Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2024

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 24 avril 2024, n° 22-18.031, (B), FS

Rejet

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords particuliers – Indemnité – Indemnité de « cantine fermée » – Indemnité visant à compenser la fermeture du service de restauration en raison de la pandémie – Domaine d'application – Détermination – Portée

L'indemnité de « cantine fermée » ayant pour objet de compenser la perte, par l'effet de la pandémie, du service de restauration d'entreprise offert aux salariés présents sur les sites de l'entreprise, les salariés en télétravail ne se trouvaient pas dans la même situation que ceux qui, tenus de travailler sur site, ont été privés de ce service.

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords particuliers – Indemnité – Indemnité de « cantine fermée » – Indemnité visant à compenser la fermeture du service de restauration en raison de la pandémie – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Salariés en télétravail

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 avril 2022), rendu en matière de référé, en raison de la pandémie, la société Enedis (la société) a mis en oeuvre le 12 mars 2020 un plan de continuité d'activité prévoyant, d'une part, la mise en place d'un service minimum assuré par les agents sur le terrain concernant les activités strictement nécessaires au maintien de la continuité de fourniture d'électricité et à la sécurité des biens et des personnes, d'autre part, le placement d'agents en travail à distance pour les activités pouvant être réalisées par les salariés à partir de leur domicile avec les outils à leur disposition.

2. Un accord collectif, conclu le 12 juin 2020 et applicable jusqu'au 31 décembre 2020, prévoit au profit des salariés amenés à déjeuner habituellement dans un restaurant extérieur un « droit d'indemnité de cantine fermée » (article 21) : « A l'heure de la mise en place de relance des activités d'Enedis, il est possible qu'un certain nombre de restaurants d'entreprise n'aient pas encore repris leurs activités. Aussi lorsqu'aucune solution de restauration alternative ne peut être mise en oeuvre (possibilité de commander ou faire livrer des repas sur site), les salariés bénéficieront de l'indemnité de fermeture de cantine (60 % du forfait local) ». Cette indemnité a également été versée par l'employeur aux salariés travaillant sur site lorsque la cantine était fermée et lorsque n'existait aucune possibilité de commander ou de se faire livrer des repas, depuis le 17 mars 2020 et à partir du 1er janvier 2021.

3. Le 29 janvier 2021, la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie CGT (le syndicat) a saisi le juge des référés d'un tribunal judiciaire afin, notamment, de faire ordonner, sous astreinte, à la société de verser à l'ensemble des salariés de l'entreprise contraints de travailler à distance dans le cadre de la pandémie pour chaque jour travaillé depuis le 16 mars 2020, « l'indemnité pour cantine fermée » et d'obtenir le paiement de dommages-intérêts provisionnels pour atteinte à l'intérêt collectif de la profession.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le syndicat fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes, alors :

« 1°/ que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise ; que le télétravailleur doit en conséquence être considéré comme exécutant son travail dans les locaux de l'entreprise pour l'appréciation de ses droits ; qu'en l'espèce, pour considérer qu'il n'y avait pas d'identité de situation entre salariés en position de télétravail et salariés travaillant sur site au regard du bénéfice de l'indemnité ''de cantine fermée'', la cour d'appel que le critère retenu pour le versement de cette indemnité, à savoir la fermeture de la cantine en raison de la pandémie, était indifférent pour les salariés en position de télétravail et n'avait d'intérêt que pour les salariés travaillant sur site ; qu'en se fondant ainsi sur le lieu de travail des salariés pour écarter toute atteinte au principe d'égalité de traitement entre télétravailleurs et salariés travaillant dans le locaux de l'entreprise, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 1222-9 du code du travail ;

2°/ que le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l'entreprise ; que l'employeur ne peut traiter différemment des salariés qui se trouvent dans la même situation au regard d'un avantage que si cette différence de traitement repose sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, après avoir constaté que le versement de l'indemnité ''de cantine fermée'' avait pour objet de compenser la privation d'un accès à la cantine ou à une solution de restauration alternative, a retenu, pour écarter toute atteinte au principe d'égalité de traitement, que la situation des salariés en télétravail était objectivement différente au regard de cet avantage ; qu'en statuant ainsi alors qu'elle avait par ailleurs relevé que les salariés en télétravail ne se seraient pas rendus sur leur lieu de travail uniquement pour y déjeuner, ce dont il se déduisait que ces derniers étaient, tout comme les salariés travaillant sur site dont la cantine était fermée, privés d'un accès à la cantine du fait de leur placement en position de télétravail et se trouvaient ainsi dans une position identique à celle de ces salariés au regard de l'avantage en cause sans que la différence de traitement ainsi observée ne soit justifiée par une raison objective et pertinente, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales s'évinçant de ses constatations, a violé les dispositions de l'article L. 1222-9 du code du travail et le principe d'égalité de traitement ;

3°/ que les mesures prises en matière de santé et de sécurité au travail ne doivent entraîner aucune charge financière pour les travailleurs ; qu'en l'espèce, pour débouter le syndicat exposant de sa demande tendant à voir ordonner sous astreinte à la société Enedis de verser à l'ensemble des salariés de l'entreprise contraints de travailler à distance dans le cadre de la pandémie l'indemnité ''de cantine fermée'', la cour d'appel, après avoir relevé que le télétravail était bien une mesure prise en matière de santé et sécurité, a estimé qu'à supposer acquis le principe d'une charge financière supplémentaire induite par la prise de repas à domicile dans le cadre du télétravail, la fermeture administrative du restaurant d'entreprise était sans incidence sur la situation du salarié placé, même d'autorité par son employeur en télétravail, le syndicat appelant ne faisant d'ailleurs aucune différence entre les salariés qui dépendent de sites où ce restaurant serait fermé et ceux où il serait ouvert ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 4122-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, l'indemnité de « cantine fermée » ayant pour objet de compenser la perte, par l'effet de la pandémie, du service de restauration d'entreprise offert aux salariés présents sur les sites de l'entreprise, la cour d'appel a décidé à bon droit que les salariés en télétravail ne se trouvaient pas dans la même situation que ceux qui, tenus de travailler sur site, ont été privés de ce service.

6. Ensuite, les salariés en situation de télétravail n'ayant pas vocation à fréquenter le restaurant d'entreprise, la cour d'appel en a exactement déduit que la fermeture administrative de ce restaurant en raison de la pandémie n'entraînait pas de charge financière supplémentaire pour les télétravailleurs.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 1229-9 et L. 4122-2 du code du travail.

Soc., 24 avril 2024, n° 22-20.539, (B), FS

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Avocats – Convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 – Avenant n° 7 relatif à la réduction du temps de travail du 7 février 2000 – Avenant n° 15 du 25 mai 2012 – Convention de forfait en jours sur l'année – Validité – Protection de la sécurité et de la santé du salarié – Défaut – Détermination – Portée

Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

Tel n'est pas le cas des dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000, relatif à la réduction du temps de travail, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995, des stipulations de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007, et de l'avenant n° 15, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995, du 25 mai 2012, qui, en ne permettant pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé.

