Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2024

TRAVAIL REGLEMENTATION, DUREE DU TRAVAIL

Soc., 24 avril 2024, n° 22-20.539, (B), FS

Cassation partielle

Convention de forfait – Convention de forfait sur l'année – Convention de forfait en jours sur l'année – Validité – Conditions – Obligation de l'employeur – Caractère raisonnable de la charge de travail – Garantie d'une bonne répartition dans le temps du travail – Cas – Défaut de stipulations conventionnelles – Mise en place par l'employeur d'une charte des bonnes pratiques – Office du juge – Détermination – Portée

Viole la loi la cour d'appel qui statue par des motifs généraux impropres à caractériser que la charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail mise en place dans l'entreprise était de nature à répondre aux exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail et que l'employeur avait effectivement exécuté son obligation de s'assurer régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail.

Convention de forfait – Convention de forfait sur l'année – Convention de forfait en jours sur l'année – Obligations de l'employeur – Obligation de sécurité – Obligation de suivi régulier de la charge de travail du salarié – Etendue – Caractère raisonnable de la charge de travail – Garantie d'une bonne répartition dans le temps du travail – Office du juge – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 juin 2022), Mme [R] a été engagée par la société Ernst and Young (la société) en qualité d'assistante, le 7 octobre 2013, puis en qualité d'avocate suivant contrat de travail du 5 novembre 2013, soumis à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 et comportant une convention de forfait en jours. Elle a été promue au grade de senior 1 en juillet 2015, puis à celui de senior 3 en juillet 2017. Elle a été en congé de maternité, suivi d'un congé parental, du 2 mars au 28 septembre 2018, puis à nouveau du 31 mai 2019 au 15 janvier 2020.

2. La salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 27 mai 2020.

3. Soutenant avoir subi une discrimination en raison de son sexe et de son état de maternité, la salariée a saisi, le 29 janvier 2021, le bâtonnier de l'ordre des avocats de demandes tendant notamment à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, à condamner la société au paiement de rappels de salaires correspondants du 1er juillet 2019 au 11 novembre 2020, de rattrapages d'intéressement et de participation ainsi que de bonus sur cette période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination et de rappel d'heures supplémentaires, à prononcer la nullité de son licenciement, à ordonner sa réintégration et à condamner la société au paiement d'une somme provisionnelle à titre d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, à fixer sa rémunération globale au niveau moyen des salariés situés au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, soit 7 112,50 euros mensuels bruts, à condamner la société au paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaires correspondants entre cette date et le 11 novembre 2020, de rattrapages d'intéressement et de participation, de bonus correspondants sur la période et de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, et de la débouter de ses demandes tendant à ordonner sa réintégration et à condamner la société au paiement d'une somme provisionnelle au titre de l'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020, à parfaire au jour de la décision à intervenir, outre les augmentations moyennes individuelles et générales perçues par les salariés de la même catégorie ainsi que les avantages, primes et salaires de toute nature, alors « que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu et que les dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail ne font pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime de discrimination ; qu'en conséquence, lorsqu'il apparaît qu'un salarié a été privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination, ce dernier peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement au niveau de classification qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination ; qu'il appartient alors au juge de rechercher à quelle classification le salarié serait parvenu en l'absence de discrimination ; qu'en l'espèce, alors que Mme [R] demandait son repositionnement au grade de Senior Manager 1 au 1er juillet 2019, pour débouter la salariée de cette demande, la cour d'appel a relevé qu'il était justifié aux débats que le passage à ce grade nécessitait d'assurer le suivi commercial et technique des missions ainsi que la participation à la vie interne et l'encadrement d'une équipe et qu'aucun élément ne permettait d'affirmer que cette promotion était due à Mme [R] au 1er juillet 2019, date à laquelle elle se trouvait en congé maternité ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher à quel grade la salariée serait parvenue en l'absence de discrimination, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1132-1, L. 1142-1 et L. 1134-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020, et L. 1134-5 du code du travail et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

5. Selon le principe susvisé, la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu.

6. Il résulte des articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail que le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée.

7. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, l'arrêt retient que le passage à ce grade nécessite d'assurer le suivi commercial et technique des missions ainsi que la participation à la vie interne et l'encadrement d'une équipe et qu'aucun élément ne permet d'affirmer que cette promotion était due à la salariée au 1er juillet 2019, date à laquelle elle se trouvait en congé de maternité.

8. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'ayant retenu que la salariée avait subi une discrimination en raison de son état de grossesse à compter du 2 mars 2018, date de son premier congé de maternité, se caractérisant notamment par une modification des modalités de son évaluation et une chute de sa rémunération, il lui incombait de rechercher à quel grade conventionnel la salariée serait parvenue sans la discrimination constatée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen relevé d'office

9. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

10. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

11. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

12. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

13. Aux termes de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

14. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que l'employeur soutient que la convention de forfait en jours est autorisée par l'avenant 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de deux cents dix-sept jours, que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contient l'ensemble des mentions légalement prévues et mettant en place les garanties suffisantes et que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours de la convention collective des avocats, qui est applicable au sein du cabinet, valide cette convention de forfait.

