Numéro 4 - Avril 2024

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2024

AVOCAT

1re Civ., 24 avril 2024, n° 22-24.667, (B), FS

Rejet

Exercice de la profession – Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle – Assemblée générale – Délibération – Nullité – Participation et vote d'un tiers n'ayant pas la qualité d'associé

Il résulte des articles 1844, 1844-10, alinéa 3, et 1871-1 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat que seuls les associés d'une association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle (AARPI) peuvent participer aux décisions collectives, et que la participation d'une personne n'ayant pas cette qualité à une assemblée générale au cours de laquelle a été prise une telle décision constitue une cause de nullité de cette assemblée générale.

Exercice de la profession – Association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle – Nature – Société créée de fait – Régime juridique – Société en participation – Société dépourvue de personnalité morale – Avance de fonds par un associé – Possibilité

Il résulte des articles 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 que l'associé d'une AARPI peut consentir des avances de fonds au profit de l'indivision des associés de l'AARPI.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 octobre 2022), le 26 septembre 2018, Mme [D], avocate au sein de l'association d'avocats à responsabilité professionnelle individuelle Judisis avocats (l'AARPI), a notifié son retrait aux deux autres membres de l'association, M. [E] et Mme [K].

2. Le 19 octobre 2018, Mme [D] a conclu avec Mme [T] une convention de présentation de clientèle.

3. Le 6 novembre 2018, l'assemblée générale extraordinaire de l'AARPI a pris acte de son retrait au 31 décembre 2018.

4. Le 13 mars 2019, M. [E] a saisi le bâtonnier d'une réclamation déontologique et d'une demande d'arbitrage à l'égard de Mme [D].

5. Le 21 mai 2019, l'assemblée générale de l'AARPI s'est réunie afin d'arrêter les comptes de l'association au 31 décembre 2018.

6. Le 23 mai 2019, Mme [D] a formé des demandes reconventionnelles relatives à ses droits financiers et à la désignation d'un expert-comptable afin qu'il établisse le bilan au 31 décembre 2018 de l'AARPI.

7. Une sentence arbitrale du 29 janvier 2021 a fixé les « créances de l'AARPI à l'encontre de Mme [D] » et celles de cette dernière « à l'encontre de l'AARPI », sursis à statuer sur les demandes en paiement, désigné un expert aux fins de déterminer, conformément aux dispositions des statuts de l'AARPI, les « droits sociaux » de Mme [D] et rejeté les autres demandes des parties.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

9. Mme [D] fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI du 21 mai 2019 et de confirmer la sentence arbitrale du 29 janvier 2021 en ce qu'elle a fixé « les créances de l'AARPI » à son encontre et en ce qu'elle a rejeté les autres demandes, alors :

« 1°/ que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives ; qu'en l'espèce, pour rejeter la demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, la cour d'appel, après avoir relevé que Mme [D] était associée de l'AARPI Judisis avocats jusqu'au 31 décembre 2018, a estimé que Mme [D] avait « fait délibérément le choix de ne pas participer [à l'assemblée générale du 21 mai 2019] et par conséquent de ne pas utiliser son droit de vote » ; que la cour d'appel a également énoncé, pour confirmer la sentence arbitrale en ce qu'elle a mis à la charge de Mme [D] un excédent de prélèvement, « qu'associée jusqu'au 31 décembre 2018, Mme [D] a librement choisi de ne pas participer à l'assemblée générale du 22 mai 2019 ayant approuvé les comptes des exercices 2015 à 2018. Elle ne saurait ni reprocher à l'assemblée générale d'avoir approuvé ces comptes de manière rétroactive ni remettre en cause les montants arrêts » ; qu'en statuant ainsi cependant que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives et qu'il résultait de ses propres constatations que Mme [D] n'avait plus la qualité d'associé au 21 mai 2019, date à laquelle s'est tenue l'assemblée générale, la cour d'appel a violé l'article 1844 du code civil ;

