Numéro 5 - Mai 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2021

ACTION EN JUSTICE

1re Civ., 26 mai 2021, n° 19-15.102, (P)

Cassation

Fondement juridique – Changement – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Mienta France, à la société [M]-[X]-[S], en qualité d'administrateur judiciaire, et à la société [D], en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Mienta France, du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Blendex Egypt, Bouri Center, Bouri Général Trading, International Polytrade, Misr Intercommerce et Nile Intercommerce.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 mai 2018), par un accord du 18 novembre 2002, les sociétés Groupe SEB-Moulinex et SEB (le groupe SEB), ayant repris les actifs de la société Moulinex, ont défini le cadre dans lequel se poursuivrait la relation commerciale avec les sociétés égyptiennes Misr Intercommerce (la société Intercommerce) et Blendex Egypt (la société Blendex), filiales du groupe Bouri, ayant toutes deux pour activité le négoce, la fabrication, l'importation et la distribution d'équipements domestiques et électroménagers.

Le Groupe SEB-Moulinex a concédé à la société Intercommerce la représentation et la distribution exclusive des produits finis électroménagers de la marque Moulinex sur le territoire égyptien et à la société Blendex, pour le même territoire, premièrement, une licence d'exploitation exclusive des marques internationales Moulinex, deuxièmement, une licence de fabrication de certains produits, troisièmement, un prêt de moules et la fourniture de produits et composants nécessaires à la fabrication des appareils portant la marque Moulinex.

3. Un différend ayant opposé les parties lors de la cessation de leurs relations contractuelles, le groupe SEB a assigné les sociétés Intercommerce et Blendex en responsabilité pour rupture brutale des relations commerciales établies.

4. Le groupe SEB a assigné en intervention forcée la société Mienta France, en lui reprochant de fabriquer elle-même et de faire fabriquer par la société Blendex, sous la marque Mienta, des articles de petit électroménager présentant avec les siens des similarités ayant pour objet ou pour effet de créer dans l'esprit du public une confusion dommageable à ses propres produits, et de les commercialiser sur le marché égyptien, par elle-même, ou dans les « Bouri Center », ou encore, par l'intermédiaire de la société Intercommerce.

5. Invoquant des faits de concurrence déloyale et de parasitisme, le groupe SEB a demandé, sur le fondement de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la condamnation in solidum des sociétés Mienta France, Intercommerce et Bendex à lui payer des dommages-intérêts et à cesser la fabrication et la commercialisation des produits litigieux.

6. La société Mienta France a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du 23 mai 2019, la société [M]-[X]-[S] étant désignée en qualité d'administrateur judiciaire et la société [D] en qualité de mandataire judiciaire.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, les troisième et quatrième moyens du pourvoi principal, le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, les quatrième et cinquième moyens des pourvois incidents, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (« Rome II »), l'article 12 du code de procédure civile et les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne :

9. Le premier de ces textes dispose :

« 1.La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être.

2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, l'article 4 est applicable.

(...)

4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l'article 14. »

10. Il résulte du second de ces textes et des principes susvisés que si le juge n'a pas, sauf règles particulières, l'obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle une règle de conflit de lois lorsqu'il est interdit d'y déroger, même si les parties ne les ont pas invoquées.

11. Pour condamner les sociétés Mienta France, Blendex et Intercommerce à payer des dommages-intérêts au groupe SEB en application du droit français, l'arrêt retient que ces sociétés, en entretenant délibérément, par la gamme et la présentation de leurs articles, une confusion entre les produits de marque Mienta et ceux de marque Moulinex, pour profiter de la notoriété de cette dernière en Egypte, et en utilisant à cette fin les moules et les techniques de fabrication du groupe Moulinex, ainsi que son réseau de distribution en Egypte, ont commis des actes de parasitisme et de concurrence déloyale.

12. En statuant ainsi, sans mettre en oeuvre d'office, comme il le lui incombait, les dispositions impératives de l'article 6 du règlement « Rome II » pour déterminer la loi applicable au litige, la cour d'appel a violé les textes et les principes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Article 6 du règlement (CE) n° 864/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II) ; article 12 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation pour le juge lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne même si le demandeur ne les a pas invoquées, à rapprocher : Ch. mixte., 7 juillet 2017, pourvoi n° 15-25.651, Bull. 2017, Ch. mixte, n° 2 (cassation et irrecevabilité).

