Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES

1re Civ., 19 mai 2021, n° 20-12.520, (P)

Cassation partielle

Article 6, § 1 – Equité – Egalité des armes – Violation – Cas – Application immédiate d'une règle jurisprudentielle nouvelle – Applications diverses – Accès au juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 novembre 2019), ayant entrepris la construction d'une maison d'habitation, M. et Mme [T] ont confié à la société Veronneau des travaux de gros oeuvre. Un procès-verbal de réception des travaux avec réserves a été établi le 1er août 2013.

2. Invoquant le défaut de paiement d'une facture émise le 31 décembre 2013, la société Veronneau a, le 24 décembre 2015, assigné en paiement M. et Mme [T]. Ces derniers ont opposé la prescription de l'action.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Veronneau fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en paiement du solde des travaux, alors « que le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en paiement d'une facture de travaux se situe au jour de son établissement ; que, pour déclarer la société Veronneau prescrite en son action en paiement de la facture correspondant au solde des travaux réalisés, la cour d'appel fixe au 1er septembre 2013 le point de départ de la prescription de cette action ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que cette facture était datée du 31 décembre 2013, de sorte que l'action de la société Veronneau n'était pas prescrite lorsqu'elle avait assigné, le 24 décembre 2015, M. et Mme [T] en paiement du solde de cette facture, la cour d'appel a violé l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et 2224 du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Selon le second, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. S'il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l'article 2224 du code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée (1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111), il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d'une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l'établissement de la facture (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi n° 16-12.457, Bull. 2017, I, n° 136).

6. Cependant, la Cour de cassation retient désormais que l'action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d'agir, pouvant être fixée à la date de l'achèvement des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié).

7. Au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil dont l'application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et afin d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations.

8. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action en paiement formée par la société Veronneau, l'arrêt retient que la facture datée du 31 décembre 2013 a été établie près de sept mois après l'exécution de la prestation en méconnaissance des délais d'établissement impartis par les articles L. 441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n'est pas certaine et que le délai de prescription a commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.

9. Au vu de la jurisprudence, énoncée au point 5, relative à la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de travaux formée contre un consommateur à la date d'établissement de la facture, la prescription de l'action de la société Veronneau serait susceptible d'être écartée, tandis que la modification de ce point de départ, conformément au point 7, pourrait conduire à admettre la prescription au regard des constatations de la cour d'appel relatives à la date d'exécution de la prestation.

10. Cependant, si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en oeuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action.

11. L'application de la jurisprudence nouvelle à la présente instance aboutirait à priver la société Veronneau, qui n'a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge, de sorte qu'il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, en prenant en compte la date d'établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l'assignation de M. et Mme [T].

12. En statuant comme il a été dit, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la date d'établissement de la facture qu'il lui incombait, le cas échéant, de déterminer, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Veronneau prescrite en son action en paiement du solde des travaux, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation ; article 2224 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 (cassation partielle) ; A rapprocher : Ass. plén., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20.493, Bull. 2006, Ass. plén, n° 15 (rejet), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932, Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 19 mai 2021, n° 19-25.749, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Equité – Egalité des armes – Violation – Cas – Application immédiate d'une règle jurisprudentielle nouvelle – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 décembre 2018), par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, Mme [D] [D] (le franchisé), qui souhaitait ouvrir un institut d'esthétique, a conclu un contrat de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant un droit d'entrée de 28 400 euros.

2. N'ayant pas obtenu les financements escomptés, le franchisé a assigné le franchiseur en nullité du contrat de franchise pour objet illicite et indemnisation.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de M. [A] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 2], prise en la personne de M. [B] en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le franchisé fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5 de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt attaqué retient que « concernant la dépilation par lumière pulsée, les textes contradictoires du code de la santé publique régissant ce domaine doivent être interprétés à la lumière du règlement européen UE 2017/745 du 5 avril 2017 adopté qui sera prochainement applicable dans le secteur des appareils litigieux, notamment son article XVI, paragraphe 5, qui n'assimile pas aux actes médicaux les équipements à lumière pulsée utilisée sur le corps humain » ; qu'en statuant par ces motifs, quand les épilations à la pince et à la cire constituent les seuls modes d'épilation pouvant être pratiqués par d'autres professionnels que les médecins et qu'il n'existe aucune contradiction, à cet égard, entre l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2-5 de l'arrêté du 6 janvier 1962 d'une part, et l'article L. 1151-2 du code de la santé publique d'autre part, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt attaqué retient que « de nombreux centres d'épilation à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l'activité et des appareils d'épilation à la lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrogation d'un règlement par désuétude ou ineffectivité n'existe pas davantage que celle d'une loi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif radicalement inopérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt retient qu' « aucun décret d'application tel que visé par l'article L. 1151-3 du code de la santé publique n'est intervenu pour interdire l'usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique » ; qu'en statuant ainsi, quand l'existence de l'article L. 4161-1 et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, qui interdisent l'épilation par laser pratiquée par des personnes qui ne sont pas médecin se suffit à elle-même et rend partant inutile la rédaction d'un décret visant à interdire l'usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique par un non-médecin, la cour d'appel, qui aurait de nouveau statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base au regard de l'article 4161-1 du code de la santé publique, de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, ensemble l'article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. L'article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, a réservé à ceux-ci la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire.

