Numéro 5 - Mai 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2019

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

1re Civ., 22 mai 2019, n° 18-14.063, (P)

Cassation partielle

Dommage – Réparation – Préjudice corporel – Indemnisation – Frais divers – Assistance bénévole dans le cadre de l'activité professionnelle – Conditions – Détermination – Portée

Viole le principe d'une réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime, une cour d'appel qui rejette la demande formée par la victime d'un dommage corporel au titre de l'aide professionnelle dont elle a eu besoin jusqu'à la consolidation de son état et qui lui a été apportée par son mari, alors, d'une part, qu'il résultait de ses constatations que cette aide était nécessaire et que si elle ne lui avait pas été procurée par ce dernier, soit elle aurait dû exposer des frais pour bénéficier d'une assistance, soit elle aurait subi une perte de gains professionnels, d'autre part, que l'indemnisation de son préjudice ne pouvait être subordonnée à la production de justificatifs des dépenses effectives, le caractère bénévole de l'assistance familiale dont elle avait bénéficié n'étant pas discuté.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir reçu des soins orthodontiques, en 2007 et 2008, prodigués par M. S..., orthodontiste (le praticien), Mme R..., épouse K..., exploitant un centre équestre, a présenté différents troubles qui ont notamment entraîné une diminution de ses capacités professionnelles ; qu'elle a assigné en responsabilité et indemnisation le praticien, qui a été déclaré responsable du dommage qu'elle avait subi consécutivement à ces soins ;

Sur le deuxième moyen, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu le principe d'une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime ;

Attendu que, pour rejeter la demande formée par Mme K... au titre de l'aide dont elle a eu besoin de novembre 2008 jusqu'à la consolidation de son état pour exploiter son centre équestre et qui lui a été apportée par son mari, après avoir admis qu'elle avait antérieurement subi une perte de gains professionnels, l'arrêt retient que l'aide ensuite procurée par son époux a manifestement compensé cette perte, qu'en 2009, elle n'a pas souffert personnellement d'une perte de revenus, que l'économie liée à l'assistance bénévole de son mari ne constitue pas un préjudice indemnisable et que le lien de causalité entre la perte de revenus théorique invoquée et les manquements du praticien n'est pas certain ;

Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, qu'il résultait de ses constatations qu'à la suite de la faute commise par le praticien, Mme K... avait eu besoin d'être aidée dans l'exploitation du centre équestre et que, sans l'aide apportée par son époux, soit elle aurait dû exposer des frais pour bénéficier d'une assistance, soit elle aurait subi une perte de gains professionnels, d'autre part, que l'indemnisation de son préjudice ne pouvait être subordonnée à la production de justificatifs des dépenses effectives, le caractère bénévole de l'assistance familiale dont elle avait bénéficié n'étant pas discuté, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

Et sur le troisième moyen :

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ;

Attendu que, se fondant sur les factures versées aux débats par Mme K... relatives aux honoraires versés au médecin conseil qui l'a assistée lors des expertises, l'arrêt retient qu'il y a lieu de fixer à 3 750,48 euros le montant de ces frais d'assistance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que ces factures s'élevaient à la somme totale de 4 000,48 euros, la cour d'appel a violé le principe susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y a lieu de statuer sur les autres branches du premier moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses dispositions allouant à Mme R..., épouse K..., les sommes de 13 470,48 euros au titre des frais divers et 8 398 euros au titre des pertes de gains professionnels actuels, incluses dans la somme de 59 543,47 euros que M. S... a été condamné à lui payer, l'arrêt rendu le 11 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : Mme Ab-Der-Halden - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Richard -

Textes visés :

Principe d'une réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 24 novembre 2011, pourvoi n° 10-25.133, Bull. 2011, II, n° 218 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

2e Civ., 23 mai 2019, n° 18-17.560, (P)

Rejet

Dommage – Réparation – Préjudice économique – Perte de gains professionnels futurs – Préjudice distinct – Incidence professionnelle – Portée

La cour d'appel, qui répare au titre de l'incidence professionnelle la perte de chance de promotion professionnelle de la victime, indemnise un préjudice distinct de celui réparé au titre de la perte de gains professionnels futurs calculée au vu de son ancien salaire qui n'intégrait pas l'évolution de carrière qu'il aurait pu espérer.

Sur le moyen unique, pris en ses troisième et quatrième branches :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Angers, 20 février 2018), que le 26 février 1995, M. R..., qui conduisait une motocyclette, a été victime d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué un véhicule assuré auprès de la société GMF (l'assureur) ; que ses préjudices ont été indemnisés selon une transaction signée avec l'assureur ; que son état de santé s'étant aggravé, M. R... a assigné l'assureur, en présence de la caisse primaire d'assurance maladie de la Mayenne, de la mutuelle de la Fonction publique et de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales pour obtenir la réparation des préjudices liés à cette aggravation ;

Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. R... la somme de 103 464,57 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs et celle de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, alors, selon le moyen :

1°/ que l'incidence professionnelle répare la dévalorisation sur le marché du travail, la hausse de la pénibilité de l'emploi ou le préjudice ayant trait à l'obligation de devoir abandonner la profession exercée avant le dommage au profit d'une autre choisie en raison de la survenance du handicap et est donc exclue si la victime n'a purement et simplement pu reprendre aucune activité professionnelle ; qu'en allouant une indemnité de 40 000 euros de ce chef, après avoir retenu qu'il ne pouvait être reproché à M. R... de ne pas avoir cherché à se reclasser, ce qui revenait à considérer comme exclue toute possibilité de retrouver un jour un travail, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable ;

2°/ que le juge ne peut, sans méconnaître le principe de la réparation intégrale du préjudice, indemniser deux fois un même dommage ; qu'en allouant à M. R... une somme de 40 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle du fait qu'il n'avait pu reprendre aucune activité professionnelle, après lui avoir alloué pour cette même raison une indemnité au titre des pertes de grains professionnels futurs, la cour d'appel a réparé deux fois le même préjudice en violation de l'article 1382 du code civil dans sa version alors applicable et du principe de réparation intégrale du préjudice ;

Mais attendu qu'ayant relevé, que compte tenu des restrictions importantes à une activité, du marché du travail et de son âge, un retour à l'emploi de M. R... était très aléatoire, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a réparé au titre de l'incidence professionnelle, la perte de chance pour M. R... d'une promotion professionnelle, préjudice distinct de celui réparé au titre de la perte de gains professionnels futurs calculée au vu de son ancien salaire et qui n'intégrait pas l'évolution de carrière qu'il aurait pu espérer ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les première et deuxième branches du moyen unique annexé qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 1382, devenu 1240, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le cumul des indemnisations du préjudice d'incidence professionnelle et sur celui de la perte de gains professionnels futurs, à rapprocher : 2e Civ., 13 septembre 2018, pourvoi n° 17-26.011, Bull. 2018, II, (cassation partielle).

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