Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

POUVOIRS DES JUGES

Soc., 11 mai 2022, n° 20-15.797, (B), FS

Rejet

Applications diverses – Contrat de travail – Convention collective – Avis de la commission paritaire – Avis reconnaissant un état de droit préexistant – Mise en oeuvre – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 19 mars 2020), M. [B] a été engagé le 17 septembre 2003 par la Société de production pharmaceutique et d'hygiène (SPPH), en qualité de presseur, puis promu aux fonctions de préparateur le 1er décembre 2003.

2. Le salarié a démissionné le 28 avril 2008.

3. Il a saisi la juridiction prud'homale, le 17 septembre 2008, afin d'obtenir notamment le paiement de rappels de salaire pour travail de nuit et au titre du temps de pause.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des rappels de salaire au titre du travail de nuit et de la demi-heure quotidienne de pause, outre congés payés afférents, alors :

« 1°/ que selon l'article 22,8°, e) de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique, applicable au salarié en travail posté, « lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée » ; que selon ce texte le droit conventionnel au paiement d'une pause payée d'une demi-heure est conditionné au travail du salarié posté pendant au moins six heures ininterrompues ; qu'il s'en induit, tel que soutenu par la société SPPH dans ses conclusions d'appel, que le salarié bénéficiant d'une pause avant que six heures de travail ne se sont écoulées ne travaille pas six heures ininterrompues et ne remplit pas les conditions requises pour bénéficier du droit au paiement de la pause conventionnelle d'une demi-heure ; qu'en retenant néanmoins que le droit au paiement de la pause supplémentaire conventionnelle d'une demi-heure n'était pas conditionné au travail pendant au moins six heures ininterrompues et à l'absence de prise de pause pendant cette durée de six heures, la cour d'appel a violé l'article 22,8°, e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;

2°/ que l'avenant modificatif d'une convention collective n'a pas de caractère rétroactif ; qu'aux termes de l'article 5.2 5° de la convention des collective de l'industrie pharmaceutique « lorsque la commission [paritaire permanente de négociation] donnera un avis à l'unanimité des organisations signataires représentées, le texte de cet avis, signé par ces organisations, aura la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et sera annexé à cette convention » ; que l'annexion à la convention collective de l'industrie pharmaceutique, en vertu de ce texte, d'un avis unanime de la commission paritaire permanente de négociation ayant une valeur d'avenant ne saurait avoir d'effet rétroactif ; que si par un avis unanime du 23 novembre 2017, étendu par arrêté du 27 mars 2019, la commission paritaire permanente de négociation de la Convention collective de l'industrie pharmaceutique a considéré que la demi-heure de repos payée prévue par l'article 22,8°, e) de la convention pouvait être accordée avant que six heures de travail ne se soient écoulées, cet avis -ayant la valeur d'un avenant modificatif ajoutant au droit préexistant- n'avait pas d'effet rétroactif ; qu'en considérant néanmoins qu'elle était liée par cet avis de la commission paritaire -dont elle a considéré les règles ; « applicables en l'espèce« - pour en déduire que le salarié avait droit au paiement de la pause d'une demi-heure prévue par l'article 22,8°, e) de la Convention collective en dépit de son absence de travail ininterrompu pendant au moins six heures, alors que cet avis non rétroactif de la commission paritaire ayant la valeur d'avenant modificatif n'était pas applicable au litige qui est antérieur au mois d'avril 2008, la cour d'appel a violé les articles 5.2 5° et 22,8°, e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique ;

3°/ subsidiairement, qu'en cas de concours de conventions ou d'accords collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, les plus favorables d'entre eux pouvant seuls être accordés ; que par un accord d'entreprise du 28 avril 2000 la société SPPH a institué une prime d'équipe visant à compenser le travail posté des salariés pendant six heures, sans conditionner pour sa part ce droit à l'ininterruption du travail pendant cette durée ; que cette prime d'équipe accordée aux salariés de la société SPPH a la même cause et le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévu par l'article 22,8°, e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique en cas de travail posté ininterrompu ; qu'en décidant néanmoins que la prime d'équipe prévue par l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 n'avait pas le même objet que le paiement de la demi-heure de pause prévue par la convention collective et que ces deux avantages conventionnels pouvaient en conséquence se cumuler, la cour d'appel a violé les articles 3 et 4 de l'accord d'entreprise du 28 avril 2000 et l'article 22,8°, e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique, ensemble le principe de faveur. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, l'avis d'une commission d'interprétation instituée par un accord collectif ne s'impose au juge que si l'accord lui donne la valeur d'un avenant.

6. Ensuite, un avenant ne peut être considéré comme interprétatif qu'autant qu'il se borne à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse.

7. Selon l'article 22,8°,e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, qui se rapporte aux majorations de salaire dues à l'organisation et à la durée du temps de travail, on appelle travail par poste l'organisation dans laquelle un salarié effectue son travail journalier d'une seule traite. Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée.

8. Après avoir relevé qu'était en litige l'application de l'article 22, 8°,e) de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, la cour d'appel a constaté que, par un avis rendu le 23 novembre 2017, sur le moment de la pause payée telle que prévue à l'article précité, la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation, instituée par l'article 5 de la convention collective, avait décidé, à l'unanimité des organisations syndicales représentées, que « Lorsque les salariés travaillent de façon ininterrompue dans un poste en travail d'une durée supérieure à six heures, il leur sera attribué une demi-heure de repos payée. Cette demi-heure de repos peut-être accordée avant que les six heures de travail se soient écoulées ou à la suite immédiate de ces six heures. », que cet avis aurait la même valeur contractuelle que les clauses de la convention collective et qu'il serait annexé à cette convention. Elle a constaté que cet avis avait été étendu par arrêté du 27 mars 2019.

9. Cet avis d'interprétation ayant la valeur d'un avenant et se bornant à reconnaître, sans rien innover, un état de droit préexistant qu'une définition imparfaite avait rendu susceptible de controverse, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'il était applicable aux demandes du salarié. Elle en a exactement déduit que le fait que la pause de trente minutes, accordée au salarié, n'ait pas été placée à la suite de la période de travail de six heures était sans incidence sur son droit à la rémunération de son temps de pause.

10. Enfin, en cas de concours d'instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé.

11. Ayant, d'une part, relevé que l'accord d'entreprise de mise en oeuvre de la loi Aubry sur la réduction, l'organisation et l'aménagement du temps de travail, du 28 avril 2000, n'envisageait pas expressément la rémunération du temps de repos des salariés travaillant en équipe et, d'autre part, retenu que la prime d'équipe, stipulée à l'article 4 de cet accord d'entreprise, qui était fixée uniformément à une certaine somme pour tous les membres de l'équipe, quels que soient leur emploi et leur coefficient de rémunération respectifs, était une contrepartie accordée aux salariés pour le passage en travail en équipes alternatives, la cour d'appel a pu en déduire que cet avantage avait un objet distinct de la rémunération de la demi-heure de repos prévue par l'article 22, 8°,e) de la convention collective de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956 et que ces deux avantages conventionnels pouvaient se cumuler.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Thomas-Davost - Avocat général : Mme Wurtz - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique du 6 avril 1956, article 22, 8°, e).

Rapprochement(s) :

Sur l'opposabilité d'un avenant interprétatif d'un accord collectif, à rapprocher : Soc., 4 février 2015, pourvoi n° 14-13.649, Bull. 2015, V, n° 22 (cassation partielle), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.