Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

CASSATION

1re Civ., 19 mai 2021, n° 19-25.749, (P)

Rejet

Arrêt – Arrêt de revirement – Règle nouvelle – Application dans le temps – Application à l'instance en cours – Exclusion – Cas – Partie privée d'un procès équitable – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 décembre 2018), par acte sous seing privé du 4 décembre 2014, Mme [D] [D] (le franchisé), qui souhaitait ouvrir un institut d'esthétique, a conclu un contrat de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant un droit d'entrée de 28 400 euros.

2. N'ayant pas obtenu les financements escomptés, le franchisé a assigné le franchiseur en nullité du contrat de franchise pour objet illicite et indemnisation.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de M. [A] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 2], prise en la personne de M. [B] en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le franchisé fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5 de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt attaqué retient que « concernant la dépilation par lumière pulsée, les textes contradictoires du code de la santé publique régissant ce domaine doivent être interprétés à la lumière du règlement européen UE 2017/745 du 5 avril 2017 adopté qui sera prochainement applicable dans le secteur des appareils litigieux, notamment son article XVI, paragraphe 5, qui n'assimile pas aux actes médicaux les équipements à lumière pulsée utilisée sur le corps humain » ; qu'en statuant par ces motifs, quand les épilations à la pince et à la cire constituent les seuls modes d'épilation pouvant être pratiqués par d'autres professionnels que les médecins et qu'il n'existe aucune contradiction, à cet égard, entre l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et l'article 2-5 de l'arrêté du 6 janvier 1962 d'une part, et l'article L. 1151-2 du code de la santé publique d'autre part, la cour d'appel a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt attaqué retient que « de nombreux centres d'épilation à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l'activité et des appareils d'épilation à la lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » ; qu'en statuant ainsi, quand l'abrogation d'un règlement par désuétude ou ineffectivité n'existe pas davantage que celle d'une loi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur un motif radicalement inopérant, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ qu'il résulte des dispositions du 1° de l'article L. 4161-1 du code de la santé publique et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, pris par le ministre chargé de la santé publique en application de ces dispositions, que les actes d'épilation doivent être pratiqués par des docteurs en médecine, à la seule exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire ; que, pour débouter le franchisé de son action en nullité du contrat de franchise et considérer que le caractère illicite de son objet n'est pas établi, l'arrêt retient qu' « aucun décret d'application tel que visé par l'article L. 1151-3 du code de la santé publique n'est intervenu pour interdire l'usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique » ; qu'en statuant ainsi, quand l'existence de l'article L. 4161-1 et de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, qui interdisent l'épilation par laser pratiquée par des personnes qui ne sont pas médecin se suffit à elle-même et rend partant inutile la rédaction d'un décret visant à interdire l'usage des appareils à lumière pulsée à visée esthétique par un non-médecin, la cour d'appel, qui aurait de nouveau statué par un motif inopérant, a privé sa décision de base au regard de l'article 4161-1 du code de la santé publique, de l'article 2-5° de l'arrêté du 6 janvier 1962, ensemble l'article 1128 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. L'article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins, a réservé à ceux-ci la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire.

6. L'article L. 4161-1 du code de la santé publique dispose qu'exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier. 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).

8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE, 28 mars 2013, M. [K], n° 348089) et que l'article L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE 8 novembre 2017, M. [P] et autres n° 398746), le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE, 8 novembre 2019, n° 424954, mentionné aux tables du recueil Lebon).

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilation à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Dès lors, en retenant que l'illicéité de l'activité du contrat de franchise conclu le 4 décembre 2014 n'était pas caractérisée, la cour d'appel a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision d'écarter la nullité invoquée et de rejeter les demandes du franchisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 4161-1 du code de la santé publique ; article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962.

Rapprochement(s) :

Sur la pratique de l'épilation à la lumière pulsée, en sens contraire : 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, Bull. 2016, I, n° 256 (rejet) ; A rapprocher : Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, Bull. crim. 2020, (cassation sans renvoi). Sur l'application immédiate du revirement de jurisprudence, à rapprocher : 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932 Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités ; Com., 26 octobre 2010, pourvoi n° 09-68.928, Bull. 2010, IV, n° 159 (rejet) ; 1re Civ., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-10.552, Bull. 2016, I, n° 80 (cassation partielle).

