Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

ORGANISMES INTERNATIONAUX

1re Civ., 12 mai 2021, n° 19-13.853, (P)

Rejet

Banques centrales et autorités monétaires étrangères – Immunité d'exécution – Article L. 153-1, alinéa 1, du code monétaire et financier – Etendue – Détermination – Portée

L'insaisissabilité des avoirs de réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'Etat ou des Etats étrangers dont elles relèvent, prévue à l'alinéa 1 de l'article L.153-1 du code monétaire et financier, est instituée, en raison de la nature des biens concernés, afin de garantir le fonctionnement de ces banques et autorités monétaires, indépendamment de l'immunité d'exécution reconnue aux Etats étrangers.

Si cette insaisissabilité constitue une ingérence dans l'exercice du droit à l'exécution et du droit de propriété du créancier, elle poursuit un but légitime en ce qu'elle vise à préserver le fonctionnement d'institutions qui concourent à la définition et à la mise en oeuvre de la politique monétaire et à prévenir un blocage des réserves de change placées en France. Dès lors qu'elle ne s'applique qu'aux valeurs ou biens détenus en France par les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères et non à l'ensemble du patrimoine de l'Etat ou des Etats étrangers dont elles relèvent, elle n'apporte pas au regard du but poursuivi une atteinte disproportionnée aux droits garantis par l'article 1er, alinéa 1, du protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et à l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 14 février 2019), la société Commission Import Export (Commisimpex), en exécution de deux sentences arbitrales rendues le 3 décembre 2000 et le 21 janvier 2013, condamnant la République du Congo et la Caisse congolaise d'amortissement à lui payer différentes sommes, a, par actes des 14 novembre et 9 décembre 2016, fait pratiquer deux saisies-attributions entre les mains du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l'économie et des finances (le contrôleur budgétaire), sur les comptes ouverts au nom de la Banque des États de l'Afrique centrale (BEAC), au préjudice de la République du Congo.

2. Le contrôleur budgétaire ayant déclaré en réponse à ces saisies qu'aucune somme appartenant au débiteur ne pouvait être individualisée dans ses comptes et que ceux présentés comme relevant de la convention de comptes d'opérations de la BEAC cités dans le procès-verbal de saisie-attributions lui étaient inconnus, n'étant pas ouverts dans ses écritures, la société Commisimpex a assigné l'Agent judiciaire de l'État, sur le fondement de l'article R. 211-5, alinéa 2, du code des procédures civiles d'exécution, devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris, afin qu'il soit condamné à lui payer, en qualité de tiers saisi, une certaine somme à titre de dommages-intérêts, pour déclaration mensongère et inexacte.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinquième, sixième et septième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

4. La société Commisimpex fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de condamnation de l'Agent judiciaire de l'État en qualité de tiers saisi, à lui payer la somme de 986 000 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour déclaration mensongère et inexacte, et d'annuler les deux saisies-attributions pratiquées les 14 novembre et 9 décembre 2016, alors :

« 1°/ que dès lors que les dispositions de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier s'inscrivent dans les principes posés en matière d'immunité d'exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations Unies du 2 décembre 2004 sur l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens, lesquels prévoient toujours une possibilité de renonciation à cette immunité, l'État qui renonce à son immunité d'exécution sur les biens visés à l'alinéa 1er de ce texte, à savoir les biens de toute nature, notamment les avoirs de réserves de change, détenus ou gérés pour son compte par les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères, en autorise la saisie ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la République du Congo n'avait pas valablement renoncé à son immunité d'exécution, rendant saisissables ses avoirs déposés sur les comptes du CBCM, visés par l'article L. 153-1, alinéa 1er, du code monétaire et financier, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de ce texte, ensemble les règles du droit international coutumier relatives aux immunités d'exécution des États et des personnes publiques étrangères ;

2°/ qu'en toute hypothèse, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être interprétée de manière à la concilier le plus possible avec les autres règles du droit international, dont cette dernière fait partie intégrante, telles que celles relatives à l'immunité des États étrangers, de sorte que le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de cette Convention, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation à ce droit d'accès, découlant de l'immunité des États étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles de droit international généralement reconnues en matière d'immunité des États ; que les règles du droit international public, notamment la coutume internationale telle qu'elle est exprimée par la Convention des Nations Unies sur l'immunité juridictionnelle des États et de leurs biens en date du 2 décembre 2004, si elles assurent une immunité d'exécution de principe aux États et aux personnes publiques étrangères, prévoient toujours une possibilité de renonciation à cette immunité ; qu'en estimant que les dispositions de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier relatives à l'insaisissabilité des biens détenus ou gérés par les banques centrales pour le compte de l'État ou des États étrangers dont elles relèvent « ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit à l'exécution et ne méconnaissent donc pas les exigences du procès équitable », tout en retenant qu'elles interdisent toute mesure d'exécution sur ces biens, même lorsque l'État a valablement renoncé à son immunité d'exécution, de sorte que la limitation au droit d'accès à un tribunal va au-delà des règles du droit international en matière d'immunité d'exécution et porte ainsi, au droit à l'exécution des décisions de justice, une atteinte ne répondant pas au rapport raisonnable de proportionnalité exigé par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952, ensemble les règles du droit international coutumier relatives aux immunités d'exécution des États et des personnes publiques étrangères et l'article L. 153-1, alinéa 1er, du code monétaire et financier ;

