Numéro 5 - Mai 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2020

PROCEDURE CIVILE

1re Civ., 20 mai 2020, n° 18-25.136, n° 19-10.868, (P)

Cassation

Droits de la défense – Principe de la contradiction – Application – Procédure disciplinaire – Conclusions écrites du ministère public – Communication en temps utile – Mention – Défaut – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° U 18-25.136 et F 19-10.868 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 21 novembre 2018), M. T... a relevé appel de la décision d'une cour d'assises le condamnant à vingt-neuf ans de réclusion criminelle pour assassinat. Lors de l'ouverture des débats devant la cour d'assises d'appel, MM. X... et K..., avocats désignés par l'accusé, ont décidé de se retirer de la défense de leur client, en accord avec celui-ci. Après avoir commis d'office M. K..., la présidente de la cour d'assises a, par ordonnance du 14 mai 2014, rejeté les motifs d'excuse et d'empêchement invoqués par ce dernier pour refuser son ministère. M. K... a néanmoins quitté la salle d'audience et les débats se sont déroulés en l'absence de l'accusé et de son avocat commis d'office.

Par arrêt du 22 mai 2014, devenu définitif à la suite du rejet du pourvoi formé par M. T... (Crim., 24 juin 2015, pourvoi n° 14-84.221, Bull. Crim. 2015, n° 137), la cour d'assises du Pas-de-Calais a condamné ce dernier à vingt-cinq ans de réclusion criminelle.

3. Reprochant à M. K... de ne pas avoir déféré à la commission d'office, nonobstant la décision de la présidente de la cour d'assises de rejeter ses motifs d'excuse ou d'empêchement, la procureure générale près la cour d'appel de Douai a, le 19 janvier 2017, saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de ladite cour aux fins de poursuites disciplinaires.

Recevabilité du pourvoi n° F 19-10.868, examinée d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles 609 et 611 du même code.

5. Il résulte de ces textes que nul ne peut se pourvoir en cassation contre une décision à laquelle il n'a pas été partie, à moins qu'elle n'ait prononcé une condamnation contre lui.

6. Selon une jurisprudence constante (1re Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-23.553, Bull. 2013, I, n° 143), en matière disciplinaire, l'ordre des avocats n'est pas partie à l'instance.

7. Le pourvoi formé par l'ordre des avocats au barreau de Lille qui n'était pas, ni ne pouvait être, partie à l'instance d'appel, n'est donc pas recevable.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° U 18-25.136

Enoncé du moyen

8. M. K... fait grief à l'arrêt de dire que son refus de se soumettre à la commission d'office décidée par la présidente d'une cour d'assises caractérise une faute disciplinaire lorsque les motifs d'excuse présentés par l'avocat n'ont pas été retenus par la présidente de la cour d'assises et de prononcer à son encontre la sanction disciplinaire de l'avertissement, alors « qu'en matière disciplinaire, l'arrêt qui se prononce sur des poursuites doit mentionner que la personne poursuivie et son avocat ont eu communication des conclusions écrites du ministère public et ont été mis en mesure d'y répondre utilement ; que l'arrêt attaqué, qui ne comporte pas cette mention, doit être annulé pour violation de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, de l'article 16 du code de procédure civile et des droits de la défense. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les articles 15 et 16 du code de procédure civile :

9. L'arrêt, qui prononce la peine disciplinaire de l'avertissement, mentionne que le ministère public a déposé des conclusions écrites le 14 septembre 2018 et qu'à l'audience du 10 octobre suivant, les parties ont maintenu oralement leurs écritures.