1re Civ., 19 mai 2021, n° 20-17.779, (P)

Cassation partielle

Arrêt – Arrêt de revirement – Règle nouvelle – Application dans le temps – Application à l'instance en cours – Exclusion – Cas – Partie privée d'un procès équitable – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mai 2020), par acte sous seing privé du 10 novembre 2014, M. [Q] et la société Beauty Pulse (les franchisés), qui souhaitaient ouvrir deux instituts esthétiques, ont conclu deux contrats de franchise avec la société Depil Tech (le franchiseur), qui propose des méthodes d'épilation définitive par lumière pulsée et de photo-rajeunissement, moyennant deux droits d'entrée d'un montant total de 52 800 euros.

2. Invoquant un vice de leur consentement et l'impossibilité d'ouvrir l'un des instituts à la suite d'un refus bancaire de financement, les franchisés ont assigné le franchiseur en nullité des contrats pour objet illicite et indemnisation de leurs préjudices.

3. Le franchiseur a fait l'objet d'une procédure de sauvegarde à la suite de laquelle sont intervenues volontairement à l'instance la société BG et associés, prise en la personne de Mme [I] en qualité d'administrateur judiciaire, et la société civile professionnelle [Personne physico-morale 1], prise en la personne de M. [M] en qualité de mandataire à la procédure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. La société Depil Tech, le mandataire et l'administrateur à la procédure de sauvegarde de cette société font grief à l'arrêt de prononcer la nullité des contrats de franchise et de condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, alors « que les revirements de jurisprudence sont d'application immédiate ; qu'en retenant, pour considérer que les contrats avaient une cause (en réalité, un objet) illicite, qu'il convenait de se placer au 10 novembre 2014, date de leur signature pour en apprécier la validité, la cour d'appel a violé le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence, et l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, L. 4161-1 du code de la santé publique et 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962, fixant notamment la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins :

5. Selon le troisième de ces textes, la pratique de tout mode d'épilation, à l'exception des épilations pratiquées à la pince ou à la cire, est réservée aux médecins.

6. Selon le deuxième, exerce illégalement la médecine toute personne qui pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé, sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre exigé pour l'exercice de la profession de médecin.

7. La Cour de cassation en a déduit que les professionnels non médecins ne pouvaient réaliser d'épilations à la lumière pulsée (1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, 15-24.610, Bull. 2016, I, n° 256) et a considéré leur pratique d'épilations au laser ou à la lumière pulsée comme un exercice illégal de la médecine (Crim., 8 janvier 2008, pourvoi n° 07-81.193, Bull. 2008, n° 2 ; Crim., 13 septembre 2016, pourvoi n° 15-85.046, Bull. 2016, n° 238).

8. Après avoir admis que la pratique de ces épilations était réservée aux médecins (CE, 28 mars 2013, M. [J], n° 348089) et que les articles L. 4161-1 et l'arrêté de 1962 rendaient inutile le recours à un décret pour réglementer les actes à visée esthétique d'épilation (CE, 8 novembre 2017, M. [L] et autres n° 398746), le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir, a annulé la décision de refus implicite par la ministre des solidarités et de la santé d'abroger les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée (CE, 8 novembre 2019, M. [V] et SELARL Docteur [K] [V], n° 424954).

9. La Cour de cassation, revenant sur sa jurisprudence, a retenu que les personnes non médecins pratiquant l'épilation à la lumière pulsée ne pouvaient être légalement condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, publié).

10. Il s'en déduit que la pratique par un professionnel non médecin d'épilations à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure au seul motif qu'ils concernent une telle pratique.

11. Cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge.

12. Pour prononcer la nullité des contrats de franchise pour cause illicite et condamner le franchiseur au paiement de certaines sommes, l'arrêt retient qu'en 2014, l'épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d'un exercice illégal de la médecine, tout mode d'épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette les demandes de sursis à statuer et de révocation de l'ordonnance de clôture formées par la société Depil Tech, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Mornet - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article L. 4161-1 du code de la santé publique ; article 2, 5°, de l'arrêté du 6 janvier 1962.

Rapprochement(s) :

Sur la pratique de l'épilation à la lumière pulsée, en sens contraire : 1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-21.597, Bull. 2016, I, n° 256 (rejet) ; A rapprocher : Crim., 31 mars 2020, pourvoi n° 19-85.121, Bull. crim. 2020, (cassation sans renvoi). Sur l'application immédiate du revirement de jurisprudence, à rapprocher : 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932 Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités ; Com., 26 octobre 2010, pourvoi n° 09-68.928, Bull. 2010, IV, n° 159 (rejet) ; 1re Civ., 6 avril 2016, pourvoi n° 15-10.552, Bull. 2016, I, n° 80 (cassation partielle).

