Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

SEPARATION DES POUVOIRS

Soc., 27 mai 2021, n° 19-15.630, (P)

Rejet

Compétence du juge judiciaire – Domaine d'application – Postes et communications électroniques – La Poste – Droit syndical – Exercice – Dispositions conventionnelles – Mise en oeuvre – Portée

Si la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée, relève de la compétence administrative, le litige relatif à la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'exercice du droit syndical à La Poste relève de la compétence judiciaire, quand bien même ces dispositions résultent d'un accord antérieur à l'entrée en vigueur de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, issu de la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005.

Doit dès lors être approuvée la cour d'appel qui retient que les décisions par lesquelles La Poste attribue aux organisations syndicales des autorisations d'absence en application de l'accord cadre du 4 décembre 1998 relèvent de la compétence judiciaire.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 15 avril 2019), statuant en référé, le syndicat pour la défense des postiers (le syndicat) a saisi, le 15 juin 2018, le président du tribunal de grande instance pour obtenir qu'il soit enjoint à la société La Poste (La Poste) de lui accorder le bénéfice d'au moins une autorisation d'absence par semaine jusqu'aux élections professionnelles de décembre 2018, ainsi que le versement d'une provision à titre de dommages-intérêts pour non-respect des articles L. 2141-7 et L. 2141-8 du code du travail.

La Poste a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi incident, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La Poste fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence au profit des juridictions de l'ordre administratif, alors « que la contestation portant sur la légalité et la mise en oeuvre d'un accord collectif du 4 décembre 1998 gouvernant l'exercice du droit syndical, conclu à La Poste non en application de l'article L. 2233-1 du code du travail, mais de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 réglant le droit syndical dans la fonction publique, destiné à s'appliquer tant aux agents publics qu'aux personnels de droit privé, relève de la compétence des juridictions administratives ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 33 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III. »

Réponse de la Cour

4. Le Tribunal des conflits a, par arrêt du 6 juillet 2020 (n° 4188), énoncé :

« (...) Pour ce qui concerne spécialement la définition des règles relatives aux conditions matérielles d'exercice du droit syndical au sein de La Poste, faisant l'objet du présent litige, il résulte des dispositions des articles 29 et 31 de la loi du 2 juillet 1990, qui ont été initialement adoptées en 1990 alors que le personnel de La Poste était composé de fonctionnaires et n'ont pas été remises en cause par la suite, notamment pas par la loi du 9 février 2010, que le législateur a entendu écarter l'application à La Poste des dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel et aux délégués syndicaux ainsi que de celles qui, relatives aux conditions matérielles de l'exercice du droit syndical, n'en sont pas séparables. Il s'ensuit que, en l'état de la législation applicable, la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, qui demeurent régies par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, relève de la compétence administrative, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée. Il résulte de ce qui précède que le litige relève de la compétence de la juridiction administrative » (§ 13 et 14).

5. Il en résulte que, si relève de la compétence administrative la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée, le litige relatif à la mise en oeuvre des dispositions relatives à l'exercice du droit syndical à La Poste relève de la compétence judiciaire, quand bien même ces dispositions résultent d'un accord antérieur à l'entrée en vigueur de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, issu de la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005.

6. Dès lors la cour d'appel a retenu exactement que les décisions par lesquelles La Poste attribue aux organisations syndicales des autorisations d'absence en application de l'accord cadre du 4 décembre 1998 relèvent de la compétence judiciaire.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 31-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, modifié par la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge administratif s'agissant de la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, cf. : Tribunal des conflits, 6 juillet 2020, n° 4188, mentionnée aux tables du Recueil Lebon.

3e Civ., 27 mai 2021, n° 20-23.287, (P)

Cassation

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Démolition d'une construction irrégulière – Compétence exclusive

S'il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur l'action d'une commune tendant, sur le fondement de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, à la démolition d'une construction irrégulièrement édifiée sur une propriété privée, il appartient à la juridiction administrative de statuer sur l'existence d'un permis de construire tacite, né du silence gardé par l'administration à l'expiration du délai d'instruction de la confirmation de la demande de permis de construire formée par le pétitionnaire sur le fondement de l'article 600-2 du code de l'urbanisme, avant que le jugement d'annulation de la décision qui a refusé de délivrer le permis de construire ne soit définitif.

