Numéro 5 - Mai 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2022

ACTION CIVILE

2e Civ., 25 mai 2022, n° 20-16.351, (B), FRH

Cassation partielle

Préjudice – Préjudice certain – Perte d'une chance

Il résulte du principe de la réparation intégrale, sans perte ni profit, que toute perte de chance ouvre droit à réparation.

Viole ce principe une cour d'appel qui, pour rejeter la demande d'un athlète professionnel d'être indemnisé de son préjudice résultant de la perte de chance de participer aux Jeux olympiques, retient qu'il ne rapporte pas la preuve d'une chance sérieuse d'y participer.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 2020), alors qu'il traversait à un passage piéton au Maroc, M. [O], athlète professionnel, a été renversé par une motocyclette dont le conducteur n'a pas été identifié. Il a saisi une commission d'indemnisation des victimes d'infractions pour obtenir réparation, notamment, d'un préjudice exceptionnel de renonciation à un « métier passion » et d'une perte de chance d'être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. M. [O] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement du 25 octobre 2018 en ce qu'il a rejeté sa demande d'indemnisation au titre du préjudice exceptionnel lié à la perte de chance de « pratiquer un métier passion » et, en conséquence, de limiter la somme globale que le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) est tenu de lui verser à la somme de 1 019 268,92 euros, avant déduction des sommes déjà payées à titre provisionnel, alors :

« 1°/ qu'est réparable le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice exceptionnel atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'est réparable à ce titre le préjudice moral exceptionnel lié à l'abandon brutal du métier hors du commun d'athlète professionnel ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande d'indemnisation de la victime de ce préjudice, que la disqualification de son statut professionnel tenant à l'impossibilité de reprendre son activité d'athlète professionnel et à sa seule aptitude à reprendre un poste sédentaire était déjà réparée par les sommes allouées au titre des pertes de gains professionnels, quand ce poste de préjudice répare uniquement le préjudice purement patrimonial et non le préjudice moral lié à la perte d'un statut professionnel hors du commun, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

2°/ qu'est réparable le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice exceptionnel atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'est réparable à ce titre le préjudice moral exceptionnel lié à l'abandon brutal du métier hors du commun d'athlète professionnel ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande d'indemnisation de la victime de ce préjudice, que la disqualification de son statut professionnel était déjà réparée par les sommes allouées au titre de l'incidence professionnelle, quand il résultait de ses propres constatations que ce poste d'indemnisation réparait seulement les incidences professionnelles du dommage tenant à la nécessité de se reconvertir dans un métier sédentaire, à la pénibilité à exercer ce métier ou encore à sa dévalorisation sur le marché du travail et non le préjudice moral lié au renoncement à un métier hors du commun, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

3°/ qu'est réparable le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice exceptionnel atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'est réparable à ce titre le préjudice moral exceptionnel lié à l'abandon brutal du métier hors du commun d'athlète professionnel ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande d'indemnisation de la victime lié à l'arrêt involontaire d'un métier passion, que la réparation de ce préjudice était déjà assurée au travers de l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent dès lors que le retentissement psychologique et psychiatrique inclus dans l'évaluation du taux de déficit fonctionnel permanent tenait compte de l'impact de l'arrêt de sa carrière de sportif lié à l'accident dans les séquelles psychiatriques, cependant que les souffrances morales inclus dans le poste de déficit fonctionnel permanent n'incluaient pas celles liées à l'abandon d'un métier hors du commun, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime ;

4°/ qu'est réparable le préjudice permanent exceptionnel correspondant à un préjudice exceptionnel atypique, en lien avec un handicap permanent qui prend une résonance toute particulière pour certaines victimes, soit en raison de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable ; qu'est réparable à ce titre le préjudice moral exceptionnel lié à l'abandon brutal du métier hors du commun d'athlète professionnel ; qu'en l'espèce, en se bornant, pour rejeter la demande d'indemnisation de la victime lié à l'arrêt involontaire d'un métier passion, à énoncer que le caractère distinct de ce préjudice au regard de ceux réparés au titre du préjudice d'agrément et du préjudice esthétique définitif n'était pas établi, sans expliquer en quoi le préjudice lié à l'abandon brutal du métier hors du commun d'athlète professionnel serait susceptible d'être réparé au travers des indemnités versées au titre des préjudices d'agrément et esthétique, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