1re Civ., 19 mai 2021, n° 20-12.520, (P)

Cassation partielle

Arrêt – Arrêt de revirement – Règle nouvelle – Application dans le temps – Application à l'instance en cours – Exclusion – Cas – Partie privée d'un procès équitable – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 5 novembre 2019), ayant entrepris la construction d'une maison d'habitation, M. et Mme [T] ont confié à la société Veronneau des travaux de gros oeuvre. Un procès-verbal de réception des travaux avec réserves a été établi le 1er août 2013.

2. Invoquant le défaut de paiement d'une facture émise le 31 décembre 2013, la société Veronneau a, le 24 décembre 2015, assigné en paiement M. et Mme [T]. Ces derniers ont opposé la prescription de l'action.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Veronneau fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en paiement du solde des travaux, alors « que le point de départ du délai de prescription biennale de l'action en paiement d'une facture de travaux se situe au jour de son établissement ; que, pour déclarer la société Veronneau prescrite en son action en paiement de la facture correspondant au solde des travaux réalisés, la cour d'appel fixe au 1er septembre 2013 le point de départ de la prescription de cette action ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que cette facture était datée du 31 décembre 2013, de sorte que l'action de la société Veronneau n'était pas prescrite lorsqu'elle avait assigné, le 24 décembre 2015, M. et Mme [T] en paiement du solde de cette facture, la cour d'appel a violé l'article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et 2224 du code civil :

4. Aux termes du premier de ces textes, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.

Selon le second, le délai de prescription court à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

5. S'il a été jugé que le point de départ du délai biennal de prescription se situait, conformément à l'article 2224 du code civil, au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer l'action concernée (1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.024, Bull. 2015, I, n° 100 ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.278, Bull. 2017, I, n° 111), il a été spécifiquement retenu, comme point de départ, dans le cas d'une action en paiement de travaux formée contre un consommateur, le jour de l'établissement de la facture (1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 ; 1re Civ., 9 juin 2017, pourvoi n° 16-12.457, Bull. 2017, I, n° 136).

6. Cependant, la Cour de cassation retient désormais que l'action en paiement de factures formée contre un professionnel, soumise à la prescription quinquennale de l'article L. 110-4 du code de commerce, se prescrit à compter de la connaissance par le créancier des faits lui permettant d'agir, pouvant être fixée à la date de l'achèvement des prestations (Com., 26 février 2020, pourvoi n° 18-25.036, publié).

7. Au regard des dispositions de l'article 2224 du code civil dont l'application a été admise pour déterminer le point de départ du délai de l'article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, et afin d'harmoniser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, il y a donc lieu de prendre en compte la date de la connaissance des faits qui permet au professionnel d'exercer son action, laquelle peut être caractérisée par l'achèvement des travaux ou l'exécution des prestations.

8. Pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action en paiement formée par la société Veronneau, l'arrêt retient que la facture datée du 31 décembre 2013 a été établie près de sept mois après l'exécution de la prestation en méconnaissance des délais d'établissement impartis par les articles L. 441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n'est pas certaine et que le délai de prescription a commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.

9. Au vu de la jurisprudence, énoncée au point 5, relative à la fixation du point de départ du délai de prescription de l'action en paiement de travaux formée contre un consommateur à la date d'établissement de la facture, la prescription de l'action de la société Veronneau serait susceptible d'être écartée, tandis que la modification de ce point de départ, conformément au point 7, pourrait conduire à admettre la prescription au regard des constatations de la cour d'appel relatives à la date d'exécution de la prestation.

10. Cependant, si la jurisprudence nouvelle s'applique de plein droit à tout ce qui été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en oeuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l'état du droit applicable à la date de leur action.

11. L'application de la jurisprudence nouvelle à la présente instance aboutirait à priver la société Veronneau, qui n'a pu raisonnablement anticiper une modification de la jurisprudence, d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en lui interdisant l'accès au juge, de sorte qu'il est justifié de faire exception au principe de cette application immédiate, en prenant en compte la date d'établissement de la facture comme constituant le point de départ de la prescription au jour de l'assignation de M. et Mme [T].