10. En procédant ainsi, sans constater que l'avocat poursuivi avait eu communication des conclusions écrites du ministère public afin d'être mis en mesure d'y répondre utilement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche, du même pourvoi

Enoncé du moyen

11. M. K... fait le même grief à l'arrêt, alors « que la régularité de la décision du président de la cour d'assises n'ayant pas approuvé les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat commis d'office peut être contestée par l'avocat à l'occasion de la procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d'assises ; que le juge disciplinaire exerce dans ce cadre un contrôle autonome, qui lui est propre, distinct de celui exercé dans le cadre du pourvoi formé par l'accusé ou d'une requête en récusation ; qu'en se référant, pour « confirmer la décision de la présidente de la cour d'assises qui n'avait pas retenu les motifs d'excuse présentés par Maître K... », à l'arrêt de la chambre criminelle du 24 juin 2015 ayant validé la procédure et à la décision du 19 mai 2014 ayant rejeté la requête en récusation sans se livrer à sa propre appréciation, la cour d'appel a méconnu son office, en violation de l'article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et de l'article 62 de la Constitution de 1958. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 62 de la Constitution du 4 octobre 1958, 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, et 6, alinéa 2, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat :

12. Aux termes du deuxième de ces textes, l'avocat régulièrement commis d'office par le bâtonnier ou le président de la cour d'assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par le bâtonnier ou par le président.

13. Selon le dernier, l'avocat est tenu de déférer aux désignations et commissions d'office, sauf motif légitime d'excuse ou d'empêchement admis par l'autorité qui a procédé à la désignation ou à la commission.

14. Lorsque le président de la cour d'assises constate que l'accusé n'est pas ou plus défendu et lui commet d'office un avocat, en application de l'article 317 du code de procédure pénale, il est seul compétent pour admettre ou rejeter les motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par ce dernier (1re Civ., 9 février 1988, pourvoi n° 86-17.786, Bull. 1988, I, n° 31 ; Crim., 24 juin 2015, pourvoi n° 14-84.221, Bull. Crim. 2015, n° 167).

15. L'avocat qui, malgré la décision du président de la cour d'assises de ne pas approuver les motifs d'excuse ou d'empêchement qu'il a présentés, persiste dans son refus d'exercer la mission qui lui a été confiée, peut être sanctionné disciplinairement (1re Civ., 15 novembre 1989, pourvoi n° 88-11.413, Bull. 1989, I, n° 347 ; 1re Civ., 2 mars 1994, pourvoi n° 92-15.363).

16. Toutefois, saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité posée à l'occasion de la présente instance, le Conseil constitutionnel, dont les décisions s'imposent à toutes les autorités juridictionnelles, a retenu que, si le refus du président de la cour d'assises de faire droit aux motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par l'avocat commis d'office n'est pas susceptible de recours, la régularité de ce refus peut être contestée par l'accusé à l'occasion d'un pourvoi devant la Cour de cassation, et par l'avocat à l'occasion de l'éventuelle procédure disciplinaire ouverte contre son refus de déférer à la décision du président de la cour d'assises (décision n° 2018-704 QPC du 4 mai 2018, § 9).

17. Il s'ensuit qu'il incombe au juge, saisi de poursuites disciplinaires contre l'avocat qui n'a pas déféré à une commission d'office, de se prononcer sur la régularité de la décision du président de la cour d'assises rejetant les motifs d'excuse ou d'empêchement qu'il avait présentés pour refuser son ministère et, par suite, de porter une appréciation sur ces motifs.

18. Pour prononcer la sanction disciplinaire de l'avertissement contre M. K..., après avoir relevé que celui-ci avait invoqué, notamment, l'animosité de l'avocat général occupant le siège du ministère public, un calendrier de procédure établi sans consultation préalable des avocats de la défense et la volonté de la présidente de la cour d'assises d'éviter la présence des deux avocats choisis, l'arrêt retient que ces arguments ont déjà été rejetés par l'arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 24 juin 2015, qui a validé la procédure à l'égard de l'accusé, de sorte qu'il y a lieu de confirmer la décision de la présidente de la cour d'assises de ne pas retenir les motifs d'excuse présentés par M. K....

