Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 18 mai 2022, n° 20-22.164, (B), FS

Rejet

Liquidation judiciaire – Contrat en cours – Bail commercial – Résiliation à l'initiative du bailleur – Causes postérieures au jugement d'ouverture – Défaut de paiement des loyers – Action devant le juge-commissaire en constatation de la résiliation de plein droit du bail – Pouvoirs du juge-commissaire – Octroi de délais de paiement (non)

Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l'article L.641-12, 3°, du code de commerce, d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d'un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l'article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. Dans un tel cas, le juge-commissaire doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions en sont réunies et ne peut accorder les délais de paiement prévus par l'alinéa 2 de ce dernier texte, qui est inapplicable, ni même faire usage de la faculté d'accorder des délais de paiement en application de l'article 1343-5 du code civil, le seul délai opposable au bailleur étant le délai de trois mois prévu par l'article R. 641-21 du code de commerce, pendant lequel il ne peut agir.

Par conséquent, une cour d'appel a exactement retenu qu'il n'entrait pas dans les pouvoirs du juge-commissaire, saisi sur le fondement de l'article R. 641-21, alinéa 2, du code de commerce, d'accorder des délais de paiement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 septembre 2020) rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 9 octobre 2019, pourvoi n° 18-17.563), en 2005, la SCI des Bains (la SCI) a donné en location à la société Carla des locaux destinés à l'exercice de son activité commerciale.

La société Carla a été mise en liquidation judiciaire le 17 novembre 2016, la société [L] - Yang-Ting étant désignée liquidateur.

Par une ordonnance du 8 mars 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession du fonds de commerce de la société Carla.

2. Par une requête du 21 mars 2017, la SCI a demandé au juge-commissaire de constater la résiliation du bail pour défaut de paiement des loyers dus postérieurement à l'ouverture de la liquidation judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Et sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La société [L] - Yang-Ting, ès qualités, fait grief à l'arrêt, infirmant le jugement, de déclarer la SCI recevable en son recours à l'encontre de l'ordonnance rendue par le juge-commissaire le 16 juin 2017, de déclarer la SCI recevable en sa requête tendant à faire constater la résiliation du bail conclu entre elle-même et la société Carla, de constater la résiliation de plein droit de ce bail au 21 mars 2017, et de dire n'y avoir lieu de statuer sur les autres prétentions, alors « que le juge-commissaire, saisi d'une demande de résiliation judiciaire de plein droit du bail commercial, a le pouvoir d'ordonner des délais de paiement ; qu'en retenant l'inverse, la cour d'appel a méconnu ses pouvoirs, en violation des articles 1343-5 du code civil et R. 641-21 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l'article L. 641-12, 3°, du code de commerce, d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail d'un immeuble utilisé pour l'activité de l'entreprise, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l'article L. 145-41 du code de commerce, à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. Dans un tel cas, le juge-commissaire doit se borner à constater la résiliation du bail si les conditions en sont réunies et ne peut accorder les délais de paiement prévus par l'alinéa 2 de ce dernier texte, qui est inapplicable, ni même faire usage de la faculté d'accorder des délais de paiement en application de l'article 1343-5 du code civil, le seul délai opposable au bailleur étant le délai de trois mois prévu par l'article R. 641-21 du code de commerce, pendant lequel il ne peut agir.

6. L'arrêt retient exactement qu'il n'entre pas dans les pouvoirs du juge-commissaire, saisi sur le fondement de l'article R. 641-21, alinéa 2, du code de commerce, d'accorder des délais de paiement.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Articles L. 641-12, 3°, et R. 641-21 du code de commerce.

Com., 18 mai 2022, n° 20-22.768, (B), FRH

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Créanciers – Insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur – Applications diverses – Divorce – Attribution de la jouissance exclusive de la résidence au conjoint du débiteur – Portée – Fin de l'insaisissabilité

Il résulte de la combinaison des articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage. Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle.