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords d'entreprise – Accord d'entreprise du 14 mai 2007 relatif à l'organisation du temps de travail au sein d'Ernst and Young société d'avocats – Convention de forfait en jours sur l'année – Protection de la sécurité et de la santé du salarié – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 22 juin 2022), Mme [R] a été engagée par la société Ernst and Young (la société) en qualité d'assistante, le 7 octobre 2013, puis en qualité d'avocate suivant contrat de travail du 5 novembre 2013, soumis à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 et comportant une convention de forfait en jours. Elle a été promue au grade de senior 1 en juillet 2015, puis à celui de senior 3 en juillet 2017. Elle a été en congé de maternité, suivi d'un congé parental, du 2 mars au 28 septembre 2018, puis à nouveau du 31 mai 2019 au 15 janvier 2020.

2. La salariée a été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre du 27 mai 2020.

3. Soutenant avoir subi une discrimination en raison de son sexe et de son état de maternité, la salariée a saisi, le 29 janvier 2021, le bâtonnier de l'ordre des avocats de demandes tendant notamment à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, à condamner la société au paiement de rappels de salaires correspondants du 1er juillet 2019 au 11 novembre 2020, de rattrapages d'intéressement et de participation ainsi que de bonus sur cette période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination et de rappel d'heures supplémentaires, à prononcer la nullité de son licenciement, à ordonner sa réintégration et à condamner la société au paiement d'une somme provisionnelle à titre d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes tendant à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, à fixer sa rémunération globale au niveau moyen des salariés situés au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, soit 7 112,50 euros mensuels bruts, à condamner la société au paiement de diverses sommes à titre de rappels de salaires correspondants entre cette date et le 11 novembre 2020, de rattrapages d'intéressement et de participation, de bonus correspondants sur la période et de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, et de la débouter de ses demandes tendant à ordonner sa réintégration et à condamner la société au paiement d'une somme provisionnelle au titre de l'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020, à parfaire au jour de la décision à intervenir, outre les augmentations moyennes individuelles et générales perçues par les salariés de la même catégorie ainsi que les avantages, primes et salaires de toute nature, alors « que la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu et que les dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail ne font pas obstacle à ce que le juge ordonne le reclassement d'un salarié victime de discrimination ; qu'en conséquence, lorsqu'il apparaît qu'un salarié a été privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination, ce dernier peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement au niveau de classification qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination ; qu'il appartient alors au juge de rechercher à quelle classification le salarié serait parvenu en l'absence de discrimination ; qu'en l'espèce, alors que Mme [R] demandait son repositionnement au grade de Senior Manager 1 au 1er juillet 2019, pour débouter la salariée de cette demande, la cour d'appel a relevé qu'il était justifié aux débats que le passage à ce grade nécessitait d'assurer le suivi commercial et technique des missions ainsi que la participation à la vie interne et l'encadrement d'une équipe et qu'aucun élément ne permettait d'affirmer que cette promotion était due à Mme [R] au 1er juillet 2019, date à laquelle elle se trouvait en congé maternité ; qu'en statuant par ces motifs inopérants, sans rechercher à quel grade la salariée serait parvenue en l'absence de discrimination, la cour d'appel a violé les dispositions des articles L. 1132-1, L. 1142-1 et L. 1134-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1132-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2020-760 du 22 juin 2020, et L. 1134-5 du code du travail et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

5. Selon le principe susvisé, la réparation intégrale d'un dommage oblige à placer celui qui l'a subi dans la situation où il se serait trouvé si le comportement dommageable n'avait pas eu lieu.

6. Il résulte des articles L. 1132-1 et L. 1134-5 du code du travail que le salarié privé d'une possibilité de promotion par suite d'une discrimination peut prétendre, en réparation du préjudice qui en est résulté dans le déroulement de sa carrière, à un reclassement dans le coefficient de rémunération qu'il aurait atteint en l'absence de discrimination et qu'il appartient au juge de rechercher à quel coefficient de rémunération le salarié serait parvenu sans la discrimination constatée.

7. Pour débouter la salariée de sa demande tendant à ordonner son repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, l'arrêt retient que le passage à ce grade nécessite d'assurer le suivi commercial et technique des missions ainsi que la participation à la vie interne et l'encadrement d'une équipe et qu'aucun élément ne permet d'affirmer que cette promotion était due à la salariée au 1er juillet 2019, date à laquelle elle se trouvait en congé de maternité.

8. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'ayant retenu que la salariée avait subi une discrimination en raison de son état de grossesse à compter du 2 mars 2018, date de son premier congé de maternité, se caractérisant notamment par une modification des modalités de son évaluation et une chute de sa rémunération, il lui incombait de rechercher à quel grade conventionnel la salariée serait parvenue sans la discrimination constatée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le moyen relevé d'office

9. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, l'article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne :

10. Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.

11. Il résulte des articles susvisés de la directive de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.

12. Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires.

13. Aux termes de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

14. Pour débouter la salariée de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que l'employeur soutient que la convention de forfait en jours est autorisée par l'avenant 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de deux cents dix-sept jours, que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contient l'ensemble des mentions légalement prévues et mettant en place les garanties suffisantes et que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours de la convention collective des avocats, qui est applicable au sein du cabinet, valide cette convention de forfait.

