Numéro 5 - Mai 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2020

SOLIDARITE

2e Civ., 20 mai 2020, n° 19-10.247, (P)

Rejet

Obligation in solidum – Cas – Coauteurs d'un dommage – Coauteur ayant indemnisé la victime – Recours contre les autres coauteurs – Etendue – Détermination

Obligation in solidum – Cas – Coauteurs d'un dommage – Accident de la circulation – Décès de l'un des coauteurs – Pluralité d'héritiers – Effets – Division de la dette dans la proportion de leurs parts héréditaires

Faits et procédure

1.Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er octobre 2018), le 3 mars 2007, M. H... I..., conducteur d'un véhicule, assuré auprès de la société Axa France IARD, son épouse Mme D... I... et leur fils W... I... (les consorts I...), alors âgé de 3 mois, ont été victimes d'un accident complexe de la circulation routière dans lequel ont été impliqués les véhicules de M. R..., assuré auprès de la société Avanssur, de Mme B..., assuré auprès de la Maif, de Mme U..., assuré auprès de la société AIG Europe, venant aux droits de la société AIG Europe Limited, de Mme X..., assuré auprès de la Matmut, de Y... F..., non assuré et de M. C..., assuré auprès de la société Garantie Mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat des services publics (Gmf).

2. La société Axa France IARD a assigné l'ensemble des conducteurs des véhicules impliqués dans l'accident, les assureurs et les consorts I... aux fins de réparation des préjudices subis par ces derniers et de répartition de la dette d'indemnisation.

3. L'action publique engagée à l'encontre de Y... F... notamment pour conduite en état d'ébriété a été éteinte par son décès, survenu le [...].

Examen des moyens

Sur la troisième branche du moyen unique du pourvoi incident formé par la Maif, la Matmut, Mme X... et Mme B..., ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le pourvoi principal

Enoncé du moyen

5. La société Axa France IARD fait grief à l'arrêt de fixer la contribution de la société Avanssur à l'ensemble des dettes indemnitaires envers les consorts I... à la proportion de seulement 45 %, de fixer la contribution de la société GMF et de M. C... à l'ensemble des dettes indemnitaires envers les consorts I... à la proportion de seulement 10 % et de la débouter de sa demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés Avanssur et GMF à la garantir de toutes les sommes qu'elle a déjà versées et qu'elle pourrait être amenée à verser au titre de l'indemnisation des préjudices des consorts I..., alors :

« 1°/ que la contribution à la dette de réparation des dommages causés aux tiers entre les conducteurs de véhicules terrestres à moteur impliqués dans un accident de la circulation et leurs assureurs a lieu en proportion des fautes respectives des conducteurs impliqués ; que, partant, les conducteurs non fautifs et leurs assureurs disposent d'un recours intégral à l'encontre de chacun des conducteurs fautifs et de leurs assureurs ; que la cour d'appel ayant elle-même retenu que M. I..., conducteur du véhicule assuré par l'exposante, n'avait commis aucune faute, contrairement à MM. R... et C..., conducteurs fautifs des véhicules assurés respectivement par les sociétés Avanssur et GMF, il s'en déduisait que ces sociétés devaient être condamnées in solidum à garantir l'exposante de toutes les sommes qu'elle avait versées et qu'elle pourrait être amenée à verser au titre de l'indemnisation des préjudices de M. et Mme I... et de leur fils ; qu'en déboutant l'exposante de cette demande, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres énonciations et a violé les articles 1251 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le décès de l'un des codébiteurs solidaires qui laisse plusieurs héritiers n'efface pas le caractère solidaire de la dette au regard des débiteurs originaires ; qu'en déboutant l'exposante de sa demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés Avanssur et GMF à la garantir de toutes les sommes qu'elle avait versées et qu'elle pourrait être amenée à verser au titre de l'indemnisation des préjudices de Mme I... et de son fils, aux motifs qu'il n'existait pas de solidarité dans le régime de la contribution à la dette sauf le cas de l'insolvabilité d'un contributeur qui avait pour effet d'accroître la charge contributive des autres contributeurs et que la dette de contribution incombant à M. F... de son vivant n'avait pas été éteinte par son décès mais avait été transmise passivement à ses héritiers dont il n'était pas allégué qu'ils seraient insolvables, quand les sociétés Avanssur et GMF restaient tenues, in solidum avec les éventuels héritiers de M. F..., de garantir l'exposante de l'intégralité de la dette de réparation des préjudices de M. et Mme I... et de leur fils, la cour d'appel a violé les articles 1213, 1214, 1220, 1234, 1251 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

