Numéro 5 - Mai 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2019

REPRESENTATION DES SALARIES

Soc., 29 mai 2019, n° 17-23.028, (P)

Rejet

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Manquements de l'employeur – Discrimination syndicale – Demande en réparation – Compétence judiciaire – Détermination – Portée

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 juin 2017), que M. G... a été engagé le 1er octobre 1983 en qualité de responsable de magasin par la société MINIT, aux droits de laquelle vient la société Générale de Téléphone, et a, le 22 janvier 1991, été promu agent de maîtrise ; qu'il a été régulièrement élu sur des mandats de représentant du personnel ; qu'en 1990 et 1992 sa demande de mutation dans un nouveau magasin de l'enseigne à Nantes Saint-Sébastien puis sa candidature sur un poste de responsable régional dans le nord de la France n'ont pas été retenues ; qu'en juillet 1992 l'entreprise a décidé de se séparer de douze magasins, dont celui dans lequel il était en poste, et demandé à l'inspection du travail d'autoriser son licenciement économique mais que cette autorisation a été refusée ; qu'après avoir demandé au salarié, le 25 mai 2007, s'il souhaitait liquider ses droits à la retraite, ce que ce dernier a refusé, la société, envisageant la fermeture de quatre-vingt-dix-neuf magasins parmi lesquels celui de Nantes Atlantis auquel il était rattaché, lui a, le 21 août 2008, proposé plusieurs postes de reclassement ; que le salarié, n'ayant pas répondu à ces propositions, la société l'a convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour motif économique puis, le salarié ayant confirmé son refus des propositions de reclassement, a sollicité de nouveau l'autorisation de le licencier le 15 octobre 2008 et, l'ayant obtenue le 16 décembre suivant, l'a licencié pour motif économique le 29 décembre 2008 ; que, le 13 janvier 2009, le salarié a formé un recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'inspection du travail, qui a été confirmée le 14 mai 2009 par le ministre du travail ; que le jugement du 19 janvier 2011 du tribunal administratif, annulant la décision du ministre du travail, a été annulé le 11 juin 2012 par un arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, devenu définitif en l'absence de pourvoi ; que le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes, notamment pour discrimination syndicale ;

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts en réparation de la discrimination syndicale subie par lui alors, selon le moyen, que l'autorité de la chose jugée dont sont revêtues les décisions de la juridiction administrative s'attache tant au dispositif qu'aux motifs qui en sont le soutien nécessaire, que si, en présence d'une autorisation administrative de licenciement d'un salarié protégé, le juge judiciaire reste compétent pour allouer des dommages-intérêts au titre de manquements de l'employeur allégués par le salarié pendant la période antérieure au licenciement, il ne peut faire droit à une telle demande lorsque les manquements allégués par le salarié ont été pris en considération par le juge administratif pour statuer sur la légalité de la décision d'autorisation, que l'existence d'une disparité de traitement dans le déroulement de la carrière peut constituer, lorsqu'elle est alléguée par le salarié, un indice de l'existence d'une discrimination en raison de l'appartenance syndicale dont il incombe au juge administratif, saisi d'un recours contre une décision d'autorisation de licenciement, de vérifier l'existence, qu'au cas présent, la cour administrative d'appel de Paris avait relevé, pour écarter les moyens de M. G... faisant état d'une discrimination dans l'évolution de sa carrière et rejeter la requête à l'encontre de la décision administrative autorisant son licenciement, « qu'il ressort des pièces du dossier que la société a proposé à Monsieur G... de prendre un poste effectif le 12 octobre 1995 et, par un courrier du 25 mai 2007, lui a demandé s'il souhaitait partir à la retraite, M. G... ayant atteint l'âge de 60 ans le 30 septembre 2006, qu'ensuite par un courrier du 3 juillet 2008, la société lui a proposé ainsi qu'aux autres salariés de se former aux nouvelles techniques numériques, que M. G... n'établit pas avoir auparavant présenté des demandes de formations professionnelles qui lui auraient été refusées par son employeur, qu'en outre il est constant qu'il a bénéficié de la moyenne des augmentations au mérite de sa catégorie, qu'en conséquence, M. G... n'établit pas avoir fait l'objet de mesures discriminatoires de la part de la société qui l'employait », qu'il résulte de ces motifs qui constituent le soutien nécessaire de sa décision, que la juridiction administrative avait contrôlé la discrimination syndicale alléguée par M. G... et jugé que ce dernier n'avait subi aucune discrimination en raison de son appartenance syndicale de la part de son employeur dans l'évolution de sa carrière antérieurement au licenciement, qu'en estimant néanmoins que cette décision définitive ne rendait pas M. G... « irrecevable dans sa demande de faire juger par la juridiction judiciaire de faire valoir qu'il aurait dû bénéficier d'une évolution de carrière dans sa carrière et notamment de changements de catégorie professionnelle et que cette absence de changement de catégorie constitue une discrimination syndicale », la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III, l'article 1355 [1351 ancien] du code civil, ensemble le principe de l'autorité de la chose jugée en matière administrative ;