6. L'article L. 4161-1 du code de la santé publique dispose qu'exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier. 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).

8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE, 28 mars 2013, M. [K], n° 348089) et que l'article L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE 8 novembre 2017, M. [P] et autres n° 398746), le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE, 8 novembre 2019, n° 424954, mentionné aux tables du recueil Lebon).

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilation à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Dès lors, en retenant que l'illicéité de l'activité du contrat de franchise conclu le 4 décembre 2014 n'était pas caractérisée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision d'écarter la nullité invoquée et de rejeter les demandes du franchisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 4161-1 du code de la santé publique ; article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962.

Rapprochement(s) :

Sur la pratique de l'épilation à la lumière pulsée, en sens contraire : 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, Bull. 2016, I, n° 256 (rejet) ; A rapprocher : Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, Bull. crim. 2020, (cassation sans renvoi). Sur l'application immédiate du revirement de jurisprudence, à rapprocher : 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932 Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités ; Com., 26 octobre 2010, pourvoi n° 09-68.928, Bull. 2010, IV, n° 159 (rejet) ; 1re Civ., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-10.552, Bull. 2016, I, n° 80 (cassation partielle).

1re Civ., 19 mai 2021, n° 20-17.779, (P)

Cassation partielle

Article 6, § 1 – Equité – Egalité des armes – Violation – Défaut – Cas – Application immédiate d'une règle jurisprudentielle nouvelle – Condition

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mai 2020), par acte sous seing privé du 10 novembre 2014, M. [Q] et la société Beauty Pulse (les franchisés), qui souhaitaient ouvrir deux instituts esthétiques, ont conclu deux contrats de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant deux droits d'entrée d'un montant total de 52 800 euros.

2. Invoquant un vice de leur consentement et l'impossibilité d'ouvrir l'un des instituts à la suite d'un refus bancaire de financement, les franchisés ont assigné le franchiseur en nullité des contrats pour objet illicite et indemnisation de leurs préjudices.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de Mme [I] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 1], prise en la personne de M. [M] en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Depil Tech, le mandataire et l'administrateur à la procédure de sauvegarde de cette société font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats de franchise et de condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, alors « que les revirements de jurisprudence sont d'application immédiate ; qu'en retenant, pour considérer que les contrats avaient une cause (en réalité, un objet) illicite, qu'il convenait de se placer au 10 novembre 2014, date de leur signature pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 4161-1 du code de la santé publique et 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins :

5. Selon le troisième de ces textes, la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire, est réservée aux médecins.

6. Selon le deuxième, exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).

8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE, 28 mars 2013, M. [J], n° 348089) et que les articles L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE, 8 novembre 2017, M. [L] et autres n° 398746), le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE, 8 novembre 2019, M. [V] et SELARL Docteur [K] [V], n° 424954).

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilations à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure au seul motif qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Pour prononcer la nullité des contrats de franchise pour cause illicite et condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, l'arrêt retient qu'en 2014, l'épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de sursis à statuer et de révocation de l'ordonnance de clôture formées par la société Depil Tech, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 4161-1 du code de la santé publique ; article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962.

Rapprochement(s) :

Sur la pratique de l'épilation à la lumière pulsée, en sens contraire : 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, Bull. 2016, I, n° 256 (rejet) ; A rapprocher : Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, Bull. crim. 2020, (cassation sans renvoi). Sur l'application immédiate du revirement de jurisprudence, à rapprocher : 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932 Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités ; Com., 26 octobre 2010, pourvoi n° 09-68.928, Bull. 2010, IV, n° 159 (rejet) ; 1re Civ., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-10.552, Bull. 2016, I, n° 80 (cassation partielle).

