Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 18 mai 2022, n° 21-11.347, (B), FRH

Cassation partielle

Comité social et économique – Membres – Membre suppléant – Remplacement du titulaire – Remplacement par un suppléant d'un autre collège – Modalités – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Roanne, 20 janvier 2021), lors des élections organisées au sein de l'Office public de l'habitat OPHEOR (l'Opheor), ont été élus, sur les listes présentées par le syndicat CFDT Interco Loire Haute-Loire (le syndicat CFDT), comme membre titulaire du premier collège, Mme [Z], comme membre suppléant du même collège, M. [V], comme membre titulaire du second collège, Mme [O], et, comme membre suppléant de ce collège, Mme [T]. M. [J], Mme [F] et M. [U], candidats appartenant au deuxième collège et présentés par le même syndicat, n'ont pas été élus.

2. Mme [Z] a démissionné de son mandat. M. [V] a quitté l'entreprise.

L'Opheor a décidé de l'organisation d'élections partielles pour remplacer ces membres élus du premier collège.

3. Le 25 novembre 2020, le syndicat CFDT et M. [U] ont saisi le tribunal judiciaire afin que Mme [F] ou, à défaut, M. [U] soit désigné, comme membre titulaire du comité social et économique, représentant le premier collège, jusqu'à ce que Mme [T] puisse exercer elle-même ce mandat, ainsi que pour qu'il soit dit qu'il n'y a pas lieu d'organiser des élections partielles au sein de l'Opheor et qu'il soit fait interdiction à ce dernier de poursuivre le processus électoral engagé.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le syndicat CFDT et M. [U] font grief au jugement de rejeter l'intégralité de leurs demandes et de dire que des élections partielles doivent être organisées à l'initiative de l'Opheor dans la mesure où le premier collège n'est plus représenté, alors « que des élections partielles doivent être organisées par l'employeur lorsqu'un collège électoral n'est plus représenté au comité social et économique ; qu'un collège demeure représenté au comité social et économique lorsque les membres de ce collège ayant cessé leur fonction peuvent être remplacés, par ordre de priorité et par défaut, par des délégués suppléants élus sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle des titulaires à remplacer et de même catégorie professionnelle, par des suppléants d'une autre catégorie professionnelle mais appartenant au même collège électoral et élus sur une liste présentée par la même organisation syndicale, par des suppléants d'un collège différent, mais toujours de même appartenance syndicale, par des candidats non élus présentés par la même organisation syndicale et venant sur la liste immédiatement après le dernier candidat élu comme titulaire ou, à défaut, suppléant, par des candidats d'une autre organisation syndicale, mais appartenant à la même catégorie professionnelle et ayant obtenu le plus grand nombre de voix ; qu'en l'espèce, en jugeant que le premier collège ouvriers/employés, qui comprenait un seul titulaire élu sur une liste présentée par la CFDT, n'était plus représenté et que l'employeur devait organiser des élections partielles en raison de la cessation par ce titulaire de ses fonctions et de l'impossibilité de pourvoir à son remplacement par un candidat élu ou non élu sur une liste présentée par la CFDT au sein d'un autre collège électoral que celui du titulaire à remplacer, le tribunal a violé les articles L. 2314-10 et L. 2314-37 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2314-37 du code du travail :

5. Aux termes de ce texte, lorsqu'un délégué titulaire cesse ses fonctions pour l'une des causes indiquées à la présente section ou est momentanément absent pour une cause quelconque, il est remplacé par un suppléant élu sur une liste présentée par la même organisation syndicale que celle de ce titulaire.

La priorité est donnée au suppléant élu de la même catégorie. S'il n'existe pas de suppléant élu sur une liste présentée par l'organisation syndicale qui a présenté le titulaire, le remplacement est assuré par un candidat non élu présenté par la même organisation. Dans ce cas, le candidat retenu est celui qui vient sur la liste immédiatement après le dernier élu titulaire ou, à défaut, le dernier élu suppléant. A défaut, le remplacement est assuré par le suppléant élu n'appartenant pas à l'organisation du titulaire à remplacer, mais appartenant à la même catégorie et ayant obtenu le plus grand nombre de voix.

Le suppléant devient titulaire jusqu'au retour de celui qu'il remplace ou jusqu'au renouvellement de l'institution.