15. En statuant ainsi, alors que ni les dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail, alors applicable, à la convention collective des avocats salariés (cabinets d'avocats) du 17 février 1995, qui, dans le cas de forfaits en jours, se limitaient à prévoir, en premier lieu, que le nombre de journées ou demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document établi à la fin de l'année par l'avocat concerné et précisant le nombre de journées ou de demi-journées de repos pris, en second lieu, qu'il appartient aux salariés concernés de respecter les dispositions impératives ayant trait au repos quotidien et au repos hebdomadaire, le cabinet devant veiller au respect de ces obligations, ni les stipulations de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007 qui se bornent à prévoir qu'un suivi du temps de travail sera effectué pour tout collaborateur sur une base annuelle, que toutefois, autant que faire se peut, la direction cherchera à faire un point chaque trimestre et à attirer l'attention des collaborateurs dont le suivi présente un solde créditeur ou débiteur trop important afin qu'ils fassent en sorte de régulariser la situation au cours du trimestre suivant, ni les dispositions de l'avenant n° 15, à la convention collective des avocats salariés (cabinets d'avocats) du 17 février 1995, du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours, qui se bornent à prévoir que l'avocat doit organiser son travail pour ne pas dépasser onze heures journalières, sous réserve des contraintes horaires résultant notamment de l'exécution des missions d'intérêt public, que le nombre de journées ou de demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document de contrôle établi à échéance régulière par l'avocat salarié concerné selon une procédure établie par l'employeur, que l'avocat salarié bénéficie annuellement d'un entretien avec sa hiérarchie portant sur l'organisation du travail, sa charge de travail, l'amplitude de ses journées d'activité, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale et sa rémunération, que l'employeur ou son représentant doit analyser les informations relatives au suivi des jours travaillés au moins une fois par semestre et que l'avocat salarié pourra alerter sa hiérarchie s'il se trouve confronté à des difficultés auxquelles il estime ne pas arriver à faire face, en ce qu'elles ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que, sous réserve de l'application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, alors « qu'il appartient à l'employeur qui conclut avec un salarié une convention individuelle de forfait en jours sur l'année de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ; que l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ; que l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, au 9 août 2016 ne détermine pas ces modalités peut être poursuivie, sous réserve notamment que l'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; qu'en l'espèce, pour débouter Madame [R] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du forfait jour et de sa demande subséquente en paiement d'heures supplémentaires, la Cour d'appel a relevé que la convention de forfait en jours était autorisée par l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de 217 jours par an, que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contenait l'ensemble des mentions légalement prévues et mettait en place les garanties suffisantes, que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 relatif au forfait annuel en jours de la convention collective des avocats salariés applicable au sein du cabinet validait cette convention de forfait et que conformément aux dispositions de la loi travail du 8 août 2016 la société employeur avait complété l'ensemble des dispositions conventionnelles par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail, et en a déduit qu'il était inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'avait été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle des salariés ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si la charte des bonnes pratiques dont se prévalait la société employeur prévoyait des modalités d'évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié permettant notamment à l'employeur de s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires, quand, ni les dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail à la convention collective des avocats salariés du 17 février 1995, ni les stipulations de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007 n'étaient de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65 du Code du travail ensemble de l'article 12 de la loi 6 n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-60 et L. 3121-65 I du code du travail, l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

17. Aux termes du premier de ces textes, dont les dispositions sont d'ordre public, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.

18. Aux termes du deuxième, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

19. Aux termes du troisième, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

20. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que l'employeur a complété l'ensemble des dispositions conventionnelles applicables par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail et qu'il est inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés.

21. En statuant ainsi, par des motifs généraux impropres à caractériser que

la charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail était de nature à répondre aux exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail et que l'employeur avait effectivement exécuté son obligation de s'assurer régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

23. La cassation des chefs de dispositif déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction et condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul et de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [R] de ses demandes en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, avec fixation de sa rémunération globale au niveau moyen des salariés situés au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, soit 7 112,50 euros mensuels bruts, de rappels de salaires correspondants entre cette date et le 11 novembre 2020, de rattrapage d'intéressement et de participation, ainsi que de bonus correspondants sur la période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020, à parfaire au jour de la décision à intervenir, outre les augmentations moyennes individuelles et générales perçues par les salariés de la même catégorie ainsi que les avantages, primes et salaires de toute nature et en ce qu'il condamne la société Ernst and Young à payer à Mme [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 22 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; avenant n° 7 du 7 avril 2000, relatif à la réduction du temps de travail, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 ; avenant n° 15 du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 ; accord d'entreprise du 14 mai 2007 relatif à l'organisation du temps de travail au sein d'Ernst and Young société d'avocats ; articles L. 3121-60 et L. 3121-65 du code du travail ; article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos, journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 8 novembre 2017, pourvoi n° 15-22.758, Bull. 2017, V, n° 191 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur les exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail, à rapprocher : Soc., 10 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.782, Bull., (rejet).

