Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

ARCHITECTE ENTREPRENEUR

3e Civ., 11 mai 2022, n° 21-15.420, (B), FS

Cassation partielle

Assurance – Assurance responsabilité – Garantie – Etendue – Non déclaration d'une mission – Effets – Réduction proportionnelle de l'indemnité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 18 février 2021), M. et Mme [O] (les maîtres de l'ouvrage) ont confié à M. [Y] (l'architecte), assuré auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF), la maîtrise d'oeuvre de l'aménagement d'une grange.

2. Les lots gros oeuvre, revêtements de sols et murs ont été confiés à la société Wallyn.

3. Dès le début des travaux, des désordres sont apparus sur les fondations des murs conservés et sur les nouvelles fondations.

4. Les maîtres de l'ouvrage ont saisi le conseil régional de l'ordre des architectes le 8 novembre 2010, puis ont assigné l'architecte devant le juge des référés le 13 décembre 2010 aux fins d'expertise.

La réunion devant l'ordre des architectes a, alors, été annulée.

5. Après l'expertise, les maîtres de l'ouvrage ont assigné l'architecte, la MAF et la société Wallyn aux fins de réparation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Énoncé du moyen

6. M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « que lorsque l'application de l'article L. 113-10 du code des assurances est stipulée dans un contrat d'assurance, elle est exclusive de l'application de l'article L. 113-9 dudit code ; qu'en l'espèce, l'article 8.2.1.2 des conditions générales de la police d'assurance stipulait au titre des « sanctions relatives à la non-fourniture des déclarations d'activité professionnelles » qu'à défaut de déclaration des activités, et après mise en demeure, « l'assuré peut mettre en recouvrement une cotisation forfaitaire qui s'élève à 150 % de la cotisation ajustée l'année précédente ou de la cotisation provisoire acquittée lors de la souscription » ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher si ce mécanisme, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, ne prévoyait pas une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code, quand bien même celle-ci était stipulée dans le contrat, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances, ensemble l'article 1134, devenu 1103, du code civil. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel, devant laquelle M. et Mme [O] n'ont pas soutenu que le contrat, sans faire expressément référence à l'article L. 113-10 du code des assurances, prévoyait une sanction reprenant en substance le mécanisme prévu par ce texte, ce qui aurait exclu que l'assureur puisse se prévaloir de la règle de la réduction proportionnelle d'indemnité prévue par l'article L. 113-9 du même code, n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

8. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le deuxième moyen, pris en sa quatrième branche

Énoncé du moyen

9. M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la MAF, alors « qu'en présence d'une clause ayant pour effet de priver de garantie l'architecte qui, par erreur a déclaré que la valeur d'un chantier était de 0,00 euros, commet une faute de nature à engager sa responsabilité civile l'assureur qui délivre une attestation d'assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a elle-même constaté que la MAF avait délivré à M. [Y] une attestation d'assurance dans le cadre du chantier des époux [O] ; qu'en s'abstenant totalement de rechercher s'il n'en résultait pas qu'elle avait ainsi engagé sa responsabilité civile à l'égard des exposants, qui s'étaient fiés à cette déclaration, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

10. La cour d'appel, devant laquelle M. et Mme [O] n'ont pas soutenu que l'assureur avait engagé sa responsabilité délictuelle pour avoir délivré une attestation d'assurance avant que la déclaration régulière de chantier qui conditionne la garantie n'ait été effectuée, n'était pas tenue de procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée.

11. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes formées contre la société Wallyn et de les condamner à lui payer une certaine somme, alors « qu'il incombe à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux qu'il sait inefficaces ou de refuser de les exécuter s'il n'est pas suffisamment informé sur leur efficacité ; qu'en l'espèce, les époux [O] faisaient précisément valoir dans leurs conclusions que la société Wallyn aurait dû subordonner le démarrage du chantier à la remise d'une étude de sol, de nature à établir l'efficacité de la construction envisagée ; que la cour d'appel a considéré que la société Wallyn, au démarrage du chantier, n'aurait pas été informée par les exposants des études de sol réalisées en 2001 et 2004, et qu'il ne pouvait lui être reprochée de s'être abstenue de rechercher l'historique des risques à Bierne quant à la portance des sols ; qu'elle a considéré que c'est cette absence de remise d'une étude des sols qui était décisive dans l'apparition des désordres puisque cette étude « aurait permis à l'architecte et à l'entreprise d'adapter l'offre de travaux au regard des risques mis en lumière par les études » ; que la cour d'appel a pourtant écarté toute faute de la société Wallyn au seul prétexte « qu'il n'est pas démontré que celle-ci avait à sa charge une quelconque étude préalable aux travaux » ; qu'en statuant ainsi sans rechercher s'il n'incombait pas à l'entrepreneur de refuser d'exécuter les travaux quand il n'était manifestement pas suffisamment informé quant à leur efficacité potentielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

13. D'une part, la cour d'appel a souverainement retenu que les fautes d'exécution de la société Wallyn n'étaient pas établies et que leur lien de causalité avec les dommages n'était, en tout état de cause, pas démontré.

14. D'autre part, elle a souverainement retenu que, s'agissant de l'obligation de conseil, contrairement à la société Wallyn, les maîtres de l'ouvrage avaient une parfaite connaissance des risques liés à l'état du terrain et qu'ils avaient délibérément omis d'en avertir l'architecte et le constructeur en ne portant pas à leur connaissance les études de sols réalisées en 2001 et 2004.

15. Elle a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la responsabilité de l'entrepreneur n'était pas engagée et a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le moyen relevé d'office

16. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du même code :

17. Selon le premier de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

18. Le second dispose que, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet de supprimer ou entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges.

19. Selon le troisième, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 et applicable au litige, le juge écarte d'office, après avoir recueilli les observations des parties, l'application d'une clause dont le caractère abusif ressort des débats.

20. Il est jugé au visa de ces textes que la clause, qui contraint le consommateur, en cas de litige avec un professionnel, à recourir obligatoirement à un mode alternatif de règlement des litiges avant la saisine du juge, est présumée abusive, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, de sorte qu'il appartient au juge d'examiner d'office la régularité d'une telle clause (3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095, publié)

21. Pour accueillir la fin de non-recevoir opposée par l'architecte aux demandes des maîtres de l'ouvrage consommateurs, l'arrêt, qui constate que le contrat de maîtrise d'oeuvre comporte une clause selon laquelle « en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte avant toute procédure judiciaire. A défaut d'un règlement amiable le litige opposant les parties sera du ressort des juridictions civiles territorialement compétentes », retient que le non-respect de cette clause est sanctionné par une fin de non-recevoir.

22. En se déterminant ainsi, alors qu'il lui incombait d'examiner d'office le caractère éventuellement abusif d'une clause instituant une procédure obligatoire et préalable à la saisine du juge par le recours à un tiers, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

23. Les maîtres de l'ouvrage font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes contre la MAF, alors « qu'en cas de déclaration inexacte du risque par l'assuré de bonne foi, découverte après la réalisation du sinistre, l'indemnité est réduite en proportion du taux des primes payées par rapport au taux des primes qui auraient été dues, si les risques avaient été complètement et exactement déclarés ; que cette réduction proportionnelle doit s'apprécier au regard de l'ensemble des risques déclarés par l'architecte pendant la période d'assurance, et non chantier par chantier ; qu'en retenant à l'inverse qu' « une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie » et en appréciant ainsi la réduction proportionnelle d'indemnité au regard du seul chantier des époux [O], la cour d'appel a violé l'article L. 113-9 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

24. La MAF conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le grief est nouveau.

25. Cependant, le grief, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

26. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 113-9 du code des assurances :

27. Il résulte de ce texte qu'en l'absence de déclaration de la mission et de paiement des primes afférentes, l'indemnité due par l'assureur doit être réduite en proportion du taux de la prime annuelle payée par rapport à celui de la prime qui aurait été due si la mission avait été déclarée.

28. Le contrat d'assurance ne peut déroger à ces dispositions d'ordre public en prévoyant un autre mode de calcul de la réduction proportionnelle.

