Numéro 5 - Mai 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 5 - Mai 2019

AVOCAT

1re Civ., 22 mai 2019, n° 17-31.320, (P)

Cassation partielle

Déontologie – Domaine d'application – Exclusion – Tiers à la profession d'avocat – Cas – Société exploitant un site Internet mettant en relation avec des avocats

L'article 15, premier alinéa, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, aux termes duquel, d'une part, la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession, d'autre part, celles-ci excluent tout élément comparatif ou dénigrant, et l'article 111, a), du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, selon lequel celle-ci est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée, ne régissent que la profession d'avocat et ne peuvent être opposés à des tiers étrangers à cette profession. Viole en conséquence ces dispositions la cour d'appel qui juge que les références à une mise en relation avec un avocat figurant sur un site Internet sont constitutives d'actes de concurrence déloyale, aux motifs que seuls les membres de la profession d'avocat sont autorisés à promouvoir la publicité de leur activité ou à démarcher les justiciables sans pouvoir les déléguer à des personnes ou à des membres étrangers à leur profession.

Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société SC U... conseil (la société) a pour objet « toutes prestations des services et d'information dans les domaines administratifs, commerciaux, civils et financiers.

L'aide, l'assistance à toute personne physique ou morale et les formalités de toutes natures auprès d'administrations, organismes de toutes sortes » ; que, soutenant que la société se livrait à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme, ainsi qu'à des pratiques commerciales trompeuses, au moyen des deux sites Internet qu'elle exploitait sous les noms de domaine www.sauvermonpermis.com et www.solutions-permis.com, la société Cabinet d'avocats V... et associés (la société d'avocats) l'a assignée, ainsi que Mme C... U..., sa gérante, en paiement de dommages-intérêts et afin qu'il leur soit fait injonction, sous astreinte, de retirer de ces sites Internet toutes publicité et offre de service, et tous actes de démarchage, visant des consultations juridiques et la rédaction d'actes juridiques, ainsi que toute publicité et toute offre de service constitutives de pratiques commerciales trompeuses ;

Sur le quatrième moyen :

Attendu que la société et Mme C... U... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande de la société tendant à la réparation de l'atteinte portée à leur image, alors, selon le moyen, qu'il résulte de l'article 16, alinéas premier et deuxième, de la loi du 29 novembre 1966 modifiée relative aux sociétés civiles professionnelles que chaque associé répond, sur l'ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu'il accomplit et que la société civile professionnelle est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes ; qu'il s'ensuit que l'action en responsabilité peut indifféremment être dirigée contre la société ou l'associé concerné, ou encore contre les deux ; qu'en déclarant irrecevable l'action formée par la société contre la société d'avocats à raison des commentaires apposés par son associé sur son compte Facebook, à défaut d'avoir dirigé son action contre l'associé de la société d'avocats, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble les articles 31 et 32 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'après avoir souverainement constaté que le compte Facebook sur lequel avaient été formulés les commentaires dont il était prétendu qu'ils portaient atteinte à l'image du site Internet www.sauvermonpermis.com exploité par la société était détenu par M. V..., en son nom personnel, la cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir que ces agissements ne constituaient pas des actes professionnels, en a exactement déduit que la demande en réparation formulée, à ce titre, contre la société d'avocats, n'était pas recevable ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 15, premier alinéa, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat et l'article 111, a), du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat ;

Attendu qu'aux termes du premier texte, d'une part, la publicité et la sollicitation personnalisée sont permises à l'avocat si elles procurent une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et si leur mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession, d'autre part, celles-ci excluent tout élément comparatif ou dénigrant ; que, selon le second, la profession d'avocat est incompatible avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée ;

Attendu que, pour juger que les références à une mise en relation avec un avocat, figurant sur le site Internet www.sauvermonpermis.com, sont constitutives d'actes de concurrence déloyale, l'arrêt retient qu'il résulte de la combinaison de « l'article 15 du décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014 » et de l'article 111, a), du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que seuls les membres de la profession d'avocat sont autorisés à promouvoir la publicité de leur activité ou à démarcher les justiciables sans pouvoir les déléguer à des personnes ou à des membres étrangers à leur profession, et ceci, pour garantir les règles de cette profession instituées par la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, et par le décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat, qui portent sur l'indépendance, le secret professionnel, la prérogative de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique, et enfin, particulièrement, celle de représenter les justiciables devant les juridictions ; qu'il ajoute que, le site sauvermonpermis.com ne désignant pas les avocats avec lesquels il est offert de mettre les internautes en relation pour les prestations dont il fait la promotion, il en résulte une violation de règles communes pour la publicité et le démarchage de la profession ainsi qu'une désorganisation de l'accès au marché ;

Qu'en statuant ainsi, alors que les textes susvisés ne régissent que la profession d'avocat et ne peuvent être opposés à des tiers étrangers à cette profession, la cour d'appel a violé lesdits textes ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevables l'action dirigée contre Mme C... U... et la demande en dommages-intérêts formée par la société SC U... conseil au titre de l'atteinte à l'image, l'arrêt rendu le 14 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Truchot - Avocat(s) : SCP Boullez -

Textes visés :

Article 16, alinéas 1 et 2, de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 ; articles 31 et 32 du code de procédure civile ; article 15, premier alinéa, du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ; article 111, a), du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.669, Bull. 2017, I, n° 106 (cassation partielle).

