Numéro 5 - Mai 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2020

UNION EUROPEENNE

1re Civ., 13 mai 2020, n° 19-10.448, (P)

Cassation sans renvoi

Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 – Principe de perpétuation de la compétence – Application

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 11 septembre 2018), M... G... a donné procuration à son épouse de vendre en viager, à leur fille et son époux, M. H... B..., domiciliés en Espagne, un bien immobilier dont ils étaient propriétaires, situé dans ce pays.

2. Après le décès de ses parents, M. Q... G... a, par acte du 11 décembre 2014, assigné M. et Mme H... B... devant le tribunal de grande instance de Bayonne pour obtenir, à titre principal, l'annulation de la procuration pour cause d'insanité d'esprit de son auteur et, à titre subsidiaire, la requalification de la vente en libéralité.

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1 et 3, point 2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ensemble le principe de perpétuation de la compétence selon lequel l'acte introductif d'instance fixe la saisine du tribunal et détermine la compétence pendant la durée de l'instance :

4. Pour dire le juge français compétent, l'arrêt fait application des articles 14 et 15 du code civil à l'action de M. G..., qui tend à remettre en cause l'acte intitulé cession de biens moyennant rente.

5. En statuant ainsi, alors que la demande principale en annulation de la procuration donnée par M... G..., dont le consentement aurait été vicié pour cause d'insanité d'esprit, fixait la compétence dès l'introduction de l'instance et relevait du champ matériel du règlement n° 44/2001, applicable à la date d'introduction de la demande, et qu'une règle de compétence nationale ne pouvait être invoquée contre M. et Mme H... B... domiciliés dans un autre Etat membre de l'Union européenne, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

6. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

7. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

8. D'une part, selon l'article 2, point 1, du règlement n° 44/2001, sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

9. La demande principale en annulation d'une procuration dont le consentement de l'auteur aurait été vicié pour cause d'insanité d'esprit, de nature personnelle, ne relevant pas des compétences dérogatoires énoncées aux sections 2 à 7 du règlement et M. et Mme H... B... étant domiciliés en Espagne, ceux-ci devaient être attraits devant les juridictions espagnoles.

10. D'autre part, il résulte de l'article 81 du code de procédure civile que, lorsque le juge estime que l'affaire relève d'une juridiction étrangère, il renvoie seulement les parties à mieux se pourvoir.

11. Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bayonne du 15 décembre 2016 en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige, de l'infirmer en ce qu'il désigne la juridiction civile dont dépend la ville d'Alicante comme juridiction de renvoi, et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen unique, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Bayonne du 15 décembre 2016, mais seulement en ce qu'il désigne la juridiction civile dont dépend la ville d'Alicante comme juridiction de renvoi ;

RENVOIE les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles 1 et 3, point 2, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ; principe de perpétuation de la compétence.

1re Civ., 13 mai 2020, n° 18-24.850, (P)

Renvoi devant la Cour de justice de l'Union européenne

Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 – Matière délictuelle ou quasi-délictuelle – Lieu où le fait dommageable s'est produit – Détermination – Applications diverses – Actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants

Par arrêt du 17 octobre 2017 (C-194/16 Svensk Handel AB), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit :

1) L'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une personne morale, qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur Internet et par la non-suppression de commentaires à son égard, peut former un recours tendant à la rectification de ces données, à la suppression de ces commentaires et à la réparation de l'intégralité du préjudice subi devant les juridictions de l'Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts.

Lorsque la personne morale concernée exerce la majeure partie de ses activités dans un Etat membre autre que celui de son siège statutaire, cette personne peut attraire l'auteur présumé de l'atteinte au titre du lieu de la matérialisation du dommage dans cet autre Etat membre.

2) L'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu'une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur internet et par la non-suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel les informations publiées sur internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires.

