Numéro 5 - Mai 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 22 mai 2019, n° 18-15.356, (P)

Rejet et cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Litige relatif à l'exécution d'un contrat d'affermage des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés communaux – Irrégularité – Cas – Illicéité du contenu du contrat ou vice d'une particulière gravité – Office du juge – Détermination

Lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat administratif qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.

Dès lors, viole les règles générales applicables aux contrats administratifs, ensemble l'article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales, une cour d'appel qui, pour refuser d'écarter l'application d'une clause prévoyant l'indemnisation du concessionnaire, en cas de résiliation par la commune du contrat d'affermage des droits de place perçus dans les halles et marchés communaux liant les parties, et faisant référence à la clause d'actualisation des tarifs stipulée audit contrat, retient que l'illégalité de cette dernière n'en affecte pas la validité et qu'elle peut s'appliquer entre les parties, alors que l'irrégularité entachant la clause de révision des tarifs des droits de place tient au caractère illicite du contenu de ces stipulations, de sorte que le juge est tenu d'en écarter l'application.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant convention du 15 septembre 1978, le Syndicat communautaire d'aménagement de l'agglomération nouvelle de Marne-la-Vallée a concédé à MM. Q... et W... l'exploitation du marché couvert de l'Arche Guédon, situé sur le territoire de la commune de Torcy (la commune), pour une durée de trente ans ; que ce contrat prévoyait l'obligation, pour les concessionnaires, de construire à leurs frais le marché, pour un coût fixé forfaitairement à 1 100 000 francs, et qu'en contrepartie, ces derniers étaient libérés du paiement de la redevance pendant les quinze premières années du contrat ; qu'un nouveau « traité de concession », regroupant le marché de l'Arche Guédon et le marché du Centre, a été conclu le 9 décembre 1989 entre, d'une part, la commune, d'autre part, MM. Q... et W... et la société Les Fils de madame W..., pour une durée de vingt-cinq ans renouvelable par tacite reconduction pour dix ans ; qu'en sus de la reprise des engagements financiers stipulés dans la convention du 15 septembre 1978, les parties sont convenues que la commune réaliserait les travaux d'extension du marché du Centre, que la participation financière des concessionnaires à cette opération consisterait en une redevance complémentaire égale aux annuités de l'emprunt contracté par la commune pour la construction et qu'en contrepartie, ils seraient exonérés du paiement de redevances pour les quinze premières années d'exploitation du marché du Centre ; qu'à l'occasion de l'opération de déplacement du marché de l'Arche Guédon, un avenant a été signé entre les parties le 23 décembre 1997, prévoyant que ces travaux seraient réalisés par la commune, mais que l'exploitant devrait verser une redevance annuelle supplémentaire correspondant à l'annuité théorique de l'emprunt souscrit par la commune pour cette opération ; qu'il était, en outre, stipulé que la durée du traité conclu le 9 décembre 1989 était prorogée de quinze années, soit jusqu'au 31 décembre 2038 ; que, par lettre du 21 octobre 2011, la commune a informé les concessionnaires de sa décision de résilier, pour un motif d'intérêt général, le traité du 9 décembre 1989 et son avenant, avec effet au mois de septembre 2012 ; que MM. Z..., V... et U... Q..., venant aux droits de MM. Q... et W..., et la société Les Fils de madame W... (les consorts Q...) ont saisi la juridiction judiciaire pour obtenir réparation du préjudice en résultant, dans les termes de la clause indemnitaire prévue à l'article 20, 1°, d), de l'avenant du 23 décembre 1997 ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que les consorts Q... font grief à l'arrêt d'écarter l'application de cette clause en ce qu'elle prévoit qu'une partie de l'indemnité due en cas de résiliation du contrat est égale, pour chacune des années restant à courir à la date de la résiliation, à 1/40e du total des redevances spéciales, chacune à compter de l'année de son versement étant actualisée au taux d'intérêt légal de l'année considérée majoré de trois points, de dire que la commune doit les indemniser du préjudice réellement subi au titre de l'amortissement de leurs investissements s'élevant à 1 100 000 francs et de désigner un expert pour fournir les éléments permettant de déterminer l'étendue du déficit de l'investissement qu'ils ont fait sur leurs fonds propres, alors, selon le moyen :

