Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

AVOCAT

1re Civ., 5 mai 2021, n° 17-21.006, (P)

Rejet

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires de catégorie A – Dispense – Bénéficiaire – Détermination

Les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l'Union européenne, qui ont exercé en cette qualité au sein d'une institution européenne, ne peuvent se voir privés du bénéfice de la dispense prévue à l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat en raison d'un exercice de leur activité en dehors du territoire français.

Cependant, conformément à la réglementation nationale exigeant l'exercice d'activités juridiques dans le domaine du droit national, pour assurer la protection des justiciables et la bonne administration de la justice, il y a lieu de déterminer si leurs activités juridiques comportent une pratique satisfaisante du droit national.

Barreau – Inscription au tableau – Conditions particulières – Article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 – Fonctionnaires de catégorie A – Exercice d'activités juridiques dans le domaine du droit national – Appréciation – Portée

Barreau – Inscription au tableau – Conditions – Conditions prévues par l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 – Article 18 de la partie II de la Charte sociale européenne dans l'ordre interne – Compatibilité

Les dispositions de l'article 18 de la partie II de la Charte sociale européenne dans l'ordre interne ne sauraient être méconnues par l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 précité, qui ouvre l'exercice de la profession d'avocat à des ressortissants d'Etats membres, en se bornant à les soumettre, comme les nationaux, à certaines conditions justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général proportionnées à l'objectif de protection des justiciables.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 mai 2017), Mme [V], fonctionnaire de la Commission européenne, a sollicité son admission au barreau de Paris, sous le bénéfice de la dispense de formation et de diplôme prévue à l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, pour les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées, ayant exercé des activités juridiques pendant huit ans au moins dans une administration ou un service public ou une organisation internationale.

2. Par un arrêt du 20 février 2019, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) de deux questions préjudicielles portant sur la compatibilité des articles 11, 2° et 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques et de l'article 98, 4°, du décret précité, avec les articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

Examen des moyens

Sur les premier, deuxième et troisième moyens, réunis

Enoncé des moyens

3. Par son premier moyen, Mme [V] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande, alors :

« 1° / que l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 prévoit que « sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat : (?) les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale » ; que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; qu'à supposer que l'exercice des activités juridiques ainsi visées par le texte soit limité au droit français, il n'impose pas que l'impétrant ait la maîtrise de toutes les branches de ce droit ; qu'aussi, la pratique pendant huit ans au moins de n'importe quelle branche du droit français, dont le droit de l'Union, est suffisante pour que cette condition soit remplie ; qu'au cas d'espèce, en décidant au contraire que Mme [V], fonctionnaire du plus haut grade à la Commission européenne, ne remplissait pas la condition tenant à la pratique du droit français dès lors qu'elle n'avait pratiqué que le droit de l'Union, auquel le droit national ne se limitait pas, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats membres, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°/ que le droit de l'Union européenne est directement intégré dans le droit national ; que la pratique du droit de l'Union équivaut donc à la pratique de toute autre branche du droit français ; qu'en l'espèce, en distinguant, pour l'application de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991, entre les fonctionnaires ayant pratiqué certaines branches du droit français hors droit de l'Union et les fonctionnaires qui ont pratiqué le droit de l'Union, pour exclure les seconds du bénéfice de la dispense instituée par le texte, la cour d'appel, qui a distingué là où la loi ne distingue pas, a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble le principe de l'intégration directe du droit de l'Union européenne dans les droits internes des Etats le principe de l'interprétation conforme, ensemble l'article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

4. Par son deuxième moyen, Mme [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que le droit de l'Union européenne prohibe, non seulement les discriminations directes fondées sur la nationalité, mais aussi les discriminations indirectes, qui ne peuvent être justifiées que par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; que, selon la jurisprudence de la CJUE, la notion de discrimination indirecte est d'interprétation large et inclut aussi les entraves d'importance secondaire qui concernent l'égalité d'accès à l'emploi sans distinction en fonction de la nationalité ; qu'à supposer que la dispense prévue par les articles 11, 3°, de la loi du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être comprise comme étant limitée aux fonctionnaires de catégorie A et assimilés qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans, soit exclusivement sur le territoire français, soit en mettant en oeuvre des règles de droit français ne trouvant pas leur source dans le droit de l'Union européenne, alors ces textes ont nécessairement pour effet d'instaurer une discrimination indirecte en faveur des fonctionnaires de la fonction publique française ? dont la grande majorité est de nationalité française ?, qui sont en pratique les seuls à pouvoir remplir ces critères, et en défaveur des fonctionnaires ressortissants appartenant à une autre fonction publique, laquelle n'est pas justifiée par des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique ; qu'en refusant sur ce fondement la demande de Mme [V], la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE. »