1re Civ., 9 mai 2019, n° 18-12.073, (P)

Cassation partielle

Exercice de la profession – Différend entre avocats – Arbitrage du bâtonnier – Domaine d'application – Désignation d'un expert pour l'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats – Recours devant la cour d'appel – Possibilité de procéder à l'évaluation des parts sociales (non)

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'à la suite d'un différend entre MM. A..., Q..., W..., N... et F..., associés au sein de la société civile professionnelle d'avocats L... A... et associés (la SCP), devenue la société Evolis avocats, M. A... et la société L...-Q..., tous deux retrayants de la SCP, ont saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Rennes, par lettre du 23 mars 2010, d'une demande d'arbitrage portant notamment sur l'établissement des comptes intermédiaires au 30 octobre 2009, date de leur retrait, et sur la valorisation de leurs parts sociales détenues dans la SCP ; que, par décision avant dire droit du 21 juin 2010, le bâtonnier a désigné M. V... en qualité d'expert pour déterminer la valeur des parts sociales de la SCP et en qualité de sapiteur pour lui proposer des éléments lui permettant de trancher les autres points en litige, puis a statué par décision du 27 février 2017 ;

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu que la société Evolis avocats et ses associés font grief à l'arrêt de dire que l'expert a commis une erreur grossière, d'écarter en conséquence le caractère impératif de son évaluation des parts sociales, et de renvoyer les parties à désigner ensemble un expert ou à saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes pour y procéder, alors, selon le moyen :

1°/ que l'expertise en vue d'évaluer des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ordonnée par le bâtonnier chargé, par application de l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, d'arbitrer un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, déroge à l'article 1843-4 du code civil ; que, saisi d'une demande d'arbitrage à l'occasion d'une cession ou d'un rachat de parts sociales, le bâtonnier doit lui-même fixer la valeur des parts sociales, au regard de l'évaluation de l'expert, sans qu'en application de ce dernier texte, il soit lié par celle-ci ; qu'en renvoyant les parties à désigner un nouvel expert ou saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes à fin de désignation d'un expert à fin d'évaluation des parts sociales, la cour d'appel, qui a ainsi refusé de procéder elle-même à cette évaluation, a violé l'article 1843-4 du code civil, par fausse application et, par refus d'application, l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 ;

2°/ que le bâtonnier chargé, par application de l'article 21, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971, d'arbitrer un différend entre avocats à l'occasion de leur exercice professionnel, ne peut soumettre l'expertise qu'il ordonne en vue d'évaluer des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats aux dispositions d'ordre public de l'article 1843-4 du code civil ; qu'en retenant que l'expertise ordonnée par le bâtonnier était soumise à ce texte dès lors que la décision de désignation de l'expert avait été rendue au visa de celui-ci, la cour d'appel violé les textes susvisés ;

Mais attendu que l'article 21 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, ne dérogeait pas à l'article 1843-4 du code civil ; que, dans sa rédaction issue de cette dernière loi, il n'y déroge qu'en ce qu'il donne compétence au bâtonnier pour procéder à la désignation d'un expert aux fins d'évaluation des parts sociales ou actions de sociétés d'avocats ; que c'est donc à bon droit qu'ayant constaté que l'expert avait été désigné le 21 juin 2010, la cour d'appel a retenu que son évaluation était soumise aux dispositions d'ordre public de l'article 1843-4 du code civil et qu'elle-même ne pouvait procéder à l'évaluation des parts sociales ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :

Vu l'article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014 ;

Attendu que, pour écarter le caractère impératif de l'évaluation par l'expert des parts de la SCP, l'arrêt retient qu'en se fondant sur une disposition abrogée qui a déterminé son choix et en refusant de prendre en compte un usage non discuté conforme tant au règlement intérieur qu'aux statuts modifiés et créateurs de droit, l'expert a commis une erreur grossière quant au mode même de détermination de la valeur des parts sociales ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, sous l'empire des dispositions applicables à la date de sa désignation, l'expert disposait d'une entière liberté d'appréciation pour fixer la valeur des parts sociales selon les critères qu'il jugeait opportuns, la cour d'appel, qui s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser une erreur grossière dans cette évaluation, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que M. V... a commis une erreur grossière, en ce qu'il écarte le caractère impératif de son évaluation des parts de la SCP L... et A..., devenue Evolis avocats, et en ce qu'il renvoie les parties à désigner ensemble un expert pour évaluer lesdites parts ou la plus diligente à saisir le président du tribunal de grande instance de Rennes pour y procéder, l'arrêt rendu le 12 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Gall - Avocat général : MM. Sudre et Lavigne - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Article 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011, et dans sa rédaction issue de cette dernière loi ; article 1843-4 du code civil ; article 1843-4 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2014-863 du 31 juillet 2014.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité pour la cour d'appel de procéder à l'évaluation des parts sociales d'une société d'avocat, à rapprocher : 1re Civ., 25 janvier 2005, pourvoi n° 01-10.395, Bull. 2005, I, n° 49 (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur la combinaison des articles 1843-4 du code civil et 21 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, à rapprocher : 1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 13-24.931, Bull. 2015, I, n° 94 (1) (cassation partielle) ; 1re Civ., 16 avril 2015, pourvoi n° 14-10.257, Bull. 2015, I, n° 97 (rejet). Sur l'entière liberté d'appréciation dont dispose l'expert pour fixer la valeur des parts sociales, à rapprocher : Com., 19 avril 2005, pourvoi n° 03-11.790, Bull. 2005, IV, n° 95 (rejet) ; Com., 5 mai 2009, pourvoi n° 08-17.465, Bull. 2009, IV, n° 61 (cassation).

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