1°/ que lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; qu'il ne peut en aller autrement qu'en cas d'irrégularité, constatée par le juge administratif, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ; qu'en l'espèce, s'agissant de la partie de l'article 20-1-d de l'avenant de refonte prévoyant le versement d'une indemnité « égale, pour chacune des années du traité restant à courir à la date de résiliation, ce nombre étant arrondi à l'unité supérieure, à 1/40e du total des redevances spéciales prévues aux articles 18-2 et 18-3 », la cour d'appel a retenu que « cette partie de la clause contractuelle doit être écartée et afin d'obtenir réparation, les consorts Q... devront établir le préjudice réellement subi selon les principes de la responsabilité civile quasi-délictuelle » ; qu'en écartant ainsi cette « partie de la clause » dont le juge administratif n'avait pourtant pas constaté l'irrégularité, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

2°/ que les ordonnances du juge de la mise en état statuant sur les exceptions de procédure ont, au principal, l'autorité de la chose jugée ; qu'en l'espèce, par ordonnance du 20 mai 2014, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance avait déclaré la ville de Torcy « irrecevable en son exception de procédure tendant à ce que soit ordonné un sursis à statuer en vue de poser au juge administratif une question préjudicielle portant sur la validité de la clause litigieuse du contrat » ; que n'ayant exercé aucun recours contre cette décision, la commune n'était plus recevable à demander que soit écartée l'application du contrat ; qu'en affirmant qu' « aucune autorité de la chose jugée n'est attachée à l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 20 mai 2014, celui-ci s'étant contenté de dire irrecevable la demande de sursis à statuer, n'ayant pas le pouvoir de « dire, au besoin d'office, que la question de la validité de la clause d'indemnisation relève de la compétence du tribunal administratif de Melun » comme cela lui était indûment demandé par la commune de Torcy », la cour d'appel a violé les articles 771 et 775 du code de procédure civile, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

3°/ que, subsidiairement, ne relève pas d'une « jurisprudence établie » du juge administratif, autorisant le juge judiciaire à écarter l'application du contrat, l'illicéité d'une clause retenue au terme d'une interprétation des stipulations contractuelles et de l'économie générale du contrat ; qu'en se livrant pourtant, pour écarter partiellement l'application de la clause 20-1-d de l'avenant de refonte, à une interprétation des conventions conclues entre les parties et de « l'économie de ces contrats » administratifs, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

4°/ qu'en toute hypothèse, les juges du fond ne jouissent du pouvoir d'interpréter les conventions que si celles-ci sont obscures ou ambiguës ; qu'en l'espèce, il résultait des termes clairs et précis du préambule de l'avenant de refonte et de ses articles 9 et 18-3, exclusifs de toute interprétation, que les consorts Q... avaient assumé la totalité du coût des investissements réalisés depuis la première convention conclue en 1978 ; qu'en procédant pourtant à une interprétation des conventions et de l'économie des contrats pour affirmer que les consorts Q... n'auraient « financé les équipements publics qu'à hauteur de 1 100 000 francs » et conclure au caractère manifestement disproportionné de l'indemnisation prévue par la clause au regard de cet investissement, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que l'ordonnance rendue le 20 mai 2014 par le juge de la mise en état s'est bornée à déclarer irrecevable l'exception de procédure soulevée par la commune, tendant à ce qu'il soit sursis à statuer en vue de poser au juge administratif une question préjudicielle portant sur la validité de la clause indemnitaire litigieuse, l'arrêt retient, à bon droit, par motifs propres et adoptés, que le juge de la mise en état n'a pas statué sur la légalité de ladite clause, de sorte qu'aucune autorité de la chose jugée n'est attachée à sa décision de ce chef ;

