Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

2e Civ., 25 mai 2022, n° 20-17.123, (B), FRH

Cassation partielle

Choses dont on a la garde – Fait de la chose – Chose instrument du dommage – Entretien de la chose – Portée

Prive sa décision de base légale, au regard de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil, la cour d'appel qui juge le propriétaire d'un bâtiment responsable des conséquences dommageables résultant de la rupture d'une plaque en fibrociment placée sous sa garde, sous le poids d'un mineur, en se fondant exclusivement sur le défaut d'entretien de celle-ci pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage, sans rechercher si, même correctement entretenue, elle n'aurait pas cédé sous le poids de la victime.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 2 avril 2020), le 29 octobre 2010, [U] [F], mineur, s'est blessé en chutant du toit d'un entrepôt appartenant à la société Ville renouvelée (la SAEM) et assuré par la société MMA IARD, venant aux droits de la société Covea risks.

2. Aux fins d'obtenir le remboursement de ses débours, la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 6]-[Localité 7] (la CPAM) a assigné, devant un tribunal de grande instance, la société MMA IARD, la SAEM et [U] [F], dont le curateur, l'association AGSS de l'UDAF, a été assignée ultérieurement.

En cours de procédure, la société MMA IARD assurances mutuelles a déclaré intervenir volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de la SAEM et le moyen du pourvoi incident formé par les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, pris en sa deuxième branche, réunis, qui sont similaires

Enoncé des moyens

3. La SAEM fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable des conséquences dommageables résultant du fait d'une plaque en fibrociment placée sous sa garde et ayant joué un rôle actif dans l'accident survenu le 29 juillet 2010 à [U] [F], alors « qu'on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde ; qu'une chose inerte peut être l'instrument du dommage seulement si la preuve qu'elle occupait une position anormale ou qu'elle était en mauvais état est rapportée ; que toutefois l'état d'entretien de la chose inerte ne peut à lui seul justifier la responsabilité du gardien lorsque, même à l'état neuf, cette chose n'est pas en mesure de supporter l'action humaine exercée contre elle ; qu'en se fondant exclusivement, pour retenir la responsabilité de la SAEM Ville Renouvelée en tant que gardien de la plaque de fibrociment placée sur le toit du bâtiment et qui a cédé sous le poids de M. [F] lorsqu'il a couru sur elle, sur le mauvais état de ces plaques équipant le toit, tout en relevant que même sous le régime des normes de sécurité les plus récentes, il ressortait d'une documentation éditée par la MSA de Bretagne au titre de la prévention des accidents sur toiture qu'il n'est pas possible de prendre appui directement sur ce type de plaques, et a fortiori de courir sur elles, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article 1384 alinéa 1er du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1242, alinéa 1er, du même code. »

4. Les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD font grief à l'arrêt de déclarer la SAEM responsable des conséquences dommageables résultant du fait d'une plaque en fibrociment placée sous sa garde et ayant rempli un rôle actif dans l'accident survenu le 29 juillet 2010 à [U] [F], de dire que la faute commise par [U] [F] n'exonère que partiellement la SAEM de sa responsabilité à son égard et de dire qu'elle sera garantie par la société MMA IARD de toutes condamnations qui seront prononcées à son encontre, alors « que subsidiairement le caractère anormal d'une chose inerte s'apprécie au regard de son état, de son comportement ou de sa position ; que ne présente pas un tel caractère une plaque de fibrociment exempte de tout vice interne qui, à l'état neuf, n'est pas de nature à pouvoir supporter le poids d'un homme et dont il est uniquement relevé dans un rapport établi plus de huit mois après l'accident qu'elle est située sur un bâtiment en état « moyen voire vétuste » et que la couverture dont elle fait partie n'est pas affectée de « graves désordres d'étanchéité », dont il est établi que la toiture à laquelle elle appartient date de « plusieurs dizaines d'années » et a une solidité qui « diminue au fil du temps » et dont les témoins de l'accident ont affirmé que la toiture dont elle faisait partie « était déjà fissurée » et « ne tenait pas trop » ; qu'en énonçant le contraire, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a violé l'article 1384, alinéa 1er, du code civil dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1242, alinéa 1er, du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil :

5. Aux termes de ce texte, on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde.

6. Pour retenir la responsabilité de la SAEM, l'arrêt relève que l'expert mentionne que l'ensemble du bâtiment est en état moyen, voire vétuste, que dans leurs conclusions, les assureurs indiquaient que la toiture était posée depuis plusieurs dizaines d'années, admettant en outre que la solidité d'une telle toiture diminue au fil du temps, qu'il résulte des déclarations de témoins directs des faits que ces derniers avaient cherché à dissuader [U] [F] d'emprunter la toiture, en l'avertissant qu'elle était déjà fissurée.

7. L'arrêt constate que les normes de sécurité Afnor produites aux débats ne permettent pas à elles seules d'établir l'existence d'un vice interne de la plaque ayant cédé sous le poids de [U] [F], alors que leur « applicabilité » à l'époque de la construction du bâtiment n'est pas établie.

8. L'arrêt en déduit qu'en conséquence d'un défaut d'entretien, le mauvais état des plaques de fibrociment équipant le toit conduit à retenir le rôle actif de la plaque ayant cédé sous le poids de [U] [F], laquelle a été ainsi l'instrument du dommage.

9. En se déterminant ainsi, en se fondant exclusivement sur le défaut d'entretien de la plaque de fibrociment pour retenir son rôle actif dans la survenance du dommage, sans mettre en évidence l'anormalité de cette chose, en recherchant si la plaque, même correctement entretenue, n'aurait pas cédé sous le poids de [U] [F], la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquence de la cassation

10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif déclarant la SAEM responsable des conséquences dommageables de l'accident en qualité de gardien du toit, emporte cassation des chefs du dispositif relatifs à l'expertise, à la faute de la victime et au partage de responsabilité en découlant ainsi que de celui relatif à la garantie de son assureur, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande de la société Ville renouvelée à l'égard de la société MMA IARD, l'arrêt rendu le 2 avril 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Pradel - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil.

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