Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

IMPOTS ET TAXES

Com., 18 mai 2022, n° 20-21.852, n° 20-21.888, (B), FRH

Cassation

Contributions directes et taxes assimilées – Impôt sur les sociétés – Fait générateur – Clôture de l'exercice comptable – Cas

Contributions directes et taxes assimilées – Impôt sur les sociétés – Intégration fiscale – Personne redevable de l'impôt – Détermination – Société mère

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-21.852 et 20-21.888 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Hexagona a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 12 juillet 2017, les sociétés BCM et associés et MJA étant désignées respectivement administrateur et mandataire judiciaires. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 3 juillet 2018, la société BCM et associés étant désignée commissaire à l'exécution du plan.

3. Le 21 décembre 2017, le juge-commissaire a autorisé la transmission universelle à la société Hexagona du patrimoine de la société FFSG, sa filiale à 100 %.

La somme correspondant à l'impôt sur les sociétés estimé dû par la société FFSG (2 255 095 euros) a été consignée entre les mains de l'administrateur, devenu commissaire à l'exécution du plan.

4. Le 28 mai 2018 l'administration fiscale, après avoir établi une situation au 31 décembre 2017, a émis un avis de mise en recouvrement et adressé à la société Hexagona une mise en demeure de payer le montant en résultant, que la société Hexagona a contesté.

5. Par requête du 22 novembre 2018, cette dernière a saisi le juge commissaire d'une demande aux fins de voir déclarée la créance fiscale non éligible aux dispositions de l'article L. 622-17, II, du code de commerce et de solliciter l'autorisation pour le commissaire à l'exécution du plan de se libérer à son profit de la consignation. Devant la cour d'appel, le comptable public a demandé l'inscription de la créance sur la liste des créances postérieures privilégiées.

Examen du moyen du pourvoi n° 20-21.852, formé par le comptable public

Enoncé du moyen

6. Le comptable public fait grief à l'arrêt de dire que la créance postérieure du service d'imposition des entreprises n'est pas éligible au traitement préférentiel privilégié et de le débouter de sa demande d'inscription de cette somme sur la liste des créances postérieures privilégiées, alors « que l'impôt sur les sociétés en cause était une créance d'origine légale, et qu'elle était postérieure, car née régulièrement lors de la clôture de l'exercice comptable, après le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Hexagona ; qu'il était dès lors exclu qu'on puisse considérer que cet impôt ne constituait pas, en ce qui concerne cette société, la contrepartie d'une prestation fournie et n'était pas née pour les besoins de la procédure ou encore qu'elle ne serait une créance utile qu'à l'égard de la société absorbée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-17, I, du code de commerce, 38 et 223-A du code général des impôts :

7. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes que, lorsque la clôture de l'exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le paiement de l'impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l'activité poursuivie après le jugement d'ouverture donnant naissance à une créance éligible aux dispositions du premier texte. Il résulte du dernier texte que, par l'intégration fiscale dans les conditions qu'il détermine, la société mère se constitue seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe.

8. Pour dire que la créance fiscale ne bénéficie pas du traitement privilégié, l'arrêt, après avoir constaté que la société FFSG était une filiale fiscalement intégrée à la société mère Hexagona, retient que, si en application de l'article 223-A du code général des impôts, c'est sur cette société que l'administration fiscale détient une créance d'impôt, cette dernière, née à la clôture de l'exercice fiscal à raison du résultat bénéficiaire, résulte exclusivement du produit de la cession réalisée par la filiale le 26 janvier 2017. Il en déduit que la créance fiscale n'est pas née en contrepartie d'une prestation fournie par la société débitrice ni pour les besoins du déroulement de sa procédure.

9. En statuant ainsi tout en constatant que la société filiale était, pendant toute l'année 2017, intégrée fiscalement à la société mère Hexagona, cette dernière étant débitrice de l'impôt sur les sociétés, calculé en tenant compte du résultat de la filiale, et que la clôture de l'exercice de la société Hexagona était postérieure à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi n° 20-21.888, formé par la société Hexagona, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 622-17, I, du code de commerce ; articles 38 et 223-A du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère privilégié des créances fiscales, à rapprocher : Com., 22 février 2017, pourvoi n° 15-17.166, Bull. 2017, IV, n° 28 (rejet).

Com., 25 mai 2022, n° 19-25.513, (B), FRH

Cassation sans renvoi

Enregistrement – Droits de mutation – Mutation à titre gratuit – Exonération – Parts ou actions d'une société holding – Conditions – Conservation de la fonction d'animation de groupe jusqu'à l'expiration du délai légal (non)

Selon l'article 787-B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs sont, à condition qu'elles aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, et d'un engagement individuel de conservation pendant une durée de quatre ans à compter de l'expiration de l'engagement collectif, exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur.

Est assimilée à une telle société la société holding qui a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, le caractère principal de son activité d'animation de groupe s'appréciant au jour du fait générateur de l'imposition.

Viole ces dispositions, en ajoutant à la loi une condition qu'elle ne prévoit pas, la cour d'appel qui énonce que, s'agissant de la transmission des parts d'une société holding, le bénéfice de l'avantage fiscal est subordonné à la conservation, par cette société, de sa fonction d'animation de groupe jusqu'à l'expiration du délai légal de conservation des parts.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à Mme [R] [Y] de ce qu'elle reprend l'instance, en qualité d'héritière de [E] [X], décédée le [Date décès 4] 2020.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 octobre 2019), à la suite du décès de [J] [X], survenu le [Date décès 1] 2010, sa fille, [E] [X], a déposé une déclaration de succession dans laquelle elle a revendiqué, s'agissant des parts de la société [X] entreprises, qu'elle a qualifiée de holding animatrice de groupe, le bénéfice de l'exonération partielle des droits de succession à hauteur de 75 % de la valeur de ces parts, prévue à l'article 787 B du code général des impôts, en prenant l'engagement de les conserver pendant une durée de quatre ans à compter de leur transmission.