3°/ que par l'effet de la subrogation, l'assureur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation est, pour le recouvrement des prestations indemnitaires ou de l'avance sur indemnité qu'il a versées au tiers victime de dommages causés par l'accident, investi de l'ensemble des droits et actions dont celui-ci disposait à l'encontre de la personne tenue à réparation ou son assureur ; que, partant, si le tiers victime bénéficiait d'une obligation in solidum à la réparation de son dommage à l'encontre des personnes tenues à réparation et de leurs assureurs, ces personnes et leurs assureurs sont également tenus in solidum envers l'assureur subrogé dans les droits et actions du tiers victime pour le recouvrement des indemnités qu'il a versées ; que la cour d'appel ayant retenu que le droit à indemnisation de M. et Mme I... et leur fils était entier et ayant condamné in solidum les sociétés Avanssur et GMF à les indemniser, il en résultait que par l'effet de la subrogation, l'exposante était, pour le recouvrement des indemnités qu'elle avait versées à M. et Mme I... et leur fils, investie de l'ensemble des droits et actions dont ceux-ci disposaient à l'encontre des sociétés Avanssur et GMF et était par conséquent fondée à solliciter la condamnation in solidum de ces sociétés à la garantir de toutes les indemnités qu'elle avait versées à M. et Mme I... et leur fils ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1251 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ensemble les articles L. 131-2 et L. 211-25 du code des assurances ;

4°/ qu'en toute hypothèse que le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; que pour débouter l'exposante de sa demande tendant à voir condamner in solidum les sociétés Avanssur et GMF à la garantir de toutes les sommes qu'elle avait versées et qu'elle pourrait être amenée à verser au titre de l'indemnisation des préjudices de M. et Mme I... et de leur fils, la cour d'appel ne pouvait relever d'office le moyen de droit tiré de ce qu'il résultait des articles 1213, 1214, 1220 et 1234 du code civil qu'il n'existait pas de solidarité dans le régime de la contribution à la dette sauf le cas de l'insolvabilité d'un contributeur qui avait pour effet d'accroître la charge contributive des autres contributeurs et que la dette de contribution incombant à M. F... de son vivant n'avait pas été éteinte par son décès mais avait été transmise passivement à ses héritiers dont il n'était pas allégué qu'ils seraient insolvables, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le principe de la contradiction et l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt, en dépit de la formule générale du dispositif qui « rejette toutes demandes autres, plus amples ou contraires », n'a pas statué sur le chef de demande de la société Axa France IARD tendant à la condamnation in solidum des sociétés Avanssur et GMF à la garantir de toutes les sommes qu'elle avait déjà versées et pourrait être amenée à verser au titre de l'indemnisation des préjudices des consorts I... dès lors qu'il ne résulte pas des motifs de la décision que la cour d'appel ait examiné cette prétention.

7. L'omission de statuer pouvant être réparée par la procédure prévue à l'article 463 du code de procédure civile, le moyen n'est pas recevable en ses trois premières branches et ne peut être accueilli pour le surplus.