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contentieux de l'urbanisme – Applications diverses – Litige relatif à l'existence d'un permis de construire tacite

Acte administratif – Appréciation de la légalité, de la régularité ou de la validité – Incompétence judiciaire – Urbanisme – Permis de construire – Litige relatif à l'existence d'un permis de construire tacite

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 5 novembre 2020), le 3 septembre 2011, M. [L], propriétaire d'un domaine viticole situé sur le territoire de la commune de Tresques, a déposé une demande de permis de construire en vue de l'édification d'une maison à usage d'habitation.

2. Par un arrêté du 30 mars 2012, le maire de [Localité 1] a refusé de délivrer le permis sollicité.

3. Par un jugement du 21 décembre 2012, le tribunal administratif a annulé cet arrêté.

4. Le 2 janvier 2013, M. [L] a confirmé sa demande de permis de construire sur le fondement de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme.

5. Par un arrêt du 19 décembre 2014, la cour administrative d'appel a, sur l'appel de la commune de Tresques, annulé le jugement du 21 décembre 2012.

6. M. [L] ayant construit sa maison dans le courant de l'année 2013, la commune de Tresques l'a assigné en démolition sur le fondement de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

7. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 49, alinéa 2, du code de procédure civile, la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

8. Aux termes du premier de ces textes, lorsque la solution d'un litige dépend d'une question soulevant une difficulté sérieuse et relevant de la compétence de la juridiction administrative, la juridiction judiciaire initialement saisie la transmet à la juridiction administrative compétente en application du titre Ier du livre III du code de justice administrative.

9. Il résulte des deux derniers que, s'il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de statuer sur l'action d'une commune tendant, sur le fondement de l'article L. 480-14 du code de l'urbanisme, à la démolition d'une construction irrégulièrement édifiée sur une propriété privée, il appartient à la juridiction administrative de statuer sur l'existence d'un permis de construire tacite, conformément auquel la construction aurait été édifiée, né du silence gardé par l'administration à l'expiration du délai d'instruction de la confirmation de la demande de permis de construire formée par le pétitionnaire sur le fondement de l'article 600-2 du code de l'urbanisme, avant que le jugement d'annulation de la décision qui a refusé de délivrer le permis de construire ne soit définitif.

10. Pour accueillir la demande en démolition, l'arrêt retient qu'il se déduit de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme que la confirmation de la demande de permis de construire sur le fondement de ces dispositions doit intervenir dans les six mois suivant la notification de la décision qui confère un caractère définitif à l'annulation du refus de permis de construire, que M. [L] était irrecevable en sa demande présentée le 2 janvier 2013 puisque, à cette date, la décision du tribunal administratif n'était pas définitive et que, dès lors, il n'était pas titulaire d'un permis de construire tacite lorsqu'il a procédé aux travaux de construction de sa maison dans le courant de l'année 2013, sa demande irrecevable n'ayant pu faire courir le délai à l'issue duquel, en l'absence de refus de l'administration, le pétitionnaire est de plein droit titulaire d'un permis tacite.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes, autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; Me Haas -

Textes visés :

Article 49, alinéa 2, du code de procédure civile ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Soc., 27 mai 2021, n° 18-26.744, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Licenciement économique – Plan de sauvegarde de l'emploi – Annulation par le juge administratif de la décision de validation ou d'homologation du plan – Demande salariale ou indemnitaire fondée sur le défaut de validité de l'accord collectif par lequel était fixé le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi – Office du juge judiciaire – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 novembre 2018), Mme [Y], salariée de la société Pages jaunes, devenue la société Solocal, a été licenciée pour motif économique dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi contenu dans un accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 et validé par le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi [Localité 1] (Direccte) le 2 janvier 2014.

Par arrêt du 22 octobre 2014, statuant sur le recours d'un autre salarié, une cour administrative d'appel a annulé cette décision de validation, au motif que l'accord du 20 novembre 2013 ne revêtait pas le caractère majoritaire requis par les dispositions de l'article L. 1233-24-1 du code du travail et le Conseil d'Etat a, le 22 juillet 2015, rejeté les pourvois formés contre cet arrêt.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale pour contester la validité et le caractère réel et sérieux de son licenciement et obtenir, en outre, le paiement d'une somme à titre de rappel de salaire sur congé de reclassement.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal de la salariée : Publication sans intérêt

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée un rappel de salaire afférent à la période de congé de reclassement et des congés payés afférents, alors :