5. Par son troisième moyen, Mme [V] fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1° / que l'ensemble des dispositions du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des personnes vise à faciliter l'exercice des activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union et s'oppose aux mesures qui pourraient défavoriser ses ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre Etat membre ; qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en l'espèce, à considérer que la dispense de l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 doive être refusée aux fonctionnaires de l'Union européenne ayant pratiqué le seul droit de l'Union, lequel fait partie intégrante du droit français, au motif que cette pratique ne garantirait pas au justiciable une défense pertinente et efficace, ou encore la protection des justiciables contre le préjudice qu'ils pourraient subir du fait de services fournis par des personnes qui n'auraient pas les qualifications professionnelles nécessaires, mais qu'elle puisse être accordée aux fonctionnaires ayant exercé dans certaines branches seulement du droit français (autres que le droit de l'Union), et ne présentent donc objectivement pas davantage de garanties, constitue une mesure restrictive qui, à supposer qu'elle poursuive le but légitime de protection du justiciable, est toutefois impropre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et va au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ; qu'en rejetant dans ces conditions la demande d'inscription au barreau de Mme [V], la cour d'appel a violé les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les principes de l'intégration directe du droit de l'Union dans les droits internes des Etats membres et de l'interprétation conforme du droit national ;

2°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'aux termes de la jurisprudence de la CJUE, pour exercer ce contrôle lorsqu'est en cause l'accès à une profession réglementée, le juge national doit prendre en considération les périodes d'activité comparables de la partie concernée accomplies dans un autre Etat membre, moyennant une appréciation des qualifications et de l'expérience acquises, qui doit être faite in concreto ; qu'en l'espèce, la cour d'appel devait donc procéder à une comparaison des diplômes, qualifications et expériences professionnelles de Mme [V], fonctionnaire européen ayant certes pratiqué le droit européen pendant dix ans, mais titulaire d'une maîtrise, d'un DEA (master II) et d'un doctorat en droit français, avec ceux exigés d'un fonctionnaire français détenant uniquement une maîtrise en droit et ayant seulement pratiqué le droit français « commun », pendant huit ans, aux fins d'évaluer le niveau de l'impétrante en droit français « commun » ; qu'en se bornant à un rejet in abstracto fondé sur l'absence de pratique du droit français « commun » sans faire une évaluation globale incluant aussi les connaissances de l'intéressée, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE ;

3°/ qu'une mesure qui entrave la libre circulation des travailleurs et la liberté d'établissement ne peut être admise, à supposer qu'elle soit non discriminatoire, que si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition que l'application d'une telle mesure soit propre à garantir la réalisation de l'objectif en cause et n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif ; qu'en requérant une appréciation in concreto par le juge des connaissances de l'intéressé, le droit de l'Union impose une obligation de résultat de prendre en compte les connaissances et l'expérience équivalentes, obligation dont le non-respect donne lieu à une discrimination indirecte ; que, pour satisfaire à cette obligation le juge national, ne peut pas se borner à renvoyer aux catégories d'accès existantes en droit national si celles-ci ne permettent pas d'atteindre cette obligation de résultat ; qu'en l'espèce, en renvoyant la demanderesse au régime d'accès de droit commun ouvert aux juristes sans expérience professionnelle, alors que ses connaissances et son expérience professionnelle correspondaient au moins en partie à celles ouvrant l'accès dérogatoire aux fonctionnaires de la fonction publique française, que ce régime ne permettait pas la prise en compte effective de son expérience professionnelle et qu'un moyen moins strict pour atteindre l'objectif recherché aurait consisté à exiger la preuve des seules connaissances manquantes, la cour d'appel a violé les articles 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, ensemble les articles 18, 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tels qu'interprétés par la CJUE, ensemble l'obligation d'interprétation conforme du droit européen. »

Réponse de la Cour

6. L'accès à la profession d'avocat est réglementé par la loi du 31 décembre 1971, notamment par l'article 11, 3°, selon lequel nul ne peut accéder à cette profession s'il n'est titulaire du certificat d'aptitude à la profession d'avocat, sous réserve des dispositions réglementaires mentionnées au 2° du même article. Figure au nombre de ces dispositions l'article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié, aux termes duquel sont dispensés de la formation théorique et pratique et du certificat d'aptitude à la profession d'avocat les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A, ou les personnes assimilées aux fonctionnaires de cette catégorie, ayant exercé en cette qualité des activités juridiques pendant huit ans au moins, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale.

