Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Com., 5 mai 2021, n° 19-21.468, (P)

Rejet

Cautionnement – Mention manuscrite prescrite par l'article L. 341-2 du code de la consommation – Défaut – Fraude de la caution – Applications diverses – Mention manuscrite rédigée par un tiers – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 29 mai 2019), par un acte du 1er avril 2005, la société Franfinance a conclu avec la société [Personne physico-morale 1] (la société) un contrat de crédit-bail portant sur divers matériels. A la suite d'impayés de loyers, le crédit-bailleur a accordé à la société des échéanciers, par avenant du 5 novembre 2010.

Par un acte du 9 décembre 2010, M. [L], dirigeant de la société, s'est rendu caution solidaire du paiement des sommes dues au titre du contrat de crédit-bail.

2. De nouveaux loyers étant restés impayés, le crédit-bailleur et le crédit-preneur ont conclu, le 19 avril 2013, un protocole de règlement, se substituant à l'avenant du 5 novembre 2010. Ce protocole n'ayant pas été respecté, le crédit-bailleur a assigné la société et la caution en paiement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches

Enoncé du moyen

3. La société et M. [L] font grief à l'arrêt de déclarer recevable et bien fondée la société Franfinance en toutes ses demandes, de les déclarer mal fondés en tous leurs moyens et prétentions, de déclarer valide l'acte de cautionnement souscrit par M. [L] et, en conséquence, de condamner solidairement la société et M. [L] à payer à la société Franfinance la somme de 304 509,28 euros au titre de la créance en principal, des pénalités et intérêts de retard, alors :

« 1° / qu'est nul l'engagement de caution solidaire, pris par acte sous seing privé par une personne physique envers un créancier professionnel, qui ne comporte pas les mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 331-2, du code de la consommation ; qu'en refusant de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement solidaire du 9 décembre 2010, après avoir relevé que les mentions manuscrites portées sur ledit acte n'avaient pas été rédigées de la main de M. [L], la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

2°/ qu'est nul l'engagement de caution solidaire, pris par acte sous seing privé par une personne physique envers un créancier professionnel, qui ne comporte pas les mentions manuscrites exigées par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 331-2, du code de la consommation ; que l'éventuel aveu de la caution ne peut pallier le défaut de régularité formelle de l'acte tiré de l'absence d'apposition par la caution des mentions manuscrites requises par la loi ; qu'en refusant de prononcer la nullité de l'acte de cautionnement solidaire du 9 décembre 2010, après avoir constaté que les mentions manuscrites portées sur ledit acte n'avaient pas été rédigées de la main de M. [L], au prétexte que ce dernier avait reconnu en être le véritable signataire, la cour d'appel a violé les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 14 mars 2016 ;

3°/ que, dans conclusions d'appel, M. [L] contestait, preuve à l'appui, être le signataire de l'acte de cautionnement solidaire du 9 décembre 2010 et demandait qu'une expertise graphologique soit ordonnée ; qu'en affirmant qu'il ressortait des conclusions d'appel de M. [L] que celui-ci reconnaissait être le signataire de l'acte de cautionnement litigieux, la cour d'appel, qui a dénaturé ces écritures, a violé le principe selon lequel le juge a l'interdiction de dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

4°/ qu'en affirmant qu'il ressortait des pièces versées aux débats que M. [L] reconnaissait être le signataire de l'acte de cautionnement solidaire du 9 décembre 2010, sans indiquer sur quel élément de preuve elle se fondait, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte du principe fraus omnia corrumpit que la fraude commise par la caution dans la rédaction des mentions manuscrites légales, prescrites, à peine de nullité du cautionnement, par les articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1 et L. 343-2 et L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation interdit à cette dernière de se prévaloir de ces dispositions.