6. Il en résulte que, en l'absence de suppléant de la même catégorie, le remplacement est assuré en priorité par un suppléant d'une autre catégorie appartenant au même collège, présenté par la même organisation syndicale, à défaut, par un suppléant d'un autre collège présenté par cette même organisation, à défaut par un candidat non élu répondant à cette condition de présentation syndicale.

7. Pour dire que les membres suppléants du comité social et économique et les candidats non élus du second collège présentés par le syndicat CFDT ne pouvaient remplacer le membre titulaire du premier collège présenté par ce même syndicat, le jugement retient que l'article L. 2314-37 du code du travail ne permet pas de remplacer des membres d'un collège par ceux d'un autre collège, n'ayant assurément pas les mêmes intérêts collectifs, et que seul un candidat élu ou non élu de la liste du syndicat CFDT, à défaut de la liste du syndicat CGT, aurait pu remplacer Mme [Z] puis M. [V] au sein du premier collège, ce qui est impossible dans la mesure où le syndicat CFDT n'avait présenté aucun autre candidat pour l'élection du premier collège et qu'il n'existe aucun autre suppléant dans ce collège, issu des listes des syndicats CFDT et CGT.

8. En statuant ainsi, le tribunal a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il accueille l'intervention volontaire accessoire de l'Union locale CGT des Cantons Roannais et déclare recevable l'action du syndicat CFDT Interco Loire Haute-Loire, le jugement rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Roanne ;

Remet l'affaire et les parties, sauf sur ces points, dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Le Masne de Chermont - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 2314-37 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les modalités de remplacement d'un membre titulaire du comité social et économique, à rapprocher : Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-16.859, Bull., (rejet).

Soc., 18 mai 2022, n° 21-10.118, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Inobservation – Indemnisation – Etendue – Détermination – Office du juge – Cas – Salarié protégé dont le licenciement est nul – Salarié ne demandant pas sa réintégration ou dont la réintégration est impossible – Portée

Il résulte des articles L. 2411-1 et L. 1235-3, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, du code du travail que le salarié protégé dont le licenciement est nul, qui ne demande pas sa réintégration ou dont la réintégration est impossible, est en droit d'obtenir, outre l'indemnité pour méconnaissance du statut protecteur, les indemnités de rupture ainsi qu'une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, sans que le juge ait à se prononcer sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 novembre 2020), statuant sur renvoi après cassation (Soc., 13 février 2019, pourvoi n° 16-25.764), M. [H] a été engagé par la société Brink's le 14 décembre 2005, en qualité d'agent de sécurité, et son contrat a été transféré en dernier lieu à la société Fiducial Private Security. Il a été désigné en qualité de délégué syndical le 28 juin 2010 jusqu'au 15 mars 2012, la période de protection s'achevant le 15 mars 2013. Ce même jour, son employeur l'a convoqué à un entretien préalable au licenciement prévu le 5 avril 2013. Son licenciement lui a été notifié le 3 mai 2013 sans autorisation administrative préalable.

2. Le 2 juillet 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale en sollicitant, notamment, la nullité de son licenciement et sa réintégration.

3. Il a fait valoir ses droits à la retraite le 1er décembre 2014.

Examen des moyens

Sur le premier moyen complémentaire, le premier moyen, pris en sa première branche, et le second moyen initial, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen complémentaire

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation des conséquences financières de son licenciement, alors « que lorsque la réintégration d'un salarié protégé, dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé en violation du statut protecteur, est impossible dès lors qu'il avait décidé unilatéralement de faire valoir ses droits à la retraite, ce salarié ne peut pas prétendre au paiement de dommages-intérêts en réparation des conséquences financières de la rupture de son contrat de travail en plus des sommes dues au titre de la violation du statut protecteur ; qu'en l'espèce, M. [H] a lui-même rendu impossible sa réintégration en prenant sa retraite le 2 juillet 2014 avant que la cour d'appel ne statue ; que cependant, la cour d'appel de renvoi a accordé au salarié « l'indemnisation de sa perte d'emploi à 62 ans » en prenant en compte « le fait que ce non-emploi a eu une incidence sur le calcul du montant de sa demi-pension », outre l'indemnisation due au titre du statut protecteur correspondant » à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à la date de son départ à la retraite » ; qu'en statuant ainsi, bien que l'employeur faisait valoir en cause d'appel qu'il ne lui incombait pas d'assumer les conséquences du choix du salarié de faire valoir ses droits à la retraite, la cour d'appel de renvoi a violé l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article L. 2411-1 et de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que le salarié protégé dont le licenciement est nul, qui ne demande pas sa réintégration ou dont la réintégration est impossible, est en droit d'obtenir, outre l'indemnité pour méconnaissance du statut protecteur, les indemnités de rupture ainsi qu'une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, sans que le juge ait à se prononcer sur l'existence d'une cause réelle et sérieuse de licenciement.