« 1°/ que dans sa décision du 22 octobre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé la décision du 2 janvier 2014 de la Direccte [Localité 1] de validation de l'accord collectif majoritaire signé le 20 novembre 2013 ; qu'elle n'a pas annulé cet accord collectif, ni le plan de sauvegarde de l'emploi qu'il contient ; qu'en retenant, pour condamner la société Pages jaunes à payer au salarié un rappel de salaire sur la période du congé de reclassement, que l'accord collectif prévoyant un PSE a été annulé par la cour administrative d'appel de Versailles, de sorte que les dispositions du plan ne peuvent plus recevoir application, la cour d'appel a dénaturé l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Versailles le 22 octobre 2014 ;

2°/ que l'annulation, par le juge administratif, de la décision de validation de l'accord collectif contenant le plan de sauvegarde de l'emploi en raison du caractère minoritaire de cet accord n'emporte pas annulation de l'accord collectif contenant le plan de sauvegarde de l'emploi, ni du plan lui-même ; qu'en considérant que la cour administrative d'appel de Versailles a annulé l'accord collectif contenant le plan de sauvegarde de l'emploi, la cour d'appel a méconnu le principe de séparation des pouvoirs et la loi des 16 et 27 août 1789, ensemble les articles L.1235-7-1, L. 1235-10, L. 1235-11 et L. 1235-16 du code du travail.»

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 1235-7-1 du code du travail, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4, qui relève de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

6. Le juge judiciaire demeure ainsi compétent pour statuer sur les litiges relatifs à l'application des mesures comprises dans un plan de sauvegarde de l'emploi mais ne peut, dans cet office, méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant validé l'accord collectif ou homologué le document élaboré par l'employeur par lequel a été fixé le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, ni l'autorité de la chose jugée par le juge administratif saisi en application de l'article L. 1235-7-1 du code du travail.

7. Il en résulte qu'un salarié peut, au soutien de demandes salariales ou indemnitaires formées contre l'employeur, se prévaloir du défaut de validité de l'accord collectif déterminant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, qui résulte des motifs de la décision du juge administratif annulant la décision de validation de cet accord.

8. La cour d'appel, qui a constaté que la cour administrative d'appel avait, par un arrêt définitif, annulé la décision de validation de l'accord collectif du 20 novembre 2013 au motif d'un vice en affectant les conditions de conclusion et le privant de son caractère majoritaire, a, à bon droit, sans dénaturer cet arrêt, ni violer le principe de séparation des pouvoirs, écarté l'application des clauses de cet accord.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur, pris en sa troisième branche : Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Pages jaunes à verser à Mme [Y] la somme de 195,73 euros bruts au titre du rappel de salaire afférent à la période de congé de reclassement et 19,57 euros bruts de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 8 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : M. Cathala (président) - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1235-7-1 du code du travail.

1re Civ., 19 mai 2021, n° 19-21.955, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Contrat administratif – Demande tendant à la réparation de la rupture brutale d'une relation commerciale établie

Saisi en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 (1re Civ., 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-21.955, Bull. 2020, (Renvoi devant le Tribunal des conflits, sursis à statuer)), le Tribunal des conflits a, par décision du 8 février 2021 (n° 4201), énoncé qu'un contrat qui lie un établissement public et une société, est régi par les stipulations du cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles de la personne publique prévoyant, notamment, à son bénéfice, la possibilité de résilier unilatéralement le contrat et que comportant ainsi des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, ce contrat passé entre une personne publique et une personne privée est un contrat administratif. Il retient que la demande d'une société, qui tend à obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la rupture brutale de la relation antérieurement établie entre elle et une personne publique, est relative à la cessation de la relation contractuelle résultant de ce contrat administratif, alors même qu'elle se prévaut des dispositions du 5° du I de l'article L. 442-6 du code de commerce, désormais reprises en substance à l'article L. 442-1 du même code et que le litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

Dès lors, viole la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, une cour d'appel qui déclare la juridiction judiciaire compétente pour connaître d'une demande formée par une société, qui tend à obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la rupture brutale de la relation antérieurement établie entre elle et un établissement public.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2019), la société Entropia-conseil, qui a pour activité le conseil en organisation et en management d'entreprises, a réalisé diverses prestations pour le compte de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) SNCF réseau, en exécution de bons de commande soumis aux stipulations du cahier des clauses générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles du groupe SNCF.

2. Elle a saisi le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5°, et L. 420-1 et suivants du code de commerce, aux fins d'obtenir la condamnation des EPIC SNCF réseau et SNCF à l'indemniser des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies et de pratiques anticoncurrentielles.