Et attendu, d'autre part, que, si, en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal ; que la cour d'appel a exactement énoncé que, selon une jurisprudence administrative constante, l'indemnité contractuellement prévue au profit du concessionnaire, en cas de résiliation par l'autorité concédante pour un motif d'intérêt général, ne devait pas présenter, au détriment de la personne publique, une disproportion manifeste avec le préjudice résultant, pour le titulaire du contrat, des dépenses qu'il a exposées et du gain dont il a été privé ; que, par une interprétation des stipulations des conventions conclues les 15 septembre 1978 et 9 décembre 1989 et de l'avenant du 23 décembre 1997, que leur rapprochement rendait nécessaire, elle a retenu qu'il résultait de l'économie de ces contrats que les consorts Q... n'avaient financé les équipements publics qu'à hauteur de 1 100 000 francs, que ces équipements étaient présumés amortis en 2018 et que les autres versements prévus aux articles 18-2 et 18-3 de l'avenant ne constituaient pas des charges d'investissement supportées par les concessionnaires, mais des redevances spéciales que les parties avaient entendu substituer aux redevances calculées en fonction des droits de place, pour des raisons de sécurité dans le remboursement des prêts contractés par la commune ; que c'est sans excéder ses pouvoirs ni méconnaître le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires qu'elle en a déduit que la part de l'indemnité destinée à réparer le préjudice résultant, pour le concessionnaire, de l'absence d'amortissement de ses investissements, calculée par les premiers juges à la somme de 761 562,62 euros, était manifestement disproportionnée au regard du préjudice réellement subi par les consorts Q... et que, par suite, cette partie de la clause indemnitaire devait être écartée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en sa première branche :

Vu les règles générales applicables aux contrats administratifs, ensemble l'article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales ;

Attendu que, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat administratif qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat ; que, toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel ;

Attendu que, pour refuser d'écarter l'application de la clause prévue à l'article 20, 1°, d), de l'avenant du 23 décembre 1997 en ce qu'elle stipule qu'une partie de l'indemnité due en cas de résiliation du contrat est égale, pour chacune des années restant à courir à la date de la résiliation, à 30 % du total des recettes toutes taxes comprises de l'année précédente, majoré de l'impact intégral de la formule d'actualisation prévue à l'article 19 en cas d'application partielle de celle-ci, après avoir énoncé que l'actualisation des tarifs des droits de place prévue dans un contrat d'affermage est illégale, dès lors que seul le conseil municipal est compétent pour arrêter les modalités de révision de ces droits de nature fiscale, l'arrêt retient que cette illégalité n'affecte pas gravement la validité d'une telle clause, qui a pour but légitime de prévoir un mécanisme de revalorisation du tarif permettant l'équilibre économique du contrat ; qu'il en déduit que celle-ci peut s'appliquer entre les parties et que, par suite, il n'y a pas lieu d'écarter l'application de la clause indemnitaire qui y fait référence ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'irrégularité entachant la clause de révision des tarifs des droits de place perçus dans les halles, foires et marchés tient au caractère illicite du contenu de ces stipulations, de sorte que le juge est tenu d'en écarter l'application, la cour d'appel a violé les règles et le texte susvisés ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi incident :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que la commune de Torcy est redevable envers la société Les Fils de madame W... d'une indemnité contractuellement prévue à l'article 20, 2°, a), renvoyant, pour son calcul, à l'article 20, 1°, d), de l'avenant conclu le 23 décembre 1997, par suite de la résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général notifiée le 21 octobre 2011, avec effet au mois de septembre 2012, et en ce qu'il donne mission à l'expert de fournir les éléments permettant de déterminer le montant de l'indemnisation due par la commune de Torcy en faisant application de cette clause, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Règles générales applicables aux contrats administratifs ; article L. 2331-3 du code général des collectivités territoriales.

Rapprochement(s) :

Tribunal des conflits, 23 avril 2007, Bull. 2007, T. conflits, n° 15, et la décision citée.