2e Civ., 20 mai 2021, n° 20-13.210, (P)

Annulation

Article 6, § 1 – Equité – Procès équitable – Violation – Revirement de jurisprudence – Défaut de prévisibilité

Faits et procédure

1. Selon les décisions attaquées (Bastia, 18 décembre 2018 et 29 janvier 2020), M. [R] a relevé appel, le 6 mars 2018, du jugement d'un tribunal de commerce ayant déclaré prescrite son action tendant à la nullité de la cession des parts sociales de la société U Muvrone et déclaré irrecevable sa demande en paiement des dividendes pour défaut de qualité et d'intérêt à agir.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de M. [R] tend uniquement à dire et juger que l'acte de cession des parts en date du 23 mai 1986 est nul et de nul effet, de constater que la SARL U Muvrone prise en la personne de sa gérante a renoncé à se prévaloir de la prescription, à condamner la SARL U Muvrone à lui payer la somme de 122 783 euros au titre des dividendes qu'il aurait dû percevoir, ainsi qu'à la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, sans préciser, au préalable, qu'il demandait l'infirmation du jugement entrepris.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 mars 2018, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. [R] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'ordonnance du 18 décembre 2018 ;

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Boulloche ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 542 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet) ; 2e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-22.316, Bull. 2021, (annulation).

2e Civ., 20 mai 2021, n° 19-22.316, (P)

Annulation

Article 6, § 1 – Equité – Procès équitable – Violation – Revirement de jurisprudence – Défaut de prévisibilité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bastia, 10 juillet 2019), M. et Mme [I] ont relevé appel, le 6 juillet 2017, du jugement d'un tribunal de grande instance ayant, d'une part, condamné in solidum M. [N] et la société Calypso à payer une certaine somme à M. [I] et à l'Agent judiciaire de l'Etat et, d'autre part, rejeté les demandes de Mme [I].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais, sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 542 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. Il résulte des deux premiers de ces textes que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui a été affirmée par la Cour de cassation le 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626) pour la première fois dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

5. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions de M. et Mme [I] comporte des demandes tendant à « fixer », « condamner », « dire et juger », mais qu'ils s'abstiennent de conclure expressément à la réformation ou à l'annulation du jugement déféré, de sorte que leur appel est dénué d'objet.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle elles ont relevé appel, soit le 6 juillet 2017, une telle portée résultant de l'interprétation nouvelle de dispositions au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, l'application de cette règle de procédure dans l'instance en cours aboutissant à priver M. et Mme [I] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bastia ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles 542 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet).

2e Civ., 20 mai 2021, n° 19-19.258, n° 19-19.259, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Procédure civile – Représentation obligatoire – Formalisme excessif – Appréciation

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-19.259 et 19-19.258 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt (Aix-en-Provence, 24 janvier 2019) et les jugements (juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Grasse, 13 juin 2019) attaqués, sur des poursuites de saisie immobilière engagées par la société Deutsche Bank (la banque) à l'encontre de M. [V] et Mme [G], un jugement d'orientation en date du 31 mai 2018 a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de MM. [E] et [A], rejeté les contestations de M. [V] et Mme [G] et ordonné la vente par adjudication de l'immeuble saisi.

3. MM. [E] et [A] ont interjeté appel de ce jugement après y avoir été autorisés par une ordonnance de la présidente de la chambre agissant sur délégation du premier président.

Par arrêt du 24 janvier 2019, cet appel a été déclaré irrecevable.

4. Par un jugement du 21 mars 2019, un juge de l'exécution a fixé la date de la vente forcée au 13 juin 2019. MM. [E] et [A] ont fait signifier des conclusions d'intervention volontaire et ont demandé l'arrêt des poursuites du fait de l'exéquatur des décisions rendues par la cour d'arbitrage de la région de Moscou ayant converti la procédure ouverte contre M. [V] en liquidation judiciaire et désigné M. [A] en qualité de « gérant financier ».

5. Par un jugement du 13 juin 2019, un juge de l'exécution a déclaré irrecevable l'intervention volontaire de MM. [E] et [A] et ordonné que la vente forcée ait lieu le même jour.