Sur les moyens uniques des pourvois incidents formés par la Maif, Mme B..., la Matmut et Mme X..., la société AIG Europe et Mme U..., qui sont similaires

Enoncé des moyens

8. Pourvoi formé par la Maif, Mme B..., la Matmut et Mme X... : celles-ci font grief à l'arrêt de limiter à la proportion de 45 % la contribution de la société Avanssur à l'ensemble des dettes indemnitaires envers les consorts I..., de limiter à la proportion de 10 % la contribution de la société GMF et de M. C... à l'ensemble des dettes indemnitaires envers les consorts I... et de rejeter la demande des sociétés Maif et Matmut et de Mmes X... et B... tendant à voir condamner les sociétés Avanssur et GMF à les garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre, alors :

« 1°/ que le conducteur non fautif d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et son assureur disposent d'un recours en contribution à la dette de réparation des dommages causés aux tiers par cet accident pour le tout à l'encontre de chacun des conducteurs fautifs et leur assureur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé qu'K... B..., conductrice du véhicule assuré par la Maif, et L... X..., conductrice du véhicule assuré par la Matmut, n'avaient commis aucune faute dans l'accident litigieux, contrairement à MM. R... et C..., conducteurs fautifs des véhicules assurés respectivement par les sociétés Avanssur et GMF, et à M. F..., non assuré ; qu'en limitant néanmoins la contribution de la société Avanssur à l'ensemble des dettes indemnitaires des victimes de l'accident à la proportion de 45 %, et celle de la société GMF et de M. C... à 10 %, quand les conductrices non fautives et leur assureur étaient fondées à exercer un recours en contribution pour le tout contre chacun des conducteurs fautifs et leur assureur, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation des articles 1251 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le décès de l'un des codébiteurs in solidum n'efface pas le caractère in solidum de la dette au regard des débiteurs originaires ; qu'en limitant en l'espèce la contribution de la société Avanssur à l'ensemble des dettes indemnitaires des victimes de l'accident à la proportion de 45 %, et celle de la société GMF et de M. C... à 10 %, motifs pris qu'il n'existait pas de solidarité dans le régime de la contribution à la dette sauf le cas de l'insolvabilité d'un contributeur et que la dette de contribution incombant à M. F... de son vivant n'avait pas été éteinte par son décès mais avait été transmise passivement à ses héritiers dont il n'était pas allégué qu'ils seraient insolvables, quand les sociétés Avanssur et GMF restaient tenus, in solidum avec les éventuels héritiers de M. F..., de garantir pour le tout les conductrices non fautives et l'assureur de leur véhicule de la dette de réparation des préjudices subis par les victimes de l'accident litigieux, la cour d'appel a violé les articles 1213, 1214, 1220, 1234, 1251 et 1382 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ".

9. Pourvoi formé par la société AIG Europe venant aux droits de la société AIG Europe Limited et Mme U... : ceux-ci font grief à l'arrêt de fixer la contribution de la société Avanssur à l'ensemble des dettes indemnitaires envers les consorts I... à la proportion de 45 %, et celle de la société GMF et de M. C... à 10 % et de rejeter les demandes de Mme U... et de la société AIG Europe tendant à voir dire et juger qu'elles ne supporteront aucune contribution à l'indemnisation des victimes et condamner toutes les parties fautives et leurs assureurs respectifs à la garantir de toutes les condamnations prononcées à leur encontre, alors :

« 1°/ que seul le coobligé à la dette peut y contribuer ; qu'en jugeant, pour ne fixer qu'à hauteur de 55 % (à hauteur de 45 % pour la société Avanssur et de 10 % pour la société GMF et M. C...) la charge finale de la dette pesant in solidum sur la société Avanssur, Mme B..., la Maif, Mme U..., la société AIG Europe, Mme X..., la Matmut, la société Axa France IARD, M. R... et M. C..., qu'il existait un autre conducteur fautif, M. F..., qui, « s'il avait été vivant, aurait dû contribuer aux dettes indemnitaires » à hauteur de 45 %, de sorte qu'il y aurait lieu de tenir compte de sa part contributive pour fixer celle des autres conducteurs fautifs quand, ni M. F... ni ses héritiers n'étant obligés à la dette ni même parties à l'instance, aucune contribution à la dette ne pouvait être retenue à leur encontre, la cour d'appel ne pouvant que diviser la charge finale de l'intégralité de la dette entre coobligés fautifs, à charge pour eux d'exercer, le cas échéant, un recours subrogatoire contre les héritiers de M. F..., la cour d'appel a violé les articles 1213 et 1214, devenus 1317, 1251, devenu 1346, et 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ qu'entre coobligés fautifs, la contribution à la dette a lieu en proportion de la gravité des fautes respectives ; qu'en jugeant, pour fixer à 45 % la contribution à la dette de la société Avanssur et à 10 % pour la société GMF et M. C..., qu'il existait un autre conducteur fautif, M. F..., ni appelé, ni présent, ni représenté à l'instance d'appel mais qui, « s'il avait été vivant, aurait dû contribuer aux dettes indemnitaires » à hauteur de 45 %, la cour d'appel qui, pour fixer la contribution à la dette des coobligés fautifs, a tenu compte, non pas seulement de leurs fautes respectives et de leur gravité, mais également de celle imputée à un tiers à l'instance, a violé les articles 1213 et 1214, devenus 1317, 1251, devenu 1346, et 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

