Numéro 5 - Mai 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2019

QUASI-CONTRAT

1re Civ., 15 mai 2019, n° 18-15.379, (P)

Cassation partielle

Gestion d'affaires – Définition – Volonté de représenter – Incompatibilité avec l'exécution d'une obligation légale ou contractuelle

La gestion d'affaires, qui implique l'intention du gérant d'agir pour le compte et dans l'intérêt du maître de l'affaire, est incompatible avec l'exécution d'une obligation contractuelle.

Viole l'article 1372 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, la cour d'appel qui accorde une indemnité sur le fondement de la gestion d'affaires après avoir constaté que le paiement litigieux était demandé à la suite de l'exécution d'un contrat.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, le 29 juillet 2004, la Banque populaire provençale et corse (la banque) a consenti à la société Atrium réception tourisme (la société) un prêt professionnel d'un montant de 100 000 euros ; que, par des actes séparés du 17 mars 2004, M. F... A..., gérant de la société et les parents de son épouse, M. et Mme K..., se sont portés cautions en garantie de ce prêt ; que la société a cessé de payer les échéances du prêt en juin 2005 et a été placée en liquidation judiciaire ; que M. F... A... ainsi que M. et Mme K..., pris en leurs qualités de cautions, ont été condamnés à rembourser la banque ; que soutenant avoir réglé la somme de 50 000 euros en exécution d'un protocole d'accord conclu entre la banque, son fils F..., M. et Mme K... et lui-même, M. D... U... a assigné ces derniers en remboursement, chacun, de la somme de 25 000 euros sur le fondement de la gestion d'affaires ;

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur la première branche du moyen :

Vu l'article 1372 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

Attendu que la gestion d'affaires, qui implique l'intention du gérant d'agir pour le compte et dans l'intérêt du maître de l'affaire, est incompatible avec l'exécution d'une obligation contractuelle ;

Attendu que, pour condamner M. et Mme K... à payer, chacun, une certaine somme à M. D... U..., l'arrêt retient que la gestion d'affaires, dont ce dernier revendique le bénéfice, consiste à s'être engagé, sans y être tenu, par le protocole d'accord signé le 22 avril 2011, et non dans le fait d'avoir procédé à des règlements en exécution de ce protocole, que M. D... U... n'était pas tenu de s'immiscer dans le litige opposant la banque, son fils, ainsi que M. et Mme K... ni de s'engager en leurs lieu et place ; qu'il ajoute que l'intervention volontaire de M. D... U... a été utile aux parties en ce qu'elle a permis une diminution importante de leur dette ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que le paiement litigieux était intervenu en exécution d'un protocole signé entre la banque, M. D... U..., M. F... A... ainsi que M. et Mme K..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. et Mme K... à payer, chacun, la somme de 16 666 euros à M. D... U..., l'arrêt rendu le 8 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Montpellier.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Mouty-Tardieu - Avocat(s) : SCP Potier de La Varde, Buk-Lament et Robillot ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article 1372 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'incompatibilité de la gestion d'affaires avec l'exécution d'une obligation légale ou contractuelle, à rapprocher : 3e Civ., 19 mars 2008, pourvoi n° 07-10.704, Bull. 2008, III, n° 55 (1) (rejet), et les arrêts cités ; Com., 13 janvier 2015, pourvoi n° 13-11.550, Bull. 2015, IV, n° 3 (cassation partielle).

1re Civ., 29 mai 2019, n° 18-16.999, (P)

Rejet

Gestion d'affaires – Maître d'affaire – Obligations – Remboursement des dépenses utiles ou nécessaires – Paiement d'une rémunération (non) – Gérant d'affaire ayant agi à l'occasion de sa profession – Absence d'influence

En cas de gestion d'affaires, l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, n'accorde au gérant que le remboursement des dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites, mais non le paiement d'une rémunération, quand bien même il aurait agi à l'occasion de sa profession.