Par un jugement du même jour, ce juge de l'exécution a adjugé le bien immobilier.

Recevabilité du pourvoi n° 19-19.258 contestée par la défense dirigé contre le jugement n° 2019/290 en date du 13 juin 2019 en ce qu'il déclare l'intervention volontaire de MM. [E] et [A] irrecevable.

Vu les articles 605 du code de procédure civile et R. 311-7, alinéa 1er, du code des procédures civiles d'exécution :

6. Selon le second de ces textes, les jugements sont, sauf dispositions contraires, susceptibles d'appel.

Selon le premier de ces textes, le pourvoi en cassation n'est ouvert que contre les jugements rendus en dernier ressort.

7. Il en résulte que le jugement du 13 juin 2019, qui a déclaré l'intervention volontaire et la demande aux fins d'arrêt des poursuites irrecevables, était susceptible d'appel de ce chef uniquement.

8. En conséquence, le pourvoi n'est pas recevable.

Recevabilité du pourvoi n° 19-19.258, contestée par la défense, dirigé contre le jugement en date du 13 juin 2019 en ce qu'il adjuge le bien immobilier

Vu l'article 609 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, seules les parties peuvent former un pourvoi. Un tiers est donc irrecevable à former un pourvoi contre un jugement auquel il n'est pas partie.

10. Il ne résulte pas des mentions du jugement d'adjudication du 13 juin 2019 que MM. [E] et [A] étaient parties.

11. En conséquence, le pourvoi n'est pas recevable.

Examen du moyen du pourvoi n° 19-19.259

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

12. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

13. MM. [E] et [A] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur appel, alors « que les juges ne peuvent porter une atteinte excessive au droit à l'exercice d'un recours ; qu'en considérant que l'appel des exposants serait irrecevable au seul prétexte que la copie de l'ordonnance les autorisant à assigner à jour fixe annexée aux assignations à jour fixe signifiées aux parties est dépourvue de la signature de la présidente et que la police de caractère de la date figurant sur cette copie est différente de celle de la date de l'ordonnance présente au dossier de procédure, sans pour autant constater aucune autre différence quant au contenu de cette décision, sa motivation et sa date, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionné au droit de MM. [E] et [A] à l'exercice d'un recours, et violant l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

14. Il résulte de l'article R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution, qu' à peine d'irrecevabilité relevée d'office, l'appel du jugement d'orientation doit être formé selon la procédure à jour fixe dans les quinze jours suivant la notification de ce jugement.

Aux termes de l'article 920 du code de procédure civile, relatif à la procédure du jour fixe, l'assignation pour le jour fixé doit contenir les copies de la requête, de l'ordonnance du premier président, et un exemplaire de la déclaration d'appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d'appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l'article 919.

15. Il résulte de ces textes qu'il incombe aux appelants, qui sont représentés par un avocat, de joindre à leur assignation à jour fixe la copie intègre de l'ordonnance du premier président.

16. Cette obligation est dénuée d'ambiguïté pour un avocat, professionnel avisé. Sa sanction, par une irrecevabilité de l'appel, est proportionnée au but légitime que poursuit cette disposition, qui est, dans un souci d'une bonne administration de la justice, d'assurer la célérité et l'efficacité de la procédure d'appel contre un jugement d'orientation rendu en matière de saisie immobilière et le respect du principe de la contradiction, en permettant aux autres parties de prendre connaissance en temps utile des prétentions de l'appelant ainsi que de l'ensemble des pièces de cette procédure accélérée et de vérifier sa régularité. Cette formalité, nécessaire, ne procède d'aucun formalisme excessif.

17. L'arrêt relève, d'abord, que l'ordonnance, dont la copie est dénoncée à l'assignation à jour fixe signifiée à la banque mais également aux autres parties, est dépourvue de la signature de la présidente de la chambre contrairement à celle figurant au dossier de la procédure.

18. Il constate, ensuite, que la police de caractère de la date de l'ordonnance signée par la présidente est différente de celle apparaissant sur la copie de l'ordonnance, annexée à l'assignation à jour fixe et que la date figurant sur l'ordonnance signée par la présidente est manuscrite de la façon suivante « le 04 SEP.2018 » alors que la date figurant sur la copie de l'ordonnance annexée à l'assignation à jour fixe est dactylographiée comme suit « le 4 septembre 2018 ».