7. Répondant aux questions préjudicielles précitées, la CJUE, par un arrêt du 17 décembre 2020 (C-218/19), a dit pour droit que les articles 45 et 49 du TFUE doivent être interprétés en ce sens « qu'ils s'opposent à une réglementation nationale réservant le bénéfice d'une dispense des conditions de formation professionnelle et de possession du certificat d'aptitude à la profession d'avocat prévues, en principe, pour l'accès à la profession d'avocat à certains agents de la fonction publique d'un État membre ayant exercé dans ce même État membre en cette qualité, dans une administration ou un service public ou une organisation internationale, et écartant du bénéfice de cette dispense les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l'Union européenne qui ont exercé en cette qualité au sein d'une institution européenne et en dehors du territoire français » mais « qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale réservant le bénéfice d'une telle dispense à la condition que l'intéressé ait exercé des activités juridiques dans le domaine du droit national, et écartant du bénéfice de cette dispense les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l'Union européenne qui ont exercé en cette qualité des activités juridiques dans un ou plusieurs domaines relevant du droit de l'Union, pour autant qu'elle n'exclut pas la prise en compte des activités juridiques comportant la pratique du droit national ».

8. Dans son arrêt, la CJUE précise, d'une part, que la protection « des destinataires des services juridiques fournis par des auxiliaires de justice, d'autre part, que la bonne administration de la justice sont des objectifs figurant au nombre de ceux qui peuvent être considérés comme constituant des raisons impérieuses d'intérêt général susceptibles de justifier des restrictions tant à la libre prestation des services [...] qu'à la libre circulation des travailleurs et à la liberté d'établissement » (point 34).

9. Elle ajoute qu' « il ne saurait être exclu, a priori, qu'un candidat issu d'une fonction publique autre que celle française, notamment de la fonction publique de l'Union, [...] ait pratiqué le droit français en dehors du territoire français de manière à en acquérir une connaissance satisfaisante » mais qu'il est « loisible au législateur français de fixer, de manière autonome, ses standards de qualité [...] et [...] de considérer qu'une connaissance satisfaisante du droit français [...] [peut] être acquise par une pratique de ce droit pendant huit ans au moins » (points 36 et 38).

10. Il s'en déduit que les fonctionnaires, agents ou anciens agents de la fonction publique de l'Union européenne, qui ont exercé en cette qualité au sein d'une institution européenne, ne peuvent se voir privés du bénéfice de l'article 98, 4°, en raison d'un exercice de leur activité en dehors du territoire français mais que, conformément à la réglementation nationale exigeant l'exercice d'activités juridiques dans le domaine du droit national, pour assurer la protection des justiciables et la bonne administration de la justice, il y a lieu de déterminer si leurs activités juridiques comportent une pratique satisfaisante du droit national et que, dans ces conditions, la réglementation nationale ne heurte pas les articles 45 et 49 du traité.

11. L'arrêt énonce d'abord, à bon droit, sans s'attacher au lieu d'exercice des activités juridiques, que les exigences posées par l'article 98, 4°, ne créent pas de conditions discriminatoires à l'accès à la profession d'avocat, sont justifiées pour protéger le justiciable et pour garantir, par une connaissance satisfaisante du droit national, l'exercice des droits de la défense et qu'elles sont limitées et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il constate, ensuite, que Mme [V] remplit la condition de diplôme exigée et a travaillé pendant au moins huit ans dans différents services de l'Union européenne en qualité d'agent temporaire, de fonctionnaire stagiaire puis de fonctionnaire titulaire.

12. Cependant, examinant in concreto les travaux et missions qui lui avaient été confiés, la cour d'appel a estimé que Mme [V] ne justifiait d'aucune pratique du droit national, lequel, même s'il intègre nombre de règles européennes, conserve une spécificité et ne se limite pas à ces dernières, et en a justement déduit qu'elle ne remplissait pas la condition dérogatoire relative à l'exercice d'activités juridiques dans le domaine du droit national.

13. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

14. Mme [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que la Charte sociale européenne révisée (version du 3 mai 1996) prévoit en sa partie I, point 18, que « les ressortissants de l'une des Parties ont le droit d'exercer sur le territoire d'une autre Partie toute activité lucrative, sur un pied d'égalité avec les nationaux de cette dernière, sous réserve des restrictions fondées sur des raisons sérieuses de caractère économique ou social » et, en sa partie II, article 18, qu'« en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à l'exercice d'une activité lucrative sur le territoire de toute autre Parties, les Parties s'engagent : 1. à appliquer les règlements existants dans un esprit libéral » ; que le « droit à l'exercice d'une activité » ainsi visé couvre d'une manière générale la possibilité de cet exercice, sans qu'il y ait lieu d'en distinguer l'« accès » à l'activité concernée ; qu'au cas d'espèce, en repoussant par principe l'application de la Charte, motif pris de ce qu'elle ne concernerait que l'« exercice » d'une profession et non l'« accès » à une profession, et en refusant donc d'interpréter l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 en conformité avec la directive de l'article 18 de la partie II, la cour d'appel a violé la Charte sociale européenne révisée (version du 3 mai 1996), ensemble l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