Mais attendu que si le juge judiciaire ne peut, en l'état de l'autorisation administrative accordée à l'employeur de licencier un salarié protégé, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement, il reste, cependant, compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement, et notamment l'existence d'une discrimination syndicale dans le déroulement de la carrière du salarié ;

Et attendu que la cour d'appel a décidé exactement que le contrôle exercé par l'administration du travail, saisie d'une demande d'autorisation administrative de licenciement, de l'absence de lien avec les mandats détenus par le salarié ne rendait pas irrecevable la demande du salarié fondée sur la discrimination syndicale qu'il estimait avoir subie dans le déroulement de sa carrière ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen pris en ses deuxième et troisième branches, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : M. Weissmann - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; article 1351 ancien, devenu 1355, du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire pour apprécier les fautes commises par l'employeur antérieurement au licenciement du salarié protégé, à rapprocher : Soc., 10 février 1999, pourvoi n° 95-43.561, Bull. 1999, V, n° 64 (1) (cassation partielle), et les arrêts cités ; Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.985, Bull. 2018, V, (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

Soc., 15 mai 2019, n° 18-11.036, (P)

Cassation partielle

Règles communes – Contrat de travail – Licenciement – Mesures spéciales – Inobservation – Indemnisation – Evaluation

Il résulte de l'article L. 2411-1, dans sa rédaction applicable au litige, et des articles L. 2411-3 et L. 2142-1-2 du code du travail, que le représentant de section syndicale qui ne demande pas la poursuite du contrat de travail illégalement rompu a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de trente mois, durée de la protection minimale légale du mandat des représentants élus du personnel augmentée de six mois.

Doit dès lors être cassé l'arrêt d'une cour d'appel, qui, pour fixer l'indemnité due à un salarié désigné en qualité de représentant de section syndicale le 22 août 2012, licencié le 8 novembre 2012 sans autorisation de l'inspecteur du travail, qui ne demandait pas sa réintégration au sein de l'entreprise, retient qu'il est en droit de percevoir une indemnité égale à la rémunération qu'il aurait perçue jusqu'aux premières élections professionnelles qui suivent sa désignation intervenues en novembre 2015, soit pendant 36 mois.

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 2411-1, dans sa rédaction applicable au litige et les articles L. 2411-3 et L. 2142-1-2 du code du travail ;

Attendu que le représentant de section syndicale qui ne demande pas la poursuite du contrat de travail illégalement rompu a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de trente mois, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel augmentée de six mois ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. H... a été engagé le 5 janvier 2006 par la société MAP ; que son contrat de travail a été transféré le 1er janvier 2009 à la société Altran Cis, aux droits de laquelle vient la société Altran Technologie (la société) ; qu'il a été désigné en qualité de représentant de section syndicale le 22 août 2012 ; qu'il a été licencié pour faute grave le 8 novembre 2012 ; qu'il a signé un accord transactionnel avec son employeur le 12 décembre 2012 aux termes duquel il renonçait à contester son licenciement en contrepartie du versement d'une certaine somme ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale le 6 février 2013 en nullité de son licenciement ;