19. En statuant ainsi, alors que, pour apprécier le caractère fautif du refus de l'avocat de déférer à la commission d'office, il lui incombait de procéder elle-même à l'examen des motifs d'excuse ou d'empêchement invoqués par ce dernier, la cour d'appel a méconnu son office et violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen du pourvoi n° U 18-25.136, la Cour :

DÉCLARE irrecevable le pourvoi n° F 19-10.868 formé par l'ordre des avocats au barreau de Lille ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; Me Bouthors -

Textes visés :

Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 15 et 16 du code de procédure civile ; article 62 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ; article 6, alinéa 2, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 12-23.553, Bull. 2013, I, n° 143 (cassation). Cons. const., 4 mai 2018, décision n° 2018-704 QPC.

3e Civ., 14 mai 2020, n° 19-16.278, n° 19-16.279, (P)

Cassation

Droits de la défense – Principe de la contradiction – Violation – Cas – Expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties – Fondement exclusif de la décision du juge – Expertise réalisée en présence de l'ensemble des parties – Absence d'influence

Hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci.

Jonction des pourvois

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-16.278 et 19-16.279 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les jugements attaqués (tribunal d'instance de Dijon, 12 septembre 2018, rectifié le 6 mars 2019), rendus en dernier ressort, M. J... ayant refusé de régler le solde du marché de réfection d'un escalier extérieur qu'il avait confié à l'entreprise D... O..., l'assureur de celle-ci a diligenté une expertise qui s'est déroulée en présence des parties et qui a conclu à l'absence de malfaçons.

3. M. J... a fait réaliser une nouvelle expertise à laquelle l'entreprise et son assureur ont été convoqués et qui a conclu à la nécessité de travaux de reprise.

4. M. J... a formé opposition à une ordonnance lui enjoignant de payer la somme de 1 810,50 euros au titre du solde du marché en sollicitant réparation des désordres et l'entreprise a poursuivi le paiement des sommes restant dues en exécution du contrat.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° 19-16.278, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. L'entreprise D... O... fait grief au jugement rectifié de la condamner à payer à M. J... une somme au titre des malfaçons, alors « que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, et ce peu important qu'elle l'ait été en présence des parties ; qu'en fondant exclusivement sa décision sur le rapport de M. L... réalisé à la demande des époux J..., le tribunal d'instance a violé les articles 16 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

6. Aux termes de ce texte, le juge doit faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

7. Il en résulte que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci.

8. Pour retenir la responsabilité de l'entreprise D... O... et la condamner à réparation, le jugement rectifié se fonde exclusivement sur le rapport réalisé à la demande de M. J....

9. En statuant ainsi, le tribunal, qui s'est fondé exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties par un technicien de son choix, peu important que la partie adverse y ait été régulièrement appelée, a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen du pourvoi n° 19-16.278, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

10. L'entreprise D... O... fait grief au jugement rectifié de rejeter ses demandes, alors « que l'indemnisation doit être fixée à l'exacte mesure du préjudice subi sans qu'il en résulte ni perte ni profit ; qu'en condamnant l'entreprise D... à payer l'intégralité du montant des travaux de reprise sans faire droit à sa demande en paiement du montant du solde des travaux qu'elle a réalisés, la cour d'appel, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé les articles 1147 et 1149 devenus 1231-1 et 1231-2 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1149 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et le principe de réparation intégrale du préjudice :

11. Il résulte de ce texte et de ce principe que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

12. Pour rejeter les demandes de l'entreprise D... O..., le jugement retient que la nécessité d'une reprise des travaux a été mise en évidence par le rapport L....

13. En statuant ainsi, en indemnisant intégralement M. J... des conséquences des manquements de l'entreprise D... O... à ses obligations tout en le dispensant de payer le solde des travaux exécutés par celle-ci, le tribunal, qui a réparé deux fois le même préjudice, a violé le texte et le principe susvisés.

