Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

SECURITE SOCIALE, ASSURANCES SOCIALES

2e Civ., 6 avril 2023, n° 21-15.038, (B), FS

Cassation

Maladie – Prestations – Maintien – Période – Bénéficiaire d'un revenu de remplacement au titre de l'assurance chômage – Influence – Détermination – Portée

Il résulte, d'une part, des articles L. 161-8 et R. 161-3 du code de la sécurité sociale que les personnes qui cessent de remplir les conditions pour relever du régime général de la sécurité sociale ou des régimes qui lui sont rattachés, bénéficient, à compter de la date à laquelle ces conditions ne sont plus remplies, du maintien de leur droit aux prestations des assurances maladie, maternité, invalidité et décès pendant une période qui, pour ce qui concerne les prestations en espèces, est fixée à douze mois.

Il résulte, d'autre part, de l'article L. 311-5 du même code que la personne qui perçoit l'une des allocations ou l'un des revenus de remplacement énumérés par ce texte conserve la qualité d'assuré social et bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès dont elle relevait antérieurement.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui rejette la demande en restitution de l'indu d'indemnités journalières présentée par une caisse alors qu'il résultait de ses constatations que la période de maintien des droits de l'assuré aux prestations en espèces consécutive à la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail le 3 décembre 2010 était expirée à la date à compter de laquelle il avait été indemnisé au titre de l'assurance chômage le 27 juillet 2012.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 25 mars 2021), la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde (la caisse) a notifié à M. [K] (l'assuré) un indu d'indemnités journalières versées au titre de l'assurance maladie au cours de la période du 20 août 2015 au 22 février 2016.

2. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en remboursement des indemnités journalières, alors « que selon l'article L. 311-5 du code de la sécurité sociale, une personne indemnisée au titre de l'assurance chômage conserve la qualité d'assuré et bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire d'assurance maladie dont elle relevait antérieurement ; qu'à ce titre, elle ne peut prétendre à des droits dont elle n'était plus titulaire au jour où elle a commencé à être indemnisée au titre de l'assurance chômage ; qu'en reconnaissant au profit de l'assuré un droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie sur le fondement de l'article L. 311-5, quand ils constataient pourtant que suite à sa perte d'emploi survenue le 3 décembre 2010, l'assuré avait bénéficié du maintien de son droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie jusqu'au 5 décembre 2011 en application des articles L. 161-8 et R. 161-3 du code de la sécurité sociale et ainsi qu'au jour où il a commencé à être indemnisé au titre de l'assurance chômage, soit le 27 juillet 2012, l'assuré n'était plus titulaire d'un droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie, les juges du fond ont violé l'article L. 311-5 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles L. 161-8 et R. 161-3 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 161-8, alinéa 1er, L. 311-5 et R. 161-3 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable à la date d'ouverture des droits aux prestations litigieuses :

4. Aux termes du premier de ces textes, les personnes qui cessent de remplir les conditions pour relever, soit en qualité d'assuré, soit en qualité d'ayant droit, du régime général ou des régimes qui lui sont rattachés, bénéficient, à compter de la date à laquelle ces conditions ne sont plus remplies, du maintien de leur droit aux prestations des assurances maladie, maternité, invalidité et décès pendant des périodes qui peuvent être différentes selon qu'il s'agit de prestations en nature ou de prestations en espèces.

5. En application du troisième, cette période est fixée à douze mois en ce qui concerne les prestations en espèces.

6. Selon le deuxième, toute personne percevant l'une des allocations ou l'un des revenus de remplacement qu'il énumère, conserve la qualité d'assuré social et bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire d'assurance maladie, maternité, invalidité et décès dont elle relevait antérieurement.

7. Pour considérer que l'assuré bénéficie du maintien de ses droits aux prestations du régime obligatoire d'assurance maladie dont il relevait lors de la dernière cessation d'activité, l'arrêt relève qu'à la suite de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail à son initiative le 3 décembre 2010, il a bénéficié du maintien de ses droits à l'assurance maladie jusqu'au 5 décembre 2011. Il relève que le conseil de prud'hommes a ultérieurement considéré, par jugement du 14 mars 2012, que la prise d'acte produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sorte que l'assuré a pu être indemnisé au titre de l'assurance chômage à compter du 27 juillet 2012. Il retient que cette décision a conféré à l'assuré le statut de chômeur indemnisé, lui permettant de percevoir des indemnités journalières pendant sa période d'arrêt maladie du 20 août 2015 au 22 février 2016.

8. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la période de maintien de ses droits aux prestations en espèces était expirée à la date à laquelle l'assuré avait été indemnisé au titre de l'assurance chômage, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Taillandier-Thomas (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Labaune - Avocat général : M. Gaillardot - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles L. 161-8, R. 161-3 et L. 311-5 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 8 novembre 2012, pourvoi n° 10-28.378, Bull. 2012, II, n° 184 (cassation).

2e Civ., 6 avril 2023, n° 21-19.603, (B), FRH

Rejet

Vieillesse – Pension – Liquidation – Modalités – Principe de l'intangibilité des pensions de retraite – Application – Conventionnalité – Atteinte à l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la CEDH (non)

Les dispositions des articles D. 634-1 du code de la sécurité sociale, pris sur le fondement de l'article L. 634-2 du même code et 5 du règlement du régime complémentaire d'assurance vieillesse des indépendants, artisans, industriels et commerçants, approuvé par arrêté du 9 février 2012, en tant qu'elles excluent la prise en considération, pour le calcul de la pension de retraite de base et de la pension de retraite complémentaire, des cotisations d'assurance vieillesse acquittées par les travailleurs indépendants après la date d'entrée en jouissance de la pension, même lorsqu'elles se rapportent à une période antérieure à cette entrée en jouissance, constituent une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ce régime.