Soc., 15 mai 2019, n° 18-15.870, (P)

Cassation partielle

Compétence judiciaire – Domaine d'application – Salarié mis à disposition d'une personne morale de droit public gérant un service public administratif – Contrat conclu par une association intermédiaire conventionnée – Requalification en contrat à durée indéterminée – Demande – Détermination – Portée

Lorsqu'un contrat à durée déterminée a été conclu dans le cadre des dispositions de l'article L. 5132-7 du code du travail et que le salarié a été mis à disposition d'une personne morale de droit public gérant un service public administratif par l'association intermédiaire, le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur une demande de requalification en contrat à durée indéterminée fondée sur l'occupation par le salarié d'un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice et, dès lors que la demande ne porte pas sur la poursuite d'une relation contractuelle entre le salarié et la personne morale de droit public gérant un service public administratif, pour tirer les conséquences de la requalification du contrat qu'il a prononcée.

Sur le moyen unique :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, ensemble les articles L. 5132-5 et L. 5132-7 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. C..., engagé par l'association Chablais inter emploi (l'association intermédiaire) dans le cadre d'un contrat à durée déterminée d'insertion le 10 octobre 2005, a été mis à disposition de la communauté de communes du Bas Chablais, devenue communauté d'agglomération Thonon agglomération (la communauté d'agglomération) ; que son contrat a été renouvelé à onze reprises, jusqu'au 29 septembre 2015 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, dire en conséquence la rupture intervenue le 29 septembre 2015 abusive, et condamner in solidum l'association et la communauté d'agglomération au paiement de diverses sommes ;

Attendu que pour dire la juridiction judiciaire incompétente au profit de la juridiction administrative, la cour d'appel énonce que la requalification de contrats successifs effectués auprès d'une personne morale de droit public obéit à des règles spécifiques d'ordre public dont l'application relève de la juridiction administrative ;

Attendu cependant que lorsqu'un contrat à durée déterminée a été conclu dans le cadre des dispositions de l'article L. 5132-7 du code du travail et que le salarié a été mis à disposition d'une personne morale de droit public gérant un service public administratif par l'association intermédiaire, le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur une demande de requalification en contrat à durée indéterminée fondée sur l'occupation par le salarié d'un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice et, dès lors que la demande ne porte pas sur la poursuite d'une relation contractuelle entre le salarié et la personne morale de droit public gérant un service public administratif, pour tirer les conséquences de la requalification du contrat qu'il a prononcée ;

Qu'en statuant comme elle a fait, alors que la demande de requalification du salarié, dirigée tant contre l'association intermédiaire qu'à l'encontre de la communauté d'agglomération, ne visait qu'à des conséquences indemnitaires, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare M. C... recevable en son appel, l'arrêt rendu le 30 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat(s) : SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Leduc et Vigand ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Articles L. 5132-5 et L. 5132-7 du code du travail ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III.

Soc., 29 mai 2019, n° 17-23.028, (P)

Rejet

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Discrimination syndicale – Préjudice – Demande en réparation – Recevabilité – Conditions – Détermination

Si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, et notamment l'existence d'une discrimination syndicale dans le déroulement de la carrière du salarié.

