Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

TRAVAIL REGLEMENTATION, REMUNERATION

Soc., 12 mai 2021, n° 20-10.796, n° 20-10.797, n° 20-10.798, n° 20-10.799, n° 20-10.800, (P)

Cassation sans renvoi

Salaire – Egalité de traitement – Atteinte au principe – Défaut – Cas – Droits et avantages résultant d'une transaction conclue par l'employeur avec d'autres salariés – Portée

Aux termes de l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

Il en résulte qu'un salarié ne peut invoquer le principe d'égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages d'une transaction conclue par l'employeur avec d'autres salariés pour terminer une contestation ou prévenir une contestation à naître.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-10.796, 20-10.797, 20-10.798, 20-10.799 et 20-10.800 sont joints.

Reprise d'instance

2. Il est donné acte à la société AJRS, prise en la personne de Mme [O] et à la société FHB, prise en la personne de Mme [N], administrateurs, de leur reprise d'instance aux côtés de la société La Halle (la société) suite au jugement du 2 juin 2020 du tribunal de commerce de Paris ayant prononcé le redressement judiciaire de cette dernière.

Faits et procédure

3. Selon les arrêts attaqués (Bourges, 15 novembre 2019), la société La Halle a conclu le 27 août 2015 avec les organisations syndicales représentatives un plan de sauvegarde de l'emploi prévoyant notamment, d'une part, dans un chapitre 8, le bénéfice d'une indemnité supra-conventionnelle s'adressant « aux salariés qui quittent l'entreprise dans le cadre du plan de départ volontaire externe, dont le poste est supprimé et qui acceptent un poste de remplacement en interne, dont le poste est supprimé et dont le licenciement ne peut être évité, qui sont transférés au service du repreneur d'un fonds de commerce dans les conditions de l'article L. 1224-1 du code du travail », d'autre part, dans un chapitre 9, la suppression de l'équipe de nuit de l'entrepôt logistique (composée de 62 préparateurs), avec proposition, pour les salariés non licenciés, d'un poste en équipe de jour et versement, au bénéfice des salariés acceptant cette modification du contrat de travail, d'une indemnité exceptionnelle temporaire d'une durée de 12 mois pour compenser la perte des primes de nuit.

4. La société a conclu des transactions avec plusieurs salariés de l'ancienne équipe de nuit ayant accepté un poste de jour qui revendiquaient le paiement de l'indemnité prévue au chapitre 8 du plan de sauvegarde de l'emploi, en exécution desquelles ces salariés ont perçu une indemnité transactionnelle en octobre 2016.

5. Par lettres du 12 février 2016 pour Mmes [D] et [G], et, respectivement, des 20 décembre, 22 décembre et 23 décembre 2016 pour Mmes [M], [V] et [T], ces préparatrices de commande, qui appartenaient à l'équipe de nuit précitée et avaient accepté un poste de jour, ont sollicité de l'employeur le paiement de l'indemnité prévue au chapitre 8.

6. N'ayant pas obtenu satisfaction, elles ont saisi la juridiction prud'homale en paiement de l'indemnité supra conventionnelle prévue au chapitre 8, ou d'une indemnité d'un montant équivalent à titre de dommages-intérêts pour inégalité de traitement, outre d'une demande de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. La société fait grief aux arrêts de dire qu'elle a violé le principe d'égalité de traitement entre salariés et de la condamner à payer à chaque salariée une certaine somme au titre de son préjudice né de la violation du principe d'égalité de traitement entre les salariés, outre une autre somme à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « que le principe d'égalité de traitement ne s'applique qu'aux avantages que l'employeur accorde aux salariés ; que la conclusion d'une transaction, qui suppose la renonciation du salarié à agir en justice et implique que sa prétention ne sera jamais tranchée, ne constitue pas un avantage pour le salarié, peu important qu'elle prévoie le paiement d'une indemnité transactionnelle en contrepartie de sa renonciation à cette prétention ; qu'en conséquence, le principe d'égalité de traitement ne peut imposer à l'employeur, qui a conclu une transaction avec un salarié, de proposer la conclusion d'une transaction comparable à un autre salarié, qui émet une réclamation identique ; qu'en jugeant, en l'espèce, que la société La Halle a méconnu le principe d'égalité de traitement, faute d'avoir proposé à Mmes [M], [V] et [T] [[D] et [G]] la conclusion d'une transaction comparable à celle qu'elle a conclue avec d'autres salariés qui, comme ces trois salariées, avaient accepté une modification de leur contrat et prétendu par la suite avoir droit au paiement d'une indemnité supra-conventionnelle de licenciement, la cour d'appel a violé le principe d'égalité de traitement. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2044 du code civil et le principe d'égalité de traitement :

8. Aux termes du texte susvisé, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.

9. Il en résulte qu'un salarié ne peut invoquer le principe d'égalité de traitement pour revendiquer les droits et avantages d'une transaction conclue par l'employeur avec d'autres salariés pour terminer une contestation ou prévenir une contestation à naître.