En outre, elle a précisé qu'une demande visant à la rectification des données et à la suppression des contenus mis en ligne sur un site internet est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l'intégralité d'une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts du 7 mars 1995, Shevill e.a. (C-68/93, points 25, 26 et 32), ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, points 42 et 48), et non devant une juridiction qui n'a pas une telle compétence (point 48).

Cette jurisprudence rendue en matière d'atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet est transposable aux actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants.

Il en résulte que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour ordonner le retrait ainsi que la rectification par publication d'un communiqué de commentaires prétendument dénigrants imputés à une personne domiciliée dans un autre Etat membre par une personne morale dont le centre des intérêts est établi en un troisième Etat membre, seules les juridictions de ce dernier Etat, compétentes pour connaître de l'intégralité d'une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts précités Shevill et eDate Advertising, ou celles de celui dans lequel le défendeur est domicilié étant compétentes pour ce faire.

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union – Règlement (UE) n° 1215/2012 – Article 7, point 2 – Application – Détermination

Il convient de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante : Les dispositions de l'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 doivent-elles être interprétées en ce sens que la personne qui, estimant qu'une atteinte a été portée à ses droits par la diffusion de propos dénigrants sur internet, agit tout à la fois aux fins de rectification des données et de suppression des contenus, ainsi qu'en réparation des préjudices moral et économique en résultant, peut réclamer, devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est ou a été accessible, l'indemnisation du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre, conformément à l'arrêt eDate Advertising (points 51 et 52) ou si, en application de l'arrêt Svensk Handel (point 48), elle doit porter cette demande indemnitaire devant la juridiction compétente pour ordonner la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants ?

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 juillet 2018), la société tchèque Gtflix Tv ayant pour activité la production et la diffusion de contenus pour adultes, notamment via son site internet, faisant grief à M. K..., réalisateur, producteur et distributeur de films pornographiques commercialisés sur ses sites internet hébergés en Hongrie où il exerce son activité et où il est domicilié, de propos dénigrants diffusés, sur plusieurs sites et forums, après l'avoir mis en demeure, de les retirer, l'a assigné en référé devant le président du tribunal de grande instance de Lyon pour, d'une part, le voir condamner sous astreinte à cesser tout acte de dénigrement à son encontre et à l'encontre du site legalporno, et à publier un communiqué judiciaire en français et en anglais sur chacun des forums concernés, d'autre part, être elle-même autorisée à poster un commentaire sur les forums en cause et, enfin, pour obtenir paiement d'un euro symbolique en réparation de son préjudice économique et d'une somme de même montant pour celle de son préjudice moral.

2. M. K... a soulevé l'incompétence de la juridiction française.

3. En cause d'appel, la société Gtflix Tv a repris ses demandes de suppression et de rectification et a porté sa demande de dommages-intérêts à la somme provisionnelle de 10 000 euros au titre de ses préjudices matériel et moral subis en France.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. La société Gtflix Tv fait grief à l'arrêt de déclarer la juridiction française incompétente au profit des juridictions tchèques, alors :

« 1°/ que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes pour connaître du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre par un contenu mis en ligne sur internet dès lors que ce contenu y est accessible ; qu'en jugeant, pour écarter la compétence des juridictions françaises, qu'il ne suffit pas que les propos jugés dénigrants et postés sur internet soient accessibles dans le ressort de la juridiction saisie mais qu'il faut également qu'ils puissent présenter un intérêt quelconque pour les internautes résidant dans ce ressort et soient susceptibles d'y générer un préjudice, la cour d'appel a violé l'article 7 point 2 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ;

2°/ qu'un préjudice, fût-il moral, s'infère nécessairement de tout acte de dénigrement portant atteinte à la réputation de celui qui en est victime ; qu'il s'en déduit qu'un tel préjudice se matérialise au lieu auquel les propos constitutifs du dénigrement sont diffusés ; qu'en jugeant, pour écarter la compétence des juridictions françaises, que la société Gtflix n'établissait pas la réalité des conséquences dommageables en France des propos qu'elle dénonçait, cependant que l'existence d'un préjudice subi en France s'inférait nécessairement de la diffusion dans cet Etat membre des propos dénigrants mis en ligne par M. K..., la cour d'appel a violé l'article 7 point 2 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ;