15. En statuant ainsi, alors que ni les dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail, alors applicable, à la convention collective des avocats salariés (cabinets d'avocats) du 17 février 1995, qui, dans le cas de forfaits en jours, se limitaient à prévoir, en premier lieu, que le nombre de journées ou demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document établi à la fin de l'année par l'avocat concerné et précisant le nombre de journées ou de demi-journées de repos pris, en second lieu, qu'il appartient aux salariés concernés de respecter les dispositions impératives ayant trait au repos quotidien et au repos hebdomadaire, le cabinet devant veiller au respect de ces obligations, ni les stipulations de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007 qui se bornent à prévoir qu'un suivi du temps de travail sera effectué pour tout collaborateur sur une base annuelle, que toutefois, autant que faire se peut, la direction cherchera à faire un point chaque trimestre et à attirer l'attention des collaborateurs dont le suivi présente un solde créditeur ou débiteur trop important afin qu'ils fassent en sorte de régulariser la situation au cours du trimestre suivant, ni les dispositions de l'avenant n° 15, à la convention collective des avocats salariés (cabinets d'avocats) du 17 février 1995, du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours, qui se bornent à prévoir que l'avocat doit organiser son travail pour ne pas dépasser onze heures journalières, sous réserve des contraintes horaires résultant notamment de l'exécution des missions d'intérêt public, que le nombre de journées ou de demi-journées de travail sera comptabilisé sur un document de contrôle établi à échéance régulière par l'avocat salarié concerné selon une procédure établie par l'employeur, que l'avocat salarié bénéficie annuellement d'un entretien avec sa hiérarchie portant sur l'organisation du travail, sa charge de travail, l'amplitude de ses journées d'activité, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale et sa rémunération, que l'employeur ou son représentant doit analyser les informations relatives au suivi des jours travaillés au moins une fois par semestre et que l'avocat salarié pourra alerter sa hiérarchie s'il se trouve confronté à des difficultés auxquelles il estime ne pas arriver à faire face, en ce qu'elles ne permettent pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, ne sont pas de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressé, et, donc, à assurer la protection de la sécurité et de la santé du salarié, ce dont elle aurait dû déduire que, sous réserve de l'application des dispositions de l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, la convention de forfait en jours était nulle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, alors « qu'il appartient à l'employeur qui conclut avec un salarié une convention individuelle de forfait en jours sur l'année de s'assurer régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail ; que l'accord collectif autorisant la conclusion de conventions individuelles de forfait en jours détermine les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ; que l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, au 9 août 2016 ne détermine pas ces modalités peut être poursuivie, sous réserve notamment que l'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ; qu'en l'espèce, pour débouter Madame [R] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du forfait jour et de sa demande subséquente en paiement d'heures supplémentaires, la Cour d'appel a relevé que la convention de forfait en jours était autorisée par l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail de la convention collective des avocats salariés dans la limite de 217 jours par an, que l'accord d'entreprise signé le 14 mai 2007 contenait l'ensemble des mentions légalement prévues et mettait en place les garanties suffisantes, que l'avenant n° 15 du 25 mai 2012 relatif au forfait annuel en jours de la convention collective des avocats salariés applicable au sein du cabinet validait cette convention de forfait et que conformément aux dispositions de la loi travail du 8 août 2016 la société employeur avait complété l'ensemble des dispositions conventionnelles par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail, et en a déduit qu'il était inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'avait été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle des salariés ; qu'en statuant ainsi sans rechercher si la charte des bonnes pratiques dont se prévalait la société employeur prévoyait des modalités d'évaluation et de suivi régulier de la charge de travail du salarié permettant notamment à l'employeur de s'assurer que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires, quand, ni les dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail à la convention collective des avocats salariés du 17 février 1995, ni les stipulations de l'accord d'entreprise relatif à l'organisation du temps de travail du 14 mai 2007 n'étaient de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail de l'intéressée, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles L. 3121-60, L. 3121-64 et L. 3121-65 du Code du travail ensemble de l'article 12 de la loi 6 n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 3121-60 et L. 3121-65 I du code du travail, l'article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

17. Aux termes du premier de ces textes, dont les dispositions sont d'ordre public, l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps de son travail.

18. Aux termes du deuxième, à défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle peut être valablement conclue sous réserve des dispositions suivantes :

1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;

2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;

3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.

19. Aux termes du troisième, l'exécution d'une convention individuelle de forfait en jours conclue sur le fondement d'une convention ou d'un accord de branche ou d'un accord d'entreprise ou d'établissement qui, à la date de publication de la présente loi, n'est pas conforme aux 1° à 3° du II de l'article L. 3121-64 du code du travail peut être poursuivie, sous réserve que l'employeur respecte l'article L. 3121-65 du même code. Sous ces mêmes réserves, l'accord collectif précité peut également servir de fondement à la conclusion de nouvelles conventions individuelles de forfait.

20. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires, l'arrêt retient que l'employeur a complété l'ensemble des dispositions conventionnelles applicables par une charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail et qu'il est inexact d'affirmer qu'aucun outil de contrôle de la charge de travail n'a été mis en place par l'employeur pour garantir le bon équilibre de la vie professionnelle et de la vie personnelle des salariés.

21. En statuant ainsi, par des motifs généraux impropres à caractériser que

la charte des bonnes pratiques en matière d'organisation du temps de travail était de nature à répondre aux exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail et que l'employeur avait effectivement exécuté son obligation de s'assurer régulièrement que la charge de travail de la salariée était raisonnable et permettait une bonne répartition dans le temps de son travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

22. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction entraîne la cassation du chef de dispositif condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

23. La cassation des chefs de dispositif déboutant la salariée de ses demandes de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, de ses demandes salariales subséquentes, de ses demandes de dommages-intérêts au titre de son préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et au titre de l'indemnité d'éviction et condamnant la société à payer à la salariée des dommages-intérêts pour licenciement nul et de sa demande en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celle-ci non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [R] de ses demandes en paiement d'une somme au titre des heures supplémentaires effectuées et non payées, de repositionnement au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, avec fixation de sa rémunération globale au niveau moyen des salariés situés au grade senior manager 1 au 1er juillet 2019, soit 7 112,50 euros mensuels bruts, de rappels de salaires correspondants entre cette date et le 11 novembre 2020, de rattrapage d'intéressement et de participation, ainsi que de bonus correspondants sur la période, de dommages-intérêts en réparation du préjudice financier lié à la discrimination, de réintégration et d'indemnité d'éviction à compter du 12 novembre 2020, à parfaire au jour de la décision à intervenir, outre les augmentations moyennes individuelles et générales perçues par les salariés de la même catégorie ainsi que les avantages, primes et salaires de toute nature et en ce qu'il condamne la société Ernst and Young à payer à Mme [R] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul, l'arrêt rendu le 22 juin 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 151 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ; article L. 3121-39 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, interprété à la lumière des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ; avenant n° 7 du 7 avril 2000, relatif à la réduction du temps de travail, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 ; avenant n° 15 du 25 mai 2012, relatif au forfait annuel en jours, à la convention collective nationale des cabinets d'avocats (avocats salariés) du 17 février 1995 ; accord d'entreprise du 14 mai 2007 relatif à l'organisation du temps de travail au sein d'Ernst and Young société d'avocats ; articles L. 3121-60 et L. 3121-65 du code du travail ; article 12 de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions de validité des conventions de forfait en jours au regard de la durée du travail et des repos, journaliers et hebdomadaires, à rapprocher : Soc., 8 novembre 2017, pourvoi n° 15-22.758, Bull. 2017, V, n° 191 (cassation partielle), et les arrêts cités. Sur les exigences de l'article L. 3121-65 du code du travail, à rapprocher : Soc., 10 janvier 2024, pourvoi n° 22-15.782, Bull., (rejet).

Soc., 24 avril 2024, n° 22-13.664, (B), FS

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 – Avenant n° 292 du 14 janvier 2014 relatif aux emplois d'EPS et d'APS – Article 1er – Congés – Domaine d'application – Professeur d'EPS travaillant dans un établissement du second degré – Etablissement du second degré – Définition – Exclusion – Cas – Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) – Portée

Selon l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 relatif aux emplois d'EPS et d'APS attaché à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, par dérogation aux dispositions de l'article 22 « Congés payés annuels » des dispositions permanentes et de l'article 6 « Congés payés annuels supplémentaires » de l'annexe n° 3, le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges, en fonction du calendrier scolaire de l'académie du lieu d'implantation de l'établissement.