3°/ qu'en toute hypothèse, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être interprétée de manière à la concilier le plus possible avec les autres règles du droit international, dont cette dernière fait partie intégrante, telles que celles relatives à l'immunité des États étrangers, de sorte que le droit d'accès à un tribunal, tel que garanti par l'article 6 de cette Convention, et dont l'exécution d'une décision de justice constitue le prolongement nécessaire, ne s'oppose pas à une limitation à ce droit d'accès, découlant de l'immunité des États étrangers, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles de droit international généralement reconnues en matière d'immunité des États ; qu'en affirmant que les dispositions de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier, relatives à l'insaisissabilité des biens détenus ou gérés par les banques centrales pour le compte de l'État ou des États étrangers dont elles relèvent, « ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit à l'exécution et ne méconnaissent donc pas les exigences du procès équitable », motif pris que « le créancier dispose d'une voie de recours, en mettant en cause la responsabilité de l'État sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour obtenir réparation du préjudice lié à l'insaisissabilité qui lui est opposée », seuls les créanciers sur lesquels pèsent des charges publiques en France parce qu'ils y ont leur résidence fiscale pouvant pourtant mettre en cause la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques, ce qui n'est pas le cas de la société Commisimpex, de sorte que la voie de recours invoquée n'était pas concrète et effective, mais illusoire, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952, ensemble les règles du droit international coutumier relatives aux immunités d'exécution des États et des personnes publiques étrangères et l'article L. 153-1, alinéa 1er, du code monétaire et financier ;

4°/ qu'en toute hypothèse, le droit au procès équitable emporte le droit du bénéficiaire d'une décision de justice à en obtenir l'exécution ; que si ce droit n'est pas absolu et se prête à des limitations, c'est à la condition que ces limitations ne restreignent pas le droit à l'exécution de la décision de justice d'une manière telle qu'il s'en trouve atteint dans sa substance même ; qu'en affirmant que les dispositions de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier, relatives à l'insaisissabilité des biens détenus ou gérés par les banques centrales pour le compte de l'État ou des États étrangers dont elles relèvent, « ne constituent pas une atteinte disproportionnée au droit à l'exécution et ne méconnaissent donc pas les exigences du procès équitable », motif pris que « le créancier dispose d'une voie de recours, en mettant en cause la responsabilité de l'État sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour obtenir réparation du préjudice lié à l'insaisissabilité qui lui est opposée », sans constater que les conditions de la responsabilité de l'État pour rupture d'égalité devant les charges publiques étaient réunies, de sorte que la voie de recours suggérée était concrète et effective et non pas illusoire, ce que contestait la société Commisimpex, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 du 20 mars 1952, ensemble les règles du droit international coutumier relatives aux immunités d'exécution des États et des personnes publiques étrangères et de l'article L. 153-1, alinéa 1er, du code monétaire et financier. »

Réponse de la Cour

5. L'article L. 153-1 du code monétaire et financier dispose :

« Ne peuvent être saisis les biens de toute nature, notamment les avoirs de

réserves de change, que les banques centrales ou les autorités monétaires

étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l'Etat ou des

Etats étrangers dont elles relèvent.

Par exception aux dispositions du premier alinéa, le créancier muni d'un titre

exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut solliciter du juge

de l'exécution l'autorisation de poursuivre l'exécution forcée dans les conditions prévues par la partie législative du code des procédures civiles d'exécution s'il établit que les biens détenus ou gérés pour son propre compte par la banque centrale ou l'autorité monétaire étrangère font partie

d'un patrimoine qu'elle affecte à une activité principale relevant du droit privé. »

6. Aux termes de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

7. L'article 1er, alinéa 1, du protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. »

8. L'insaisissabilité prévue à l'alinéa 1 de l'article L. 153-1 du code monétaire et financier est instituée, en raison de la nature des biens concernés, afin de garantir le fonctionnement de ces banques et autorités monétaires, indépendamment de l'immunité d'exécution reconnue aux Etats étrangers.

9. Si cette insaisissabilité constitue une ingérence dans l'exercice du droit à l'exécution et du droit de propriété du créancier, elle poursuit un but légitime en ce qu'elle vise à préserver le fonctionnement d'institutions qui concourent à la définition et à la mise en oeuvre de la politique monétaire et à prévenir un blocage des réserves de change placées en France. Elle se trouve proportionnée, dès lors qu'elle ne s'applique qu'aux valeurs ou biens détenus en France par les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères et non à l'ensemble du patrimoine de l'Etat ou des Etats étrangers dont elles relèvent.

10. En conséquence, la cour d'appel qui n'avait pas à effectuer la recherche visée à la première branche, a exactement retenu que l'insaisissabilité édictée par l'article L. 153-1 du code monétaire et financier n'apportait pas, au regard du but poursuivi, une atteinte disproportionnée aux droits garantis par les textes conventionnels précités.

11. Le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches, qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article L. 153-1, alinéa 1, du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

1e Civ., 25 mai 2016, pourvoi n° 15-18.646, Bull. 2016, I, n° 120 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités.

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