2e Civ., 20 mai 2021, n° 20-15.098, (P)

Rejet

Qualité – Personne morale – Société – Société absorbante – Poursuite des instances en cours

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué, statuant sur renvoi après cassation (Paris, 29 janvier 2020), la société Publi Expert a interjeté appel du jugement d'un tribunal de commerce qui l'a condamnée au paiement de dommages-intérêts à la société Nobilas France.

2. La société Nobilas France a formé un pourvoi contre l'arrêt qui a déclaré irrecevable son action en indemnisation.

3. Cet arrêt ayant été cassé, (1re Civ., 6 septembre 2017, pourvoi n° 16-26.459), l'arrêt de la Cour de cassation a été signifié à la société Publi Expert le 26 septembre 2017.

4. Le 22 novembre 2017, la société Publi Expert GestionPubli Expert Gestion, associée unique de la société Publi Gestion a constaté le caractère définitif de la dissolution sans liquidation de celle-ci, aucune opposition n'ayant été formulée dans le délai légal.

5. La société Publi Expert GestionPubli Expert Gestion a déposé une déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel de renvoi le 5 décembre 2017.

6. La société Nobilas France a soulevé l'irrecevabilité de la déclaration de saisine pour tardiveté.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société Publi Expert GestionPubli Expert Gestion fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la saisine de la cour d'appel de renvoi en date du 5 décembre 2017 et, en conséquence, de conférer force de chose jugée au jugement rendu le 23 décembre 2014 par le tribunal de commerce, alors « que la perte par une société dissoute de sa personnalité morale à l'issu du délai de trente jours conféré aux éventuels créanciers pour faire opposition, combinée à la transmission universelle simultanée de l'ensemble de ses droits et obligations à une société absorbante, permet à cette dernière d'invoquer la cause d'interruption de l'instance pour cause de succession à l'action d'une partie définitivement éteinte, visée à l'article 370 du code de procédure civile ; qu'en refusant de décider de la sorte, au motif totalement inopérant que le délai de forclusion de deux mois visé à l'article 1034 du code de procédure civile courrait encore à la date du 18 novembre 2017, à laquelle la société Publi Expert avait perdu sa personnalité morale et à laquelle la société Publi Expert GestionPubli Expert Gestion avait obtenu la transmission de son patrimoine universel et de l'ensemble de ses droits et obligations, quand ce fait permettait au contraire de constater que le délai de forclusion n'étant pas écoulé à la date de la succession, l'interruption pouvait encore jouer, la cour d'appel a violé les dispositions des articles 370 et 1034 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, la dissolution d'une personne morale, même assortie d'une transmission universelle de son patrimoine, qui n'est pas assimilable au décès d'une personne physique, même lorsque l'action est transmissible, ne constitue pas une cause d'interruption de l'instance au sens de l'article 370 du code de procédure civile.

9. D'autre part, la transmission universelle de son patrimoine à une personne morale par une société dissoute étant indissociablement liée à sa dissolution, la perte de sa capacité juridique n'interrompt pas le délai de forclusion pour saisir la juridiction de renvoi après cassation, qui continue à courir. Ce délai devient, par l'effet de la transmission de ses droits par la société absorbée, opposable à la société absorbante, qui acquiert de plein droit, à la date de l'assemblée générale ayant approuvé l'opération de fusion-absorption, la qualité pour poursuivre les instances engagées par la société absorbée.

10. Ayant relevé que l'annonce de la dissolution anticipée sans liquidation de la société Publi Expert avait été publiée le 19 octobre 2017 et n'avait provoqué, dans le délai de trente jours, aucune opposition, la cour d'appel, qui a constaté que la disparition de la personnalité morale de la société Publi Expert assortie de la transmission universelle de son patrimoine, composé de l'ensemble de ses droits, à la société absorbante Publi Expert GestionPubli Expert Gestion s'était produite le 18 novembre 2017, en a exactement déduit que, si la société Publi Expert avait la capacité de la saisir entre le 26 septembre 2017 et le 18 novembre 2017, la société Publi Expert GestionPubli Expert Gestion avait recueilli cette capacité dès le 19 novembre 2017, de sorte qu'en déposant la déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel après l'expiration, le 26 novembre 2017, du délai de forclusion, qui n'avait pas été interrompu, elle avait agi tardivement.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Spinosi -

Textes visés :

Article 370 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 02-20.213, Bull., 2004, II, n° 399 (cassation).

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