Ainsi la cour d'appel a décidé exactement que le contrôle exercé par l'administration du travail, saisie d'une demande d'autorisation administrative de licenciement, de l'absence de lien avec les mandats détenus par le salarié ne rendait pas irrecevable la demande du salarié fondée sur la discrimination syndicale qu'il estimait avoir subie dans le déroulement de sa carrière.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2017), que M. G... a été engagé le 1er octobre 1983 en qualité de responsable de magasin par la société MINIT, aux droits de laquelle vient la société Générale de Téléphone, et a, le 22 janvier 1991, été promu agent de maîtrise ; qu'il a été régulièrement élu sur des mandats de représentant du personnel ; qu'en 1990 et 1992 sa demande de mutation dans un nouveau magasin de l'enseigne à Nantes Saint-Sébastien puis sa candidature sur un poste de responsable régional dans le nord de la France n'ont pas été retenues ; qu'en juillet 1992 l'entreprise a décidé de se séparer de douze magasins, dont celui dans lequel il était en poste, et demandé à l'inspection du travail d'autoriser son licenciement économique mais que cette autorisation a été refusée ; qu'après avoir demandé au salarié, le 25 mai 2007, s'il souhaitait liquider ses droits à la retraite, ce que ce dernier a refusé, la société, envisageant la fermeture de quatre-vingt-dix-neuf magasins parmi lesquels celui de Nantes Atlantis auquel il était rattaché, lui a, le 21 août 2008, proposé plusieurs postes de reclassement ; que le salarié, n'ayant pas répondu à ces propositions, la société l'a convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique puis, le salarié ayant confirmé son refus des propositions de reclassement, a sollicité de nouveau l'autorisation de le licencier le 15 octobre 2008 et, l'ayant obtenue le 16 décembre suivant, l'a licencié pour motif économique le 29 décembre 2008 ; que, le 13 janvier 2009, le salarié a formé un recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'inspection du travail, qui a été confirmée le 14 mai 2009 par le ministre du travail ; que le jugement du 19 janvier 2011 du tribunal administratif, annulant la décision du ministre du travail, a été annulé le 11 juin 2012 par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, devenu définitif en l'absence de pourvoi ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment pour discrimination syndicale ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de la discrimination syndicale subie par lui alors, selon le moyen, que l'autorité de la chose jugée dont sont revêtues les décisions de la juridiction administrative s'attache tant au dispositif qu'aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, que si, en présence d'une autorisation administrative de licenciement d'un salarié protégé, le juge judiciaire reste compétent pour allouer des dommages-intérêts au titre de manquements de l'employeur allégués par le salarié pendant la période antérieure au licenciement, il ne peut faire droit à une telle demande lorsque les manquements allégués par le salarié ont été pris en considération par le juge administratif pour statuer sur la légalité de la décision d'autorisation, que l'existence d'une disparité de traitement dans le déroulement de la carrière peut constituer, lorsqu'elle est alléguée par le salarié, un indice de l'existence d'une discrimination en raison de l'appartenance syndicale dont il incombe au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision d'autorisation de licenciement, de vérifier l'existence, qu'au cas présent, la cour administrative d'appel de Paris avait relevé, pour écarter les moyens de M. G... faisant état d'une discrimination dans l'évolution de sa carrière et rejeter la requête à l'encontre de la décision administrative autorisant son licenciement, « qu'il ressort des pièces du dossier que la société a proposé à Monsieur G... de prendre un poste effectif le 12 octobre 1995 et, par un courrier du 25 mai 2007, lui a demandé s'il souhaitait partir à la retraite, M. G... ayant atteint l'âge de 60 ans le 30 septembre 2006, qu'ensuite par un courrier du 3 juillet 2008, la société lui a proposé ainsi qu'aux autres salariés de se former aux nouvelles techniques numériques, que M. G... n'établit pas avoir auparavant présenté des demandes de formations professionnelles qui lui auraient été refusées par son employeur, qu'en outre il est constant qu'il a bénéficié de la moyenne des augmentations au mérite de sa catégorie, qu'en conséquence, M. G... n'établit pas avoir fait l'objet de mesures discriminatoires de la part de la société qui l'employait », qu'il résulte de ces motifs qui constituent le soutien nécessaire de sa décision, que la juridiction administrative avait contrôlé la discrimination syndicale alléguée par M. G... et jugé que ce dernier n'avait subi aucune discrimination en raison de son appartenance syndicale de la part de son employeur dans l'évolution de sa carrière antérieurement au licenciement, qu'en estimant néanmoins que cette décision définitive ne rendait pas M. G... « irrecevable dans sa demande de faire juger par la juridiction judiciaire de faire valoir qu'il aurait dû bénéficier d'une évolution de carrière dans sa carrière et notamment de changements de catégorie professionnelle et que cette absence de changement de catégorie constitue une discrimination syndicale », la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, l'article 1355 [1351 ancien] du code civil, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée en matière administrative ;

