Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

PRET

1re Civ., 25 mai 2022, n° 21-10.635, (B), FRH

Cassation partielle

Prêt d'argent – Prêteur – Etablissement de crédit – Obligations – Obligation d'information – Cas – Risque d'amortissement négatif du prêt

Il résulte de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que, lorsqu'il est consenti à un emprunteur non averti un prêt comportant des paliers d'échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n'affecte pas le capital emprunté, et que la différence calculée entre le montant de l'échéance et ces intérêts s'ajoute au capital restant dû, le prêteur est tenu à une obligation d'information et l'intermédiaire en crédit à un devoir de mise en garde sur le risque d'amortissement négatif qui en résulte.

Prêt d'argent – Intermédiaire en crédit – Devoir de mise en garde – Cas – Risque d'amortissement négatif du prêt

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2020), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 28 novembre 2018, pourvoi n° 17-24.481), suivant offre du 11 août 2004, acceptée le 23 août et réitérée par acte authentique le 31 août, la société Entenial, aux droits de laquelle se trouve la société Crédit foncier de France (le prêteur), a consenti à M. et Mme [W] (les emprunteurs) un prêt de 220 000 euros d'une durée de vingt ans, destiné au financement de leur résidence principale.

2. Ce prêt, stipulant un taux d'intérêt fixe de 3,55 % pendant les trois premiers mois et susceptible de variations en fonction de l'évolution de l'indice Tibeur trois mois, prévoyait deux périodes de différés d'amortissement avec franchise partielle d'intérêts, l'amortissement du capital prenant effet avec le cinquante-deuxième versement.

3. La société Crédit et services financiers (la Créserfi) a accompagné les emprunteurs dans leur recherche de prêt, puis dans leurs discussions avec le prêteur, leur a consenti une assurance et a souscrit à leur bénéfice un engagement de caution.

4. Soutenant que le prêteur et la Créserfi avaient manqué à leurs devoirs d'information et de conseil, ainsi que de mise en garde, pour leur avoir fourni un produit dangereux et inadapté à leur situation financière, les emprunteurs ont sollicité leur condamnation en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, réunis

Enoncé du moyen

6. Par leur premier moyen, les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation formées contre la société Créserfi pour manquement à son obligation de mise en garde, faute de les avoir informés du risque d'amortissement négatif lié à la mise en place d'un prêt par palier, alors « que l'intermédiaire en crédit qui prête son concours à la mise en place d'un prêt à long terme accordé à taux variable et remboursable par paliers à échéance constante sur une première période de remboursement des seuls intérêts suivie d'une période d'amortissement se doit de mettre en garde l'emprunteur contre le risque d'amortissement négatif inhérent à un tel prêt, ledit risque existant dès l'instant où, lors du remboursement du prêt, les intérêts à rembourser sont supérieurs au montant de l'échéance acquittée, et où la différence entre le montant de l'échéance et le solde des intérêts du capital initial génère des intérêts ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le prêt « comportait trois paliers d'échéances, dont les deux premiers ne sont pas progressifs mais dégressifs pour une raison qui reste inconnue, lesquels ne permettent pas avec des montants de 491 euros et 357 euros de couvrir la totalité du montant mensuel des intérêts générés par le capital emprunté de 220 000 euros » et que « la part d'intérêts non réglée durant les quarante et un premiers mois » faisait « l'objet d'un report avec une capitalisation mensuelle et un cumul » ; qu'il est par ailleurs constant qu'aucune mise en garde n'a été délivrée sur le risque d'amortissement négatif ; qu'en rejetant toutefois les demandes d'indemnisation formée sur ce fondement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

7. Par leur deuxième moyen, les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnisation contre la banque pour manquement à son devoir d'information sur un risque d'amortissement négatif lié à la mise en place d'un prêt par paliers, alors « que le banquier qui consent un prêt à long terme à un taux variable et remboursable par paliers à échéance constante sur une première période de remboursement des seuls intérêts suivie d'une période d'amortissement est tenu d'informer l'emprunteur du risque d'amortissement négatif inhérent à un tel prêt, ledit risque existant dès l'instant où, lors du remboursement prêt, les intérêts à rembourser sont supérieurs au montant de l'échéance acquittée, la différence entre le montant de l'échéance et les intérêts étant capitalisée ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que le prêt « comportait trois paliers d'échéances, dont les deux premiers ne sont pas progressifs mais dégressifs pour une raison qui reste inconnue, lesquels ne permettent pas avec des montants de 491 euros et 357 euros de couvrir la totalité du montant mensuel des intérêts générés par le capital emprunté de 220 000 euros », et que « la part d'intérêts non réglée durant les quarante et un premiers mois » faisait « l'objet d'un report avec une capitalisation mensuelle et un cumul » ; qu'il est par ailleurs constant qu'aucune information n'a été délivrée quant à un risque d'amortissement négatif ; qu'en rejetant toutefois les demandes d'indemnisation des époux [W] à ce titre, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

8. Il résulte de ce texte que, lorsqu'il consent à un emprunteur non averti un prêt comportant des paliers d'échéances, dont le montant de certaines est inférieur à celui des intérêts échus, de sorte que le règlement de ces échéances n'affecte pas le capital emprunté, et que la différence calculée entre le montant de l'échéance et ces intérêts s'ajoute au capital restant dû, le prêteur est tenu à une obligation d'information et l'intermédiaire en crédit à un devoir de mise en garde sur le risque d'amortissement négatif qui en résulte.

