue la charge utile », que, même si cette mention ne précisait pas le poids des équipements déjà installés, elle était suffisante pour attirer l'attention du client sur la charge du véhicule et particulièrement sur l'incidence de l'installation de nouveaux équipements sur le poids du véhicule, M. [S] devant, en sa qualité de conducteur, surveiller la charge de son véhicule pour demeurer dans les limites de poids définies par son permis de conduire.

7. En statuant ainsi, sans constater que le vendeur s'était informé des besoins de M. [S] et, en particulier, de la charge utile qui lui était nécessaire pour mener à bien son projet de voyage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en ce qu'il rejette les demandes de M. [S] contre la société Bourcier, l'arrêt rendu le 18 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet sur ce point l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Chevalier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Boullez ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 28 octobre 2010, pourvoi n° 09-16.913, Bull. 2010, I, n° 215 (cassation), et les arrêts cités.

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