Réponse de la Cour

15. Quelle que pourrait être la portée des dispositions de l'article 18 de la partie II de la Charte sociale européenne dans l'ordre interne, celles-ci ne sont pas méconnues par l'article 98, 4°, du décret du 27 novembre 1991 qui ouvre l'exercice de la profession d'avocat à des ressortissants d'Etats membres, en se bornant à les soumettre, comme les nationaux, à certaines conditions justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général proportionnées à l'objectif de protection des justiciables.

16. Dès lors, le moyen est inopérant.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Teiller - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Krivine et Viaud ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; article 11, 3°, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ; articles 45 et 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; article 98, 4°, du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ; article 18 de la partie II de la Charte sociale européenne dans l'ordre interne.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 décembre 2016, pourvoi n° 15-26.635, Bull. 2016, I, n° 250 (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 20 mai 2021, n° 19-22.553, (P)

Cassation

Caisse nationale des barreaux français – Ressources – Cotisations – Mesures d'exécution forcée – Titre – Titre exécutoire – Formule exécutoire – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 4 juillet 2019), sur le fondement d'une ordonnance du 1er septembre 2016, rendue par le premier président d'une cour d'appel rendant exécutoire le rôle des cotisations dues à la Caisse nationale des barreaux français (la CNBF), cette dernière a fait délivrer à M. [R] un commandement aux fins de saisie-vente et a fait pratiquer une saisie-attribution par acte du 12 janvier 2017, signifié au débiteur le 19 janvier 2017.

2. M. [R] a assigné la CNBF devant un juge de l'exécution à fin de voir annuler ce commandement et ordonner la mainlevée de la saisie-attribution.

3. Par jugement du 16 octobre 2017, M. [R] a été débouté de ses demandes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [R] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande d'annulation du commandement aux fins de saisie-vente et des saisies-attributions du 12 janvier 2017 et de sa demande de condamnation de la CNBF au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les délibérations de l'assemblée générale des délégués de la CNBF fixant le montant de la cotisation prévue à l'article L. 723-5 et le montant des retraites ne deviennent exécutoires que si, dans un délai déterminé à compter du jour où leur texte a été communiqué aux autorités compétentes de l'Etat, aucune de celles-ci n'a indiqué qu'elle s'opposait à leur application, de sorte que le juge de l'exécution, chargé de vérifier le caractère exécutoire du titre, doit s'assurer que le texte des délibérations de la CNBF a été communiqué à l'autorité de tutelle et que celle-ci ne s'est pas opposée à leur application ; qu'en jugeant que M. [R] est « mal fondé à se prévaloir devant la cour statuant comme juridiction d'appel du juge de l'exécution de l'absence de production des procès-verbaux des assemblées générales de la caisse fixant le montant des cotisations et de l'absence de justification de la notification de ces procès-verbaux aux autorités compétentes de l'Etat », la cour d'appel a violé l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article L. 723-8 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte des articles L. 213-6 du code l'organisation judiciaire et R. 121-1 du code des procédures civiles d'exécution qu'il n'entre pas dans les attributions du juge de l'exécution de remettre en cause un titre exécutoire constitué par une décision de justice.

6. Ayant relevé que les contestations relatives à l'absence de production des procès-verbaux des assemblées générales de la CNBF fixant le montant des cotisations et de justification de la notification de ces procès-verbaux aux autorités compétentes de l'Etat relevaient de la compétence du tribunal d'instance en application de l'article R. 723-26 du code de la sécurité sociale et qu'aucune opposition n'avait été formée dans les délais à l'encontre du titre exécutoire délivré le 1er septembre 2016, la cour d'appel, qui statuait sur un recours contre une décision d'un juge de l'exécution, dans les limites des pouvoirs de ce dernier, en a exactement déduit que les contestations de M. [R] tendaient à remettre en cause le titre exécutoire constitué par l'ordonnance du premier président.

7. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. M. [R] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'à moins que la loi n'en dispose autrement, nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire prévue par l'article 1er du décret du 12 juin 1947 relatif à la formule exécutoire ; que l'article L. 723-9 du code de la sécurité sociale selon lequel « le rôle des cotisations est rendu exécutoire par le premier président de chaque cour d'appel, sur l'avis du procureur général » ne dispense aucunement de l'apposition de la formule exécutoire ; qu'en jugeant que puisque le rôle des cotisations est rendu exécutoire par le premier président de chaque cour d'appel, sur l'avis du procureur général, l'apposition de la formule exécutoire résultant des dispositions du décret du 12 juin 1947 n'était pas requise, la cour d'appel a violé ce texte, ensemble l'article 502 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 502 du code de procédure civile, L. 111-3, 1°, du code des procédures civiles d'exécution et 1er du décret n° 47-1047 du 12 juin 1947, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2019-966 du 18 septembre 2019 :

9. Aux termes de l'article 502 du code de procédure civile, nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n'en dispose autrement.

10. Il s'ensuit qu'à défaut de dérogation légale, la décision d'un premier président de rendre exécutoire le rôle des cotisations dues à la CNBF, en application de l'article L. 723-9 du code de la sécurité sociale, ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée, sans présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire.

11. Pour rejeter la demande de nullité des mesures d'exécution forcée, l'arrêt retient que l'article L. 723-9 du code de la sécurité sociale dispose que le rôle des cotisations est rendu exécutoire par le premier président de chaque cour d'appel, sur l'avis du procureur général, et en déduit que l'apposition de la formule exécutoire par le greffe, telle que résultant des dispositions du décret n° 47-1047 du 12 juin 1947, n'est pas requise.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Boulloche -

Textes visés :

Article L. 723-9 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 30 janvier 2014, pourvoi n° 12-29.246, Bull. 2014, II, n° 30 (cassation).

2e Civ., 27 mai 2021, n° 19-23.733, (P)

Cassation partielle

Honoraires – Contestation – Convention d'honoraires – Application – Honoraires de diligence – Dessaisissement de l'avocat en cours d'instance

Il résulte de la combinaison des articles 1134, devenu 1103, du code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 que le dessaisissement de l'avocat avant qu'il ait été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable ne fait pas obstacle à l'application de la convention d'honoraires portant sur le montant de son honoraire de diligence, lorsqu'elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, rendu par la juridiction du premier président d'une cour d'appel (Bordeaux, 17 septembre 2019), et les productions, M. [A] a confié, courant 2016, la défense de ses intérêts à la Société Gauthier-Delmas (l'avocat) avant de saisir le bâtonnier de l'ordre des avocats d'une demande de fixation de ses honoraires.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa seconde branche

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui est irrecevable.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'avocat fait grief à la décision de ne mentionner ni le nom du magistrat rapporteur ayant tenu l'instance ni le fait que ce magistrat rapporteur ait rendu compte à la formation collégiale des plaidoiries, alors « que lorsque le magistrat chargé du rapport tient seul l'audience pour entendre les plaidoiries conformément aux prescriptions de l'article 786 du code de procédure civile, ce magistrat est tenu d'en rendre compte à la formation collégiale de la juridiction qui délibère de l'affaire ; que l'ordonnance attaquée qui ne mentionne ni le nom du magistrat rapporteur ayant tenu l'instance, ni le fait que ce magistrat rapporteur ait rendu compte à la formation collégiale des plaidoiries, méconnaît l'article 786 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. La décision attaquée mentionnant que la juridiction était composée de trois magistrats, dont le conseiller entendu en son rapport et qu'il en a été délibéré par ces magistrats, après que la cause ait été débattue en audience publique, il y a lieu de présumer que le magistrat rapporteur a rendu compte des débats aux autres magistrats.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

5. L'avocat fait grief à la décision de l'inviter à restituer à M. [A] la somme de 7 093,18 euros, alors « que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'une convention d'honoraires peut prévoir les modalités de la rémunération de l'avocat en cas de dessaisissement ; que la convention d'honoraires signée le 27 avril 2016 entre les parties prévoyait un article 9 selon lequel en cas de dessaisissement M. [A] « s'engage à régler, sans délai, les honoraires, frais et dépens dus à l'avocat (..) pour les diligences effectuées antérieurement au dessaisissement » ; qu'en retenant que, la Selas Gauthier-Delmas ayant été dessaisie de son mandat avant le terme de sa mission, la convention d'honoraires ne pouvait s'appliquer de sorte que les honoraires lui revenant devaient être fixés en application des seuls critères de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée, alors que la convention d'honoraires comportait un article 9 prévoyant qu'en cas de dessaisissement de l'avocat, M. [A] s'engageait à régler, sans délai, les honoraires, frais et dépens dus à l'avocat, le premier président a violé l'article 1134 du code civil, devenu 1103 du même code, ensemble l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. M. [A] conteste la recevabilité de ce moyen. Il soutient qu'il est nouveau, mélangé de fait et de droit, dès lors qu'il ne résulte pas des conclusions d'appel de l'avocat que celui-ci ait invité le premier président à constater l'existence d'une clause prévoyant la rémunération de l'avocat en cas de dessaisissement.