4. Pour rejeter la demande d'indemnisation du préjudice exceptionnel résultant, pour lui, de la renonciation à exercer un « métier passion », après avoir constaté, d'une part, que si M. [O], qui était un athlète professionnel, ne peut reprendre ses anciennes activités sportives, ce préjudice est réparé par les sommes allouées au titre des pertes de gains professionnels et de l'incidence professionnelle, d'autre part, que la réparation du retentissement psychologique et psychiatrique de l'abandon forcé de sa carrière sportive est assurée au travers de l'indemnisation du déficit permanent, c'est, sans encourir les griefs du moyen, que la cour d'appel a jugé que M. [O] ne justifiait pas de l'existence d'un préjudice permanent exceptionnel distinct de ses préjudices après consolidation qui ont été réparés au titre de l'incidence professionnelle et du déficit fonctionnel permanent.

5. Le moyen, qui manque en fait en sa quatrième branche, n'est, dès lors, pas fondé pour le surplus.

Mais sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. M. [O] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation au titre du préjudice exceptionnel lié à la perte de chance de participer aux Jeux olympiques et, en conséquence, de limiter la somme globale que le FGTI est tenu de lui verser à la somme de 1 019 268,92 euros, avant déduction des sommes déjà payées à titre provisionnel, alors « que toute perte de chance ouvre droit à réparation ; qu'en l'espèce, pour le débouter de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice exceptionnel tenant à la perte d'une chance de participer aux Jeux olympiques, la cour d'appel a retenu qu'il n'établissait pas, comme il lui incomberait, qu'il avait une chance sérieuse d'y participer, faute de justifier qu'en poursuivant sa carrière, il aurait eu une chance sérieuse d'atteindre un temps de 3,38 mn pour le 1 500 mètres alors que son meilleur temps était jusqu'alors de 3,42 mn ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui n'a pas constaté l'absence de probabilité pour la victime d'atteindre le temps requis et d'être ainsi sélectionné pour les Jeux olympiques, a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale, ensemble le principe de la réparation intégrale du préjudice, sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 706-3 du code de procédure pénale et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

7. Pour rejeter la demande de M. [O] d'être indemnisé de son préjudice résultant de la perte de chance d'être sélectionné et de participer aux Jeux olympiques, l'arrêt, après avoir constaté qu'il avait participé à des championnats juniors et à des courses de sélection catégorie espoirs, n'était qu'au début de sa carrière, relève qu'il n'apporte aucun démenti à l'affirmation du FGTI selon laquelle son meilleur temps sur 1 500 mètres se situait à 4 secondes de celui permettant de participer aux Jeux olympiques de [Localité 4], ni ne fournit aucune explication permettant de penser qu'il aurait pu atteindre un tel temps s'il avait pu poursuivre sa carrière et en déduit qu'il ne rapporte pas la preuve d'une chance sérieuse de participer aux Jeux olympiques.

8. En statuant ainsi, alors que toute perte de chance ouvre droit à réparation, la cour d'appel, qui a exigé de la victime qu'elle démontre l'existence de la perte d'une chance sérieuse de participer aux Jeux olympiques, a violé le texte et le principe susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du 25 octobre 2018 en ce que, d'une part, il rejette la demande d'indemnisation du préjudice exceptionnel résultant de la perte de chance de participer aux Jeux olympiques, d'autre part, dit que le Fonds de garantie est tenu de verser à M. [O] la somme de 1 019 268,92 euros, avant déduction des sommes déjà payées à titre provisionnel, l'arrêt rendu le 19 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Martin - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SARL Delvolvé et Trichet -

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