10. Pour condamner la société à payer à chaque salariée une somme au titre de son préjudice né de la violation du principe d'égalité de traitement entre les salariés ainsi qu'une somme au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail, les arrêts retiennent que l'employeur ne leur a pas proposé de protocole transactionnel comme il l'a fait pour d'autres salariés, alors qu'elles se trouvaient dans une situation équivalente en terme d'ancienneté, de poste, de modification du contrat de travail pour raison économique avec les salariés bénéficiaires de l'indemnité transactionnelle, et avaient, comme eux, sollicité le bénéfice de l'indemnité supra conventionnelle prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé et, par fausse application, le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. Au vu de ce qui précède, il convient de débouter les salariées de l'ensemble de leurs demandes.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 15 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bourges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute Mmes [M], [V], [T], [D] et [G] de leurs demandes.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 2044 du code civil ; principe d'égalité de traitement.

Rapprochement(s) :

Sur l'opposabilité du principe d'égalité de traitement en matière de transaction, à rapprocher : Soc., 30 novembre 2011, pourvoi n° 10-21.119, Bull. 2011, V, n° 283 (rejet).

Soc., 5 mai 2021, n° 19-20.547, n° 19-20.548, n° 19-20.549, n° 19-20.550, n° 19-20.551, n° 19-20.552, n° 19-20.553, n° 19-20.554, n° 19-20.555, n° 19-20.556, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Salaire – Majorations – Majoration pour travail de nuit d'une équipe de suppléance – Calcul – Assiette – Eléments pris en compte – Détermination

Salaire – Egalité des salaires – Atteinte au principe – Défaut – Conditions – Eléments objectifs justifiant la différence de traitement – Caractérisation – Cas – Régime salarial propre à une catégorie de salariés – Portée

Les salariés de l'équipe de suppléance, bénéficiaires, de par la loi, d'un régime salarial qui leur est propre, ne se trouvent pas, au regard d'une majoration de salaire attribuée aux salariés de l'équipe de semaine lorsque ceux-ci effectuent des heures de travail de nuit, dans une situation identique à la leur, en sorte que le principe d'égalité de traitement n'a pas vocation à s'appliquer sur ce point.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-20.547 à 19-20.556 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Douai, 29 mai 2019), M. [A] et neuf autres salariés engagés par la Société française de mécanique, devenue la société Peugeot Citroën automobiles (la société PCA) puis la société PSA automobiles, ont été affectés à une équipe de suppléance et ont effectué, dans ce cadre, des heures de travail de nuit.

3. Soutenant ne pas avoir été remplis de leurs droits, ils ont saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief aux arrêts de condamner la société PCA à payer aux salariés un rappel de salaire pour les heures à 50 %, outre congés payés afférents, alors :

« 1°/ que le juge doit motiver sa décision d'après les circonstances particulières de l'espèce, et ne peut statuer par voie de référence à une cause déjà jugée ; qu'en se bornant à énoncer que la Cour de cassation précisant sa position dans un arrêt du 17 mai 2018, avait rejeté le moyen de la société PCA en indiquant que le conseil de prud'hommes, qui avait suivi l'argumentation des salariés, avait légalement justifié sa décision en intégrant cette majoration dans l'assiette de calcul de la majoration de 50 % due aux salariés des équipes de suppléance, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.

2°/ qu'en tout état de cause, aux termes de l'article L. 3132-19 du code du travail, la rémunération des salariés de l'équipe de suppléance est majorée d'au moins 50 % par rapport à celle qui serait due pour une durée équivalente effectuée suivant l'horaire normal de l'entreprise ; qu'en jugeant que la majoration légale de 50 % devait s'appliquer, pour les heures effectuées de nuit par les équipes de suppléance, sur un salaire incluant la majoration de nuit applicable dans l'entreprise, sans au préalable constater que l'horaire normal de l'entreprise était un horaire de nuit, ce que contestait formellement la société PSA automobiles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé. »

Réponse de la Cour

5. L'article L. 3132-19 du code du travail dispose que la rémunération des salariés de l'équipe de suppléance est majorée d'au moins 50 % par rapport à celle qui serait due pour une durée équivalente effectuée suivant l'horaire normal de l'entreprise. Il en résulte que l'assiette de cette majoration de 50 % due aux salariés travaillant de nuit en équipe de suppléance inclut la majoration versée aux salariés des équipes normales de semaine lorsque ceux-ci effectuent des heures de travail de nuit.