7. Cependant, l'« ordonnance » attaquée énonce que l'avocat, qui a été dessaisi de son mandat avant le terme de sa mission, ne peut se prévaloir de la convention régularisée par les parties, ce dont il résulte que l'avocat s'est bien prévalu de l'existence d'une telle convention et de la clause litigieuse relative à son dessaisissement.

8. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1134, devenu 1103 du code civil et 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa version applicable au litige :

9. Il résulte de la combinaison de ces textes qu'une convention d'honoraires prévoyant le montant de l'honoraire de diligence de l'avocat peut recevoir application lorsqu'elle a prévu les modalités de cette rémunération en cas de dessaisissement avant qu'il ait été mis fin à l'instance par un acte ou une décision juridictionnelle irrévocable.

10. Pour fixer, au regard des seuls critères prévus par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, l'honoraire dû par M. [A], la décision retient que l'avocat a été dessaisi avant le terme de sa mission et qu'il ne peut se prévaloir de la convention régularisée par les parties.

11. En statuant ainsi, alors que le dessaisissement de l'avocat ne rendait pas inapplicable la convention qui avait organisé les modalités de paiement de l'honoraire de diligence dans cette hypothèse, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable le recours, l'arrêt rendu le 17 septembre 2019, entre les parties, par la juridiction du premier président de la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la juridiction du premier président de la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Gouz-Fitoussi ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 1134, devenu 1103, du code civil ; article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 18 septembre 2003, pourvoi n° 01-16.013, Bull. 2003, II, n° 279 (cassation) ; 2e Civ., 8 février 2018, pourvoi n° 16-22.217, Bull. 2018, II, n° 25 (cassation).

2e Civ., 6 mai 2021, n° 19-22.141, (P)

Rejet

Honoraires – Contestation – Honoraires de résultat – Autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Montpellier, 11 juillet 2019), Mme [O], en sa qualité de tutrice de [K] [L], a conclu, les 6 mai 2011 et 19 octobre 2015, avec M. [F], avocat (l'avocat), trois conventions d'honoraires pour assurer la défense des intérêts de [K] [L] dans le cadre de plusieurs procédures judiciaires.

2. Deux de ces conventions prévoyaient, outre des honoraires de diligence, des honoraires de résultat, celle du 6 mai 2011, concernant la procédure en résolution judiciaire d'une vente contre rente viagère, stipulant un honoraire de résultat de 9 % HT de la valeur du bien immobilier récupéré, et la seconde convention, du 19 octobre 2015 relative à une action en paiement des loyers, prévoyant des honoraires de résultat à hauteur de 10 % HT des sommes perçues ou économisées par la cliente.

3. Ces conventions ont été conclues sans l'accord du juge des tutelles.

4. M. [F] a saisi, le 9 novembre 2017, le bâtonnier de son ordre d'une demande de fixation des honoraires de diligence et de résultat dus par Mme [A] [O] et M. [C] [O], héritiers de [K] [L].

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. L'avocat fait grief à l'ordonnance de fixer les honoraires qui lui sont dus à la seule somme de 36 099 euros TTC, puis de les condamner en conséquence à payer ce dernier, compte tenu des sommes déjà versées, la seule somme de 26 517 euros TTC, outre intérêts au taux légal à compter de l'ordonnance alors « que la convention d'honoraires de résultat constitue un acte de disposition si et seulement si elle engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ; qu'en retenant, pour décider que les conventions d'honoraires de résultat conclues entre l'avocat et Mme [O], ès qualité de tutrice de [K] [L], constituaient des actes de disposition soumis à autorisation du juge des tutelles conformément à l'annexe 1, colonne 2, IX, du décret du 22 décembre 2008, que la somme de plus de 50 000 euros sollicitée par l'avocat au titre des honoraires de résultat constituait une amputation conséquente du capital de [K] [L], le premier président de la cour d'appel, qui a procédé à une appréciation globale et purement théorique de l'effet de l'exécution de l'ensemble des conventions d'honoraires de résultat sur le patrimoine de [K] [L], au lieu d'examiner distinctement l'impact du paiement de chacun des honoraires de résultat réclamés sur le patrimoine de celle-ci, en rapportant le montant de chacun d'eux à la valeur de l'immeuble et aux sommes que les procédures diligentées par Me [F] avait permis à [K] [L] de récupérer, le premier président de la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 465, 496, 504, 505 du code civil, ainsi que des articles 1 et 2 et de l'annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, et pris en application des articles 452, 496 et 502 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de la combinaison des articles 465, 4°, et 505, alinéa 1er, du code civil, qu'à peine de nullité de plein droit de l'acte, le tuteur ne peut, sans y être autorisé par le conseil de famille ou, à défaut, le juge, faire des actes de disposition au nom de la personne protégée.