Ainsi, une société de généalogiste, qui agit sur le fondement de la gestion d'affaire, n'est pas fondée à obtenir le paiement d'une rémunération lorsque l'héritier n'a pas signé le contrat de révélation de succession. Elle ne peut obtenir que le remboursement des dépenses utiles ou nécessaires exposées pour la recherche de l'héritier considéré.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Limoges, 20 mars 2018), que la société Archives généalogiques Andriveau (la société Andriveau) a, le 11 septembre 2011, démarché à son domicile L... Y... pour lui proposer la souscription d'un contrat de révélation de succession, puis l'a assigné en paiement de ses honoraires sur le fondement de la gestion d'affaires ; qu'L... Y... est décédé en cours d'instance, laissant pour lui succéder M. W... Y... et Mme C... Y... (les consorts Y...), lesquels sont intervenus volontairement ;

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Attendu que la société Andriveau fait grief à l'arrêt de limiter la condamnation des consorts Y... à une certaine somme alors, selon le moyen, que si, en règle générale, la gestion d'affaire obéit à un principe d'altruisme et de gratuité qui fait obstacle à ce que le gérant d'affaire puisse obtenir, en plus du remboursement de ses dépenses utiles ou nécessaires, le paiement d'une véritable rémunération, cette règle reçoit exception lorsque le gérant est un professionnel qui est conduit, en raison de la nature même de l'activité qu'il exerce, à oeuvrer de façon habituelle en tant que gérant d'affaire, tel un généalogiste ; qu'en cette hypothèse particulière, le gérant d'affaire a droit à la juste rémunération de son travail, dès lors que le maître en a bénéficié et que son intervention lui a été utile, et est donc fondé à obtenir une indemnité représentative, non seulement des frais et dépenses exposés pour les besoins de la recherche des héritiers et l'établissement de la dévolution successorale dans le dossier considéré, mais également de la valeur du travail fourni, telle qu'elle peut être appréciée en tenant compte des usages de la profession ; qu'en décidant au contraire que la société Andriveau ne pouvait obtenir, sur le fondement de la gestion d'affaire, une rémunération, mais uniquement le remboursement de ses seules dépenses utiles, la cour d'appel a violé l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu qu'en cas de gestion d'affaires, l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, n'accorde au gérant que le remboursement des dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites, mais non le paiement d'une rémunération, quand bien même il aurait agi à l'occasion de sa profession ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième branches du moyen :

Attendu que la société Andriveau fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que le maître dont l'affaire a bien été administrée doit rembourser au gérant toutes ses dépenses utiles ou nécessaires, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la nature de ses dépenses ; qu'aussi bien, dans le cas d'un gérant d'affaire professionnel, tel un généalogiste, aucune distinction ne saurait être opérée entre les frais et les dépenses exposés pour les seuls besoins de l'élucidation de l'affaire litigieuse et les dépenses globales d'investissement et charges fixes que le généalogiste professionnel est conduit à assumer, notamment pour se constituer et enrichir ses bases de données, s'attacher les services de chercheurs spécialisés et bénéficier d'outils informatiques rapides et performants, de façon à pouvoir exécuter efficacement et de façon fiable chacune des missions qui lui sont ensuite confiées ; qu'en estimant néanmoins que la somme allouée à la société Andriveau devait être fixée au seul regard des diligences dont il était justifié dans l'affaire litigieuse, sans qu'il y ait lieu de prendre en compte les charges globales de gestion et de fonctionnement inhérentes à l'exercice de la profession de généalogiste, la cour d'appel a de nouveau violé l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que le maître dont l'affaire a bien été administrée doit non seulement rembourser au gérant toutes les dépenses utiles et nécessaires qu'il a faites, mais également l'indemniser de tous les engagements personnels qu'il a pris ; que s'agissant d'un gérant d'affaire professionnel, tel un généalogiste, l'indemnité devant lui revenir doit donc s'apprécier au regard notamment de l'obligation qui est la sienne de garantir l'exactitude de la dévolution successorale mise au point avec son assistance et du risque d'engager corrélativement sa responsabilité en cas d'omission d'un héritier, et plus généralement au regard de toutes les obligations qu'il est conduit à contracter pour pouvoir exercer sa profession avec sérieux et compétence ; qu'en considérant que la société Andriveau pouvait seulement prétendre au remboursement des dépenses utiles qu'elle avait engagées pour les besoins de l'élucidation de l'affaire litigieuse, sans prendre en considération les engagements personnels souscrits par le généalogiste compte tenu des exigences de cette profession et de la responsabilité par lui encourue en cas de manquement professionnel, la cour d'appel a encore violé l'article 1375 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis que la cour d'appel a estimé, par motifs adoptés, que les documents généraux versés aux débats par la société Andriveau ne permettaient pas d'évaluer les dépenses spécifiques, utiles et nécessaires exposées par celle-ci pour établir la qualité certaine d'héritier d'L... Y... au delà de la somme qu'elle a retenue ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Leduc et Vigand ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 1375 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence de paiement d'une rémunération, à rapprocher : Com., 15 décembre 1992, pourvoi n° 90-19.608, Bull. 1992, IV, n° 415 (rejet), et l'arrêt cité.

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