Par conséquent, a violé ces textes la cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation, retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à l'épouse de l'entrepreneur est sans effet sur les droits de ce dernier sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 octobre 2020), M. [K], coiffeur, a été mis en redressement puis liquidation judiciaires les 23 juin 2016 et 23 juin 2017. M. [W], auquel a succédé la société [Y], a été désigné en qualité de liquidateur.

2. Par une ordonnance du 9 juillet 2019, le juge-commissaire a autorisé le liquidateur à procéder à la vente aux enchères publiques d'un bien immobilier appartenant au débiteur et à son épouse, Mme [X], dont cette dernière avait la jouissance exclusive depuis une ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 rendue au cours de la procédure de divorce des deux époux. Mme [X] a fait appel de l'ordonnance du juge-commissaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable en sa demande d'autorisation de faire procéder à la réalisation de la propriété de M. [K] et de Mme [X], son épouse, alors « qu'au cours de l'instance en divorce, les époux peuvent avoir des résidences séparées et que le logement familial dont la jouissance exclusive a été attribuée, par l'ordonnance de non-conciliation, à un époux, n'est plus la résidence principale de l'autre époux qui a été contraint de la quitter ; qu'en jugeant que la maison située [Adresse 2], qui avait été la résidence familiale depuis son acquisition par les époux en 2005, était la résidence principale de M. [K] au jour de l'ouverture de la procédure collective de ce dernier le 23 juin 2016 comme au jour où elle statuait sur l'autorisation de la vendre, alors qu'elle constatait qu'à la suite du dépôt par Mme [X] d'une requête en divorce, la jouissance exclusive de cette maison avait été attribuée à Mme [X] par ordonnance de non-conciliation du 19 juillet 2010 qui avait statué sur la résidence séparée des époux et que M. [K] avait été contraint de la quitter en exécution de cette décision, de sorte que, depuis le 19 juillet 2010, la maison de [Adresse 5] ne constituait plus la résidence principale de M. [K] mais exclusivement celle de Mme [X], la cour d'appel a violé l'article L. 526-1 du code de commerce, ensemble les articles 180-1 (lire 108-1) et 255 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 526-1 du code de commerce et 255, 3° et 4°, du code civil :

4. Il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque, au cours de la procédure de divorce de deux époux dont l'un exerce une activité indépendante, le juge aux affaires familiales a ordonné leur résidence séparée et attribué au conjoint de l'entrepreneur la jouissance du logement familial, la résidence principale de l'entrepreneur, à l'égard duquel a été ouverte postérieurement une procédure collective, n'est plus située dans l'immeuble appartenant aux deux époux dans lequel se trouvait le logement du ménage.

Les droits qu'il détient sur ce bien ne sont donc plus de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de son activité professionnelle.

5. Pour déclarer la demande du liquidateur tendant à la réalisation de l'immeuble au titre des opérations de liquidation irrecevable, l'arrêt retient que la décision judiciaire attribuant la jouissance exclusive de la résidence de la famille à Mme [X] est sans effet sur les droits de M. [K] sur le bien et sur son insaisissabilité légale.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déboute M. [K] de sa demande de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 15 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon, autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article L. 526-1 du code de commerce ; article 255, 3° et 4°, du code civil.

Com., 18 mai 2022, n° 20-21.852, n° 20-21.888, (B), FRH

Cassation

Sauvegarde – Période d'observation – Poursuite de l'activité – Régime de faveur des créances nées après le jugement d'ouverture – Conditions – Naissance pour les besoins de la procédure – Applications diverses – Impôt sur les sociétés

Il résulte de la combinaison des articles L.622-17, I, du code de commerce et 38 du code général des impôts que, lorsque la clôture de l'exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le paiement de l'impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l'activité poursuivie après le jugement d'ouverture donnant naissance à une créance éligible aux dispositions du premier texte. Il résulte de l'article 223-A du code général des impôts que, par l'intégration fiscale dans les conditions qu'il détermine, la société mère se constitue seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-21.852 et 20-21.888 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 février 2020), la société Hexagona a bénéficié d'une procédure de sauvegarde le 12 juillet 2017, les sociétés BCM et associés et MJA étant désignées respectivement administrateur et mandataire judiciaires. Un plan de sauvegarde a été arrêté le 3 juillet 2018, la société BCM et associés étant désignée commissaire à l'exécution du plan.