5. Ayant constaté, par motifs adoptés, que les signatures de M. [L] figurant sur l'acte de cautionnement et sur la fiche de renseignements étaient strictement identiques et que M. [L] ne pouvait donc alléguer n'avoir pas signé l'acte de cautionnement, puis relevé, par motifs propres, s'agissant des mentions manuscrites, qu'en dépit des précisions données dans l'acte, lequel comporte trois pages, toutes paraphées par le souscripteur, dont la dernière précise de manière très apparente et en caractères gras, que la signature de la caution doit être précédée de la mention manuscrite prévue par la loi, M. [L] a néanmoins « cru devoir faire » rédiger ladite mention par sa secrétaire, au lieu d'y procéder lui-même, détournant ainsi sciemment le formalisme de protection dont il se prévaut désormais pour tenter de faire échec à la demande en paiement, la cour d'appel, abstraction faite du motif critiqué par la troisième branche, a exactement déduit de la faute intentionnelle dont elle a ainsi retenu l'existence dans l'exercice de son pouvoir souverain, que la caution ne pouvait invoquer la nullité de son engagement.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Énoncé du moyen

7. La société et M. [L] font encore grief à l'arrêt de déclarer recevable et bien fondée la société Franfinance en toutes ses demandes, de les déclarer mal fondés en tous leurs moyens et prétentions et, en conséquence, de condamner solidairement la société et M. [L] à payer à la société Franfinance la somme de 304 509,28 euros au titre de la créance au principal, des pénalités et intérêts de retard, alors « qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; qu'en se fondant, pour juger que M. [L] ne rapportait pas la preuve du caractère disproportionné de son engagement de caution au jour de sa souscription, sur la fiche de renseignements signée le 9 mars 2011, soit trois mois après la date de conclusion du cautionnement, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des considérations impropres à établir l'absence de disproportion du cautionnement avec les biens et revenus de la caution au jour où il a été souscrit, a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 341-4, devenu L. 332-1 et L. 343-4, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

8. Loin de se fonder sur la seule fiche de renseignements signée par M. [L] le 9 mars 2011, l'arrêt retient que le salaire annuel de 27 000 euros indiqué sur cette fiche, postérieure à la date du cautionnement de trois mois seulement, corroborait le niveau de rémunération résultant des fiches de paie afférentes à l'année 2010, mentionnant un salaire d'environ 2 250 euros par mois, et que, s'agissant du patrimoine immobilier détenu par la caution, cette dernière s'est abstenue de justifier de sa consistance précise et chiffrée, les documents produits par M. [L] étant insuffisants, en l'absence de précisions complémentaires, à démontrer l'inadéquation existant, à la date de la signature de l'acte de cautionnement, soit au 9 décembre 2010, entre la valorisation du patrimoine immobilier de la caution et le montant de son engagement.

En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a retenu que M. [L] ne rapportait pas la preuve de la disproportion manifeste alléguée, à la date de son engagement, a légalement justifié sa décision.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches

Enoncé du moyen

10. La société et M. [L] font enfin grief à l'arrêt de déclarer recevable et bien fondée la société Franfinance en toutes ses demandes, de les déclarer mal fondés en tous leurs moyens et prétentions et de débouter M. [L] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement par la société Franfinance à son obligation de mise en garde, alors :

« 1° / que le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie ; que la qualification de caution avertie ne peut se déduire ni de la seule qualité de dirigeant de la société débitrice principale ni de l'âge de la caution ; qu'en qualifiant M. [L] de caution avertie au regard de sa seule qualité de gérant de la société [Personne physico-morale 1] et de ce qu'il était âgé de plus de 35 ans au jour de la signature du contrat de cautionnement, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à établir que la caution était avertie, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque son engagement n'est pas, à la date de sa souscription, adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti et résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; qu'en jugeant que la société Franfinance n'était pas débitrice d'une obligation particulière de mise en garde vis-à-vis de la caution au prétexte que le contrat de crédit-bail ne constitue pas un concours financier en tant que tel, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque son engagement n'est pas, à la date de sa souscription, adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti et résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; qu'en se fondant, pour juger que la société Franfinance n'était pas débitrice d'une obligation particulière de mise en garde vis-à-vis de la caution, sur la circonstance que l'engagement de caution a été accepté par M. [L] cinq années après la signature du contrat de crédit-bail et concomitamment à la signature d'un aménagement de l'échéancier qui a permis à la société débitrice de conserver le matériel objet du contrat et ainsi de maintenir son activité, la cour d'appel, qui s'est déterminée par un motif inopérant, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

