Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

SECURITE SOCIALE, ALLOCATION VIEILLESSE POUR PERSONNES NON SALARIEES

2e Civ., 12 mai 2021, n° 19-20.938, (P)

Cassation partielle

Professions libérales – Pension – Avocat – Clause de stage – Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Article 1 du Protocole additionnel n° 1 – Conventionnalité – Détermination – Portée

L'article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

Le dispositif, dit de « clause de stage », du régime d'assurance vieillesse de base des avocats, résultant des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale, alors en vigueur, prévoit que l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, a droit à une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée.

En ne prévoyant le versement à l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d'une carrière professionnelle, que d'une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 juin 2019), M. [F] (l'assuré), qui a exercé la profession d'avocat de 1975 à 1990, a sollicité la liquidation de ses droits à la retraite le 17 novembre 2015.

La Caisse nationale des barreaux français (la Caisse) lui a délivré, le 18 mars 2016, un titre de pension lui attribuant, à compter du 1er janvier 2016, au titre de l'assurance vieillesse de base, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, à proportion de 58/60èmes.

2. Contestant les modalités de liquidation de sa prestation, l'assuré a saisi

d'un recours un tribunal de grande instance.

Examen du moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale, ces deux derniers alors en vigueur :

4. Le premier de ces textes implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

5. Selon le deuxième, l'assuré assujetti au régime d'assurance vieillesse des avocats qui ne justifie pas d'une durée d'assurance fixée par le dernier à soixante trimestres, a droit à une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée.

6. Le droit individuel à pension constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Le dispositif, dit de « clause de stage », du régime d'assurance vieillesse de base des avocats, décrit au point 5, constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés au régime, en ce qu'il porte une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de pension de retraite s'ils ne justifient pas de la durée d'assurance requise. Cette ingérence contrevient aux principes qui régissent l'aménagement des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse, dont le régime d'assurance vieillesse des avocats fait partie, et, notamment, au caractère contributif des régimes énoncé à l'article L. 111-2-1, II, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale et aux règles de coordination entre les régimes au bénéfice des assurés ayant relevé simultanément ou successivement de plusieurs régimes au cours de leur carrière.

8. Cette ingérence repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, et poursuit un motif d'intérêt général en tant qu'elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné.

9. Toutefois, en ne prévoyant le versement à l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d'une carrière professionnelle, que d'une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence. Dés lors, l'application des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale susvisés doit être écartée.

10. Pour débouter l'assuré de sa demande, l'arrêt, en se fondant sur ces dernières dispositions, retient essentiellement que l'assuré ne justifie que de cinquante-huit trimestres d'affiliation auprès de la Caisse et qu'il en résulte que le titre de pension qui lui a été notifié a été régulièrement établi.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris rejetant la demande de médiation judiciaire présentée par M. [F], l'arrêt rendu le 13 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale ; article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 3 mars 2011, Klein c. Autriche, n° 57028/00.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.