7. Selon l'annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008, relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle, constitue un acte de disposition soumis à l'autorisation du juge les conventions d'honoraires proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires.

8. C'est donc par une exacte application de ces dispositions, et sans avoir à procéder à un contrôle des conséquences de ces actes sur le patrimoine de la personne protégée, que le premier président, constatant que les conventions d'honoraires de résultat n'avaient pas été autorisées par le juge, les a déclarées nulles.

9.Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles 465, 4°, et 505, alinéa 1, du code civil ; annexe 1 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-16.854, Bull. 2001, I, n° 195 (rejet).

2e Civ., 27 mai 2021, n° 17-11.220, (P)

Cassation partielle

Honoraires – Recouvrement – Décision du bâtonnier – Décision exécutoire de droit à titre provisoire – Exécution – Formule exécutoire – Nécessité – Recours devant le premier président de la cour d'appel déclaré irrecevable – Absence d'influence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 novembre 2016), M. [B], avocat, a défendu jusqu'au mois d'octobre 1996 les intérêts de [G] [V] et des sociétés Azul Résidence et Baticos, que celui-ci dirigeait.

2. Par décision du 1er août 2002, le bâtonnier de son ordre a fixé à une certaine somme le montant des honoraires que [G] [V] et les deux sociétés restaient lui devoir et, par ordonnance du 3 décembre 2003, devenue irrévocable par suite de la déchéance du pourvoi en cassation introduit par ces derniers, le premier président de la cour d'appel a déclaré irrecevable le recours formé contre la décision ordinale, au motif que son auteur n'était ni identifiable, ni expressément mandaté par un pouvoir spécial.

3. À la suite du décès de [G] [V], le 16 avril 2012, M. [B], poursuivant le recouvrement de sa créance à l'encontre de Mmes [Z], [X] et [K] [V], ayants droit du défunt (les consorts [V]), a fait signifier une opposition à partage auprès du notaire chargé du règlement de la succession et inscrire une hypothèque judiciaire sur divers immeubles appartenant aux intéressées ou dépendant de la succession.

4. Les consorts [V], soutenant que M. [B] ne disposait pas d'un titre exécutoire, l'ont fait assigner devant un tribunal en vue d'obtenir la mainlevée des inscriptions d'hypothèque et l'annulation de l'opposition à partage.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les consorts [V] font grief à l'arrêt de dire que l'ordonnance du 3 décembre 2003 du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence déclarant irrecevable le recours formé contre l'ordonnance du bâtonnier de Nice du 1er août 2002 a conféré à M. [B] un titre exécutoire pour le recouvrement de sa créance d'honoraires arrêtée à la somme de 500 000 euros HT, d'infirmer en conséquence le jugement déféré et de dire que les hypothèques judiciaires définitives prises les 2 août, 6 septembre 2013 et 13 mars 2014 par M. [B] l'ont été valablement dans le délai de dix ans courant à compter du 19 juin 2008, de rejeter en conséquence la demande des consorts [V] tendant à voir constater la prescription de l'action en recouvrement de la créance d'honoraires et à voir annuler l'opposition faite par M. [B] entre les mains de M. [G], notaire à Marseille, le 20 décembre 2013, d'ordonner aux consorts [V] de communiquer à M. [B] le compte d'administration de la succession de M. [V] dans les deux mois de la signification de l'arrêt sous peine d'astreinte, et de rejeter la demande des consorts [V] en paiement de dommages-intérêts, alors « que le premier président de la cour d'appel auquel la décision du bâtonnier statuant sur une contestation d'honoraires a été déférée, ayant par une ordonnance devenue définitive, déclaré ce recours irrecevable « comme étant l'oeuvre d'un tiers au procès, non identifié et non expressément mandaté par un pouvoir spécial » sans examen de la contestation au fond, la décision prise par le bâtonnier devait être rendue exécutoire par le président du tribunal de grande instance à la requête, soit de l'avocat, soit de la partie ; qu'en énonçant que l'ordonnance d'irrecevabilité du premier président de la cour d'appel du 3 décembre 2003, qui se bornait à constater que l'auteur du recours formé contre l'ordonnance de taxe du bâtonnier de Nice du 1er août 2002 n'était pas identifiable, aurait conféré à M. [B] un titre exécutoire, la cour d'appel a violé les articles 178 du décret du 27 novembre 1991 et L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-2 et L. 111-3, 1° et 6°, du code des procédures civiles d'exécution, 502 du code de procédure civile et 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat :

6. Selon le deuxième de ces textes, ne constituent des titres exécutoires dont un créancier peut, en application du premier, poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur, que, notamment, les décisions des juridictions de l'ordre judiciaire lorsqu'elles ont force exécutoire et les décisions auxquelles la loi attache les effets d'un jugement.