3°/ que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner et analyser tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'à l'appui de son appel, la société Gtflix produisait une nouvelle pièce constituée par un document présentant les statistiques de fréquentation du site woodmanforum, tenu par M. K..., afin de démontrer que le public français était le premier public fréquentant ce site ; qu'en jugeant que la société Gtflix ne démontrait pas que les internautes français seraient les plus nombreux à visiter les sites et forums de M. K... sans examiner ni viser, même sommairement, cette nouvelle pièce, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes pour connaître du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre par un contenu mis en ligne sur internet lorsque ce contenu est destiné au public de cet Etat membre, public pour lequel il est susceptible de présenter un intérêt quelconque ; qu'il n'est pas nécessaire, pour que cette condition soit remplie, que les internautes résidant dans cet Etat membre soient les plus nombreux à visiter les sites et les forums de M. K..., sans rechercher, comme elle y était invitée, si le contenu mis en cause, qui portait sur les relations de la société Gtflix avec ses acteurs et actrices françaises, n'était pas susceptible de présenter, à ce titre, un intérêt pour le public français ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a privé sa décision de base légal au regard de l'article 7 point 2 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 ;

5°/ que des actes de dénigrement sont susceptibles de causer un préjudice dans un Etat membre lorsque les propos dénigrants ont trait aux activités commerciales que la personne dénigrée opère dans ce même Etat membre ; qu'en jugeant, pour écarter la compétence des juridictions françaises, que la société Gtflix n'établissait pas la réalité des conséquences dommageables en France des propos qu'elle dénonçait, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les propos dénigrants ne concernaient pas l'activité de la société Gtflix en France, notamment ses relations avec les acteurs, actrices et agents du milieu établis en France, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 7 point 2 du règlement UE n° 1215/2012 du 12 décembre 2012. »

Réponse de la Cour

5. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt (grande chambre) du 17 octobre 2017, Bolagsupplysningen OÜ et B... L... contre Svensk Handel AB, C-194/16) a dit pour droit :

1) L'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu'une personne morale, qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur internet et par la non-suppression de commentaires à son égard, peut former un recours tendant à la rectification de ces données, à la suppression de ces commentaires et à la réparation de l'intégralité du préjudice subi devant les juridictions de l'Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts.

Lorsque la personne morale concernée exerce la majeure partie de ses activités dans un Etat membre autre que celui de son siège statutaire, cette personne peut attraire l'auteur présumé de l'atteinte au titre du lieu de la matérialisation du dommage dans cet autre Etat membre.

2) L'article 7, point 2, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu'une personne qui prétend que ses droits de la personnalité ont été violés par la publication de données inexactes la concernant sur internet et par la non-suppression de commentaires à son égard ne peut pas, devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel les informations publiées sur internet sont ou étaient accessibles, former un recours tendant à la rectification de ces données et à la suppression de ces commentaires.

6. Se référant à la nature ubiquitaire des données et contenus mis en ligne sur un site internet et au fait que la portée de leur diffusion est en principe universelle, elle a précisé qu'une demande visant à la rectification des données et à la suppression des contenus mis en ligne sur un site internet est une et indivisible et ne peut, par conséquent, être portée que devant une juridiction compétente pour connaître de l'intégralité d'une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts du 7 mars 1995, Shevill e.a. (C-68/93, points 25, 26 et 32), ainsi que du 25 octobre 2011, eDate Advertising e.a. (C-509/09 et C-161/10, points 42 et 48), et non devant une juridiction qui n'a pas une telle compétence (point 48).