2°/ que le juge doit répondre aux conclusions des parties, et examiner, serait-ce sommairement, les éléments de preuve soumis à son examen ; que, dans ses conclusions d'appel, Mme [D] faisait valoir, pour solliciter l'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, que ces délibérations résultaient d'une fraude et d'un abus de droit ; qu'au-delà des actes de malveillance auxquels elle avait dû faire face et de la procédure arbitrale engagée à son encontre par Me [E] pour répondre à une demande d'un montant dérisoire de 444 euros qu'elle avait formulée, Mme [D] se prévalait du caractère purement artificiel et frauduleux des prétendus « état des dettes et créances de l'AARPI Judisis avocats au 31.12.2018 » et du « bilan de sortie de Mme [G] [D] au 31.12.2018 » approuvés lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019 ; que Mme [D] soutenait que « le caractère frauduleux de cette assemblée ressort[ait] (...) du fait que le prétendu « bilan de sortie » ne fai[sait] état que des dettes de Mme [D] et ne di[sai]t mot sur la part des encours de l'AARPI Judisis auxquels Mme [D] [avait] droit en vertu de l'article 14 de la Convention d'association » ; qu'elle faisait également valoir que « M. [E] a[vait] produit des pièces incomplètes, erronées et mensongères (tantôt en HT et en TTC en fonction de ce qui l'arrange[ait]) qui [étaient] contredites non seulement par les pièces de Mme [D] mais également par les pièces juridiques et comptables de l'AARPI pour minimiser la dette de l'AARPI à l'encontre de Mme [D]" ; qu'elle produisait notamment pour en justifier, outre le procès-verbal d'assemblée générale en date du 22 mai 2019 et les statuts de l'AARPI Judisis avocats, les tableaux adressés par M. [E] dans son courrier du 2 octobre 2019 et le facturier de l'AARPI Judisis avocats du 1er janvier 2014 au 17 décembre 2018 ; qu'en déboutant Mme [D] de sa demande d'annulation des délibérations prises lors de l'assemblée générale de l'AARPI Judisis avocats du 21 mai 2019, sans répondre à ces moyens opérants des conclusions d'appel de Mme [D] ni examiner les éléments de preuve qui étaient portés devant elle, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

10. En premier lieu, il résulte des articles 1844, 1844-10, alinéa 3, et 1871-1 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat que seuls les associés d'une AARPI peuvent participer aux décisions collectives et que la participation d'une personne n'ayant pas cette qualité à une assemblée générale au cours de laquelle a été prise une telle décision constitue une cause de nullité de cette assemblée générale.

11. C'est donc à tort que la cour d'appel a retenu qu'était justifiée la convocation de Mme [D], associée jusqu'au 31 décembre 2018, à l'assemblée générale du 21 mai 2019, ayant pour objet d'arrêter les comptes au 31 décembre 2018, et qu'elle lui a opposé son choix de ne pas y participer et de ne pas exercer son droit de vote.

12. Cependant l'arrêt n'encourt pas pour autant la censure.

En effet, Mme [D] est sans intérêt à critiquer le rejet de sa demande d'annulation des délibérations prises lors de cette assemblée générale, dès lors que les créances ont été fixées par le bâtonnier au vu des éléments soumis par les parties et qu'une expertise a été ordonnée pour analyser les factures, établir les comptes entre les parties et, le cas échéant, aboutir à une régularisation de ceux approuvés par les délibérations de cette assemblée générale que les associés ont accepté de remettre en cause.

13. En second lieu, en retenant que Mme [D] ne soumettait aucun élément objectif de nature à démontrer la fraude alléguée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les pièces qu'elle décidait d'écarter, a répondu aux conclusions prétendument délaissées.

14. Par conséquent, le moyen ne peut être accueilli.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

15. Mme [D] fait grief à l'arrêt de confirmer la sentence arbitrale du 29 janvier 2021 en ce qu'elle a fixé « les créances de l'AARPI » à son encontre et en ce qu'elle a rejeté les autres demandes des parties, alors « qu'aux termes de l'article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et de l'article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007, l'avocat peut exercer sa profession au sein d'une association ; que l'association d'avocats est dépourvue de la personnalité morale et donc de patrimoine propre ; qu'en considérant, pour déclarer recevables comme non prescrites les demandes formées par M. [E] portant sur les sommes de 30 334,30 euros, 16 504,5 euros et 13 602,47 euros correspondant respectivement à « une participation au remboursement du compte courant d'associé de M. [E] », à « un remboursement du compte courant débiteur de Mme [D] à l'issue des exercices 2015-2018 » et à « une participation aux dettes de l'association à la date du départ de Mme [D] », que ces sommes ont été mises à la disposition de la trésorerie de l'association par M. [E], pour en déduire que cette mise à disposition de la trésorerie de l'association « correspond strictement à la définition d'un compte courant », la cour d'appel, qui a ainsi considéré que l'AARPI Judisis avocats disposait d'un patrimoine propre, a violé les dispositions susvisées, ensemble l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

16. Il résulte des articles 1871 à 1873 du code civil et 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 qu'une AARPI est une société créée de fait qui est soumise au régime des sociétés en participation et qui n'a pas la personnalité morale.

Aux termes de l'article 1871-1 du même code, à moins qu'une organisation différente n'ait été prévue, les rapports entre associés sont régis, en tant que de raison, par les dispositions applicables aux sociétés civiles, si la société a un caractère civil.