3. Les EPIC SNCF réseau et SNCF ont soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative, qui a été écartée.

4. Cependant, saisi par la Cour de cassation (1re Civ., 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-21.955, publié), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par arrêt du 8 février 2021 (n° 4201), énoncé :

« Le contrat qui liait l'établissement public SNCF réseau et la société Entropia-conseil était régi par les stipulations du cahier des clauses et conditions générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles du groupe SNCF prévoyant, notamment, au bénéfice de la personne publique contractante, la possibilité de résilier unilatéralement le contrat. Comportant ainsi des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l'exécution du contrat, impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs, ce contrat passé entre une personne publique et une personne privée est un contrat administratif.

La demande de la société Entropia-conseil, qui tend à obtenir réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la rupture brutale de la relation antérieurement établie entre elle et SNCF réseau, est relative à la cessation de la relation contractuelle résultant de ce contrat administratif, alors même que la société se prévaut des dispositions du 5° du I de l'article L. 442-6 du code de commerce, désormais reprises en substance à l'article L. 442-1 du même code et que, dès lors, le litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative ».

5. Conformément à l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, cette décision s'impose à toutes les juridictions judiciaires et administratives.

6. Il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige opposant les établissements publics industriels et commerciaux SNCF réseau et SNCF et la société Entropia-conseil ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Champ - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; articles L. 442-6, I, 5°, et L. 442-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 8 février 2021, n° 4201, mentionné dans les tables du Recueil Lebon.

Soc., 27 mai 2021, n° 19-10.041, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires – Accord collectif soumis à la loi du 13 juillet 1983 – Dénonciation de l'accord collectif – Contestation de la dénonciation

Saisi par la Cour de cassation (Soc., 22 janv. 2020, pourvoi n° 19-10.041, publié), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par décision du 6 juillet 2020 (n° 4188), énoncé que, en l'état de la législation applicable, la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, qui demeurent régies par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, relève de la compétence administrative, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée.

Il en résulte que la contestation de la décision unilatérale par laquelle la société la Poste a abrogé, le 5 avril 2017, un accord cadre du 4 décembre 1998 et une instruction du 26 janvier 1999 relatifs à l'exercice du droit syndical au sein de la société, relève de la compétence de la juridiction administrative.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 novembre 2018), statuant en référé, le syndicat pour la défense des postiers (le syndicat) a revendiqué auprès de la société La Poste (la société) la mise en oeuvre en sa faveur de dispositions résultant de l'accord-cadre du 4 décembre 1998 et de l'instruction du 26 janvier 1999 relatifs à l'exercice du droit syndical au sein de La Poste.

La société a procédé, par note de service valant décision unilatérale du 5 avril 2017, à l'abrogation de l'accord-cadre de 1998 et de l'instruction de 1999.

2. Le syndicat a contesté la licéité de cette abrogation devant le juge des référés.

La société a soulevé l'incompétence du juge judiciaire au profit de la juridiction administrative.

Examen des moyens

Sur les deux moyens réunis

Enoncé des moyens

3. Par son premier moyen, la société fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence au profit des juridictions de l'ordre administratif et de dire que l'accord collectif du 4 décembre 1998 doit être maintenu jusqu'à son abrogation éventuelle par dénonciation conventionnelle en bonne et due forme, alors :

« 1°/ qu'aux termes des articles 29 et 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, dans leur rédaction applicable au litige, la conclusion à La Poste d'un accord collectif concernant ses personnels de droit public et de droit privé est soumise aux règles de droit public de la négociation collective et non aux règles du droit du travail ; qu'il s'en suit que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de sa légalité, de son exécution et de son abrogation ; qu'en retenant la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la légalité de l'abrogation d'un accord collectif conclu à La Poste le 4 décembre 1998 en application de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 et de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et non pas de l'article L. 2233-1 du code du travail, la cour d'appel a violé l'article 33 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16 et 24 août 1790 et le décret du 16 fructidor An III ;

2°/ en outre que l'exercice du droit syndical à La Poste n'est pas soumis aux dispositions du code du travail, mais aux dispositions spécifiques de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée et, s'agissant des fonctionnaires, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ; qu'il s'ensuit qu'un accord collectif destiné à régir l'exercice du droit syndical à La Poste, et ayant vocation à s'appliquer indifféremment aux agents de droit public et de droit privé, a la nature d'un acte administratif ; que les litiges élevés sur la conclusion, la mise en oeuvre et l'abrogation d'un tel accord relèvent de la compétence de la juridiction administrative, peu important l'auteur de l'acte abrogatif ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé derechef les textes susvisés ;