Mais attendu que si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, et notamment l'existence d'une discrimination syndicale dans le déroulement de la carrière du salarié ;

Et attendu que la cour d'appel a décidé exactement que le contrôle exercé par l'administration du travail, saisie d'une demande d'autorisation administrative de licenciement, de l'absence de lien avec les mandats détenus par le salarié ne rendait pas irrecevable la demande du salarié fondée sur la discrimination syndicale qu'il estimait avoir subie dans le déroulement de sa carrière ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 1351 ancien, devenu 1355, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire pour apprécier les fautes commises par l'employeur antérieurement au licenciement du salarié protégé, à rapprocher : Soc., 10 février 1999, pourvoi n° 95-43.561, Bull. 1999, V, n° 64 (1) (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.985, Bull. 2018, V, (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

3e Civ., 16 mai 2019, n° 17-26.210, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Voirie – Chemin communal – Contestation – Contestation relative à la propriété – Compétence du juge judiciaire – Exclusion – Conditions – voie de fait – Défaut

En l'absence de voie de fait, il n'appartient pas au juge judiciaire d'enjoindre à l'administration de déclasser un bien ayant fait par erreur l'objet d'une décision de classement dans la voirie communale.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mai 2017), que, MM. Y..., L..., V..., Q... et B... D..., ainsi que Mme D... (les consorts D...) ayant demandé d'annuler l'arrêté d'alignement du 20 mai 2009 par lequel le maire de la commune de Gorrevod avait, en déterminant la limite de la voie publique, intégré dans celle-ci le chemin de desserte de leur propriété riveraine, le juge administratif a sursis à statuer dans l'attente d'une décision judiciaire à intervenir sur la propriété de ce chemin ; que les consorts D... ont assigné la commune en revendication devant le tribunal de grande instance ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la commune de Gorrevod fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de sursis à statuer dans l'attente d'une décision de la juridiction administrative sur l'appartenance de la parcelle au domaine public ou au domaine privé de la commune, alors, selon le moyen, que, dans le cas où la solution du litige soumis à une juridiction de l'ordre judiciaire dépend du règlement d'une question relative à la légalité, la régularité ou la validité d'un acte administratif portant classement d'une impasse en voie communale, le juge judiciaire est tenu de poser une question préjudicielle et de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse que doit en donner la juridiction administrative ; que, pour refuser de surseoir à statuer, l'arrêt attaqué a énoncé que la question de la propriété d'une voie classée devait être tranchée préalablement à la question de l'appartenance d'une voie communale au domaine public ; qu'en se prononçant de la sorte quand la revendication de la propriété privée du chemin litigieux ne pouvait aboutir qu'à la condition que les actes administratifs des 15 mars 1962 et 29 août 1964 portant classement de l'impasse en voie communale soient annulés et que soit donc tranchée en priorité la question de l'incorporation de la voie communale au domaine public, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de la séparation des pouvoirs, ensemble les articles 149 et 378 du code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu que, si la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur l'appartenance d'une voie communale au domaine public ou privé de la commune, c'est à la condition que soit préalablement tranchée, par le juge judiciaire, la question de la propriété de l'assiette de cette voie lorsqu'elle est revendiquée par une personne privée ;

D'où il suit que le moyen est dépourvu de tout fondement ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la commune de Gorrevod fait grief à l'arrêt de dire que le chemin est un chemin d'exploitation appartenant en droit soi aux propriétaires riverains, alors, selon le moyen :