Sur le pourvoi n° 19-16.279

14. La cassation totale du premier jugement qui entraîne, par voie de conséquence, l'annulation du jugement qui l'a rectifié, rend sans objet l'examen du pourvoi dirigé contre le jugement rectificatif.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE le jugement rendu le 12 septembre 2018, entre les parties, par le tribunal d'instance de Dijon ;

ANNULE le jugement rectificatif du 6 mars 2019 ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement du 12 septembre 2018 et les renvoie devant la chambre de proximité de Beaune du tribunal judiciaire de Dijon.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Boyer - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens, à rapprocher : 2e Civ., 13 septembre 2018, pourvoi n° 17-20.099, Bull. 2018, II, (cassation partielle), et l'arrêt cité.

1re Civ., 13 mai 2020, n° 18-25.966, (P)

Cassation

Exception – Proposition in limine litis – Exception relative à l'existence d'une clause compromissoire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 21 novembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 28 septembre 2016, pourvoi n° 15-20.938), et les productions, par acte sous seing privé du 28 février 2005 stipulant une clause compromissoire, la société Boulangerie S... (la société S...) a cédé à la société Kimmolux mille six cent quatre-vingt-six actions qu'elle détenait dans le capital de la société Au Bon pain de France (la société Au Bon pain).

2. Suivant un second acte sous seing privé du même jour, la SCI Les Moines (la SCI) a vendu à la société Kimmolux un immeuble à usage industriel et commercial donné à bail à la société Au Bon pain.

3. L'article 4 du contrat de cession d'actions stipulait que la non-réalisation de la vente, si elle était du fait exclusif du cédant, entraînerait la résiliation de la cession des actions de la société Au Bon pain et que le montant payé à ce titre serait remboursé intégralement, augmenté des intérêts au taux légal en vigueur.

4. L'acte de vente n'ayant pas été suivi d'un acte authentique dans le délai de six mois à compter de sa conclusion, exigé par l'article 42 de la loi du 1er juin 1924, dans sa rédaction issue de la loi n° 2002-306 du 4 mars 2002, la société Kimmolux a assigné la société S... et la SCI devant le tribunal de grande instance de Sarreguemines en annulation de la convention de cession d'actions et en paiement de certaines sommes.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la première branche du moyen

Enoncé du moyen

6. La société Kimmolux fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes, alors « que l'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure ; que, par suite, en relevant que le moyen tiré de l'existence d'une clause compromissoire n'avait pas à être soulevé in limine litis, dès lors qu'il constituait une fin de non-recevoir, la cour a violé les articles 73, 74, 122 et 123 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 74 du code de procédure civile :

7. L'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire est régie par les dispositions qui gouvernent les exceptions de procédure.

8. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société Kimmolux, l'arrêt retient que le moyen tiré de l'existence d'une clause compromissoire constitue une fin de non-recevoir, le défaut de saisine préalable d'une juridiction arbitrale faisant échec à celle d'une juridiction étatique, et non une exception d'incompétence entrant dans le champ d'application des articles 74 et 75 du code de procédure civile, les juridictions étatiques ne pouvant se déclarer incompétentes au profit d'une juridiction arbitrale et qu'en conséquence, il n'a pas à être soulevé in limine litis.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 74 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur le régime applicable à l'exception tirée de l'existence d'une clause compromissoire, à rapprocher : 2e Civ., 22 novembre 2001, pourvoi n° 99-21.662, Bull. 2001, II, n° 168 (rejet).

1re Civ., 13 mai 2020, n° 19-11.444, (P)

Cassation

Fin de non-recevoir – Définition – Clause de non-recours entre les parties insérée dans le contrat de mariage

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 22 novembre 2018), Mme D... et M. Q..., mariés le [...] sous le régime de la séparation de biens, ont vécu séparément à compter de l'année 2013.