9. Pour rejeter les demandes des emprunteurs au titre des manquements de la Créserfi à son obligation de mise en garde et de la banque à son obligation d'information, l'arrêt retient que les emprunteurs ne démontrent pas que le prêt litigieux, bien que comportant des remboursements par paliers, ainsi qu'un taux variable, emportait un risque d'amortissement négatif.

10. En statuant ainsi, après avoir relevé, d'une part, que le prêt litigieux comportait trois paliers d'échéances, dont les deux premiers n'étaient pas progressifs mais dégressifs et ne permettaient pas de couvrir la totalité du montant mensuel des intérêts générés par le capital emprunté, d'autre part, que la part d'intérêts non réglée durant les quarante et un premiers mois faisait l'objet d'un report avec une capitalisation mensuelle et un cumul, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande de déchéance du prêteur de son droit aux intérêts formée par M. et Mme [W], l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Avel - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 19 novembre 2009, pourvoi n° 08-13.601, Bull. 2009, I, n° 232 (rejet).

1re Civ., 25 mai 2022, n° 21-14.713, (B), FRH

Rejet

Prêt d'argent – Terme – Déchéance – Déchéance prononcée en raison de la communication par les emprunteurs de renseignements inexacts au moment de la souscription du prêt – Incident de paiement caractérisé – Effet

Après avoir relevé qu'à la suite de la déchéance du terme prononcée en raison de la communication par les emprunteurs de renseignements inexacts au moment de la souscription du prêt, ceux-ci étaient redevables du solde du prêt devenu intégralement exigible et n'avaient pas payé cette somme, c'est à bon droit qu'une cour d'appel en déduit que ce prêt a fait l'objet d'un incident de paiement caractérisé au sens de l'article 4 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, justifiant son refus de procéder à la mainlevée de l'inscription des emprunteurs à ce fichier.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 10 décembre 2020), suivant acte authentique du 6 novembre 2014, la CIC lyonnaise de banque (la banque) a consenti à M. [C] et Mme [B] (les emprunteurs) un prêt destiné à l'acquisition d'un bien immobilier.

Les conditions générales du contrat prévoyaient à l'article 17 une exigibilité du prêt par anticipation en cas de fourniture de renseignements inexacts par l'emprunteur sur des éléments essentiels ayant déterminé l'accord de la banque ou de nature à compromettre le remboursement du prêt.

2. Le 21 juin 2016, soutenant que les emprunteurs avaient communiqué des renseignements mensongers au moment de la souscription du prêt, la banque s'est prévalue de l'article 17 pour prononcer la déchéance du terme et, le 30 juin 2016, elle a informé les emprunteurs d'un signalement auprès du fichier des incidents des crédits aux particuliers de la Banque de France (FICP).

3. Le 26 avril 2018, elle a délivré un commandement de payer le solde du prêt aux emprunteurs qui l'ont assignée devant le juge de l'exécution en annulation du commandement et en mainlevée de l'inscription au FICP.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de rejeter leur demande de mainlevée de l'inscription au FICP, alors « que ne constitue pas un incident de paiement caractérisé, pour l'application de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursements de crédit aux particuliers, le défaut de paiement qui est provoqué par l'exigibilité de l'intégralité du montant du prêt, résultant du prononcé de la déchéance du terme par la banque quand cette déchéance du terme ne fait pas suite à un incident de paiement ; qu'en énonçant que l'inscription au FICP serait justifié par le fait qu'à raison de la déchéance du terme prononcée sur le fondement de prétendues déclarations inexactes lors de la souscription du prêt, les époux [C] sont redevables de la somme de 273 946,48 euros devenue intégralement exigible, la cour d'appel a violé l'article 4 de l'arrêté du 26 octobre 2010. »

Réponse de la Cour

6. Après avoir relevé qu'à la suite de la déchéance du terme prononcée en raison de la communication par les emprunteurs de renseignements inexacts au moment de la souscription du prêt, ceux-ci étaient redevables de la somme de 273 946,48 euros devenue intégralement exigible le 21 juin 2016 et n'avaient pas payé cette somme, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que ce prêt avait fait l'objet d'un incident de paiement caractérisé, justifiant son refus de procéder à la mainlevée de l'inscription des emprunteurs au FICP.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 4 de l'arrêté du 26 octobre 2010 relatif au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers.

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