1°/ que, dès sa publication et tant qu'il n'a pas été annulé, l'acte administratif portant classement d'un chemin dans la catégorie des voies communales est exécutoire de plein droit ; qu'en énonçant que l'impasse litigieuse était un chemin d'exploitation appartenant en droit soi aux propriétaires riverains quand il résultait de ses constatations que la délibération du conseil municipal du 15 mars 1962 l'avait classée en voie communale et que des délibérations postérieures, comme un arrêté préfectoral devenu définitif, avaient confirmé ce classement de sorte que, tant que ces actes administratifs portant classement de l'impasse dans la voirie communale publique n'avaient pas été annulés, celle-ci était incorporée au domaine public communal, la cour d'appel a violé les articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959, ensemble les articles L. 2131-3 et L. 2311-8 du code général des collectivités territoriales ainsi que l'article L. 221-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

2°/ qu'en présumant que la commune ne pouvait se prévaloir ni des délibérations des 15 mars 1962 et 29 août 1964 portant classement de l'impasse dans la catégorie des voies communales ni des actes administratifs postérieurs pour la raison qu'ils ne constituaient pas des titres de propriété, quand la décision de classement comme les actes administratifs postérieurs en portant confirmation étaient exécutoires de plein droit dès leur publication et s'imposaient au juge comme aux usagers, la cour d'appel a violé les articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959, ensemble les articles L. 2131-3 et L. 2311-8 du code général des collectivités territoriales ainsi que l'article L. 221-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

3°/ que l'arrêt a présupposé que la commune ne pouvait se prévaloir ni de la délibération du 15 mars 1962 portant classement de l'impasse dans la catégorie des voies communales, ni des délibérations postérieures ni de l'arrêté préfectoral portant confirmation de ce classement pour la raison qu'ils ne constituaient pas des titres de propriété ; qu'en faisant abstraction de ces actes administratifs sans vérifier s'ils avaient perdu leur caractère exécutoire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 59-115 du 7 janvier 1959, ensemble les articles L. 2131-3 et L. 2311-8 du code général des collectivités territoriales ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que la délibération du conseil municipal classant un chemin dans la voirie communale ne constitue pas un titre de propriété et que, en cas de revendication, il appartient à la commune de fonder son droit de propriété sur un titre ou sur la prescription acquisitive, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision en retenant, sans en dénier le caractère exécutoire, que ni les délibérations successives du conseil municipal ayant notamment classé le chemin dans la catégorie des voies communales le 15 mars 1962, approuvé le tableau de classement de ces voies le 29 août 1964 ou approuvé la carte communale le 24 juillet 2003, ni le plan de réorganisation foncière homologuant le plan des voies communales, devenu définitif à la suite de l'arrêté préfectoral du 2 juin 1999, ni l'arrêté d'alignement individuel du 20 mai 1999 ne constituaient des titres de propriété ;

Mais sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile :

Vu l'article 13 de la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Attendu que, pour condamner, sous astreinte, la commune de Gorrevod à procéder au déclassement du chemin, l'arrêt retient qu'il constitue un chemin d'exploitation qui, en l'absence de titre en attribuant la propriété exclusive aux consorts D..., est présumé appartenir aux propriétaires riverains, chacun en droit soi, et est affecté à un usage commun ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, en l'absence de voie de fait, il n'appartient pas au juge judiciaire d'enjoindre à l'administration de déclasser un bien ayant fait par erreur l'objet d'une décision de classement dans la voirie communale, et qu'un tel classement, bien qu'illégal, n'est constitutif d'une voie de fait que s'il procède d'un acte manifestement insusceptible de se rattacher à l'un des pouvoirs de l'administration, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il enjoint à la commune de Gorrevod de procéder au déclassement du [...] », aujourd'hui dénommé « [...] », par retrait de la liste des voies communales sous astreinte de 50 euros par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de sa signification, l'arrêt rendu le 11 mai 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE la juridiction judiciaire incompétente pour connaître de la demande tendant à la condamnation sous astreinte de la commune de Gorrevod à procéder au déclassement du chemin ;

RENVOIE les parties à mieux se pourvoir.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 13 de la loi des 16-24 août 1970 ; décret du 16 fructidor an III.

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