Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

CONTRAT D'ENTREPRISE

3e Civ., 11 mai 2022, n° 21-12.291, (B), FS

Rejet

Maître de l'ouvrage – Société d'économie mixte – Action en résiliation – Motifs – Appréciation souveraine – Portée

Une cour d'appel, qui constate qu'une société d'aménagement d'économie mixte, maître de l'ouvrage, justifie, au soutien de la résiliation du marché de travaux pour un motif d'intérêt général, de la volonté de recherche d'économies, peut retenir, appréciant souverainement cet intérêt, que la contestation de l'existence d'un motif légitime n'est pas fondée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 17 décembre 2020), la société d'aménagement d'économie mixte Brest métropole aménagement (la société BMA) a confié à la société Les Compagnons paveurs (la société LCP), désormais en liquidation judiciaire, un marché de travaux de fourniture de pose de pierres naturelles, selon un acte d'engagement prévoyant une durée de réalisation des travaux de quarante mois, dont vingt-trois mois pour la tranche ferme et onze et six mois pour deux tranches conditionnelles.

2. L'ordre de service du démarrage de travaux de la tranche ferme a été notifié le 24 octobre 2011.

3. Les travaux n'ont pas été réalisés.

4. Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 4 novembre 2013, la société LCP a dénoncé la caducité du marché et adressé son décompte final au maître de l'ouvrage qui l'a refusé.

5. Par lettre du 29 novembre 2013, la société BMA a informé la société LCP de sa décision de résilier le marché pour un motif d'intérêt général et lui a notifié le montant de l'indemnité contractuelle due.

6. La société LCP a assigné la société BMA en paiement devant les juridictions administratives.

Par décision du 25 octobre 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a jugé que le litige ne relevait pas de la compétence de la juridiction administrative.

7. Soutenant que la résiliation notifiée par le maître de l'ouvrage était dépourvue de tout effet juridique, pour l'avoir été postérieurement à la date de caducité du marché de travaux, de sorte que la société BMA ne pouvait se prévaloir de la résiliation pour un motif d'intérêt général, la société LCP, représentée par la société Axyme, en sa qualité de liquidateur judiciaire, a assigné la société BMA en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

9. La société LCP et la société Axyme, ès qualités, font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que le juge judiciaire ne peut donner effet aux clauses exorbitantes du droit que comporte un marché de travaux, étrangères par nature à celles consenties par quiconque dans le cadre des lois civiles ou commerciales ; qu'en faisant application de l'article 46.4 du CCAG autorisant le maître d'ouvrage à résilier le marché « pour motif d'intérêt général », clause exorbitante du droit commun qu'elle devait écarter, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que suivant l'article 46.4 du CCAG (arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux), le marché peut être résilié « pour motif d'intérêt général » ; que, pour rejeter la contestation, par la société Les Compagnons paveurs, de l'existence d'un motif légitime de résiliation, la cour d'appel a énoncé que le maître d'ouvrage « justifie de la substitution d'un revêtement en béton aux pavés en pierre naturelle et de sa volonté de recherche d'économies » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser le motif d'intérêt général exigé par le CCAG, a violé la disposition susvisée, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. La société LCP et son liquidateur judiciaire s'étant bornés, dans leurs conclusions d'appel, à contester la justification du motif de résiliation tiré de l'intérêt général, sans soutenir que la clause autorisant le maître de l'ouvrage à résilier le contrat à un tel motif serait exorbitante du droit commun ni demander qu'elle fût réputée non écrite, le grief de la première branche, contraire à leurs écritures, est irrecevable.

11. La cour d'appel, qui a constaté que la société BMA justifiait, au soutien de la résiliation pour un motif d'intérêt général, de la volonté de recherche d'économies qui l'avait conduite à substituer aux pavés de pierre naturelle, prévus dans le marché de la société LCP, un revêtement en béton a, appréciant souverainement cet intérêt, pu retenir que l'entreprise était mal fondée à contester l'existence d'un motif légitime et, faisant application de la clause contractuelle d'indemnisation prévue en un tel cas, rejeter les demandes.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Boyer - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

3e Civ., 25 mai 2022, n° 21-15.883, (B), FS

Rejet

Responsabilité de l'entrepreneur – Perte de la chose – Article 1788 du code civil – Application – Conditions – Reconstruction complète de l'ouvrage – Nécessité (non)

Les dispositions de l'article 1788 du code civil ont vocation à s'appliquer même lorsqu'une reconstruction complète de l'ouvrage n'est pas nécessaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 février 2021), M. et Mme [X] ont confié la construction d'une maison à la société Demeures occitanes.

