Numéro 5 - Mai 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 27 mai 2020, n° 19-12.471, (P)

Cassation partielle

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Transfert des contrats de travail – Effets – Créances salariales nées postérieurement au transfert – Débiteur – Détermination – Portée

Il se déduit des articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail que, sauf collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 21 novembre 2018), rectifié par arrêt du 20 mars 2019 et les pièces de la procédure, M. B..., chirurgien spécialisé, a réalisé des expertises depuis avril 1992 pour la société Le recours automobile et fiscal dans le cadre de son activité d'assistance aux victimes d'accident.

2. Par protocole de vente du 1er octobre 2007, le fonds de commerce de la société Le recours automobile et fiscal immatriculée n° 960500387 a été cédé, à effet au 1er janvier 2008, à la société Recours automobile et fiscal (RAF), société en cours de formation, puis immatriculée n° 501051197, et aux droits de laquelle est venue la société [...].

La société RAF a repris, par application des dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail, les salariés de la société Le recours automobile et fiscal, dont la liste figurait en annexe du protocole de vente.

3. Par décision du 24 juin 2008, la société Le recours automobile et fiscal immatriculée n° 960500387 a été dissoute, avec transmission universelle de son patrimoine à la société [...] à effet rétroactif au 1er janvier 2008.

4. Se prévalant d'un contrat de travail, M. B... a saisi la juridiction prud'homale le 3 mai 2011 de demandes dirigées contre la société J.Pauget consultant venant aux droits de la société Le recours automobile et fiscal, et contre la société RAF, devenue la société [...].

5. Retenant l'existence d'un lien de subordination de M. B... à l'égard de ces sociétés, la cour d'appel, par arrêt du 6 septembre 2013, statuant sur contredit, a déclaré le conseil de prud'hommes compétent pour connaître du litige.

6. Par un jugement du 9 janvier 2019, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société [...], et désigné la SCP [...] ès-qualités de liquidateur.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La société [...] fait grief à l'arrêt de la condamner in solidum avec la société [...] à payer à M. B... les sommes de 41799,90 euros à titre de rappel de salaires et 4179,99 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents, alors :

« 1°/ que la solidarité ne se présume pas ; que si les deux employeurs successifs peuvent être tenus solidairement des obligations liées à l'exécution du contrat de travail antérieurement à la date du transfert du contrat de travail, l'ancien employeur ne peut être condamné solidairement avec le nouvel employeur, seul débiteur des obligations résultant du contrat à compter de cette date, au paiement des salaires et indemnités de congés payés échus postérieurement à la date de la modification juridique ; qu'en condamnant en l'espèce les sociétés [...] et [...] in solidum à payer à M. B... les sommes de 41.799,90 euros à titre de salaires et 4.179,99 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents pour la période du 1er juillet 2006 au 31 décembre 2008, quand elle constatait expressément que la société Le recours automobile et fiscal, aux droits de laquelle se trouve désormais la société [...], n'avait été employeur que jusqu'au 31 décembre 2007, ce dont il se déduisait que seule la société [...], nouvel employeur, était débitrice des salaires et indemnités de congés payés échus postérieurement à la date du transfert du contrat de travail, le 1er janvier 2008, et que la société [...] ne pouvait être condamnée à garantir le nouvel employeur pour le paiement de ces sommes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a en conséquence violé les articles L.1224-1 et L.1224-2 du code du travail, ensemble l'article 1202 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 1er octobre 2016 ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société [...] soutenait que la demande de rappel de salaire formulée par M. B... à son encontre était nécessairement erronée dès lors qu'elle allait au-delà de la cession du fonds de commerce à la société RAF, dénommée [...], qui a pris effet le 1er janvier 2008 ; qu'en condamnant in solidum la société exposante et la société [...] à payer à M. B... un rappel de salaire et congés payés afférents pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2008, sans répondre à ce moyen soulevé dans les conclusions d'appel de l'exposante, la cour d'appel a méconnu les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile ;

3°/ que plusieurs débiteurs ne peuvent être engagés in solidum que si l'obligation de chacun est identique à celles des autres et que sa pleine exécution peut être réclamée par le créancier indifféremment à l'un et à l'autre ; qu'il ne peut y avoir d'obligation in solidum entre employeurs successifs s'agissant de sommes d'argent correspondant à des salaires et indemnités de congés payés incombant exclusivement au nouvel employeur ; qu'en condamnant au cas présent la société [...] à garantir la société [...] pour le paiement des salaires et congés payés correspondant à la période postérieure au transfert du contrat de travail du salarié, du 1er janvier au 31 décembre 2018, cependant que la part de chacun des employeurs était précisément déterminée et que l'ancien employeur ne pouvait être tenu à la part de salaires et congés payés due par le nouvel employeur, la cour d'appel a violé l'article L.1224-1 du code du travail, ensemble les principes régissant l'obligation in solidum. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L.1224-1 et L.1224-2 du code du travail :

8. Il se déduit de ces articles que, sauf collusion frauduleuse entre les employeurs successifs, seul le nouvel employeur est tenu envers le salarié aux obligations et au paiement des créances résultant de la poursuite du contrat de travail après le transfert.

9. Pour condamner la société [...] in solidum avec la société [...] à payer à M. B... les sommes de 41 799,90 euros à titre de rappel de salaires et 4 179,99 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents, correspondant à un rappel de salaires sur la période du 1er juillet 2006 jusqu'au 31 décembre 2008, date de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a relevé que la société Le recours automobile et fiscal aux droits de laquelle se trouve désormais la société [...] et la société RAF devenue la société [...] ont, la première jusqu'au 31 décembre 2007, la seconde jusqu'au 31 décembre 2008, été les employeurs de M. B.... Elle a précisé que M. B... ne pouvait figurer sur la liste des salariés transférés puisqu'à la date de la cession, il ne bénéficiait pas d'un contrat de travail en bonne et dûe forme et que le litige sur la nature de la relation de travail a été introduit trois ans après ladite cession. Elle a ajouté que dans leurs rapports entre elles, les sociétés assumeront chacune la part de salaire et d'indemnité de congés payés correspondant à la période pendant laquelle elle était l'employeur de M. B... (18 mois pour la première, 12 mois pour la seconde).

10. En statuant ainsi, alors que seule la société [...], nouvel employeur, pouvait être tenue envers le salarié au paiement des créances de salaires et congés payés nées postérieurement à la date du transfert du contrat de travail, en sorte que la société [...] ne pouvait être condamnée in solidum avec la société [...] à payer au salarié la somme correspondant aux salaires et congés payés afférents pour la période comprise entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2008, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. En application de l'article 625, alinéa 2 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt du 21 novembre 2018 du chef de dispositif attaqué entraîne, par voie de conséquence, celle du chef de l'arrêt du 20 mars 2019 qui l'a rectifié et a condamné la société [...], in solidum avec la société [...], à payer à M. B... la somme de 51 799,80 euros à titre de rappel de salaires et celle de 5 179,98 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société [...], in solidum avec la société [...], à payer à M. B... la somme de 51 799,80 euros à titre de rappel de salaires et celle de 5 179,98 euros à titre d'indemnité de congés payés afférents, l'arrêt rendu le 21 novembre 2018, rectifié par arrêt du 20 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Depelley - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Articles L. 1224-1 et L. 1224-2 du code du travail.

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