10. Le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et son assureur qui a indemnisé les dommages causés à un tiers ne peuvent exercer un recours contre un autre conducteur impliqué que sur le fondement des articles 1382, 1213, 1214 et 1251 du code civil en leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable à la cause.

La part contributive respective de chacun des conducteurs fautifs de véhicules impliqués dans l'accident est fixée en proportion de leurs fautes respectives, dont l'appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond.

Le codébiteur tenu in solidum, qui a exécuté l'entière obligation, ne peut, comme le codébiteur solidaire, même s'il agit par subrogation, répéter contre les autres débiteurs que les part et portion de chacun d'eux. Si l'un des codébiteurs se trouve insolvable, la perte qu'occasionne son insolvabilité se répartit, par contribution, entre tous les autres codébiteurs solvables et celui qui a fait le paiement.

11. Il résulte des dispositions des articles 1213 et 1214, en leur rédaction applicable à l'espèce, que le décès de l'un des codébiteurs tenu in solidum, comme celui d'un codébiteur solidaire, qui laisse plusieurs héritiers, n'efface pas le caractère solidaire de la dette au regard des débiteurs originaires. Il en modifie seulement les effets pour les héritiers, tenus dans la proportion de leurs parts héréditaires.

12. La cour d'appel, pour rejeter les demandes tendant à ce que les sociétés Avanssur et GMF garantissent les sociétés Maif, Matmut et AIG Europe et leurs assurées respectives de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à leur encontre, après avoir rappelé que la dette de contribution incombant à Y... F... de son vivant n'a pas été éteinte par son décès mais transmise passivement à ses héritiers, dont il n'est pas allégué qu'ils seraient insolvables et que la solution du litige impose de déterminer la part contributive respective de chacun des trois conducteurs fautifs de véhicules impliqués dans l'accident, et ce nonobstant le fait que l'un d'entre eux n'était pas partie en cause d'appel, personnellement ou par représentation, et estimé que la gravité des fautes commises par M. R... et par Y... F... induit leur contribution à la dette indemnitaire à hauteur de 45 % chacun et que les fautes de moindre gravité commises par M. C... induisent sa contribution à la dette à hauteur de 10 %, a légalement justifié sa décision.

Et sur le pourvoi incident formé par les consorts I...

Enoncé du moyen

13. M. H... I... et Mme D... I..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'administrateurs légaux de leur fils mineur, W... I..., font grief à l'arrêt de débouter M. I... de sa demande tendant à voir condamner Mme B..., Mme U..., Mme X..., Y... F..., M. C..., chacun in solidum avec sa compagnie d'assurance, ainsi que la société Avanssur (assureur de M. R...) à lui verser la somme de 800 000 euros au titre de son préjudice économique par ricochet (sauf à parfaire ou à modifier) alors :