Doit être approuvée, la cour d'appel qui, après avoir énoncé à bon droit que la qualification d'établissement secondaire ne pouvait reposer uniquement sur la prise en compte d'un critère d'âge des élèves et constaté qu'avait été conclu entre le directeur de l'école primaire privée institut scolaire éducatif et professionnel (ISEP) devenue institut thérapeutique et pédagogique (ITEP) et l'Etat un contrat simple concernant une école primaire privée, puis, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments produits, retenu que rien ne permettait de considérer que ce contrat avait pris fin et fait ressortir que les éléments versés par le salarié ne permettaient pas d'établir qu'un enseignement de second degré était dispensé au sein de l'ITEP, en a exactement déduit que la qualification d'établissement primaire ne pouvait valablement être remise en cause, en sorte que le salarié ne pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2014.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 20 janvier 2022), M. [B] a été engagé en qualité de professeur d'éducation physique et sportive par l'association Père Le Bideau le 1er septembre 2003.

2. Cette association gère un institut scolaire éducatif et professionnel (ISEP) "[4]" devenu institut thérapeutique et pédagogique (ITEP) accueillant des jeunes en difficulté.

3. La convention collective applicable est la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées du 15 mars 1966.

4. Le 13 février 2018, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes portant sur l'exécution du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de congés payés, alors :

« 1° / que selon l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 relatif aux emplois d'EPS et d'APS à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, ''Par dérogation aux dispositions de l'article 22 « Congés payés annuels » des dispositions permanentes et de l'article 6 « Congés payés annuels supplémentaires » de l'annexe n° 3, le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges, en fonction du calendrier scolaire de l'académie du lieu d'implantation de l'établissement'' ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que ''les dispositions conventionnelles qui attribuent expressément le bénéfice des congés scolaires aux seuls professeurs d'éducation physique et sportive travaillant dans les établissements du second degré, ne peuvent être étendues aux enseignants travaillant dans un autre type de structure, tel que l'ITEP [3] exploité par l'association APLB'' ; qu'en statuant ainsi, quand tous les professeurs d'éducation physique et sportive travaillant au sein des unités d'enseignement des établissements médico-sociaux relevant de la convention collective du 15 mars 1966 et dispensant un enseignement à des jeunes de 12 à 21 ans ont droit à une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS de l'Education nationale, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, ensemble l'article L. 112-1 du code de l'éducation ;

2°/ que l'article 1er de l'avenant n° 292 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées prévoit que le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges ; que les établissements du second degré scolarisent des enfants à partir de l'âge de 12 ans ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la qualification d'établissement du second degré ne dépendait pas que d'un critère d'âge des élèves, de sorte que l'ITEP [3] pouvait avoir la qualification d'école primaire alors même qu'il accueillait des jeunes de 12 ans à 21 ans ; qu'en statuant ainsi quand la qualification d'établissement du premier degré ne peut être retenue pour un établissement dispensant un enseignement à des jeunes de plus de 12 ans, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 à la convention collective, ensemble les articles L. 331-1, L. 332-2 et D. 311-10 du code de l'éducation ;

3°/ que le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges ; qu'en l'espèce, pour débouter M. [B] de sa demande de rappel de congés payés, la cour d'appel a retenu que « l'article 1er du contrat signé entre le préfet de la Charente et le directeur de l'école primaire privée ISEP de ''[4]'', désormais dénommée ITEP [3] stipule : ''Un contrat simple est conclu entre l'Etat et l'école primaire privée ISEP de « [4] » (...). Il est donc expressément fait référence à une école primaire'' ; qu'en s'appuyant sur un contrat datant de 1991 conclu pour l'ISEP qui ne gérait alors qu'une école primaire avec deux classes spécialisées, à une époque où l'ITEP [3], créé en 2008, n'existait pas encore, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à écarter la qualification d'établissement du second degré de l'ITEP [3], a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, ensemble les articles L. 331-1, L. 332-2 et D. 311-10 du code de l'éducation ;

4°/ que l'article 1er de l'avenant n° 292 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées prévoit que le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges ; qu'en l'espèce, en retenant que le fait qu'une collègue du salarié ait perçu en septembre 2018 une ''indemnité d'enseignement Segpa'' n'était ''pas plus pertinent pour remettre en cause la qualification retenue d'établissement primaire, telle qu'elle résulte de la convention conclue avec le préfet de la Charente'', quand, au contraire, le fait que des primes Segpa soient versées démontrait que l'établissement assurait un enseignement à des jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes et ne pouvait donc être un établissement du premier degré, la cour d'appel a violé l'article 1er de l'avenant n° 292 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, ensemble les articles L. 331-1, L. 332-2 et D. 311-10 du code de l'éducation ;

5°/ que le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges ; qu'en l'espèce, en retenant que ''l'ITEP [3] emploie des professeurs des écoles'', quand un professeur des écoles peut parfaitement enseigner dans le second degré, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 à la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, ensemble les articles L. 331-1, L. 332-2 et D. 311-10 du code de l'éducation. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 relatif aux emplois d'EPS et d'APS attaché à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, par dérogation aux dispositions de l'article 22 « Congés payés annuels » des dispositions permanentes et de l'article 6 « Congés payés annuels supplémentaires » de l'annexe n° 3, le professeur d'éducation physique et sportive travaillant dans un établissement du second degré bénéficie d'une durée de congés identique à celle dont bénéficient les professeurs d'EPS des lycées et collèges, en fonction du calendrier scolaire de l'académie du lieu d'implantation de l'établissement.

7. Après avoir énoncé à bon droit que la qualification d'établissement secondaire ne pouvait reposer uniquement sur la prise en compte d'un critère d'âge des élèves, la cour d'appel, qui a constaté qu'avait été conclu entre le directeur de l'école primaire privée ISEP "[4]" devenue ITEP [3] et l'Etat un contrat simple concernant une école primaire privée et qui, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments produits, a retenu que rien ne permettait de considérer que ce contrat avait pris fin et fait ressortir que les éléments versés par le salarié ne permettaient pas d'établir qu'un enseignement de second degré était dispensé au sein de l'ITEP, en a exactement déduit que la qualification d'établissement primaire ne pouvait valablement être remise en cause, en sorte que le salarié ne pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2014.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors « que le juge doit examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ces décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que ''les sanctions en date des 18 mars 2015 et 8 janvier 2016 n'ont pas été contestées en temps utile par M. [B] et ne peuvent donc être aujourd'hui utilement remises en cause par l'intéressé, tandis que l'avertissement du 2 mars 2018 prononcé pour un comportement inadapté et qui est d'ailleurs relatif à la réitération d'un comportement similaire, précédemment sanctionné le 8 janvier 2016, ne révèle, pas plus que l'avertissement annulé du 15 février 2016, le moindre lien avec des revendications salariales de M. [B]'' et en a conclu que ''ce fait invoqué par l'intimé n'est donc pas pertinent'' ; qu'elle a aussi relevé que M. [B] invoquait sur l'unique témoignage de Mme [I] avoir fait l'objet d'un traitement particulier, mais que cette attestation était imprécise et qu' ''aucun élément dans les pièces relatives à ces sanctions disciplinaires ne laisse supposer qu'elles aient été détournées de leur objet et aient eu pour objet ou effet de porter atteinte à la santé ou à la dignité du salarié'', de sorte que ce second fait invoqué par l'intimé n'était pas plus pertinent ; qu'en procédant ainsi à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié et en examinant pour chacun d'eux les éléments avancés par l'employeur pour les justifier, sans avoir préalablement recherché si, pris dans leur ensemble, ils ne laissaient pas présumer un harcèlement moral, de sorte que c'était à l'employeur de justifier qu'ils étaient étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail :

10. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, il appartient au juge d'examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d'apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral au sens de l'article L. 1152-1 du code du travail. Dans l'affirmative, il revient au juge d'apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

11. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt retient qu'en premier lieu, le salarié évoque le déroulement chronologique des sanctions prononcées à son encontre, qui établirait que l'employeur a entendu lui faire payer sa pugnacité sur ses demandes relatives au bénéfice des règles relatives à l'ancienneté ainsi que le bénéfice des congés basés sur les périodes scolaires. Il relève qu'outre le fait que l'examen des courriers échangés au sujet des dispositions conventionnelles relatives à l'ancienneté et aux congés ne met nullement en évidence d'agissements répétés destinés à déstabiliser le salarié au motif de revendications salariales qui au demeurant s'avèrent mal fondées, les sanctions en date des 18 mars 2015 et 8 janvier 2016 n'ont pas été contestées en temps utile par le salarié et ne peuvent donc être aujourd'hui utilement remises en cause, tandis que l'avertissement du 2 mars 2018 prononcé pour un comportement inadapté et qui est relatif à la réitération d'un comportement similaire, précédemment sanctionné le 8 janvier 2016, ne révèle, pas plus que l'avertissement annulé du 15 février 2016, le moindre lien avec des revendications salariales de l'intéressé. Il en conclut que ce fait n'est pas pertinent.

12. L'arrêt ajoute qu'en deuxième lieu, le salarié invoque l'attestation de Mme [I], en date du 6 décembre 2017, dans laquelle cette salariée affirme que son collègue a été sanctionné pour des postures professionnelles identiques à celles d'autres salariés et que la direction de l'époque a eu des positionnements différents selon les personnes. Il retient que le salarié affirme sur la base de cet unique témoignage avoir fait l'objet d'un traitement particulier. Il retient qu'outre le pouvoir d'individualisation des sanctions dont dispose l'employeur en dehors de toute discrimination, non invoquée en l'espèce, l'attestation est établie en termes généraux, sans la moindre précision tant sur les postures professionnelles des autres salariés que sur l'existence d'agissements répétés visant précisément le salarié, de nature à laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral perpétré sur la personne de ce dernier, tandis qu'outre l'absence de contestation dans les délais requis de deux sanctions sur quatre et de l'annulation d'un unique avertissement en date du 15 février 2016 sur le seul fondement de la règle non bis in idem, aucun élément dans les pièces relatives à ces sanctions disciplinaires ne laisse supposer qu'elles aient été détournées de leur objet et aient eu pour objet ou effet de porter atteinte à la santé ou à la dignité du salarié. Il en conclut que le fait invoqué par le salarié n'est donc pas plus pertinent.

13. L'arrêt ajoute encore qu'en troisième lieu, le salarié produit une attestation de M. [M], autre collègue de travail, qui indique que face à l'investissement du salarié dans son travail, il a trouvé déplacée l'obstination dont a fait preuve Mme [N] à son encontre, qu'il produit encore un certificat établi le 15 novembre 2017 par son médecin traitant, qui indique que l'intéressé a consulté à plusieurs reprises au cabinet pour des problèmes qu'il disait liés à un conflit au travail qu'il estimait être du harcèlement avec à la clé des arrêts de travail.

14. La cour d'appel a jugé que ces éléments de fait pouvaient laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral mais que toutefois en l'absence d'éléments précis visés dans les attestations, qu'il s'agisse de la teneur des avertissements téléphoniques le week-end, de celle des propos diffamatoires qui auraient été tenus concernant le salarié ou encore de la nature des « injonctions arbitraires » ou des manifestations d'une « obstination » dont le salarié aurait fait l'objet et alors qu'aucun lien de cause à effet ne pouvait être établi entre les doléances exprimées par l'intéressé auprès de son médecin traitant et un comportement inadapté de l'employeur, lequel produisait le compte rendu de la réunion exceptionnelle du comité social et économique central du 12 décembre 2019, à laquelle participaient des représentants de la direction et des salariés ainsi que le médecin du travail, l'inspectrice du travail et un représentant de la CARSAT, ayant conclu à l'absence de harcèlement suite à l'enquête interne mise en oeuvre, établissant ainsi que les agissements reprochés étaient étrangers à tout harcèlement moral.

15. Elle en a déduit que tous ces éléments, pris dans leur ensemble, conduisaient à rejeter la demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral.

16. En statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié et en examinant pour chacun d'eux les éléments avancés par l'employeur pour les justifier, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. La cassation du chef de dispositif se rapportant au harcèlement moral, n'emporte pas celle du chef de dispositif de l'arrêt condamnant l'association Père Le Bideau aux dépens, justifié par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [B] de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l'arrêt rendu le 20 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 1er de l'avenant n° 292 du 14 janvier 2004 relatif aux emplois d'EPS et d'APS attaché à la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

Soc., 24 avril 2024, n° 22-15.967, (B), FS

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Travail à temps partiel modulé – Accord collectif de modulation – Invalidation par le juge – Effets – Requalification en contrat de travail à temps complet (non)

L'invalidité de l'accord collectif prévu à l'article L. 3123-25 du code du travail, qui est une condition de recours, non au travail à temps partiel mais à la modulation de la durée de travail, n'emporte pas la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 mars 2022), Mme [H] a été engagée en qualité d'agent de service logistique par la maison de retraite [4], devenue l'association [5], aux droits de laquelle se trouve l'association [3], par un contrat de travail à durée déterminée du 3 janvier 2008. A compter du 1er mars 2008, la relation de travail s'est poursuivie en contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, conclu pour une durée hebdomadaire moyenne de travail de 24,50 heures réparties sur l'ensemble de l'année pour un nombre total d'heures de travail de 1274 heures.

