Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

DROIT MARITIME

Com., 18 mai 2022, n° 18-23.222, (B), FRH

Cassation partielle

Abordage – Responsabilité – Abordage sans heurt – Conditions

Ayant constaté que la destruction partielle d'un navire était survenue plus de deux heures après le transbordement de la cargaison dangereuse, dont l'explosion avait été provoquée par une étincelle à bord de ce navire alors que celui-ci faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers son port de destination, et relevé que la cargaison provenant d'un autre navire ne pouvait être considérée comme étant devenue partie intégrante de ce dernier, une cour d'appel a pu en déduire que l'accident n'avait pas été causé par ce navire et a exactement retenu qu'aucun abordage n'était survenu entre les deux navires.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 14 juin 2018, rectifié le 9 juillet 2020), le 18 juin 2005 en [Adresse 13], dans le golfe du Mexique, le navire ravitailleur Don Rodrigo, propriété de la société de droit mexicain Perforadora Central SA de CV (la société Perforadora), qui en était aussi l'armateur, a été détruit partiellement à la suite d'une explosion survenue alors qu'il faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers le port mexicain de [Localité 16], deux heures après la fin de l'embarquement, dans ses cuves, de déchets de lavage de la tête d'un puits de pétrole appartenant à la société mexicaine d'Etat Pemex Exploracion y Produccion (la société Pemex), déchets pompés à bord par le navire Bourbon Opale auprès duquel il s'était amarré à couple.

2. Estimant engagée la responsabilité du navire Bourbon Opale dans ce sinistre, la société Perforadora et ses assureurs, les sociétés International Insurance Company Hannover, Commonwealth Insurance, Mutual Marine office, XL Speciality Insurance, American Offshore, Lloyds Wel 2020, Lloyds HIS 33, Lloyds KLN 510, Lloyds AUW 609, Lloyds XL 1209, Lloyds RTH 1414, Lloyds AES 1225, Lloyds MAP 2791 (les assureurs) ont assigné la société de droit mexicain Maritima de Ecologia (Maresca) (la société Maresca), affréteur du navire Bourbon Opale ainsi que la société de droit norvégien Bourbon Ships AS, propriétaire du navire Bourbon Opale, la société de droit norvégien Bourbon Offshore Norway, « gérant » du navire, et la société [Adresse 14], société mère, (les sociétés Bourbon) aux fins d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice.

Les sociétés NY General & Marine Insurance New Jersey et Prosight Speciality Management Company New Jersey sont intervenues volontairement devant la cour d'appel.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen et sur les premier et troisième moyens, pris en leurs cinquième et sixième branches, rédigés en termes identiques, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur les premier et troisième moyens, pris en leur première branche, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

4. La société Perforadora et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon et la société Maresca, alors « que constitue un abordage dit « sans heurt » au sens des articles 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 et L. 5131-7 du code des transports, entraînant la responsabilité du navire concerné, le dommage causé par le transbordement de la cargaison de ce navire vers un autre navire, après une opération de mise à couple des deux navires ; que la cour d'appel, en se bornant à statuer par un motif inopérant relatif à l'intégration de la cargaison au premier navire et à affirmer que l'abordage implique à tout le moins le fait d'un navire, a violé les textes précités. »

Réponse de la Cour

5. Ayant constaté que la destruction partielle du navire Don Rodrigo était survenue plus de deux heures après le transbordement de la cargaison dangereuse, dont l'explosion avait été provoquée par une étincelle à bord du navire alors que celui-ci faisait route depuis une heure et vingt-cinq minutes vers le port de [Localité 16], et relevé que la cargaison provenant du navire Bourbon Opale ne pouvait être considérée comme étant devenue partie intégrante de ce dernier, la cour d'appel a pu en déduire que l'accident n'avait pas été causé par le navire Bourbon Opale et a exactement retenu qu'aucun abordage n'était survenu entre les deux navires.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur les premier et troisième moyens, pris en leur troisième branche, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

7. La société Perforadora et ses assureurs font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'indemnités dirigées contre les sociétés Bourbon et la société Maresca, alors « qu'il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger ; que la cour d'appel, se référant à la législation mexicaine (normes mexicaines CRETIB) sans en préciser le contenu, a jugé qu'il ne pouvait être reproché au Bourbon Opale de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage IMDG du produit transporté ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, au besoin d'office, la teneur de la législation mexicaine, à laquelle se référaient au demeurant les appelantes en visant une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux qui imposait le respect d'un marquage, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 3 du code civil :

8. En application de ce texte, il incombe au juge français qui reconnaît applicable un droit étranger, d'en rechercher la teneur, soit d'office, soit à la demande d'une partie qui l'invoque, avec le concours des parties et personnellement s'il y a lieu, et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

9. Pour rejeter la demande d'indemnisation de la société Perforadora et de ses assureurs contre la société Bourbon Offshore sur le fondement de la responsabilité délictuelle, l'arrêt, après avoir retenu que le code IMDG (International Maritime Dangerous Goods Code) auquel renvoie le chapitre VII de la Convention SOLAS était inapplicable à la cause, en déduit qu'il ne peut être fait grief à la société Maresca et aux sociétés Bourbon de ne pas avoir renseigné la case pour le marquage de la classe IMDG du produit transporté « et ainsi de ne pas s'être conformées à la législation mexicaine (norme mexicaine CRETIB). »

10. En statuant ainsi, alors que la société Perforadora et ses assureurs invoquaient spécialement une loi mexicaine du 31 mars 1998 relative au document de déchargement pour les substances, matières et déchets dangereux imposant le respect d'un marquage, la cour d'appel, qui se réfère elle aussi au droit mexicain, mais déduit que l'absence de marquage lui était conforme du seul fait que le code IMDG ne l'imposait pas, sans rechercher la teneur exacte du droit mexicain lui-même pour vérifier qu'il n'était pas plus exigeant que les normes IMDG, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Perforadora et ses assureurs de ses demandes à l'encontre de la société Bourbon Offshore sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rectifié rendu le 14 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Constate l'annulation, par voie de conséquence, de l'arrêt rectificatif ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Kass-Danno - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 13 de la Convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 ; article L. 5131-7 du code des transports.

Rapprochement(s) :

Sur l'interprétation de la notion d'abordage sans heurt, à rapprocher : Com., 7 avril 1987, pourvoi n° 84-17.103, Bull. 1987, IV, n° 87 (rejet).

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