3. Le 21 décembre 2017, le juge-commissaire a autorisé la transmission universelle à la société Hexagona du patrimoine de la société FFSG, sa filiale à 100 %.

La somme correspondant à l'impôt sur les sociétés estimé dû par la société FFSG (2 255 095 euros) a été consignée entre les mains de l'administrateur, devenu commissaire à l'exécution du plan.

4. Le 28 mai 2018 l'administration fiscale, après avoir établi une situation au 31 décembre 2017, a émis un avis de mise en recouvrement et adressé à la société Hexagona une mise en demeure de payer le montant en résultant, que la société Hexagona a contesté.

5. Par requête du 22 novembre 2018, cette dernière a saisi le juge commissaire d'une demande aux fins de voir déclarée la créance fiscale non éligible aux dispositions de l'article L. 622-17, II, du code de commerce et de solliciter l'autorisation pour le commissaire à l'exécution du plan de se libérer à son profit de la consignation. Devant la cour d'appel, le comptable public a demandé l'inscription de la créance sur la liste des créances postérieures privilégiées.

Examen du moyen du pourvoi n° 20-21.852, formé par le comptable public

Enoncé du moyen

6. Le comptable public fait grief à l'arrêt de dire que la créance postérieure du service d'imposition des entreprises n'est pas éligible au traitement préférentiel privilégié et de le débouter de sa demande d'inscription de cette somme sur la liste des créances postérieures privilégiées, alors « que l'impôt sur les sociétés en cause était une créance d'origine légale, et qu'elle était postérieure, car née régulièrement lors de la clôture de l'exercice comptable, après le jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Hexagona ; qu'il était dès lors exclu qu'on puisse considérer que cet impôt ne constituait pas, en ce qui concerne cette société, la contrepartie d'une prestation fournie et n'était pas née pour les besoins de la procédure ou encore qu'elle ne serait une créance utile qu'à l'égard de la société absorbée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article L. 622-17 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 622-17, I, du code de commerce, 38 et 223-A du code général des impôts :

7. Il résulte de la combinaison des deux premiers textes que, lorsque la clôture de l'exercice fiscal, qui, seule permet de déterminer le bénéfice net imposable, est postérieure au jugement d'ouverture de la procédure collective, le paiement de l'impôt sur les sociétés constitue pour les entreprises qui y sont assujetties une obligation légale inhérente à l'activité poursuivie après le jugement d'ouverture donnant naissance à une créance éligible aux dispositions du premier texte. Il résulte du dernier texte que, par l'intégration fiscale dans les conditions qu'il détermine, la société mère se constitue seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe.

8. Pour dire que la créance fiscale ne bénéficie pas du traitement privilégié, l'arrêt, après avoir constaté que la société FFSG était une filiale fiscalement intégrée à la société mère Hexagona, retient que, si en application de l'article 223-A du code général des impôts, c'est sur cette société que l'administration fiscale détient une créance d'impôt, cette dernière, née à la clôture de l'exercice fiscal à raison du résultat bénéficiaire, résulte exclusivement du produit de la cession réalisée par la filiale le 26 janvier 2017. Il en déduit que la créance fiscale n'est pas née en contrepartie d'une prestation fournie par la société débitrice ni pour les besoins du déroulement de sa procédure.

9. En statuant ainsi tout en constatant que la société filiale était, pendant toute l'année 2017, intégrée fiscalement à la société mère Hexagona, cette dernière étant débitrice de l'impôt sur les sociétés, calculé en tenant compte du résultat de la filiale, et que la clôture de l'exercice de la société Hexagona était postérieure à l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi n° 20-21.888, formé par la société Hexagona, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 622-17, I, du code de commerce ; articles 38 et 223-A du code général des impôts.

Rapprochement(s) :

Sur le caractère privilégié des créances fiscales, à rapprocher : Com., 22 février 2017, pourvoi n° 15-17.166, Bull. 2017, IV, n° 28 (rejet).

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