4°/ que le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie lorsque son engagement n'est pas, à la date de sa souscription, adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti et résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur ; qu'en jugeant, par motifs réputés adoptés, que la société Franfinance avait satisfait à son devoir de mise en garde, après avoir relevé qu'il n'apparaît nullement que celle-ci ait, lors de la souscription par M. [L] de son engagement de caution, délivré à ce dernier une quelconque mise en garde, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 « février 2016. »

Réponse de la Cour

11. Le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu' il existe un risque de l'endettement né de la conclusion du crédit-bail garanti, lequel résulte de l'inadaptation dudit contrat aux capacités financières du crédit-preneur. Ayant relevé que M. [L] était le gérant de la société cautionnée depuis de nombreuses années, faisant ressortir son expérience de la vie des affaires, la cour d'appel, qui ne s'est pas ainsi fondée sur la seule qualité de gérant, abstraction faite des motifs critiqués par les deuxième, troisième et quatrième branches, a pu retenir le caractère averti de la caution, dispensant le crédit-bailleur de toute obligation de mise en garde à son égard.

12. Le moyen, pour partie inopérant, n'est donc pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : Me Haas ; SCP Lévis -

Textes visés :

Articles L. 341-2 et L. 341-3, devenus L. 331-1, L. 343-2, L. 331-2 et L. 343-3, du code de la consommation.

3e Civ., 12 mai 2021, n° 19-16.514, (P)

Cassation sans renvoi

Paiement – Action – Prescription – Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs – Acquisition – Extinction de la créance – Hypothèque – Effet

L'acquisition de la prescription biennale de l'action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque qui constitue l'accessoire de la créance.

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 20 novembre 2018), suivant acte notarié du 16 juin 1995, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan, aux droits de laquelle vient la société Intrum Justitia Debt Finance (société Intrum), a consenti un prêt à M. et Mme [C].

2. Le 5 avril 2000, la société Intrum a inscrit, sur un immeuble appartenant à M. [C], une hypothèque judiciaire provisoire à laquelle a été substituée, le 12 mai 2000, une inscription définitive.

3. La société Intrum ayant délivré aux emprunteurs un commandement de payer valant saisie immobilière, le juge de l'exécution a déclaré prescrite l'action en paiement et nul le commandement.

4. M. [C] a assigné la société Intrum aux fins d'obtenir la radiation de l'inscription hypothécaire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors « que les hypothèques s'éteignent par l'extinction de l'obligation principale ; que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'après avoir constaté la prescription biennale de l'action en paiement du professionnel prononcée par un jugement définitif en date du 2 août 2016, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les articles L. 137-2 du code de la consommation, 2488 et 2219 du code civil, rejeter la demande de radiation de l'hypothèque litigieuse en considérant que l'obligation principale aurait survécu à la prescription de l'action en paiement. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article 2488, 1° et 4°, deuxième alinéa, du même code :

6. Selon le premier de ces textes, les obligations s'éteignent par la prescription.

7. En application du second, les privilèges et hypothèques s'éteignent par l'extinction de l'obligation principale, sous réserve du cas prévu par l'article 2422 du code civil, et la prescription est acquise au débiteur, quant aux biens qui sont dans ses mains, par le temps fixé pour la prescription des actions qui donnent l'hypothèque ou le privilège.

8. En précisant que la prescription est acquise au débiteur resté détenteur de l'immeuble hypothéqué par le temps fixé pour la prescription de l'action qui naît de l'obligation principale dont l'hypothèque ou le privilège est l'accessoire, les rédacteurs du code civil ont souhaité proscrire la règle de l'ancien droit, selon laquelle l'action hypothécaire survivait à la prescription de l'action personnelle en devenant l'accessoire d'une obligation naturelle, et faire, au contraire, coïncider la prescription de la créance et l'extinction de l'hypothèque.

9. Admettre que l'hypothèque ou le privilège puisse survivre à la prescription de l'action en exécution de l'obligation principale remettrait en cause cet objectif, en permettant l'exercice de l'action hypothécaire après prescription de l'action personnelle.

10. Il en résulte que la prescription, qu'elle concerne l'obligation principale ou l'action en paiement emporte, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque ou du privilège.