2. Le 16 mars 2015, la salariée a saisi la juridiction prud'homale afin, notamment, d'obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein ainsi que le paiement de rappels de salaire et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

3. La salariée a été licenciée le 19 avril 2017.

Examen des moyens

Sur le second moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande en requalification de son emploi à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet et de ses demandes en paiement de rappels de salaire, congés payés afférents et dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « qu'aux termes de l'article L 3123-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 2 août 2008, une convention ou un accord collectif de travail étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail ; que cet accord doit prévoir des dispositions de nature à assurer la protection de la liberté du travail des salariés concernés et notamment : (6) les modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié, (7) les conditions et les délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié ; qu'il en résulte que le contrat de travail à temps partiel modulé conclu en l'absence d'un tel accord collectif ou en l'état d'un accord collectif nul comme ne comportant pas ces dispositions est illicite et doit être requalifié en contrat de travail à temps complet ; qu'en l'espèce la cour d'appel, pour débouter Mme [H] de sa demande tendant à voir requalifier son emploi à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, a énoncé : ''Parmi les motifs de sa demande de requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet, l'appelante invoque tout d'abord plusieurs moyens entraînant, selon elle, la nullité de l'accord collectif du 3 avril 2001 du fait de la violation des conditions posées à l'article L. 212-4-6 du code du travail. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, l'illicéité de l'accord collectif n'est pas de nature à entraîner « nécessairement et automatiquement » la requalification du contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet'' ; qu'en statuant de la sorte quand, en l'état de l'illicéité de l'accord collectif le prévoyant, faute de comporter les dispositions indispensables à la protection de la liberté du travail des salariés, le contrat de travail à temps partiel modulé était lui-même illicite et devait être requalifié en contrat de travail à temps complet, la cour d'appel a violé l'article L. 3123-25 du code du travail, ensemble les articles L. 1121-1 du code du travail et 5 du Préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, une convention ou un accord collectif étendu ou un accord d'entreprise ou d'établissement peut prévoir que la durée hebdomadaire ou mensuelle de travail d'un salarié à temps partiel peut varier dans certaines limites sur tout ou partie de l'année, à condition que, sur un an, la durée hebdomadaire ou mensuelle n'excède pas en moyenne la durée stipulée au contrat de travail.

7. Il en résulte que l'invalidité de l'accord collectif prévu à l'article L. 3123-25 du code du travail qui est une condition de recours, non au travail à temps partiel mais à la modulation de la durée de travail, n'emporte pas la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'il résulte de l'article L. 3123-25 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, applicable à l'espèce, qu'en cas de défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et des conditions et délais dans lesquels les horaires de travail lui sont notifiés par écrit, le contrat est présumé à temps complet et qu'il incombe à l'employeur qui conteste cette présomption de rapporter la preuve, d'une part, de la durée exacte hebdomadaire ou mensuelle convenue, d'autre part, que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à la disposition de l'employeur ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué, d'une part, que Mme [H], ''intégrée principalement dans l'équipe de nuit », était liée à l'association [5] par « un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel de 24,5 heures réparties sur l'ensemble de l'année pour un nombre total de 1274 heures, correspondant à 70 % d'un ETPT'', d'autre part que ''l'employeur ne justifie pas de la transmission à la salariée du programme indicatif de la répartition de la durée du travail annuelle, comme prévu à l'accord de branche ni de ce que ses horaires de travail étaient notifiés individuellement à Mme [H] un mois avant leur application, comme prévu au contrat de travail'' ; qu'en déboutant cependant la salariée de sa demande de requalification de la relation de travail en contrat de travail à temps complet aux termes de motifs inopérants pris de ce qu'elle avait pu exercer durant la journée d'autres activités, quand, faute de connaître le calendrier indicatif de l'année suivante et le nombre d'heures précis du mois suivant, la salariée était obligée de se tenir constamment à la disposition de l'employeur la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef l'article L. 3123-25 du code du travail, ensemble les articles L. 1121-1 du code du travail et 5 du Préambule de la Constitution de 1946. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 :

10. Il résulte de ce texte qu'en cas de défaut de respect des modalités selon lesquelles le programme indicatif de la répartition de la durée du travail est communiqué par écrit au salarié et des conditions et délais dans lesquels les horaires de travail sont notifiés par écrit au salarié, le contrat est présumé à temps complet et il incombe alors à l'employeur de rapporter la preuve que le salarié n'était pas placé dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu'il n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

11. Pour rejeter la demande en requalification du contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, l'arrêt, après avoir constaté que l'employeur ne justifiait ni de la transmission à la salariée du programme indicatif de la répartition de la durée du travail annuelle, comme prévu à l'accord de branche, ni de ce que ses horaires de travail lui étaient notifiés individuellement un mois avant leur application, comme prévu au contrat de travail, retient que l'employeur démontre que l'intéressée travaillait en parallèle pour le compte de particuliers à hauteur de six heures hebdomadaires depuis le mois d'août 2007 et, qu'au cours de la période du 1er septembre 2014 au 28 février 2015, elle avait travaillé pour trois autres employeurs.

12. Il en conclut que l'employeur établit que la salariée n'était pas placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle n'avait pas à se tenir constamment à sa disposition.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser que l'employeur faisait la preuve de ce que la salariée n'avait pas été placée dans l'impossibilité de prévoir à quel rythme elle devait travailler et qu'elle ne devait pas se tenir constamment à la disposition de l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute Mme [H] de ses demandes en requalification de son contrat de travail à temps partiel modulé en contrat de travail à temps complet, ainsi qu'en paiement d'un rappel de salaire subséquent, outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail et d'une indemnité de procédure et en ce qu'il la condamne aux dépens d'appel, l'arrêt rendu le 11 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 212-4-6, alinéas 1 à 10, devenu L. 3123-25, du code du travaildans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-789 du 20 août 2008.

Soc., 3 avril 2024, n° 22-15.784, (B), FS

Rejet

Négociation collective – Négociation obligatoire en entreprise – Entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives – Niveau de négociation – Détermination – Modalités – Accord collectif – Possibilité – Conditions – Domaine d'application – Entreprises comportant des établissements distincts – Portée

Il résulte de l'article L. 2242-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, et de l'article L. 2242-10 du même code qu'un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels la négociation obligatoire visée à l'article L. 2242-1 du code du travail est conduite.

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accord d'entreprise – Accord sur le niveau de négociation obligatoire – Possibilité – Conditions – Domaine d'application – Entreprises comportant des établissements distincts – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 24 février 2022), statuant en matière de référé, le groupe Spie a une activité de services multi-techniques dans les domaines de l'énergie et des communications.

La société Spie industrie et tertiaire (la société), issue de la fusion des cinq filiales multi-techniques régionales de ce groupe, est composée d'une division industrie, d'une division tertiaire et d'un centre de services partagés. Chacune des divisions dispose de sa propre direction générale et comprend un ou plusieurs établissements.

2. Un accord collectif de méthode sur la négociation des statuts collectifs au sein de la société a été signé, le 16 décembre 2019, par deux des trois organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, à l'exception du syndicat CGT, et notifié aux organisations syndicales le 19 décembre 2019.

Aux termes de cet accord de méthode, il est identifié trois périmètres de négociations portant sur les statuts collectifs, correspondant à l'organisation opérationnelle de la société, applicables aux salariés des établissements relevant des divisions industrie, tertiaire et centre de services partagés.

3. Le 21 septembre 2020, la société a engagé les négociations annuelles obligatoires au niveau de la division tertiaire, d'une part, et de la division industrie, d'autre part.

4. Par lettre du 15 octobre 2020, la Fédération nationale des salariés de la construction, du bois et de l'ameublement CGT (la fédération) a informé la société de son opposition au déroulement des négociations annuelles obligatoires à un niveau inférieur à celui de l'entreprise.