17. Il s'en déduit que l'associé d'une AARPI peut consentir des avances de fonds au profit de l'indivision des associés de l'AARPI.

18. En retenant que l'association était dépourvue de personnalité juridique et de trésorerie propre et que M. [E] avait mis à disposition de l'indivision des associés de l'AARPI des sommes qu'il avait facturées, la cour d'appel n'a pas admis l'existence d'un patrimoine propre de l'association.

19. Le moyen, qui critique en réalité une simple impropriété de termes, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Champalaune - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SARL Le Prado - Gilbert ; SCP Gaschignard, Loiseau et Massignon -

Textes visés :

Articles 1871 à 1873 du code civil ; article 124 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.

2e Civ., 4 avril 2024, n° 22-17.123, (B), FS

Rejet

Honoraires – Contestation – Convention d'abonnement – Cas – Factures de l'avocat ne comportant pas le détail des diligences effectuées – Effet

Les honoraires forfaitaires payables périodiquement en application d'une convention d'abonnement conclue entre un avocat et son client doivent faire l'objet d'une facturation conforme à l'article L. 441-3, devenu L. 441-9, du code de commerce.

Par suite, est légalement justifiée la décision du premier président d'une cour d'appel de réduire, par application de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, le montant des honoraires payés par le client sur la base de factures, émises en vertu d'un contrat d'abonnement, ne comportant pas de précision sur la date et le contenu des actes ou consultations effectués par l'avocat.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 1er avril 2022), la société Hôtel Montmartrois (la société) a confié la défense de ses intérêts à la société Conseil et audit juridique et fiscal (la société Caujufi), avocat. Une convention d'abonnement a été conclue en mai 2016 prévoyant un honoraire annuel payable mensuellement et d'avance pour des prestations énumérées de conseil et consultation dans les domaines commercial, fiscal et social, incluant notamment une réunion mensuelle ayant pour objet de faire le point sur la situation juridique, fiscale et sociale de la société.

2. Des factures mensuelles au titre de cette convention d'abonnement ont été payées par la société.

3. Le 13 mai 2019, celle-ci a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau du Val-de-Marne en contestation des honoraires facturés pour les années 2016 et 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. La société Caujufi fait grief à l'ordonnance de fixer le montant des honoraires qui lui sont dus par la société à la seule somme de 10 860 euros et de la condamner à restituer à cette dernière la somme de 83 940 euros TTC, alors « que sauf dénonciation anticipée ou remise en cause de la validité d'une convention conclue sous la forme d'un contrat d'abonnement à durée déterminée pour des prestations précises moyennant le versement d'un honoraire forfaitaire, le juge de l'honoraire ne peut réduire lesdits honoraires forfaitaires d'abonnement payés par le client, peu important que les factures périodiques émises au titre du contrat d'abonnement ne détaillent pas les diligences effectivement réalisées ; qu'en retenant néanmoins, pour la condamner à restituer à la société partie des honoraires d'abonnement perçus en 2016 et jusqu'au mois de novembre 2017 en application de la convention d'honoraires du 2 mai 2016 prévoyant le paiement d'honoraires forfaitaires sous forme d'un abonnement prenant effet au 1er mai 2016 pour finir à pareille époque en 2017, que les factures au titre de ce contrat d'abonnement ne comportaient pas de précision sur la date et le contenu des actes effectués et que les diligences n'étaient que partiellement justifiées, la juridiction du premier président a violé l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, ensemble l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

6. Le montant de l'honoraire librement payé après service rendu ne peut être réduit par le bâtonnier et le premier président, dès lors qu'il a été payé en toute connaissance de cause et sur présentation de factures répondant aux exigences de l'article L. 441-3, devenu L. 441-9, du code de commerce.

7. Si, selon le troisième alinéa de l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, des honoraires forfaitaires payables périodiquement peuvent être convenus entre un avocat et son client, l'avocat reste tenu de délivrer pour chaque période concernée une facture conforme à l'article L. 441-9 susvisé.

8. Ayant relevé que les factures d'honoraires forfaitaires mensuelles se bornaient à faire référence au contrat d'abonnement, sans précision sur la date et le contenu des actes et consultations effectués par l'avocat, le premier président, qui a fait ressortir que ces factures ne répondaient pas aux exigences de cet article, peu important que la convention, en vertu de laquelle elles avaient été émises, ait énuméré les diligences susceptibles d'être réalisées au titre de l'abonnement, en a exactement déduit que le montant des honoraires réclamés sur leur fondement pouvait être réduit en considération des diligences effectuées.

9. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel - Rapporteur : Mme Chauve - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 441-3, devenu L. 441-9, du code de commerce ; article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

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