11. Pour rejeter la demande de radiation, l'arrêt retient que la prescription de l'action en paiement résultant de l'application des dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation n'éteint pas le droit du créancier, auquel elle interdit seulement d'exiger l'exécution de l'obligation, et que cette prescription n'a pas non plus pour effet d'éteindre le titre constatant la créance.

12. En statuant ainsi, alors que l'acquisition de la prescription biennale de l'action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque qui constitue l'accessoire de la créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. L'acquisition de la prescription biennale de l'action de la société Intrum entraînant la prescription de l'hypothèque, il y a lieu d'accueillir la demande de radiation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE la radiation de l'hypothèque judiciaire définitive inscrite sur l'immeuble situé à [Adresse 3][Localité 1], lieudit [Localité 2], cadastré section [Cadastre 1] pour une contenance de 4 a 35 ca.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 2488, 1° et 4°, alinéa 2, du code civil.

3e Civ., 12 mai 2021, n° 19-16.515, (P)

Cassation sans renvoi

Paiement – Action – Prescription – Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs – Acquisition – Extinction de la créance – Hypothèque – Effet

L'acquisition de la prescription biennale de l'action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque qui constitue l'accessoire de la créance.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 20 novembre 2018), suivant acte notarié du 16 juin 1995, la caisse régionale de Crédit agricole mutuel du Morbihan, aux droits de laquelle vient la société Intrum Justitia Debt Finance (société Intrum), a consenti à M. et Mme [O] un prêt garanti par une hypothèque sur un immeuble leur appartenant.

2. La société Intrum ayant délivré aux emprunteurs un commandement de payer valant saisie immobilière, le juge de l'exécution a dit prescrite l'action en paiement et nul le commandement.

3. M. et Mme [O] ont assigné la société Intrum aux fins d'obtenir la radiation de l'inscription hypothécaire.

Examen du moyen

Sur le moyen unique

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [O] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande, « alors que les hypothèques s'éteignent par l'extinction de l'obligation principale ; que la prescription extinctive est un mode d'extinction d'un droit résultant de l'inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps ; qu'après avoir constaté la prescription biennale de l'action en paiement du professionnel prononcée par un jugement définitif en date du 2 août 2016, la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître les articles L. 137-2 du code de la consommation, 2488 et 2219 du code civil, rejeter la demande de radiation de l'hypothèque litigieuse en considérant que l'obligation principale aurait survécu à la prescription de l'action en paiement. » Réponse de la Cour

Vu l'article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 2488, 1° et 4°, deuxième alinéa, du même code :

5. Selon le premier de ces textes, les obligations s'éteignent par la prescription.

6. En application du second, les privilèges et hypothèques s'éteignent par l'extinction de l'obligation principale, sous réserve du cas prévu par l'article 2422 du code civil, et la prescription est acquise au débiteur, quant aux biens qui sont dans ses mains, par le temps fixé pour la prescription des actions qui donnent l'hypothèque ou le privilège.

7. En précisant que la prescription est acquise au débiteur resté détenteur de l'immeuble hypothéqué par le temps fixé pour la prescription de l'action qui naît de l'obligation principale dont l'hypothèque ou le privilège est l'accessoire, les rédacteurs du code civil ont souhaité proscrire la règle de l'ancien droit, selon laquelle l'action hypothécaire survivait à la prescription de l'action personnelle en devenant l'accessoire d'une obligation naturelle, et faire, au contraire, coïncider la prescription de la créance et l'extinction de l'hypothèque.

8. Admettre que l'hypothèque ou le privilège puisse survivre à la prescription de l'action en exécution de l'obligation principale remettrait en cause cet objectif, en permettant l'exercice de l'action hypothécaire après prescription de l'action personnelle.

9. Il en résulte que la prescription, qu'elle concerne l'obligation principale ou l'action en paiement emporte, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque ou du privilège.

10. Pour rejeter la demande de radiation, l'arrêt retient que la prescription de l'action en paiement résultant de l'application des dispositions de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation n'éteint pas le droit du créancier, auquel elle interdit seulement d'exiger l'exécution de l'obligation, et que cette prescription n'a pas non plus pour effet d'éteindre le titre constatant la créance.