Par acte du 28 juin 2016, Mme D... a assigné son époux en contribution aux charges du mariage. Celui-ci a engagé parallèlement une procédure de divorce. Un jugement du 5 mai 2017 l'a condamné à verser à son épouse une somme mensuelle de 3 000 euros au titre de la contribution aux charges du mariage du 1er janvier 2016 jusqu'au 10 mars 2017, date de l'ordonnance de non-conciliation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

2. Mme D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors :

« 1°/ que la fin de non-recevoir est un moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », motif tendant au rejet de l'action en contribution aux charges du mariage, et non à son irrecevabilité, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 122 du code de procédure civile ;

2°/ que si les contrats sur la preuve sont valables lorsqu'ils portent sur des droits dont les parties ont la libre disposition, ils ne peuvent établir au profit de l'une des parties une présomption irréfragable ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris qu' « en raison de la volonté commune des époux et du caractère irréfragable de la clause précitée, Mme D... ne peut rapporter la preuve contraire », la cour d'appel a violé l'article 6 du code civil, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

3. Ayant constaté que la clause figurant dans le contrat de mariage des époux stipulait non seulement « que chacun d'eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet », mais également « qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature », faisant ainsi ressortir qu'elle instituait expressément une clause de non-recours entre les parties, la cour d'appel en a exactement déduit que celle-ci avait la portée d'une fin de non-recevoir.

4. Le moyen, inopérant en sa dernière branche, qui critique un motif surabondant, ne peut donc être accueilli.

Mais sur la deuxième branche du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme D... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande de contribution aux charges du mariage alors « que l'obligation de contribution aux charges du mariage est d'ordre public ; que les parties ne peuvent conventionnellement interdire, durant le mariage, tout recours aux fins de contraindre l'époux qui ne remplit pas son obligation de contribuer aux charges du mariage ; qu'en déclarant Mme D... irrecevable en sa demande de contribution aux charges du mariage, motifs pris que « la clause figurant dans le contrat de mariage qui stipule que chacun des époux est réputé avoir fourni, au jour le jour, sa part contributive, signifie qu'ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux », la cour d'appel a violé l'article 214, ensemble les articles 226 et 1388 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. M. Q... conteste la recevabilité du moyen, Mme D... n'ayant pas conclu devant la cour d'appel.

7. Cependant, aux termes de l'article 954, dernier alinéa, du code de procédure civile relatif à la procédure devant la cour d'appel, la partie qui ne conclut pas est réputée s'approprier les motifs du jugement.

8. Le jugement du 5 mai 2017 a retenu que la clause stipulée dans le contrat de mariage n'empêchait pas un des époux de saisir le juge aux affaires familiales aux fins de contraindre l'autre qui ne respecterait pas son obligation de contribuer aux charges du mariage.

9. Mme D..., qui n'a pas conclu, étant réputée s'en approprier les motifs, le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 214, 226 et 1388 du code civil :

10. Il résulte de l'application combinée de ces textes que les conventions conclues par les époux ne peuvent les dispenser de leur obligation d'ordre public de contribuer aux charges du mariage.

11. Dès lors, en présence d'un contrat de séparation de biens, la clause aux termes de laquelle « chacun [des époux] sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu'aucun compte ne sera fait entre eux à ce sujet et qu'ils n'auront pas de recours l'un contre l'autre pour les dépenses de cette nature », ne fait pas obstacle, pendant la durée du mariage, au droit de l'un d'eux d'agir en justice pour contraindre l'autre à remplir, pour l'avenir, son obligation de contribuer aux charges du mariage.

12. Pour déclarer irrecevable la demande de l'épouse tendant à une fixation judiciaire de la contribution aux charges du mariage à compter de la date de son assignation, l'arrêt se fonde sur la clause figurant au contrat de mariage.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Azar - Avocat général : Mme Caron-Deglise - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 122 du code de procédure civile ; articles 214, 226 et 1388 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la portée de la clause relative aux charges du mariage insérée dans le contrat de mariage, à rapprocher : 1re Civ., 25 septembre 2013, pourvoi n° 12-21.892, Bull. 2013, I, n° 189 (rejet), et l'arrêt cité.

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