12. En statuant comme il a été dit, la cour d'appel, qui a fait abstraction de la date d'établissement de la facture qu'il lui incombait, le cas échéant, de déterminer, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la société Veronneau prescrite en son action en paiement du solde des travaux, l'arrêt rendu le 5 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Limoges.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : Mme Mallet-Bricout - Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article L. 137-2, devenu L. 218-2, du code de la consommation ; article 2224 du code civil ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rapprochement(s) :

En sens contraire : 1re Civ., 3 juin 2015, pourvoi n° 14-10.908, Bull. 2015, I, n° 136 (cassation partielle) ; A rapprocher : Ass. plén., 21 décembre 2006, pourvoi n° 00-20.493, Bull. 2006, Ass. plén, n° 15 (rejet), et l'arrêt cité ; 1re Civ., 11 juin 2009, pourvoi n° 07-14.932, Bull. 2009, I, n° 124 (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 27 mai 2021, n° 19-23.898, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Pourvoi – Déchéance – Défaut de mémoire ampliatif – Caractère fautif ou non – Détermination – Portée

Le défaut d'accomplissement d'une charge de la procédure par la partie à laquelle elle incombe ne constitue pas, en l'absence d'abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur. Il n'encourt d'autres sanctions que celles prévues par les règles procédurales applicables à l'instance en cause.

Dès lors, doit être cassée la décision qui a condamné l'auteur d'un pourvoi à payer des dommages intérêts au défendeur à ce pourvoi, au motif que le fait de ne pas avoir déposé un mémoire ampliatif dans le délai imposé par l'article 978 du code de procédure civile constituait une irrégularité procédurale sanctionnée par la déchéance du pourvoi, et qu'un tel manquement du demandeur en cassation à ses devoirs réglementaires est nécessairement une faute.

Intervention volontaire

1. Il est donné acte à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation de son intervention volontaire.

Faits et procédure

2. Selon le jugement attaqué (tribunal d'instance de Vannes, 5 septembre 2019), rendu en dernier ressort, M. [O], qui avait formé un pourvoi en cassation contre un arrêt de cour d'appel rendu dans une instance l'opposant à M. et Mme [E], n'a pas déposé de mémoire ampliatif au soutien de ce pourvoi.

3. Ces derniers ont assigné M. [O] en paiement d'une indemnité au titre des frais qu'ils avaient exposés pour constituer avocat devant la Cour de cassation ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive et action dilatoire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. [O] fait grief au jugement de le condamner à payer à M. et Mme [E] la somme de 1 200 euros au titre des frais de constitution d'avocat à la Cour de cassation ainsi que celle de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que le fait pour un demandeur en cassation, qui a formé un pourvoi à titre conservatoire et qui entend finalement y renoncer, de ne pas déposer de mémoire contenant des moyens de cassation dans le délai requis par l'article 978 du code de procédure civile et de laisser en conséquence intervenir la déchéance de son pourvoi ne constitue pas une faute ; qu'en retenant, à l'inverse, que M. [O] avait « nécessairement » commis une faute en ne soutenant pas son pourvoi et en laissant intervenir la déchéance de celui-ci faute de déposer un mémoire contenant des moyens de cassation dans le délai requis, manquant ainsi à un devoir réglementaire imposé au demandeur en cassation, le tribunal a violé les articles 1240 du code civil et 978 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil :

6. Selon le premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

7. Le défaut d'accomplissement d'une charge de la procédure par la partie à laquelle elle incombe ne constitue pas, en l'absence d'abus, une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur. Il n'encourt d'autres sanctions que celles prévues par les règles procédurales applicables à l'instance en cause.

8. Le jugement, pour indemniser M. et Mme [E] des frais d'avocat qu'ils ont exposés pour défendre au pourvoi en cassation qu'avait formé M. [O], retient que le fait de ne pas remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée est une irrégularité procédurale sanctionnée par la déchéance du pourvoi, prévue par l'article 978 du code de procédure civile, et qu'un tel manquement du demandeur en cassation à ses devoirs réglementaires est nécessairement une faute.

9. En statuant ainsi, le tribunal a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

12. Il résulte de ce qui précède qu'il convient de rejeter la demande formée par M. et Mme [E] à fin d'indemnisation de leurs frais d'honoraires d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, ainsi que leur demande au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [O] à payer à M. et Mme [E] la somme de 1 200 euros au titre des frais de constitution d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ainsi que celle de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, le jugement rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par le tribunal d'instance de Vannes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déboute M. et Mme [E] de leur demande d'indemnisation des frais d'honoraires d'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Bernard Hémery, Carole Thomas-Raquin, Martin Le Guerer ; SCP Alain Bénabent ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1240 du code civil ; article 978 du code de procédure civile.

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