29. Pour rejeter les demandes formées par les maîtres de l'ouvrage contre la MAF, l'arrêt retient que l'article 5.2 des clauses générales du contrat d'assurance et l'article L. 113-9 du code précité rattachent expressément l'obligation de déclaration à chaque mission et réduisent l'indemnité en proportion des cotisations payées pour la mission inexactement déclarée, l'absence de déclaration équivalant à une absence de garantie.

30. Il retient, ensuite, qu'une déclaration pour un montant égal à zéro équivaut à une absence de déclaration et justifie l'absence de garantie.

31. En statuant ainsi, alors que la réduction proportionnelle de l'indemnité due au tiers lésé ne pouvait se calculer d'après le rapport entre les cotisations payées pour la mission inexactement déclarée et les cotisations qui auraient dû être payées pour cette mission, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

32. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Wallyn, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes présentées par M. et Mme [O] contre M. [Y] et en ce qu'il rejette les demandes de M. et Mme [O] contre la Mutuelle des architectes français, l'arrêt rendu le 18 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Zedda - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles L. 113-9 et L. 113-10 du code des assurances ; article L. 113-9 du code des assurances ; articles L. 132-1, devenu L. 212-1, R. 132-2, 10°, devenu R. 212-2, 10°, et R. 632-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 26 novembre 2020, pourvoi n° 18-10.190, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité. 3e Civ., 1er octobre 2020, pourvoi n° 19-18.165, Bull., (rejet), et les arrêts cités ; 3e Civ., 1er octobre 2020, pourvoi n° 18-20.809, Bull., (cassation), et les arrêts cités. 3e Civ., 27 juin 2019, pourvoi n° 17-28.872, Bull., (rejet). 3e Civ., 19 janvier 2022, pourvoi n° 21-11.095, Bull., (cassation partielle).

3e Civ., 25 mai 2022, n° 21-18.218, (B), FS

Rejet

Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage – Vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement – Vices cachés – Action en garantie de l'entrepreneur contre le fabricant ou le fournisseur – Exercice – Durée – Limites – Prescription extinctive de droit commun – Délai butoir – Application – Point de départ – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 16 février 2021), rendu en référé, et les productions, suivant factures des 31 mai, 31 octobre et 30 novembre 2008, pour les besoins de la construction d'un bâtiment agricole pour l'EARL de la Journeauserie (le maître de l'ouvrage), la société Nouvelle Construction Charles (l'entreprise), assurée auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et Santé, a acheté des plaques de couverture en fibrociment à la société Socobati (le fournisseur), fabriquées par la société Eternit France, aujourd'hui la société Etex France Exteriors (le fabricant).

2. Se plaignant d'infiltrations dans la toiture, le maître de l'ouvrage a assigné, le 31 octobre 2018, l'entreprise et son assureur, et obtenu la désignation d'un expert, par ordonnance du 22 novembre 2018.

3. Le 4 février 2020, la société Aviva a assigné en ordonnance commune le fournisseur et le fabricant.

Sur le moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

4. Par son moyen, le fabricant fait grief à l'arrêt de lui déclarer communes et opposables les opérations d'expertise ordonnées le 22 novembre 2018 et de rejeter sa demande de mise hors de cause, alors « que l'action en garantie des vices cachés, qui doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription de cinq années prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel commence à courir à compter de la vente initiale ; que la société Etex a vendu en 2008, à la société Socobati, des plaques de fibrociment qu'elle a ensuite revendues, la même année, à la société Nouvelles Constructions Charles pour la construction d'un bâtiment agricole ; qu'après avoir constaté la survenance de divers désordres dans le bâtiment construit, le maître d'ouvrage a sollicité que soit ordonnée une mesure d'expertise judiciaire au contradictoire de la société Nouvelles Constructions Charles et de son assureur de responsabilité, la société Aviva ; que par acte du 4 février 2020, soit plus de douze années après la date de la vente initiale, la société Aviva a assigné la société Etex afin de lui voir déclarer communes et opposables les opérations d'expertise judiciaires ordonnées le 22 novembre 2018 ; qu'en faisant droit à cette demande au motif que l'action en garantie des vices cachés qu'entendait introduire la société Aviva à l'encontre de la société Etex, après le dépôt du rapport d'expertise, n'était pas manifestement prescrite, de sorte qu'elle justifiait d'un motif légitime pour solliciter une extension des mesures d'expertise à l'encontre de la société Etex, tandis que cette action était manifestement prescrite depuis de 2013, cinq années après à la vente initiale des plaques de fibrociment intervenue entre les sociétés Etex et Socobati, la cour d'appel a violé les articles 145 du code de procédure civile, 1648 du code civil et L. 110-4 du code de commerce. »