2. Ils ont souscrit un contrat d'assurance auprès de la société CIC assurances, aux droits de laquelle vient la société ACM IARD (la société ACM), pour couvrir, notamment, le risque tempête, grêle et neige avant l'achèvement de l'ouvrage.

3. La maison a été endommagée par une tempête de grêle avant sa réception.

4. La société CIC assurances a refusé de prendre en charge le coût des réparations, estimant que celui-ci incombait au constructeur en application de l'article 1788 du code civil.

5. La société Demeures occitanes a avancé le coût des réparations et en a demandé le remboursement à la société ACM.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Demeures occitanes fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes formées contre la société ACM, alors :

« 1°/ que lorsque l'ouvrage n'a pas péri, la charge des travaux de remise en état de la chose endommagée n'incombe pas à l'entreprise de travaux ; qu'en jugeant au cas présent que la Société Les Demeures Occitanes devait supporter la charge du sinistre survenu le 2 août 2013, cependant qu'il ressort de ses constatations que l'immeuble en construction n'a pas été totalement détruit, mais seulement une partie de la toiture, et les plafonds qui se sont effondrés, la cour a violé l'article 1788 du code civil ;

2°/ que lorsque l'ouvrage n'a pas péri, la charge des travaux de remise en état de la chose endommagée n'incombe pas à l'entreprise de travaux ; qu'en jugeant au cas présent que la Société Les Demeures Occitanes n'était pas fondée à réclamer à l'assureur le remboursement des travaux de réparation au titre d'un recours subrogatoire ou d'une répétition de l'indu dès lors qu'elle devait supporter la charge du sinistre survenu le 2 août 2013, cependant qu'il ressort de ses constatations qu'ont été effectués, non pas des travaux de reconstruction, mais des travaux de réparation, ce qui excluait que la chose ait été perdue, la cour a violé l'article 1788 du code civil par fausse application ;

3°/ qu'en jugeant au cas présent qu'« en application des dispositions de l'article 1788 du code civil, la SAS Demeures Occitanes doit supporter la charge du sinistre survenu le 2 août 2013 », sans répondre, ne serait-ce que pour l'écarter, au moyen opérant des conclusions d'appel de l'exposante selon lequel la construction ne s'était pas totalement effondrée mais était seulement endommagée, pour preuve le coût des travaux de reprise d'un montant de 12 074,51 euros, très inférieur au coût de travaux de reconstruction, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Les dispositions de l'article 1788 du code civil ont vocation à s'appliquer même lorsqu'une reconstruction complète de l'ouvrage n'est pas nécessaire.

8. Ayant constaté qu'avant la réception de l'ouvrage, un orage de grêle avait provoqué la destruction d'une partie de la toiture et l'effondrement des plafonds, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de répondre à des conclusions inopérantes quant à l'étendue de la perte de l'ouvrage, que le constructeur devait supporter le coût des travaux de réparation de la maison qu'il devait livrer.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

Textes visés :

Article 1788 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 16 septembre 2015, pourvoi n° 14-20.392, Bull. 2015, III, n° 80 (rejet).

3e Civ., 25 mai 2022, n° 21-18.098, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité de l'entrepreneur – Perte de la chose – Article 1788 du code civil – Application – Sinistre antérieure à la réception – Conditions – Restitution du prix des travaux non livrés – Cause de la destruction de l'ouvrage – Absence d'influence

Les fautes éventuellement commises par les constructeurs et qui ont pu être à l'origine de la destruction de l'ouvrage, n'empêchent pas le maître de l'ouvrage de réclamer aux entrepreneurs, sur le fondement de l'article 1788 du code civil, en dehors de toute recherche de responsabilité, la restitution du prix des travaux qu'ils ne sont pas en mesure de livrer.

Viole, dès lors, les articles 835 du code de procédure civile et 1788 du code civil, une cour d'appel qui rejette, comme prématurée, une demande de restitution, par provision, des acomptes versés aux constructeurs dont l'ouvrage a été détruit par incendie avant la réception, au motif que l'application ou non des dispositions de l'article 1788 du code civil est subordonnée au résultat des investigations de l'expert quant à la cause du sinistre, inconnue ou imputable à une entreprise.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [K] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés BMCTP et Allianz IARD.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 16 mars 2021), rendu en référé, Mme [K] a fait construire une maison d'habitation dont elle a confié le lot gros oeuvre à la société Dherbey Coux, assurée auprès de la société MMA IARD assurances mutuelles (la société MMA), le lot étanchéité à la société Eco Protect, assurée auprès de la société Generali IARD (la société Generali), et le lot ossature bois – façades bardage – étanchéité revêtement terrasse extérieure à la société Charpente contemporaine, assurée auprès de la SMABTP.