Soc., 24 avril 2024, n° 22-15.967, (B), FS

Cassation partielle

Travail à temps partiel – Modulation du temps de travail – Accord collectif de modulation – Invalidation par le juge – Effets – Requalification en contrat de travail à temps complet (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mars 2022), Mme [H] a été engagée en qualité d'agent de service logistique par la maison de retraite [4], devenue l'association [5], aux droits de laquelle se trouve l'association [3], par un contrat de travail à durée déterminée du 3 janvier 2008. A compter du 1er mars 2008, la relation de travail s'est poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, conclu pour une durée hebdomadaire moyenne de travail de 24,50 heures réparties sur l'ensemble de l'année pour un nombre total d'heures de travail de 1274 heures.

2. Le 16 mars 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin, notamment, d'obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ainsi que le paiement de rappels de salaire et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

3. La salariée a été licenciée le 19 avril 2017.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en requalification de son emploi à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet et de ses demandes en paiement de rappels de salaire, congés payés afférents et dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « qu'aux termes de l'article L 3123-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 2 août 2008, une convention ou un accord collectif de travail étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail ; que cet accord doit prévoir des dispositions de nature à assurer la protection de la liberté du travail des salariés concernés et notamment : (6) les modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié, (7) les conditions et les délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié ; qu'il en résulte que le contrat de travail à temps partiel modulé conclu en l'absence d'un tel accord collectif ou en l'état d'un accord collectif nul comme ne comportant pas ces dispositions est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour débouter Mme [H] de sa demande tendant à voir requalifier son emploi à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, a énoncé : ''Parmi les motifs de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, l'appelante invoque tout d'abord plusieurs moyens entraînant, selon elle, la nullité de l'accord collectif du 3 avril 2001 du fait de la violation des conditions posées à l'article L. 212-4-6 du code du travail. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, l'illicéité de l'accord collectif n'est pas de nature à entraîner « nécessairement et automatiquement » la requalification du contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet'' ; qu'en statuant de la sorte quand, en l'état de l'illicéité de l'accord collectif le prévoyant, faute de comporter les dispositions indispensables à la protection de la liberté du travail des salariés, le contrat de travail à temps partiel modulé était lui-même illicite et devait être requalifié en contrat de travail à temps complet, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-25 du code du travail, ensemble les articles L. 1121-1 du code du travail et 5 du Préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail d'un salarié à temps partiel peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année, à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail.

7. Il en résulte que l'invalidité de l'accord collectif prévu à l'article L. 3123-25 du code du travail qui est une condition de recours, non au travail à temps partiel mais à la modulation de la durée de travail, n'emporte pas la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il résulte de l'article L. 3123-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, applicable à l'espèce, qu'en cas de défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et des conditions et délais dans lesquels les horaires de travail lui sont notifiés par écrit, le contrat est présumé à temps complet et qu'il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que Mme [H], ''intégrée principalement dans l'équipe de nuit », était liée à l'association [5] par « un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 24,5 heures réparties sur l'ensemble de l'année pour un nombre total de 1274 heures, correspondant à 70 % d'un ETPT'', d'autre part que ''l'employeur ne justifie pas de la transmission à la salariée du programme indicatif de la répartition de la durée du travail annuelle, comme prévu à l'accord de branche ni de ce que ses horaires de travail étaient notifiés individuellement à Mme [H] un mois avant leur application, comme prévu au contrat de travail'' ; qu'en déboutant cependant la salariée de sa demande de requalification de la relation de travail en contrat de travail à temps complet aux termes de motifs inopérants pris de ce qu'elle avait pu exercer durant la journée d'autres activités, quand, faute de connaître le calendrier indicatif de l'année suivante et le nombre d'heures précis du mois suivant, la salariée était obligée de se tenir constamment à la disposition de l'employeur la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef l'article L. 3123-25 du code du travail, ensemble les articles L. 1121-1 du code du travail et 5 du Préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 :

10. Il résulte de ce texte qu'en cas de défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et des conditions et délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié, le contrat est présumé à temps complet et il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

11. Pour rejeter la demande en requalification du contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, l'arrêt, après avoir constaté que l'employeur ne justifiait ni de la transmission à la salariée du programme indicatif de la répartition de la durée du travail annuelle, comme prévu à l'accord de branche, ni de ce que ses horaires de travail lui étaient notifiés individuellement un mois avant leur application, comme prévu au contrat de travail, retient que l'employeur démontre que l'intéressée travaillait en parallèle pour le compte de particuliers à hauteur de six heures hebdomadaires depuis le mois d'août 2007 et, qu'au cours de la période du 1er septembre 2014 au 28 février 2015, elle avait travaillé pour trois autres employeurs.

12. Il en conclut que l'employeur établit que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que l'employeur faisait la preuve de ce que la salariée n'avait pas été placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle ne devait pas se tenir constamment à la disposition de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [H] de ses demandes en requalification de son contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, ainsi qu'en paiement d'un rappel de salaire subséquent, outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail et d'une indemnité de procédure et en ce qu'il la condamne aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 11 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travaildans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

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