5. Le 19 octobre 2020, la société a répondu qu'elle maintenait les négociations sur les périmètres conventionnellement prévus.

Les négociations annuelles se sont poursuivies au niveau de chacune des divisions, sans la participation du syndicat CGT.

6. Le 15 septembre 2021, la fédération, invoquant un trouble manifestement illicite, a saisi le président du tribunal judiciaire aux fins d'ordonner à la société, sous astreinte, de convoquer les organisations syndicales représentatives à la négociation annuelle obligatoire au niveau de l'entreprise et d'obtenir sa condamnation à lui verser une provision au titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non-respect de l'obligation de négociation annuelle au niveau de l'entreprise.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. La fédération fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé et de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que la négociation annuelle obligatoire devant s'ouvrir au niveau de l'entreprise, elle ne peut être engagée par l'employeur au niveau d'un établissement si l'une des organisations syndicales représentatives à ce niveau s'y oppose ; qu'en jugeant le contraire, au motif erroné qu'un accord collectif d'entreprise majoritaire autorisant la négociation à un niveau inférieur à l'entreprise avait été conclu, quand il était constant que le syndicat CGT, représentatif et non signataire de l'accord majoritaire, s'était opposé à la négociation au niveau des établissements, la cour d'appel a violé l'article L. 2242-1, et, par fausse application, les articles L. 2242-10, L. 2242-11, L. 2232-11 et L. 2332-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article L. 2242-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d'organisations représentatives, l'employeur engage au moins une fois tous les quatre ans :

1° Une négociation sur la rémunération, notamment les salaires effectifs, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l'entreprise ;

2° Une négociation sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération, et la qualité de vie au travail.

9. Aux termes de l'article L. 2242-10 du même code, dans les entreprises mentionnées à l'article L. 2242-1, peut être engagée, à l'initiative de l'employeur ou à la demande d'une organisation syndicale de salariés représentative, une négociation précisant le calendrier, la périodicité, les thèmes et les modalités de négociation dans le groupe, l'entreprise ou l'établissement.

10. Il en résulte qu'un accord collectif négocié et signé aux conditions de droit commun peut définir, dans les entreprises comportant des établissements distincts, les niveaux auxquels la négociation obligatoire visée à l'article L. 2242-1 du code du travail est conduite.

11. En l'espèce, l'arrêt retient que l'accord collectif du 16 décembre 2019, intitulé « accord de méthode sur la négociation des statuts collectifs au sein de la société Spie industrie et tertiaire », lequel a expressément pour objet de déterminer « les modalités de négociation des accords collectifs de la société », identifie, en son article 1er relatif aux niveaux et périmètres des négociations, trois périmètres, en l'occurrence les périmètres tertiaire, industrie et centre de services partagés, la négociation portant pour chacun d'eux sur les statuts collectifs applicables aux salariés des établissements relevant de la division concernée et rattachés à leurs différents comités sociaux et économiques.

12. L'arrêt relève également que l'article 5 de cet accord précise les sujets de négociation, au nombre desquels figurent les négociations salariales ainsi que les négociations relatives à l'égalité professionnelle et la qualité de vie au travail, que les articles 2 et 7 fixent les modalités de désignation des délégués syndicaux habilités à représenter leurs organisations au niveau de chaque périmètre et subordonnent la validité d'un accord conclu à la double condition que les délégations syndicales représentatives signataires représentent au moins 50 % des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires aux comités sociaux et économiques de la société et qu'il soit formellement signé par le délégué syndical conventionnel dûment mandaté à cet effet.

13.L'arrêt relève enfin que l'accord de méthode du 16 décembre 2019 a été signé par la CFDT et la CFE-CGC, organisations syndicales dont il n'est pas contesté qu'aux dernières élections professionnelles elles étaient toutes les deux représentatives dans l'entreprise et que la CFE-CGC y était majoritaire.

14. La cour d'appel en a exactement déduit qu'en application de cet accord de méthode, les négociations annuelles obligatoires devaient être conduites au niveau de chacune des divisions, en sorte que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas caractérisée et qu'il n'y avait pas lieu à référé quant à la demande de la fédération de convoquer les organisations syndicales représentatives au niveau de l'entreprise, et que la demande provisionnelle de la fédération au titre d'un non-respect par la société de son obligation de négociation au niveau de l'entreprise ne pouvait être accueillie.

15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Cabinet Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Articles L. 2242-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2021-1018 du 2 août 2021, et L. 2242-10 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du niveau de négociation dans le cadre de la négociation obligatoire en entreprise, sous l'empire de dispositions antérieures, à rapprocher : Soc., 21 mars 1990, pourvoi n° 88-14.794, Bull. 1990, V, n° 139 (cassation). Sur la possibilité de déterminer, par un accord collectif d'entreprise, le niveau des négociations obligatoires ou le niveau de consultation du comité social et économique, à rapprocher : Soc., 2 mars 2022, pourvoi n° 20-16.002, Bull., (2) (cassation partielle sans renvoi) ; Soc., 9 mars 2022, pourvoi n° 20-19.974, Bull., (cassation sans renvoi).

Soc., 3 avril 2024, n° 22-16.937, (B), FRH

Cassation

Usages et engagements unilatéraux – Engagement unilatéral – Engagement unilatéral à durée déterminée – Cessation des effets au terme fixé – Information des salariés et des représentants du personnel – Employeur – Obligation (non)

Un engagement unilatéral à durée déterminée cesse de produire effet au terme fixé sans que l'employeur soit tenu de procéder à l'information des salariés concernés et des représentants du personnel.

Déchéance du pourvoi soulevée en défense

Vu les articles 978 et 654, alinéa 2, du code de procédure civile :

1. Il résulte du premier de ces textes qu'à peine de déchéance du pourvoi, le mémoire en demande doit être signifié au défendeur n'ayant pas constitué avocat au plus tard dans le mois suivant l'expiration du délai de quatre mois à compter du pourvoi.

2. Selon le second, la signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet.

3. La société La Poste (La Poste) a formé, le 27 mai 2022, un pourvoi contre un arrêt rendu le 31 mars 2022 par la cour d'appel de Versailles dans une affaire l'opposant au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail du site de [Localité 4] (le CHSCT). Elle a déposé, le 27 septembre 2022, au greffe de la Cour de cassation, un mémoire ampliatif qu'elle a fait signifier le 11 octobre 2022 au CHSCT. Celui-ci soulève la nullité de cette signification faite à M. [I], responsable des ressources humaines, et non à son représentant expressément désigné au cours de la procédure.

4. Toutefois, le procès-verbal de signification à personne morale mentionne que copie de l'acte a été remise à M. [I], employé, qui a déclaré être habilité à recevoir l'acte.

La signification pouvait, dans ces circonstances, être faite à personne, sans que le commissaire de justice n'ait à vérifier l'exactitude de cette déclaration.