3°/ que la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ;

qu'en se fondant, pour retenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de la légalité de l'abrogation par La Poste d'un accord collectif du 4 décembre 1998, ayant la nature d'un acte administratif, sur la circonstance que « depuis le 1er mars 2010, l'entreprise est devenue une société anonyme », la cour d'appel a violé l'article 2 du code civil. »

4. Par son second moyen, la société fait grief à l'arrêt de dire que l'accord collectif du 4 décembre 1998 relatif à l'exercice du droit syndical au sein de la SA La Poste doit être maintenu jusqu'à son abrogation éventuelle par dénonciation conventionnelle en bonne et due forme ou à l'issue, le cas échéant, d'une procédure contentieuse de fond, alors :

« 1°/ qu'est dépourvue d'objet la requête tendant à obtenir le maintien d'un accord dépourvu de force exécutoire, l'acte abrogeant un tel accord dépourvu, par lui-même, de tout effet juridique ne pouvant créer aucun trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, l'accord collectif conclu le 4 décembre 1998 sur le droit syndical à La Poste étant en lui-même dépourvu de force obligatoire et n'ayant acquis une telle force que par le seul effet de l'instruction du 26 janvier 1999, son abrogation par la décision du 5 avril 2017 ne pouvait créer aucun trouble manifestement illicite ; que par ailleurs, cette décision n'était pas critiquée en ce qu'elle avait abrogé l'instruction du 26 janvier 1999 ayant repris les stipulations de l'accord du 4 décembre 1998 afin de leur conférer une valeur réglementaire ; qu'en retenant néanmoins à l'appui de sa décision que la « dénonciation de l'accord du 4 décembre 1998 constituait un trouble manifestement illicite », la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile, ensemble l'article 31 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 » ;

2°/ en toute hypothèse que constitue un acte administratif dont l'abrogation est soumise aux règles de forme et de compétences prévues par le droit administratif, un accord collectif du 4 décembre 1998 gouvernant l'exercice du droit syndical à La Poste, conclu à La Poste non en application de l'article L. 2233-1 du code du travail, mais de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 réglant le droit syndical dans la fonction publique, et destiné à s'appliquer tant aux agents publics qu'aux personnels de droit privé ; qu'en énonçant, pour considérer que l'abrogation de cet accord par décision unilatérale de La Poste caractérisait un trouble manifestement illicite, que "? la dénonciation de l'accord du 4 décembre 1998 est soumise aux dispositions 4 104 du code du travail des articles L. 2261-9 et suivants qui organisent une procédure spécifique, et notamment la mise en oeuvre d'une nouvelle négociation pour remplacer l'accord dénoncé », que La Poste n'avait pas respectée, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 2261-9 du code du travail, ensemble l'article 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III :

5. Saisi par la Cour de cassation (Soc., 22 janv. 2020, pourvoi n° 19-10.041, publié), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par arrêt du 6 juillet 2020 (n° 4188), énoncé :

« (...) Pour ce qui concerne spécialement la définition des règles relatives aux conditions matérielles d'exercice du droit syndical au sein de La Poste, faisant l'objet du présent litige, il résulte des dispositions des articles 29 et 31 de la loi du 2 juillet 1990, qui ont été initialement adoptées en 1990 alors que le personnel de La Poste était composé de fonctionnaires et n'ont pas été remises en cause par la suite, notamment pas par la loi du 9 février 2010, que le législateur a entendu écarter l'application à La Poste des dispositions du code du travail relatives aux institutions représentatives du personnel et aux délégués syndicaux ainsi que de celles qui, relatives aux conditions matérielles de l'exercice du droit syndical, n'en sont pas séparables. Il s'ensuit que, en l'état de la législation applicable, la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, qui demeurent régies par la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, relève de la compétence administrative, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée. Il résulte de ce qui précède que le litige relève de la compétence de la juridiction administrative » (§13 et 14).

6. Conformément à l'article 11 de la loi du 24 mai 1872 relative au Tribunal des conflits, cette décision s'impose à toutes les juridictions judiciaires et administratives.

7. Il s'ensuit qu'en retenant sa compétence pour connaître du litige, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. Il y a lieu de déclarer la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique ; article 31-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée.

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