3. L'administration fiscale, remettant en cause cette exonération partielle au motif que, dès le 3 décembre 2010, la société [X] entreprises avait cédé ses participations dans certaines de ses filiales et que l'activité de la holding était devenue purement financière, a notifié à [E] [X] une proposition de rectification le 30 septembre 2013.

4. Après rejet de sa réclamation contentieuse, [E] [X] a assigné l'administration fiscale en décharge des rappels d'imposition réclamés.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme [Y] fait grief à l'arrêt de rejeter les demandes de [E] [X] tendant à la décharge des droits de succession et des intérêts de retard mis en recouvrement à son encontre et au remboursement des sommes versées, soit 1 666 488 euros, alors « que la condition tenant à ce qu'une société holding anime son groupe de sociétés, à laquelle est subordonné le bénéfice de l'exonération partielle de droits de mutation prévue par l'article 787 B du code général des impôts en cas de transmission de ses parts à titre gratuit, ne doit être remplie qu'à la date de cette transmission et non postérieurement ; qu'en considérant que [E] [X] ne pouvait bénéficier de cette exonération partielle, du fait que la société holding [X] entreprises, dont une partie des parts lui avait été transmise, aurait perdu, postérieurement à cette transmission, la qualité d'animatrice du groupe de sociétés dans lesquelles elle détenait des participations et qui était la sienne à la date de cette transmission, la cour d'appel a violé l'article 787 B du code général des impôts et l'instruction fiscale du 18 juillet 2001 publiée au bulletin officiel des impôts sous la référence 7 G-6-01. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 787 B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 :

6. Selon ce texte, les parts ou les actions d'une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès ou entre vifs sont, à condition qu'elles aient fait l'objet d'un engagement collectif de conservation présentant certaines caractéristiques, et d'un engagement individuel de conservation pendant une durée de quatre ans à compter de l'expiration de l'engagement collectif, exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur.

7. Est assimilée à une telle société la société holding qui, outre la gestion d'un portefeuille de participations, a pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de son groupe et au contrôle de ses filiales exerçant une activité commerciale, industrielle, artisanale, agricole ou libérale et, le cas échéant et à titre purement interne, la fourniture à ces filiales de services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers, le caractère principal de son activité d'animation de groupe devant être retenu notamment lorsque la valeur vénale, au jour du fait générateur de l'imposition, des titres de ces filiales détenus par la société holding représente plus de la moitié de son actif total.

8. Pour dire fondée la remise en cause, par l'administration fiscale, de l'exonération partielle de droits de succession à laquelle prétendait [E] [X], l'arrêt, après avoir relevé qu'il n'était pas contesté que la société [X] entreprises était, au jour du décès de [J] [X], une holding animatrice d'un groupe de sociétés dont elle assurait le pilotage, et déduit que les héritiers de [J] [X] pouvaient utilement revendiquer le bénéfice des dispositions de l'article 787 B du code général des impôts, énonce cependant que, s'agissant d'une société holding, le bénéfice de l'avantage fiscal accordé par ce texte ne peut se concevoir, au regard de l'objectif fixé par le législateur, et, sauf à vider la loi de sa substance, que si ladite société conserve, pendant la durée exigée, sa fonction d'animation d'un groupe formé de filiales, lesquelles doivent, sauf circonstances indépendantes de leur volonté, comme c'est le cas, par exemple, dans l'hypothèse d'une procédure collective, conserver une activité économique. Il énonce ensuite que rien n'impose que le périmètre de ce groupe demeure immuable et qu'un changement d'activité économique peut être envisagé, sous réserve que la holding conserve, à l'égard de ses nouvelles filiales, son rôle d'animation.

9. Il en déduit que l'administration fiscale est fondée à soutenir que la perte, par la société [X] entreprises, de sa fonction d'animatrice de groupe avant l'expiration du délai légal de conservation des parts rend la transmission de ces parts inéligible à l'exonération partielle, faute de satisfaire aux conditions légales.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

13. Il résulte des constatations des juges du fond que la société [X] entreprises était, au jour du décès de [J] [X], une société holding animatrice d'un groupe de sociétés, que [E] [X] a conservé les titres de cette société pendant la période de son engagement, soit quatre années, et que les dirigeants, MM. [I] et [P] [X], sont demeurés à la tête de cette société pendant la durée requise de trois ans, de sorte que [E] [X] remplissait les conditions pour bénéficier de l'exonération partielle de droits de succession, prévue à l'article 787 B du code général des impôts, sur la valeur des parts de la société [X] entreprises dont elle a hérité.

14. Il convient, dès lors, d'annuler la décision de rejet de la réclamation de [E] [X] et de prononcer la décharge des rappels de droits d'enregistrement mis en recouvrement.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la décision rejetant la réclamation de [E] [X] ;

Prononce la décharge des rappels de droits d'enregistrement mis en recouvrement.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lion - Avocat(s) : SCP Lesourd ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 787-B du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère principal de l'activité d'animation d'une société holding, à rapprocher : Com., 14 octobre 2020, pourvoi n° 18-17.955, Bull., (cassation).

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