19. L'arrêt en déduit qu'il est manifeste que la copie de l'ordonnance sur requête annexée aux assignations à jour fixe n'est pas celle de l'ordonnance signée et datée par la présidente de la chambre figurant au dossier de la procédure.

20. En l'état de ces constatations, c'est à bon droit que la cour d'appel a prononcé l'irrecevabilité de l'appel.

21. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DÉCLARE le pourvoi n° 19-19.258 irrecevable ;

REJETTE le pourvoi n° 19-19.259.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Article R. 322-19 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

Sur la prohibition du formalisme excessif en matière de représentation obligatoire : CEDH, arrêt du 23 octobre 1996, Levages Prestations services c. France, n° 21920/93 ; 2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.431, Bull. 2016, II, n° 247 (rejet). Sur l'appel du jugement d'orientation, à rapprocher : 2e Civ., 22 février 2012, n°10-24.410, Bull., 2012, II, n° 37 (cassation sans renvoi).

2e Civ., 12 mai 2021, n° 19-20.938, (P)

Cassation partielle

Protocole additionnel n° 1 – Article 1 – Protection de la propriété – Sécurité sociale – Clause de stage au sein du régime d'assurance vieillesse de base des avocats – Conformité – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 juin 2019), M. [F] (l'assuré), qui a exercé la profession d'avocat de 1975 à 1990, a sollicité la liquidation de ses droits à la retraite le 17 novembre 2015.

La Caisse nationale des barreaux français (la Caisse) lui a délivré, le 18 mars 2016, un titre de pension lui attribuant, à compter du 1er janvier 2016, au titre de l'assurance vieillesse de base, l'allocation aux vieux travailleurs salariés, à proportion de 58/60èmes.

2. Contestant les modalités de liquidation de sa prestation, l'assuré a saisi

d'un recours un tribunal de grande instance.

Examen du moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale, ces deux derniers alors en vigueur :

4. Le premier de ces textes implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants.

5. Selon le deuxième, l'assuré assujetti au régime d'assurance vieillesse des avocats qui ne justifie pas d'une durée d'assurance fixée par le dernier à soixante trimestres, a droit à une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés en fonction de cette durée.

6. Le droit individuel à pension constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application de l'article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. Le dispositif, dit de « clause de stage », du régime d'assurance vieillesse de base des avocats, décrit au point 5, constitue une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés au régime, en ce qu'il porte une atteinte à la substance de leurs droits à pension, en les privant de pension de retraite s'ils ne justifient pas de la durée d'assurance requise. Cette ingérence contrevient aux principes qui régissent l'aménagement des régimes obligatoires de base d'assurance vieillesse, dont le régime d'assurance vieillesse des avocats fait partie, et, notamment, au caractère contributif des régimes énoncé à l'article L. 111-2-1, II, alinéa 1er, du code de la sécurité sociale et aux règles de coordination entre les régimes au bénéfice des assurés ayant relevé simultanément ou successivement de plusieurs régimes au cours de leur carrière.

8. Cette ingérence repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne accessibles, précises et prévisibles, et poursuit un motif d'intérêt général en tant qu'elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné.

9. Toutefois, en ne prévoyant le versement à l'assuré qui ne justifie pas d'une durée d'assurance de soixante trimestres, durée significative au regard de la durée d'une carrière professionnelle, que d'une fraction de l'allocation aux vieux travailleurs salariés, manifestement disproportionnée au regard du montant des cotisations mises à sa charge au cours de la période de constitution des droits, la « clause de stage », si elle contribue à l'équilibre financier du régime de retraite concerné, porte une atteinte excessive au droit fondamental garanti en considération du but qu'elle poursuit, et ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts en présence. Dés lors, l'application des articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale susvisés doit être écartée.

10. Pour débouter l'assuré de sa demande, l'arrêt, en se fondant sur ces dernières dispositions, retient essentiellement que l'assuré ne justifie que de cinquante-huit trimestres d'affiliation auprès de la Caisse et qu'il en résulte que le titre de pension qui lui a été notifié a été régulièrement établi.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il confirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris rejetant la demande de médiation judiciaire présentée par M. [F], l'arrêt rendu le 13 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. Gaillardot (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 723-11 et R. 723-37, 3°, du code de la sécurité sociale ; article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

CEDH, arrêt du 3 mars 2011, Klein c. Autriche, n° 57028/00.

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