5. Par son moyen, le fournisseur fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente de la chose ; qu'en retenant néanmoins, pour faire droit à la demande de la société Aviva tendant à voir déclarer communes et opposables à la société Socobati les opérations d'expertises ordonnées le 22 novembre 2018, afin de déterminer l'origine des désordres affectant les ouvrages construits par son assurée, la société Nouvelles Constructions Charles, que l'action en garantie des vices cachées que la société Aviva entendait exercer à l'encontre de la société Socobati, en sa qualité de vendeur des matériaux utilisés par la société Nouvelles Constructions Charles, n'était pas prescrite, dès lors que le délai de prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que la responsabilité de la société Nouvelles Constructions Charles fût recherchée par le maître de l'ouvrage, bien que ce délai ait commencé à courir à compter de la vente des matériaux au cours de l'année 2008, de sorte que la prescription quinquennale était acquise depuis 2013, la cour d'appel a violé les articles 1648 du code civil, L. 110-4 du code de commerce et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Pour les ventes conclues antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité et que, sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

7. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, publié).

8. Pour les ventes conclues après l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, il est jugé que l'encadrement dans le temps de l'action en garantie des vices cachés ne peut être assuré que par l'article 2232 du code civil qui édicte un délai butoir de vingt ans à compter de la naissance du droit (3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, publié).

9. En effet, l'article 2224 du code civil fixe le point de départ du délai de prescription au jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, ce qui annihile toute possibilité d'encadrement de l'action en garantie des vices cachés, le point de départ de la prescription extinctive du droit à garantie se confondant avec le point de départ du délai pour agir prévu par l'article 1648 du même code, à savoir la découverte du vice.

10. La loi du 17 juin 2008 ayant réduit le délai de prescription prévu par l'article L. 110-4, I, du code de commerce, sans préciser son point de départ, celui-ci ne peut que résulter du droit commun de l'article 2224 du code civil.

11. Il s'ensuit que le délai de cinq ans de l'article L. 110-4, I, du code de commerce ne peut plus être regardé comme un délai butoir et que l'action en garantie des vices cachés doit être formée dans le délai de deux ans à compter de la découverte du vice ou, en matière d'action récursoire, à compter de l'assignation, sans pouvoir dépasser le délai butoir de vingt ans à compter de la vente initiale.

12. La cour d'appel a relevé que l'entreprise et son assureur avaient été assignés par le maître de l'ouvrage, le 31 octobre 2018, pour des désordres de la toiture, de sorte que l'action de la société Aviva formée contre les sociétés Socobati et Eternit par actes du 4 février 2020, n'était pas prescrite et que l'assureur de l'entrepreneur justifiait d'un motif légitime pour solliciter l'extension des opérations d'expertise au fournisseur et au fabricant.

13. Par ces motifs de pur droit, substitués à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Nivôse - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SCP Richard ; SCP Sevaux et Mathonnet -

Textes visés :

Article L. 110-4, I, du code de commerce ; articles 2224 et 2232 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 8 décembre 2021, pourvoi n° 20-21.439, Bull., (cassation partielle), et les arrêts cités ; 3e Civ., 16 février 2022, pourvoi n° 20-19.047, Bull., (cassation partielle).