7. La cour d'appel, qui a alloué au salarié, en sus d'une indemnité pour violation du statut protecteur, des dommages-intérêts en réparation de sa perte d'emploi, a statué à bon droit.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de la violation de son statut protecteur, alors « que le salarié protégé licencié sans autorisation administrative de licenciement qui a fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à celle de son départ à la retraite ; qu'en l'espèce, il était constant que M. [H], licencié par lettre du 3 mai 2013, était resté le salarié de la société Fiducial Private Security jusqu'à l'issue de son préavis de deux mois le 5 juillet 2013, et qu'il était parti à la retraite à compter du 1er décembre 2014, comme l'a constaté la cour d'appel ; que le salarié ne pouvait donc pas percevoir, au titre de la violation du statut protecteur, une indemnité supérieure à dix-sept mois de salaire, tel qu'il l'admettait d'ailleurs lui-même ; qu'en accordant cependant à M. [H] une indemnité correspondant à vingt mois de salaire, la cour d'appel a violé la règle susvisée et l'article L. 2411-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au 3 mai 2013. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 2411-1 du code du travail dans sa rédaction alors applicable :

10. Lorsque le salarié protégé licencié sans autorisation administrative de licenciement demande sa réintégration pendant la période de protection, il a droit, au titre de la méconnaissance du statut protecteur, à une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à sa réintégration. Cette indemnité lui est également due lorsque la demande de réintégration est formulée après l'expiration de la période de protection en cours pour des raisons qui ne sont pas imputables au salarié. Toutefois, dans cette dernière hypothèse, le salarié qui a fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à celle de son départ à la retraite.

11. Pour condamner l'employeur à payer au salarié la somme de 35 260 euros au titre de la violation de son statut protecteur, l'arrêt retient que cette indemnité correspond à vingt mois de salaire.

12. En statuant ainsi, après avoir énoncé que le salarié avait fait valoir ses droits à la retraite le 1er décembre 2014, et alors que celui-ci indiquait dans ses écritures que son éviction était intervenue le 5 juillet 2013, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Le salarié a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à celle de son départ à la retraite, d'un montant de 29 971 euros, correspondant à dix-sept mois de salaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne l'employeur à payer au salarié la somme de 35 260 euros au titre de la violation de son statut protecteur, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne la société Fiducial Private Security à payer à M. [H] la somme de 29 971 euros d'indemnité au titre de la violation du statut protecteur.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ollivier - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles L. 2411-1 et L. 1235-3, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue de l'indemnité due au salarié protégé dont le licenciement est nul et qui ne demande pas sa réintégration ou dont la réintégration est impossible, à rapprocher : Soc., 25 novembre 1997, pourvoi n° 94-43.651, Bull. 1997, V, n° 405 (rejet), et les arrêts cités ; Soc., 30 novembre 2004, pourvoi n° 01-44.739, Bull., 2004, V, n° 309 (cassation), et les arrêts cités ; Soc., 10 mai 2006, pourvoi n° 04-40.901, Bull. 2006, V, n° 173 (1) (cassation partielle), et les arrêts cités ; Avis de la Cour de cassation, 15 décembre 2014, n° 14-70.009, Bull. 2014, Avis, n° 9 ; Soc., 15 avril 2015, pourvoi n° 13-24.182, Bull. 2015, V, n° 86 (cassation partielle) ; Soc., 15 mai 2019, pourvoi n° 18-11.036, Bull., (cassation partielle) ; Soc., 8 juillet 2020, pourvoi n° 17-31.291, Bull., (rejet), et l'arrêt cité.

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