Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

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Numéro 5 - Mai 2022

CONTRATS ET OBLIGATIONS CONVENTIONNELLES

Com., 11 mai 2022, n° 19-22.015, (B), FRH

Cassation partielle

Nullité – Clause nulle – Clause imposant une durée illimitée aux obligations des parties – Applications diverses – Contrat évolutif de matériels informatiques – Privation d'une caractéristique substantielle du contrat

Il résulte de l'article 1709 du code civil que le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.

Prive sa décision de base légale la cour d'appel qui écarte le vice de perpétuité affectant un contrat évolutif de location de matériels informatiques sans rechercher si les stipulations de ce contrat relatives à la modification des matériels loués n'étaient pas de nature à priver le preneur de la possibilité d'adapter son matériel aux besoins de son exploitation, et donc d'une caractéristique substantielle du contrat, sauf à accepter la reconduction systématique du contrat, le soumettant ainsi à une obligation infinie.

Durée – Tacite reconduction – Vice de perpétuité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 24 mai 2019), la société Bois & matériaux, qui a pour objet la distribution de bois et de matériaux de construction en France, a, le 1er janvier 2004, conclu pour elle et ses filiales un contrat de location d'équipements informatiques auprès de la société Econocom France (la société Econocom).

2. Ce contrat a été modifié le 7 octobre 2005, pour devenir un contrat de location qualifié d'« évolutif », et s'est matérialisé par l'acceptation d'une offre dite « option d'échange technologique » ou encore « TRO », acronyme de « Technology Refresh Option », s'insérant dans un ensemble contractuel comportant les conditions générales de location, les conditions applicables à l'option TRO et une annexe TRO définissant les conditions particulières de location et chiffrant les différentes variables, outre un contrat de gestion du TRO par équipement.

3. Cet ensemble a été renouvelé le 1er février 2007 et les parties se sont alors engagées, aux termes de l'annexe TRO en vigueur, pour une durée de location de 42 mois, au lieu de 36 mois précédemment. Cette annexe TRO a été remplacée par huit annexes TRO successives, à chaque modification du parc d'équipements informatiques, dont la dernière, datée du 1er août 2013, prévoyait une nouvelle durée de 42 mois expirant le 31 janvier 2017.

4. Par lettre du 27 décembre 2013, la société Econocom a signifié à la société Bois & matériaux la résiliation de l'option d'échange en cours sur le fondement de l'article 10 c) des conditions TRO pour risques avérés que le locataire ne puisse faire face à ses engagements financiers. Cette résiliation a eu pour effet de mettre fin à l'exercice de l'option d'échange prévue au contrat tandis que l'annexe TRO continuait à se poursuivre jusqu'à son terme au 31 janvier 2017.

5. La société Bois & matériaux a alors tenté de négocier la rupture anticipée de l'ensemble contractuel, ce que la société Econocom a refusé. C'est dans ces circonstances que la première a assigné la seconde en demandant que soit prononcée la nullité de l'annexe TRO du 1er août 2013 pour cause de perpétuité et d'illégalité de la fixation du prix des loyers, que soit constatée l'illicéité de certaines clauses de l'annexe TRO du 1er février 2007 ou des conditions générales de location du 1er janvier 2004 et qu'elles soient déclarées réputées non écrites sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 1° et 2° du code de commerce. Elle demandait encore que la société Econocom soit condamnée à lui restituer le montant des loyers indûment perçus à compter du 1er août 2013 et à lui payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts pour violation de son obligation de conseil.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

7. La société Bois & matériaux fait grief à l'arrêt de juger que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était entachée d'aucun vice de perpétuité, alors « qu'en se fondant, pour juger que le contrat n'était pas affecté d'un vice de perpétuité, sur la circonstance inopérante que le locataire pouvait y mettre un terme en ne faisant pas usage de l'option d'échange au cours de la totalité de la durée d'utilisation (article 5 de l'annexe TRO du 1er août 2013) ou en usant de la faculté de résiliation unilatérale de l'option d'échange moyennant le respect d'un préavis de 9 mois (article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007), ce qui, en raison de ce qu'il était ainsi exigé du locataire qu'il renonce, préalablement au terme du contrat, à une prestation essentielle de celui-ci, n'était pas de nature à permettre d'écarter l'existence d'un vice de perpétuité, la cour d'appel a violé l'article 1709 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1709 du code civil :

8. Il résulte de ce texte que le louage des choses est un contrat par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer.

9. Pour juger que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était entachée d'aucun vice de perpétuité, l'arrêt relève que la société Bois & matériaux a fait le choix d'un contrat de location évolutive avec une option d'échange, par laquelle elle disposait tous les 6 mois, d'une part, de la faculté d'échanger, dans certaines limites, une partie de ses équipements contre de nouveaux matériels, sans augmentation de loyer, d'autre part, de procéder à de nouveaux investissements, enfin, de restituer une partie des équipements sans procéder à leur remplacement, ceci moyennant le renouvellement du contrat pour une nouvelle période de 42 mois sur la totalité du matériel. Il relève que l'annexe TRO du 1er août 2013 est assortie d'un terme, l'article 5 stipulant que celle-ci prend fin à l'issue de la durée d'utilisation de 42 mois si le locataire ne fait pas usage des options d'échange, au cours de la totalité de la durée d'utilisation, et les dispositions de l'article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007 prévoyant que chaque partie peut résilier unilatéralement l'option d'échange en respectant une durée de préavis de 9 mois au moins avant l'arrivée du terme de la durée initiale de location. Il en déduit que contrairement à ce qu'elle soutient, la société Bois & matériaux n'est nullement contrainte à renoncer à toute modification de son installation informatique et à se priver de toute possibilité d'adapter celle-ci aux besoins qu'elle devait satisfaire.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si, s'agissant d'un contrat évolutif de location de matériels informatiques, dont chaque modification relative aux matériels loués avait pour effet de reconduire la durée du contrat pour une période de 42 mois, l'impossibilité de faire usage des options d'échange pendant la totalité de cette même durée, prévue par l'article 5 de l'annexe TRO du 1er août 2013, ou bien pendant la durée de préavis de 9 mois prévue par l'article 10.1 b) des conditions TRO du 1er février 2007, n'était pas de nature à priver la société Bois & matériaux de la possibilité d'adapter son matériel aux besoins de son exploitation et donc d'une caractéristique substantielle du contrat, sauf à accepter la reconduction systématique du contrat, la soumettant ainsi à une obligation infinie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile.

12. La cassation prononcée entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif statuant sur les demandes au titre du déséquilibre significatif dont l'appréciation pourrait être influencée par la décision que prendra la juridiction de renvoi sur les prétentions au titre de la constitution d'un engagement perpétuel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant partiellement le jugement entrepris, il le confirme en ce que celui-ci disait que l'annexe TRO du 1er août 2013 n'était pas entachée d'un vice de perpétuité, et en ce que, statuant à nouveau sur les autres chefs, il rejette les demandes de la société Bois & matériaux fondées sur les dispositions de l'article L. 442-6, I, 1° et 2° et L. 442-6, III, du code de commerce, ainsi qu'en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Debacq - Avocat(s) : Me Goldman ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article 1709 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le vice de perpétuité, à rapprocher : Com., 3 novembre 1992, pourvoi n° 90-17.632, Bull. 1992, IV, n° 339 (rejet).

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