3. Un incendie s'est déclaré dans l'ouvrage en construction, avant sa réception.

4. Mme [K] a assigné les constructeurs et leurs assureurs en référé aux fins d'expertise et de provisions.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. Mme [K] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de provisions dirigées contre les sociétés Dherbey Coux, Eco Protect, Charpente contemporaine et leurs assureurs respectifs, à savoir les sociétés MMA, Generali et SMABTP, alors « que si la chose a péri avant d'avoir été livrée, l'entrepreneur est tenu de restituer les sommes perçues du maître d'ouvrage en exécution de sa prestation, peu important la cause de cette destruction et notamment le fait qu'il ait ou non commis une faute ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme [K] de ses demandes de provision correspondant à la restitution d'une partie de ce qu'elle avait versées aux entrepreneurs, la cour a retenu que « l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur », avant d'ajouter qu'une expertise était en cours avec pour mission notamment donnée à l'expert de rechercher les causes de l'incendie et vérifier s'il n'était pas imputable à une faute d'imprudence de l'une des entreprises présentes sur le chantier le jour de l'incendie ; qu'en statuant, pour retenir une contestation sérieuse, par de tels motifs, inopérants dès lors que la seule perte de l'ouvrage autorisait Mme [K] à solliciter le remboursement des sommes versées aux entrepreneurs en contrepartie de leur travail, afin qu'ils répondent de la perte de leur ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 1788 du code civil, ensemble l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 835, alinéa 2, du code de procédure civile et 1788 du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

7. Selon le second, dans le cas où l'ouvrier fournit la matière, si la chose vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, la perte en est pour l'ouvrier, à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose.

8. La charge du risque n'est pas diminuée ou supprimée si l'événement qui a causé la perte de l'ouvrage revêt le caractère de force majeure pour l'entrepreneur (1re Civ., 9 novembre 1999, pourvoi n° 97-16.306, 97-16.800, Bull. 1999, I, n° 293). De même, sauf son recours contre les constructeurs fautifs, l'entrepreneur non fautif qui a fourni la matière et dont l'ouvrage a péri avant la réception ne peut prétendre au paiement du prix des travaux qu'il n'est pas en mesure de livrer.

9. Par ailleurs, le maître de l'ouvrage peut agir sur le fondement de l'article 1788 du code civil, en dehors de toute recherche de responsabilité, même lorsque la cause des dommages demeure inconnue et même s'il est établi qu'elle réside dans une mauvaise exécution, par l'entrepreneur, de ses obligations contractuelles, dès lors que la demande ne porte que sur la reconstruction de l'ouvrage dans les conditions du marché initial ou sur la restitution du prix payé.

10. Pour rejeter les demandes de provisions à valoir sur le remboursement des acomptes versés aux entrepreneurs dont l'ouvrage avait été détruit avant la réception, l'arrêt retient que l'article 1788 du code civil n'a pas vocation à s'appliquer dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive des obligations de l'entrepreneur et qu'en l'espèce, l'application ou non des dispositions de ce texte est subordonnée au résultat des investigations de l'expert quant à la cause du sinistre, inconnue ou imputable à une entreprise, de sorte que la demande prématurée formée par Mme [K] se heurte à une contestation sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors que les fautes éventuellement commises par les constructeurs et qui avaient pu être à l'origine de la destruction de la maison, n'empêchaient pas le maître de l'ouvrage de réclamer aux entrepreneurs, en dehors de toute recherche de responsabilité, la restitution par provision du prix des travaux qu'ils n'étaient pas en mesure de livrer, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation prononcée ne s'étend pas au rejet des demandes de provision ad litem.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes de provision, à l'exception de celle ad litem, de Mme [K], l'arrêt rendu le 16 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Poulet-Odent ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 835, alinéa 2, du code de procédure civile ; article 1788 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 18 novembre 1995, pourvoi n° 94-12.100, Bull. 1995, III, n° 234 (rejet) ; 3e Civ., 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-16.820, Bull. 2004, III, n° 241 (cassation partielle), et les arrêts cités ; 3e Civ., 13 octobre 2016, pourvoi n° 15-23.430, Bull. 2016, III, n° 133 (rejet), et les arrêts cités.

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