Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2024

PRESCRIPTION CIVILE

2e Civ., 25 avril 2024, n° 22-16.197, (B), FRH

Rejet

Prescription biennale – Sécurité sociale – Accident du travail – Reconnaissance – Article L. 431-2 du code de la sécurité sociale – Interruption – Délai – Point de départ – Cas

Il résulte des articles L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue, pour le premier, de l'ordonnance n° 2004-329 du 15 avril 2004, qu'en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription biennale opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire de la victime ou de ses ayants droit commence à courir à compter de la date de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière. Le délai de prescription est interrompu par l'exercice de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident et ne recommence à courir qu'à compter de la date de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.

En raison de l'indépendance des rapports entre la caisse et la victime, d'une part, et de ceux entre la caisse et l'employeur, d'autre part, l'exercice par ce dernier d'une action aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle, qui est sans incidence sur la décision de reconnaissance de son caractère professionnel à l'égard de la victime, n'interrompt pas le délai de la prescription biennale de l'action exercée par la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 avril 2022), la caisse primaire d'assurance maladie du Rhône (la caisse) a pris en charge le 30 mars 2012, au titre de la législation professionnelle, l'accident dont a été victime, le 8 septembre 2011, Mme [S] (la victime), salariée de la société [6] (l'employeur), et a fixé à 4 % le taux d'incapacité permanente de la victime à la date de consolidation du 12 novembre 2012.

2. L'employeur a saisi une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale d'un recours en inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident.

3. Après être intervenue volontairement, le 21 août 2013, à l'instance initiée par l'employeur, la victime a formé une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur le 2 mars 2016.

4. La Fédération [5] est intervenue volontairement, au soutien des demandes de la victime.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La victime fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, alors « que, en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription de deux ans opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire est interrompue par l'exercice de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident, un nouveau délai de deux ans recommençant à courir à compter de la reconnaissance définitive de ce caractère ; qu'en l'espèce, pour déclarer prescrite l'action de la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, l'arrêt attaqué a retenu que l'instance engagée par lui aux fins de se voir déclarer inopposable la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle était sans incidence sur les droits de la salariée ; qu'en statuant ainsi, quand l'action de l'employeur visait à remettre en cause le caractère professionnel de l'accident et que le délai de prescription biennale ne pouvait recommencer à courir qu'à compter de la reconnaissance définitive de ce caractère, la cour d'appel a violé les articles L. 431-2 et L. 452-1 et suivants du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

7. Il résulte des articles L. 431-2 et L. 452-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue, pour le premier, de l'ordonnance n° 2004-329 du 15 avril 2004, applicable au litige, qu'en cas d'accident susceptible d'entraîner la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la prescription biennale opposable aux demandes d'indemnisation complémentaire de la victime ou de ses ayants droit commence à courir à compter de la date de l'accident ou de la cessation du paiement de l'indemnité journalière.

Le délai de prescription est interrompu par l'exercice de l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident et ne recommence à courir qu'à compter de la date de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident.

8. En raison de l'indépendance des rapports entre la caisse et la victime, d'une part, et de ceux entre la caisse et l'employeur, d'autre part, l'exercice par ce dernier d'une action aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle, qui est sans incidence sur la décision de reconnaissance de son caractère professionnel à l'égard de la victime, n'interrompt pas le délai de la prescription biennale de l'action exercée par la victime en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

9. Ayant énoncé à bon droit que la contestation par l'employeur du caractère professionnel de l'accident était sans incidence sur la prise en charge dont bénéficiait la victime depuis le 30 mars 2012, la cour d'appel a exactement retenu que le délai de prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur n'avait pas été interrompu, de sorte que cette action, engagée par la victime le 2 mars 2016, plus de deux ans après la cessation du paiement des indemnités journalières du 12 novembre 2012, était prescrite.

10. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Lerbret-Féréol - Avocat général : Mme Tuffreau - Avocat(s) : SARL Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article L. 431-2 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-329 du 15 avril 2004 ; article L. 452-1 du code de la sécurité sociale.

Soc., 24 avril 2024, n° 23-11.824, (B), FS

Cassation partielle

Prescription triennale – Article L. 3245-1 du code du travail – Domaine d'application – Indemnité compensatrice de préavis – Demande en paiement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 10 mars 2022), M. [C] a été engagé en qualité de ferrailleur par la société de travail temporaire Adequat intérim 029 et mis à la disposition de la société Lagarrigue par trois contrats de mission des 29 au 31 mars 2017, 31 mars au 7 avril 2017, 8 au 14 avril 2017.