11. En statuant ainsi, alors que l'acquisition de la prescription biennale de l'action du professionnel contre le consommateur entraîne, par voie de conséquence, l'extinction de l'hypothèque qui constitue l'accessoire de la créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés. Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. L'acquisition de la prescription biennale de l'action de la société Intrum entraînant la prescription de l'hypothèque, il y a lieu d'accueillir la demande de radiation.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

ORDONNE la radiation de l'hypothèque inscrite sur l'immeuble situé commune de Nouaillé-Maupertuis, cadastré section D, numéro [Cadastre 1].

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 1234 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 2488, 1° et 4°, alinéa 2, du code civil.

1re Civ., 19 mai 2021, n° 20-12.520, (P)

Cassation partielle

Paiement – Action – Prescription – Délai biennal prévu en matière de biens et services fournis aux consommateurs – Point de départ – Date de connaissance des faits permettant au professionnel d'exercer son action – Détermination

En application des articles 2224 du code civil et L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation, il y a désormais lieu de prendre en compte, pour fixer le point de départ du délai biennal de prescription de l'action en paiement de travaux et services engagée à l'encontre de consommateurs par un professionnel, la date de la connaissance des faits permettant à ce dernier d'exercer son action. Cette date peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations.

Toutefois, dès lors que l'application, au cas d'espèce, de la jurisprudence nouvelle aboutirait à priver ce professionnel d'accès au juge, il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, et de prendre en compte la date d'établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l'assignation des consommateurs. Dès lors, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la date d'établissement de la facture qu'il lui incombait, le cas échéant, de déterminer, a violé les textes susvisés.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 novembre 2019), ayant entrepris la construction d'une maison d'habitation, M. et Mme [T] ont confié à la société Veronneau des travaux de gros oeuvre. Un procès-verbal de réception des travaux avec réserves a été établi le 1er août 2013.

2. Invoquant le défaut de paiement d'une facture émise le 31 décembre 2013, la société Veronneau a, le 24 décembre 2015, assigné en paiement M. et Mme [T]. Ces derniers ont opposé la prescription de l'action.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Veronneau fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en paiement du solde des travaux, alors « que le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en paiement d'une facture de travaux se situe au jour de son établissement ; que, pour déclarer la société Veronneau prescrite en son action en paiement de la facture correspondant au solde des travaux réalisés, la cour d'appel fixe au 1er septembre 2013 le point de départ de la prescription de cette action ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que cette facture était datée du 31 décembre 2013, de sorte que l'action de la société Veronneau n'était pas prescrite lorsqu'elle avait assigné, le 24 décembre 2015, M. et Mme [T] en paiement du solde de cette facture, la cour d'appel a violé l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et 2224 du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Selon le second, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. S'il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l'article 2224 du code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée (1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111), il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d'une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l'établissement de la facture (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi n° 16-12.457, Bull. 2017, I, n° 136).

6. Cependant, la Cour de cassation retient désormais que l'action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d'agir, pouvant être fixée à la date de l'achèvement des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié).

7. Au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil dont l'application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et afin d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations.

8. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action en paiement formée par la société Veronneau, l'arrêt retient que la facture datée du 31 décembre 2013 a été établie près de sept mois après l'exécution de la prestation en méconnaissance des délais d'établissement impartis par les articles L. 441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n'est pas certaine et que le délai de prescription a commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.

9. Au vu de la jurisprudence, énoncée au point 5, relative à la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de travaux formée contre un consommateur à la date d'établissement de la facture, la prescription de l'action de la société Veronneau serait susceptible d'être écartée, tandis que la modification de ce point de départ, conformément au point 7, pourrait conduire à admettre la prescription au regard des constatations de la cour d'appel relatives à la date d'exécution de la prestation.

10. Cependant, si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en oeuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action.

11. L'application de la jurisprudence nouvelle à la présente instance aboutirait à priver la société Veronneau, qui n'a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge, de sorte qu'il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, en prenant en compte la date d'établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l'assignation de M. et Mme [T].

12. En statuant comme il a été dit, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la date d'établissement de la facture qu'il lui incombait, le cas échéant, de déterminer, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Veronneau prescrite en son action en paiement du solde des travaux, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation ; article 2224 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 (cassation partielle) ; A rapprocher : Ass. plén., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20.493, Bull. 2006, Ass. plén, n° 15 (rejet), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932, Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.