7. Aux termes du troisième, nul jugement, nul acte ne peut être mis à exécution que sur présentation d'une expédition revêtue de la formule exécutoire, à moins que la loi n'en dispose autrement.

8. Il résulte du dernier que la décision prise par le bâtonnier d'un ordre d'avocats sur une contestation en matière d'honoraires ne peut être rendue exécutoire que par ordonnance du président du tribunal judiciaire.

9. Pour dire que M. [B] dispose d'un titre exécutoire pour le recouvrement de sa créance d'honoraires fixée par la décision du bâtonnier de son ordre, l'arrêt relève que cette décision a fait l'objet d'un recours devant le premier président de la cour d'appel qui, par une ordonnance devenue irrévocable, l'a déclaré irrecevable.

10. Il retient ensuite qu'il importe peu que le premier président ne se soit pas prononcé sur le montant des honoraires de M. [B], dès lors que la décision du bâtonnier lui ayant été déférée, l'ordonnance, par laquelle ce magistrat a déclaré le recours irrecevable, a eu pour effet, après déchéance du pourvoi en cassation dont elle a été frappée, de rendre exécutoire la décision déférée, sans que M. [B] eût à saisir, à cet effet, le président du tribunal de grande instance.

11. Il énonce, à cet égard, que l'article 178 du décret du 27 novembre 1991 ne confère au président du tribunal judiciaire le pouvoir de donner force exécutoire à la décision du bâtonnier qu'en l'absence de recours formé devant le premier président de la cour d'appel et que, lorsqu'un tel recours a été introduit, il n'y a pas lieu d'opérer une distinction, que le texte ne prévoit pas, selon que ce recours est jugé recevable ou non, et, dans la négative, d'imposer à l'avocat de saisir le président du tribunal en vue d'obtenir un titre exécutoire, au motif que l'ordonnance du premier président ne vaudrait elle-même titre qu'en cas d'examen au fond de la contestation.

12. En statuant ainsi, alors que la décision prise par le bâtonnier d'un ordre d'avocats sur une contestation en matière d'honoraires, fût-elle devenue irrévocable par suite de l'irrecevabilité du recours formé devant le premier président de la cour d'appel, ne constitue pas une décision à laquelle la loi attache les effets d'un jugement, de sorte qu'elle ne peut faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée qu'après avoir été rendue exécutoire par ordonnance du président du tribunal judiciaire, seul habilité à cet effet, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en ce qu'il confirme le jugement du 26 janvier 2016 du tribunal de grande instance de Draguignan en sa disposition rejetant la demande des consorts [V] en paiement de dommages-intérêts et en ce que, réformant ce jugement et statuant à nouveau, il dit que l'ordonnance du 3 décembre 2003 du premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, déclarant irrecevable le recours formé contre l'ordonnance du bâtonnier de Nice du 1er août 2002, a conféré à M. [B] un titre exécutoire pour le recouvrement de sa créance d'honoraires, dit que les hypothèques judiciaires définitives prises les 2 août, 6 septembre 2013 et 13 mars 2014 par M. [B] l'ont été valablement dans le délai de dix ans, courant à compter du 19 juin 2008, résultant de l'article L. 111-4 du code des procédures civiles d'exécution, rejette la demande des consorts [V] tendant à voir annuler l'opposition faite par M. [B] entre les mains de M. [G], notaire à Marseille, par exploit du 20 décembre 2013, ordonne aux consorts [V] de communiquer à M. [B] le compte d'administration de la succession de [G] [V], dans les deux mois suivant la signification de l'arrêt, sous peine d'astreinte, et condamne les consorts [V] aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à M. [B] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 24 novembre 2016, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Talabardon - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Occhipinti -

Textes visés :

Articles L. 111-2 et L. 111-3, 1° et 6°, du code des procédures civiles d'exécution ; article 502 du code de procédure civile ; article 178 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 30 janvier 2014, pourvoi n° 12-29.246, Bull. 2014, II, n° 30 (cassation).

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.