2. Le 7 février 2019, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification des contrats de mission en contrat à durée indéterminée et en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et d'une indemnité de préavis outre congés payés afférents.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal du salarié en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la demande du salarié en paiement de dommages-intérêts pour licenciement abusif

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait ce grief à l'arrêt, alors « que l'action en requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée introduite par le salarié contre l'entreprise de travail temporaire se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; que par l'effet de la requalification des contrats de mission, le salarié est réputé avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier ; que dès lors, le droit au paiement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement nul, ou dépourvu de cause réelle et sérieuse en conséquence de la rupture du contrat à durée indéterminée ainsi requalifié naît au jour de cette requalification et est soumis à la même prescription que l'action en requalification elle-même ; qu'en l'espèce, il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que M. [C] a saisi conseil de prud'hommes d'Arles par requête du 7 février 2019 d'une action en requalification en contrat à durée indéterminée des contrats de mission successifs conclus avec la société Adéquat 029, dont le dernier avait expiré le 14 avril 2017 ; que la cour d'appel a accueilli cette action et prononcé la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée à défaut de transmission de ces contrats au salarié dans les délais légaux ; que cependant, elle a déclaré irrecevables les demandes du salarié en paiement d'indemnités de rupture et dommages et intérêts pour licenciement nul en conséquence de cette requalification, aux motifs que « le délai de prescription des demandes de M. [C] qui portent sur la rupture de son contrat de travail a commencé à courir, pour une durée de deux années, à compter du 14 avril 2017, date de rupture. Ce délai, alors en cours, a été interrompu le 24 septembre 2017, pour être transformé en un délai de douze mois qui a commencé à courir à compter de cette date, pour expirer le 24 septembre 2018.

L'action ayant été engagée le 7 février 2019, les demandes de M. [C] doivent être déclarées irrecevables comme prescrites » ; qu'en statuant de la sorte quand les demandes de M. [C], consécutives à la requalification et nées au jour de celle-ci, étaient soumises à la même prescription que l'action en requalification elle-même dont elles n'étaient pas divisibles, la cour d'appel a violé l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, ensemble le principe actioni non natae non praescribitur. »

Réponse de la Cour

5. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement de dommages-intérêts en raison d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse, fût-elle due à la requalification de contrats de mission en contrat à durée indéterminée, est soumise à la prescription de l'article L. 1471-1 du code du travail se rapportant à la rupture du contrat de travail.

6. Selon l'article L. 1471-1 alinéa 2 du code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.

7. Selon l'article 40 II de ladite ordonnance, les dispositions réduisant à douze mois le délai de prescription de l'action portant sur la rupture du contrat de travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 23 septembre 2017, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

8. La cour d'appel, après avoir relevé que la relation de travail avait pris fin le 14 avril 2017, en a exactement déduit que, l'action ayant été engagée le 7 février 2019, la demande en paiement de dommages-intérêts du salarié en raison d'un licenciement abusif était irrecevable comme étant prescrite.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

10. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu l'article L. 3245-1 du code du travail :

11. La durée de la prescription étant déterminée par la nature de la créance invoquée, l'action en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents, qui a la nature d'une créance salariale, est soumise à la prescription triennale prévue par l'article L. 3245-1 du code du travail.

12. Aux termes de cet article, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

13. Pour dire que la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents était irrecevable, l'arrêt retient qu'aux termes de l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

L'arrêt ajoute que ce délai a été réduit à douze mois par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 s'agissant des actions portant sur la rupture du contrat de travail, que l'article 40 de cette ordonnance dispose que ces nouvelles dispositions s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de publication de la présente ordonnance, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

14. La cour d'appel en a déduit que le délai de prescription des demandes du salarié qui portaient sur la rupture de son contrat de travail avait commencé à courir, pour une durée de deux années, à compter du 14 avril 2017, date de la rupture, que ce délai, alors en cours, avait été interrompu le 24 septembre 2017, pour être transformé en un délai de douze mois qui avait commencé à courir à compter de cette date, pour expirer le 24 septembre 2018 et que l'action ayant été engagée le 7 février 2019, les demandes du salarié devaient être déclarées irrecevables comme prescrites.

15. En statuant ainsi, alors que la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents, à caractère salarial, se prescrit par trois ans et que le délai, qui avait commencé à courir le 14 avril 2017, avait été interrompu par la saisine de la juridiction prud'homale le 7 février 2019 en sorte que la demande n'était pas prescrite, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident,

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis outre congés payés afférents et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 10 mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : M. Halem - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L.1471-1 du code du travail ; article L. 3245-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la prescription de demandes de nature salariale formulées dans le cadre d'une action en requalification de contrats précaires en contrat à durée indéterminée, à rapprocher : Soc., 16 décembre 2015, pourvoi n° 14-15.997, Bull. 2015, V, n° 271 (cassation partielle sans renvoi). Sur le caractère salarial de la demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis, à rapprocher : Soc., 16 décembre 2015, pourvoi n° 14-15.997, Bull. 2015, V, n° 271 (cassation partielle sans renvoi).

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