« 1°/ que lorsque le parent de la victime d'un accident de la circulation qui était, à la date de l'accident, en période de reconversion professionnelle, décide d'abandonner cette reconversion ou de limiter sa nouvelle activité pour assister son enfant devenu handicapé, il subit un préjudice économique par ricochet qui s'analyse en une perte de chance de percevoir le revenu professionnel qu'il pouvait légitimement espérer tirer de sa nouvelle activité avant l'accident ; que cette perte de chance est actuelle est certaine dès lors qu'il est établi que cette reconversion était en cours et sur le point d'aboutir, peu important qu'à la date de l'accident elle ne se soit pas d'ores et déjà effectivement concrétisée par la conclusion de nouveaux contrats rémunérateurs ; que M. I... faisait valoir que lorsque l'accident s'était produit, le 3 mars 2007, il était en train de développer une nouvelle activité de courtage international en matières premières, dont le succès imposait une longue période d'investissement préalable destinée à lui permettre de mettre en place un réseau dans le monde entier, avant de parvenir à la réalisation des projets et signatures de transactions commerciales sources de revenus, l'essentiel des fruits de son investissement restant donc à venir et s'annonçant, lorsqu'il avait fallu qu'il cesse de s'investir dans cette activité prenante pour s'occuper d'W..., qui avait été grièvement blessé ; qu'en relevant néanmoins que M. I... soutenait qu'il « aurait d'ores et déjà signé de nombreux contrats » pour rechercher, non si sa reconversion professionnelle allait aboutir lorsque l'accident s'était produit, ainsi qu'elle y était invitée, mais si des contrats avaient été effectivement signés et lui avaient procuré des revenus, preuve de ce qu'il avait des chances de réussir sa reconversion à la date de l'accident, la cour d'appel a dénaturé les conclusions d'appel de M. I... et a ainsi violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que lorsque le parent de la victime d'un accident de la circulation qui était, à la date de l'accident, en période de reconversion professionnelle, décide d'abandonner cette reconversion ou de limiter sa nouvelle activité pour assister son enfant devenu handicapé, il subit un préjudice économique par ricochet qui s'analyse en une perte de chance de percevoir le revenu professionnel qu'il pouvait légitimement espérer tirer de sa nouvelle activité avant l'accident ; que cette perte de chance est actuelle est certaine dès lors qu'il est établi que cette reconversion était en cours et sur le point d'aboutir, peu important qu'à la date de l'accident elle ne se soit pas d'ores et déjà effectivement concrétisée par la conclusion de nouveaux contrats rémunérateurs ; qu'en retenant que M. I..., dont elle relevait elle-même qu'il établissait avoir entretenu, en 2005 et 2006, des contacts et/ou des pourparlers dans le domaine du commerce international de matières premières, ne démontrait pas que sa reconversion professionnelle avait effectivement abouti à la conclusion de contrats commerciaux et lui avait procuré des revenus à la date de l'accident, soit le 3 mars 2007, de sorte qu'il ne pouvait être présumé qu'il aurait conservé des chances de réussir, ni s'être exclusivement consacré à l'assistance de son épouse et de son enfant gravement blessés, pour conclure à l'absence de preuve de son préjudice économique, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cette reconversion ne nécessitait pas un long et patient travail de mise en place de réseaux et de prises de contact avec les acteurs du secteur du commerce international des matières premières et si ce travail n'était pas sur le point d'aboutir à la conclusion de transactions commerciales rémunératrices, lorsque l'accident s'était produit et l'avait contraint à cesser de s'investir dans sa nouvelle activité, à tout le moins suffisamment pour pouvoir réussir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