Attendu que pour condamner la société à payer au salarié une somme correspondant au montant des salaires de ce dernier de novembre 2012 à novembre 2015, soit pendant trente-six mois, la cour d'appel retient que le salarié a été licencié sans que soit sollicitée l'autorisation de l'inspecteur du travail, qu'au titre de la méconnaissance de son statut protecteur, il doit percevoir une indemnité équivalente au montant des salaires qu'il aurait dû percevoir entre la date de son éviction et la fin de sa période de protection, que, conformément aux dispositions de l'article L. 2142-1-1, alinéa 3, du code du travail, le mandat du représentant de la section syndicale reste valable jusqu'aux premières élections professionnelles qui suivent sa désignation, lesquelles sont intervenues en novembre 2015, qu'en conséquence, le salarié, qui ne demandait pas sa réintégration au sein de l'entreprise, est en droit de percevoir une somme correspondant à son salaire du mois de novembre 2012, date de son licenciement, jusqu'au mois de novembre 2015, fin de son mandat ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Altran technologies à payer à M. H... la somme de 115 251,72 euros à titre de rappel de salaires sur la période de protection, l'arrêt rendu le 21 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 2411-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, et L. 2411-3 et L. 2142-1-2 du même code.

Soc., 15 mai 2019, n° 17-28.547, (P)

Rejet

Règles communes – Contrat de travail – Rupture conventionnelle – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Annulation – Réintégration – Obligation de l'employeur – Manquement – Effets – Résiliation judiciaire du contrat de travail – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 novembre 2017), que M. M... a été engagé par la société E. Mazarine (la société) selon contrat à durée indéterminée le 30 juin 2008 en qualité de chef de projet senior ; que, dans le dernier état de la relation contractuelle, il exerçait les fonctions de directeur de projet ; qu'il a été élu membre de la délégation unique du personnel le 5 juillet 2011 et désigné membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail le 6 mars 2012 ; qu'il a signé avec son employeur le 28 novembre 2012 une rupture conventionnelle de son contrat de travail ; que l'inspecteur du travail a autorisé cette rupture le 21 janvier 2013 ; que, sur recours du salarié, le ministre du travail a annulé la décision d'autorisation le 18 juillet 2013 ; que la société a proposé au salarié un poste de chef de projet par lettre du 24 juillet 2013 ; qu'estimant se heurter à un refus de réintégration sur son poste ou un poste équivalent, le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 27 septembre 2013, sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes ;

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches : Publication sans intérêt

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche : Publication sans intérêt

Sur le second moyen :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de la violation du statut protecteur alors, selon le moyen, que n'intervient pas en méconnaissance du statut protecteur la rupture du contrat de travail du salarié protégé qui a été autorisée par l'inspecteur du travail ; qu'en condamnant l'employeur à payer au salarié une indemnité pour violation du statut protecteur, lorsqu'il résultait de ses constatations que le contrat de travail avait été rompu après autorisation de l'inspecteur du travail, de sorte que cette rupture n'était pas intervenue en méconnaissance du statut protecteur, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-1, L. 2411-5 et L. 2411-8 du code du travail, dans leur version applicable à la cause ;

Mais attendu que le salarié protégé dont la rupture conventionnelle est nulle en raison de l'annulation de l'autorisation administrative doit être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent ; qu'il en résulte que, lorsque l'employeur n'a pas satisfait à cette obligation, sans justifier d'une impossibilité de réintégration, la résiliation judiciaire prononcée aux torts de l'employeur pour ce motif produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur ;

Et attendu que la cour d'appel, qui a prononcé la résiliation du contrat de travail du fait de l'inexécution par l'employeur de son obligation de procéder à la réintégration du salarié dans son poste ou un poste équivalent, en a déduit à bon droit que le salarié pouvait prétendre à une indemnité au titre de la méconnaissance du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à la fin de la période de protection dans la limite de trente mois ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Lanoue - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Alain Bénabent -

Textes visés :

Articles L. 1237-15, L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-5 du code du travail, dans leur rédaction applicable au litige.

Rapprochement(s) :

Sur les effets de la résiliation judiciaire du contrat de travail d'un salarié protégé, prononcée aux torts de l'employeur, à rapprocher : Soc., 26 octobre 2016, pourvoi n° 15-15.923, Bull. 2016, V, n° 196 (1) (rejet), et l'arrêt cité ; Soc., 3 octobre 2018, pourvoi n° 16-19.836, Bull. 2018, V, (rejet).

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