3e Civ., 11 mai 2022, n° 21-16.023, (B), FS

Cassation partielle

Responsabilité – Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage – Garantie décennale – Action en garantie – Exercice – Condition – Saisine préalable pour avis du conseil régional de l'ordre des architectes instituée par une clause du contrat en cas de litige sur son exécution – Application – Possibilité (non)

Désistement partiel

1. Il est donné acte à Mme [Y] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société d'assurance mutuelle à cotisations variables Thélem assurances.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 23 février 2021) et les productions, le 25 juin 2011, Mme [Y] a confié à la société Neodomus, architecte, aux droits de laquelle vient la société Architecture milieu territoire 45, assurée par la Mutuelle des architectes français (la MAF), une mission de maîtrise d'oeuvre en vue de la rénovation de sa maison d'habitation.

3. Le cahier des clauses générales du contrat d'architecte contenait, en son article G 10, la clause suivante : « En cas de différend portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire. Cette saisine intervient sur l'initiative de la partie la plus diligente ».

4. La réception est intervenue les 21 mars et 4 avril 2012, avec réserves.

5. Des désordres étant survenus, Mme [Y] a, après expertise judiciaire, assigné l'architecte et son assureur en indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Mme [Y] fait grief à l'arrêt d'accueillir la fin de non-recevoir opposée à ses demandes par la société Architecture milieu territoire 45 et la MAF, alors « que la clause suivant laquelle, en cas de litige portant sur l'exécution du contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l'ordre des architectes dont relève l'architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, qui institue une procédure de conciliation, obligatoire et préalable à la saisine du juge, n'est pas applicable lorsque la demande est fondée, même à titre subsidiaire, sur l'article 1792 du code civil ; qu'ayant constaté que Mme [Y] avait assigné la société Neodomus, la société Mutuelle des architectes de France et la société Thélem assurances sur le fondement des articles 1792 et 1147 du code civil et ayant, en outre, relevé que les désordres affectant les douches entraient dans le champ d'application de l'article 1792 du code civil pour être survenus postérieurement à la réception des travaux, la cour d'appel qui a fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la société Mutuelle des architectes de France et tirée de l'absence de saisine préalable de l'ordre régional des architectes dont relève la société Neodomus, sans rechercher si la responsabilité de la société Neodomus n'était pas invoquée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, a privé sa décision de base légale au regard des articles 1792 du code civil, L. 124-3 du code des assurances et l'article 12 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1792 du code civil :

7. Aux termes du premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

8. Selon le second, tout constructeur est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

9. Il résulte de ces dispositions que la clause de saisine de l'ordre des architectes préalable à toute action judiciaire, en cas de litige sur le respect des clauses du contrat, ne peut porter que sur les obligations des parties au regard des dispositions de l'article 1134 du code civil et n'a donc pas vocation à s'appliquer dès lors que la responsabilité de l'architecte est recherchée sur le fondement de l'article 1792 du même code.

10. Pour déclarer irrecevable l'action engagée par Mme [Y] contre l'architecte et la MAF, l'arrêt retient que la clause de l'article G 10 du cahier des clauses générales est licite, claire et précise, qu'elle institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge et que le moyen tiré du défaut de mise en oeuvre de cette clause constitue une fin de non-recevoir qui peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel, de sorte que l'action en responsabilité formée par Mme [Y], qui ne conteste pas ne pas avoir saisi le conseil régional de l'ordres des architectes, est irrecevable.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que Mme [Y] demandait réparation de désordres sur le fondement, notamment, de l'article 1792 du code civil, ce dont il résultait que la clause n'était pas applicable, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il accueille la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la Mutuelle des architectes français fondée sur l'absence de saisine préalable du conseil régional de l'ordre des architectes dont relève la société Neodomus, dit que l'action en responsabilité engagée par Mme [Y] à l'encontre de la société Neodomus et de la Mutuelle des architectes français par assignation en date des 2 et 3 décembre 2015 devant le tribunal de grande instance d'Orléans est irrecevable, rejette la demande de dommages-intérêts formée par Mme [Y] au titre de la fin de non-recevoir soulevée par la société Neodomus et la Mutuelle des architectes français et condamne Mme [Y] aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 23 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et 1792 du code civil.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 23 mai 2019, pourvoi n° 18-15.286, Bull., (cassation partielle), et l'arrêt cité.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.