3°/ que lorsque le parent de la victime d'un accident de la circulation qui était, à la date de l'accident, en période de reconversion professionnelle, décide d'abandonner cette reconversion ou de limiter sa nouvelle activité pour assister son enfant devenu handicapé, il subit un préjudice économique qui s'analyse en une perte de chance de percevoir le revenu professionnel qu'il pouvait légitimement espérer tirer de sa nouvelle activité avant l'accident ; que cette perte de chance est actuelle est certaine dès lors qu'il est établi que cette reconversion était en cours et sur le point d'aboutir, sans que cette réussite espérée puisse être remise en cause en raison de la nouvelle reconversion de ce parent, plusieurs années après l'accident, dans un secteur différent de celui initialement envisagé ; qu'en retenant qu'après l'accident du 3 mars 2007, M. I... s'était reconverti dans un secteur différent puisqu'il a créé en 2013 une SARL à associé unique dans le domaine de la construction/rénovation dans le secteur de l'hôtellerie, pour en déduire qu'il ne rapportait pas la preuve du préjudice économique qu'il invoquait, quand cette nouvelle reconversion plusieurs années après l'accident ne pouvait exclure que sa première reconversion dans le domaine du commerce international des matières premières, en cours à la date de l'accident, ait eu des chances de réussite, la cour d'appel a violé l'ancien article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

4°/ que lorsque le parent de la victime d'un accident de la circulation qui était, à la date de l'accident, en période de reconversion professionnelle, décide d'abandonner cette reconversion ou de limiter sa nouvelle activité pour assister son enfant devenu handicapé, il subit un préjudice économique par ricochet qui s'analyse en une perte de chance de percevoir le revenu professionnel qu'il pouvait légitimement espérer tirer de sa nouvelle activité avant l'accident ; qu'en retenant par motifs supposément adoptés que l'expert avait spécifié qu'il n'existait pas de préjudice professionnel pour en déduire que M. I... ne rapportait pas la preuve du préjudice économique qu'il invoquait, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée (conclusions d'appel de M. I..., p. 52, dernier al.), si l'expert n'avait pas conclu à l'absence de préjudice économique directement subi par M. I... du fait de l'accident dont il avait été également personnellement victime, sans examiner si, par ailleurs, il n'avait pas subi un préjudice économique par ricochet en cessant de s'investir dans le projet de reconversion professionnelle qu'il avait entrepris avant cet accident, pour se consacrer à sa famille et à son enfant devenu handicapé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

14. Pour débouter M. I... de sa demande de condamnation in solidum des autres conducteurs, avec leur assureur respectif, à lui verser une somme au titre de son préjudice économique par ricochet alors qu'il soutenait qu'à la date de l'accident, il avait créé depuis deux ans une entreprise de « trading international en matières premières », l'arrêt relève notamment que M. I... n'a pas fourni d' information précise sur l'évolution de sa situation professionnelle à compter de l'année 2004 jusqu'à l'accident du 3 mars 2007, n'a produit aucune information sur la provenance de ses revenus salariaux sur ces années et aucune pièce justificative à leur égard, que lors de son audition par les enquêteurs de police à la suite de l'accident, il s'est déclaré sans activité professionnelle et sans aucun revenu, que certains courriels, postérieurs au 3 mars 2007, démentent l'affirmation selon laquelle il aurait abandonné son activité de courtage à compter du jour de l'accident pour se consacrer exclusivement à l'assistance de son épouse et de son enfant gravement blessés, que parmi les pièces produites ne figure ni contrat de courtage signé par lui, ni, essentiellement, facture ou note d'honoraire ou de commission établie par lui au nom d'un quelconque mandant ou donneur d'ordre, que cette constatation est corroborée par le fait que, pour les années 2004 à 2007, ses avis d'imposition ne font mention d'aucun revenu non salarial et qu'il ne prouve pas que ses tentatives d'insertion dans le domaine du courtage international de matières premières lui aient procuré de quelconques revenus.

15. En déduisant de ces constatations qu'il n'est pas établi par M. I..., qu'après deux années de tentatives, il aurait conservé des chances de réussir une insertion que l'accident lui aurait fait perdre, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé les conclusions de ce dernier et a procédé à la recherche prétendument omise sur la perte de chance alléguée, a caractérisé, sans encourir les autres griefs du moyen, l'absence de préjudice économique par ricochet invoqué.

16. Le moyen n'est dès lors pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal et les pourvois incidents.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SCP L. Poulet-Odent ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles 1382, 1213, 1214 et 1251 du code civil, en leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 juillet 2004, pourvoi n° 02-21.575, Bull. 2004, II, n° 343 (rejet), et l'arrêt cité.

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