5. Il en résulte que le mémoire ampliatif a été valablement signifié dans les délais requis, que la déchéance du pourvoi n'est pas encourue et que le mémoire en défense, déposé après l'expiration du délai prévu par l'article 982 du code de procédure civile, n'est pas recevable.

Faits et procédure

6. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 mars 2022), statuant en matière de référé, dans le contexte de la mise en oeuvre de réorganisations successives de l'activité postale pour faire face à la crise sanitaire consécutive à l'épidémie de Covid-19,

La Poste a organisé une réunion le 1er septembre 2020, dont l'ordre du jour était l'information du CHSCT « sur l'évolution des mesures de prévention mises en place, dans le cadre de l'organisation transitoire, à compter du 28 septembre 2020 ». Souhaitant de nouveau faire évoluer l'organisation du travail au sein de l'établissement de [Localité 4],

La Poste a informé le CHSCT, le 11 janvier 2021, de la tenue d'une réunion le 19 janvier suivant, avec pour ordre du jour la consultation des élus sur la « présentation de l'organisation [Localité 4] du 23 février 2021 ».

Au cours de cette réunion, s'estimant insuffisamment informés, les membres du CHSCT ont décidé de recourir à une expertise confiée au cabinet Cedaet.

La Poste a informé le CHSCT de la tenue d'une réunion de consultation le 11 mars 2021, date de restitution du rapport d'expertise, et dont l'ordre du jour était la « présentation de l'organisation de [Localité 4] du 23 février 2021 ».

7. Par acte d'huissier de justice délivré le 11 mars 2021, le CHSCT et le syndicat Sud postaux 95 ont saisi le président du tribunal judiciaire aux fins d'obtenir principalement qu'il soit fait interdiction à La Poste de mettre en oeuvre son projet d'évolution de l'organisation du site de [Localité 4] avant le 28 septembre 2022.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

8. La Poste fait grief à l'arrêt d'ordonner la suspension de la mise en oeuvre du projet de réorganisation du site de [Localité 4] jusqu'au 28 septembre 2022, alors :

« 1°/ que la norme issue d'une manifestation de volonté claire et non équivoque de l'employeur ne constitue pas un usage d'entreprise mais un engagement unilatéral obligatoire dans les conditions fixées par cet engagement ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu à l'appui de sa décision que : ''La société La Poste produit un Bulletin ressources humaines du 28 mars 2013 intitulé « méthode de conduite du changement : alerte sociale », valable du 22 janvier 2013 au 21 janvier 2016, qui rappelle que : « pour tous les projets impactant l'organisation et le fonctionnement des services, (...) Un délai de 2 années entières doit impérativement s'écouler entre deux projets consécutifs.'' Ces dispositions ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : ''les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises.

Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020.'' Si la société La Poste indique qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020 mentionnée dans le bulletin des ressources humaines précité, elle ne justifie cependant d'aucune démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique. Or, cet engagement est général, constant et fixe, puisqu'il est appliqué de façon ininterrompue a minima depuis 2013 et c'est à juste titre que les intimés indiquent qu'il peut être qualifié d'usage, auquel il ne peut être mis fin qu'après information des représentants du personnel, information des salariés concernés de manière individuelle et après un délai de prévenance suffisant » ; qu'en retenant la qualification d'usage quand il ressortait de ses propres constatations que l'obligation de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations ne procédait pas d'une pratique mais bien d'une manifestation de volonté explicite de l'employeur expressément reconduite à l'arrivée du terme par engagement exprimé au bulletin des ressources humaines de La Poste, la cour d'appel a violé les articles 1103 et 1104 du code civil ;

2°/ que l'engagement unilatéral n'est obligatoire que dans les conditions qu'il a fixées ; que l'engagement unilatéral à durée déterminée prend fin à la date fixée pour son expiration, sauf manifestation par l'employeur de sa volonté de le reconduire ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que les dispositions du BRH de La Poste l'engageant à respecter un délai de deux ans minimum entre deux réorganisations ''ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises.

Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020'' ; qu'en rejetant cependant, pour déclarer que la méconnaissance de cet engagement unilatéral caractérisait un trouble manifestement illicite, le moyen pris par La Poste de ce ''... qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020 mentionnée dans le bulletin des ressources humaines précité'', motif pris de l'absence de « démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique » pour en déduire que ''La Poste reste tenue de son engagement unilatéral de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations'' quand l'engagement unilatéral avait pris fin de plein droit et sans formalité à la date de son expiration le 31 décembre 2020, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses propres constatations, a violé derechef les dispositions susvisées. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1103 et 1104 du code civil :

9. En vertu du premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

10. Selon le second, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

11. Pour ordonner la suspension de la mise en oeuvre du projet de réorganisation du site de [Localité 4] jusqu'au 28 septembre 2022, l'arrêt énonce que La Poste produit un « bulletin ressources humaines » du 28 mars 2013 intitulé « méthode de conduite du changement : alerte sociale », valable du 22 janvier 2013 au 21 janvier 2016, qui rappelle que : « pour tous les projets impactant l'organisation et le fonctionnement des services, (...) Un délai de deux années entières doit impérativement s'écouler entre deux projets consécutifs ».

12. L'arrêt ajoute que ces dispositions ont été prorogées par la suite, jusqu'au bulletin du 20 décembre 2019 qui expose : « les dispositions du BRH du 28 mars 2013 relatives à la méthode de conduite du changement et l'alerte sociale ont été prorogées à plusieurs reprises.

Le présent BRH reconduit ses mesures dans leur intégralité jusqu'au 31 décembre 2020 ».

13. L'arrêt relève que si La Poste indique qu'aucune note de service ne prévoit la prolongation de son engagement unilatéral postérieurement à la date du 31 décembre 2020, elle ne justifie cependant d'aucune démarche de nature à informer ses salariés de la fin de cette pratique.

14. L'arrêt retient que cet engagement est général, constant et fixe, puisqu'il est appliqué de façon ininterrompue a minima depuis 2013, en sorte qu'il peut être qualifié d'usage, auquel il ne peut être mis fin qu'après information des représentants du personnel, information des salariés concernés de manière individuelle et après un délai de prévenance suffisant.

15. L'arrêt en déduit que, dès lors qu'il est constant qu'aucune de ces formalités n'a été respectée,

La Poste reste tenue de son engagement unilatéral de respecter un délai de deux ans entre deux réorganisations.

16. En statuant ainsi, alors qu'un engagement unilatéral à durée déterminée cesse de produire effet au terme fixé sans que l'employeur soit tenu de procéder à l'information des salariés concernés et des représentants du personnel et qu'il résultait de ses constatations que l'obligation de respecter un délai de deux années entre deux projets concernant l'organisation et le fonctionnement des services était prévue par le bulletin ressources humaines du 28 mars 2013, successivement reconduit jusqu'au bulletin ressources humaines du 20 décembre 2019 ayant mis un terme à cet engagement au 31 décembre 2020, ce dont il résultait que La Poste pouvait mettre en oeuvre un projet de réorganisation en février 2021, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la troisième branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Articles 1103 et 1104 du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.