6. Ayant, par motifs adoptés, constaté que les heures effectuées la nuit par les salariés des équipes de semaine ouvraient droit à majoration, la cour d'appel, qui a intégré cette même majoration dans l'assiette de calcul de la majoration de 50 % due aux salariés des équipes de suppléance, a, abstraction faite du motif surabondant visé à la première branche, légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief aux arrêts de condamner la société PCA à payer aux salariés un rappel de salaire sur les « incommodités de nuit » du lundi matin, outre congés payés afférents, alors « que ne méconnaît pas le principe d'égalité de traitement l'employeur qui verse aux salariés travaillant de nuit en équipes de semaine, une prime dénommée « incommodités de nuit » de 22 %, et aux salariés travaillant en équipe de suppléance -outre la majoration légale de 50 % et une majoration complémentaire de 12 % pour les heures réalisées en journée le samedi et le dimanche-, une majoration de 22 % pour les heures réalisées de nuit le samedi ou le dimanche, à l'exclusion de la nuit du lundi de 0 heure à 6 heures ; qu'en effet, les salariés travaillant en équipe de semaine et ceux travaillant en équipe de suppléance ne sont pas placés dans la même situation ; que s'agissant des salariés travaillant en équipe de suppléance, l'employeur qui, sans y être obligé, consent un avantage tel qu'une majoration du taux horaire pour le travail de nuit en détermine en effet librement les conditions et modalités de versement sans être obligé de l'accorder pour toutes les heures travaillées de nuit ; qu'en affirmant que le taux conventionnel de 22 % étant à la fois celui des incommodités de nuit dont bénéficient les salariés de semaine et celui de la majoration complémentaire appliquée aux heures travaillées de nuit les samedis et dimanches (entre 22 h et 6 h) par les salariés des équipes de suppléance durant les fins de semaine, les salariés travaillant durant la nuit du lundi de 0 heure à 6 heures étaient les seuls salariés de nuit de l'entreprise à ne pas percevoir cette majoration complémentaire de 22 %, ce qui constituait une rupture d'égalité entre salariés, et que l'employeur n'expliquait pas les raisons d'une moindre indemnisation de la contrainte représentée par le travail de nuit durant la nuit du lundi 0 heure à 6 heures de celle du dimanche soir de 22 heures à 0 heure ou des nuits du vendredi au samedi ou de toute autre nuit de la semaine, la cour d'appel a violé le principe susvisé, ensemble les articles L. 3132-16 et suivants du code du travail dans leur rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu le principe d'égalité de traitement et les articles L. 3132-16 et L. 3132-19 du code du travail :

8. En application de ce principe, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables.

9. Il résulte des deux textes susvisés que dans les industries ou les entreprises industrielles, lorsqu'une convention ou un accord d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, une convention ou un accord collectif de travail étendu le prévoit, le personnel d'exécution fonctionne en deux groupes dont l'un, dénommé équipe de suppléance, a pour seule fonction de remplacer l'autre pendant le ou les jours de repos accordés au premier groupe.

La rémunération des salariés de l'équipe de suppléance est majorée d'au moins 50 % par rapport à celle qui serait due pour une durée équivalente effectuée suivant l'horaire normal de l'entreprise.

10. Pour condamner la société PCA à payer aux salariés un rappel de salaire sur les « incommodités de nuit » du lundi matin, outre congés payés afférents, l'arrêt retient qu'il est constant que le taux conventionnel de 22 % est à la fois celui des incommodités de nuit dont bénéficient les salariés de semaine en application de l'accord du 26 mai 1999 et celui de la majoration complémentaire appliquée aux heures travaillées de nuit les samedis et dimanches (entre 22 h et 6 h) par les salariés des équipes de suppléance durant les fins de semaine, les salariés travaillant durant la nuit du lundi de 00h00 à 06h00 étant donc les seuls salariés de nuit de l'entreprise à ne pas percevoir cette majoration complémentaire de 22 % ce qui constitue bien une rupture d'égalité entre salariés, l'employeur n'expliquant pas les raisons d'une moindre indemnisation de la contrainte représentée par le travail de nuit durant la nuit du lundi 00h00 à 06h00 de celle du dimanche soir de 22h00 à 00h00 ou des nuits du vendredi au samedi ou de toute autre nuit de la semaine.

11. En statuant ainsi, alors que les salariés de l'équipe de suppléance ne se comparaient qu'aux salariés de l'équipe de semaine et que, bénéficiaires, de par la loi, d'un régime salarial qui leur était propre, ils ne se trouvaient pas, au regard de l'avantage considéré, dans une situation identique à la leur, en sorte que le principe d'égalité de traitement n'était pas applicable, la cour d'appel a violé le principe et les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Peugeot Citroën automobiles devenue la société PSA automobiles à payer à MM. [A], [D], [F], [R], [S], [G], [J], [V], [Z] et [Y] des sommes à titre de rappel de salaire sur les « incommodités de nuit du lundi matin » et au titre des congés payés afférents, les arrêts rendus le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute MM. [A], [D], [F], [R], [S], [G], [J], [V], [Z] et [Y] de leur demande en paiement de sommes au titre des « incommodités de nuit du lundi matin ».

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 3132-19 du code du travail ; principe « A travail égal, salaire égal ».

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation d'une situation identique appelant l'application du principe d'égalité de traitement, à rapprocher : Soc., 18 janvier 2000, pourvoi n° 98-44.745, Bull. 2000, V, n° 25 (rejet), et l'arrêt cité.

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