7. Cette jurisprudence rendue en matière d'atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet est transposable aux actes de concurrence déloyale résultant de la diffusion sur des forums internet de propos prétendument dénigrants.

8. L'arrêt relève que le centre des intérêts de la société Gtflix Tv est établi en République Tchèque et que M. K... est domicilié en Hongrie.

9. Il en résulte que seules les juridictions du premier de ces Etats, compétentes pour connaître de l'intégralité d'une demande de réparation du dommage en vertu de la jurisprudence résultant des arrêts précités Shevill et eDate Advertising ou celles du second dans lequel le défendeur est domicilié, étaient compétentes pour ordonner le retrait des commentaires prétendument dénigrants imputés à M. K... et leur rectification par publication d'un communiqué.

10. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée en ce qu'elle a déclaré la juridiction française incompétente pour statuer sur ces chefs de demandes.

11. Il n'y a pas lieu de saisir, sur ce point, la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles soumises par la société Gtflix Tv.

En effet, d'une part, celles-ci ne sont pas pertinentes, la demanderesse au pourvoi ayant sollicité devant la cour d'appel la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants et non leur inaccessibilité sur le territoire français ni la limitation à la France des mesures de publication, de sorte que le recours à la technique du géo-blocage était indifférente. D'autre part, il n'existe aucun doute sérieux sur l'interprétation de la disposition communautaire en cause, en l'état de l'arrêt précité, rendu par la Cour de justice le 27 octobre 2017, que son arrêt du 24 septembre 2019 (CJUE, Google/CNIL, C-507/17) n'est pas venu remettre en cause.

12. S'agissant de la juridiction compétente pour connaître de la demande de dommages-intérêts formée en réparation des préjudices moral et économique consécutifs aux propos dénigrants imputés à M. K..., la société Gtflix Tv soutient que la jurisprudence Svensk Handel ne peut trouver à s'appliquer qu'aux seules demandes visant à obtenir la suppression de commentaires ou de pages sur internet au moyen d'une injonction prononcée par le juge, que n'est, en aucune façon, concernée par cette solution la demande indemnitaire dont l'objet est l'obtention de dommages-intérêts, et ce, quand bien même la demande serait formée à titre provisionnel devant le juge des référés et qu'en conséquence, une telle demande demeure régie par les principes dégagés par les arrêts Shevill et eDate Advertising.

13. Il s'agit, donc, de déterminer si la solution consacrée par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt précité du 27 octobre 2017, sur le fondement des dispositions de l'article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 doit être interprétée en ce sens que la personne qui, estimant qu'une atteinte a été portée à ses droits par la diffusion de propos dénigrants sur internet, agit tout à la fois aux fins de rectification des données et de suppression des contenus, ainsi qu'en réparation des préjudices moral et économique en résultant, peut réclamer, devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est ou a été accessible, l'indemnisation du dommage causé sur le territoire de cet Etat membre, conformément à l'arrêt eDate Advertising (points 51 et 52) ou si, en application de l'arrêt Svensk Handel (point 48), elle doit porter cette demande indemnitaire devant la juridiction compétente pour ordonner la rectification des données et la suppression des commentaires dénigrants.

14. La question, qui est déterminante pour la solution du litige que doit trancher la Cour de cassation, pose une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne dès lors que l'intérêt d'une bonne administration de la justice pourrait justifier que la juridiction compétente pour connaître de la demande tendant à la rectification de données et à la suppression de commentaires ait compétence exclusive pour connaître de la demande tendant à l'allocation de dommages-intérêts, qui présente avec la première un lien de dépendance nécessaire.

15. Il s'ensuit qu'il convient d'en saisir la Cour de justice de l'Union européenne en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le chef de l'arrêt qui dit la juridiction française incompétente pour connaître de la demande tendant à la suppression des commentaires dénigrants et à la rectification des données par la publication d'un communiqué.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Article 7, point 2, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 17 octobre 2017, Svensk Handel AB, C-194/16.

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