Toutefois, cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne, accessibles, précises et prévisibles, poursuit un motif d'intérêt général dès lors qu'elle contribue à assurer l'intangibilité des droits à pension liquidés.

En outre, le défaut de prise en compte des cotisations payées par les travailleurs indépendants après la liquidation du droit à pension, qu'elles se rapportent à une période postérieure ou à une période antérieure à la date d'arrêt des comptes, ménage un juste équilibre entre les intérêts en présence en ce qu'il neutralise les effets sur le montant de la pension de l'annualité des cotisations d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants, que ces effets soient favorables ou défavorables à l'assuré.

Il en résulte que les dispositions litigieuses ne portent pas une atteinte excessive au droit à pension, garanti par l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, au regard du but d'intérêt légitime qu'elles poursuivent.

Vieillesse – Pension – Liquidation – Révision – Exclusion – Cas – Versements postérieurs à la date de l'arrêt du compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à pension

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2021), M. [N] (l'assuré), affilié au régime de sécurité sociale des travailleurs indépendants depuis 2004, a sollicité auprès de la caisse du régime social des indépendants d'Ile-de-France Est, aux droits de laquelle vient la Caisse nationale d'assurance vieillesse (la caisse), la liquidation de ses droits à pension de retraite.

La caisse lui a notifié ses droits à retraite de base et complémentaire à effet au 1er juillet 2014.

2. Contestant les modalités de calcul de ses droits, l'assuré a saisi d'un recours une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deux dernières branches

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs, la troisième branche étant irrecevable et la deuxième n'étant manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. L'assuré fait grief à l'arrêt de rejeter son recours, alors « que l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales implique, lorsqu'une personne est assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif, un rapport raisonnable de proportionnalité exprimant un juste équilibre entre les exigences de financement du régime de retraite considéré et les droits individuels à pension des cotisants ; que le mode de calcul des droits à pension dans les régimes d'assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles et commerciales issu de l'article R. 351-10 du code de la sécurité sociale, rendu applicable par l'article D. 634-1 du même code, et de l'article 5 du règlement du régime complémentaire d'assurance vieillesse des indépendants approuvé par arrêté du 9 février 2021, en ce qu'il exclut la possibilité, pour les travailleurs non-salariés de ces professions, de prendre en compte les cotisations d'assurance vieillesse versées pour les périodes antérieures à l'entrée en jouissance de la pension, postérieurement au dernier jour du trimestre civil précédant la date de cette entrée en jouissance, portant une atteinte excessive au droit de propriété des assurés affiliés à ces régimes en considération du but qu'il poursuit et ne ménageant pas un juste équilibre entre les intérêts en présence, la cour d'appel, en faisant application de ces dispositions pour juger que la caisse nationale d'assurance vieillesse était légitime à ne retenir au titre de l'année 2013, pour le calcul de la pension de l'assuré, que les seules cotisations provisionnelles versées avant le 1er juillet 2014, à l'exclusion des cotisations de régularisation exigibles au 5 novembre 2014 versées par l'assuré, a violé l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Ces dispositions ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

6. Le droit individuel à pension d'une personne assujettie à titre obligatoire à un régime de retraite à caractère essentiellement contributif constitue un intérêt patrimonial substantiel entrant dans le champ d'application des dispositions susvisées, qui impliquent un rapport raisonnable de proportionnalité, exprimant un juste équilibre entre ce droit individuel et le droit reconnu aux Etats de réglementer sa mise en oeuvre conformément à l'intérêt général.

7. L'article R. 351-1 du code de la sécurité sociale prévoit que les droits à l'assurance vieillesse sont déterminés en tenant compte des cotisations versées au titre de la législation sur les assurances sociales et arrêtées au dernier jour du trimestre civil précédant la date prévue pour l'entrée en jouissance de la pension, rente ou allocation de solidarité aux personnes âgées.

8. Selon l'article R. 351-10 du même code, la pension ou la rente liquidée dans les conditions prévues aux articles R. 351-1 à R. 351-9 n'est pas susceptible d'être révisée pour tenir compte des versements afférents à une période postérieure à la date à laquelle a été arrêté le compte de l'assuré pour l'ouverture de ses droits à l'assurance vieillesse dans les conditions définies à l'article R. 351-1.

9. L'article R. 351-11 du même code prévoit, toutefois, qu'il est tenu compte, pour l'ouverture du droit et le calcul des pensions de vieillesse prévues aux articles L. 351-1, L. 351-7 et L. 352-1, de toutes les cotisations d'assurance vieillesse versées pour les périodes antérieures à la date d'entrée en jouissance de la pension, quelle que soit la date de leur versement.

10. L'article D. 634-1 du code de la sécurité sociale, pris sur le fondement de l'article L. 634-2 du même code, rend applicables, en matière d'assurance vieillesse, aux travailleurs indépendants, les dispositions des articles R. 351-1 et R. 351-10 mais il exclut l'application à ce régime de celles de l'article R. 351-11.

11. Par ailleurs, l'article 5 du règlement du régime complémentaire d'assurance vieillesse des indépendants, artisans, industriels et commerçants, approuvé par arrêté du 9 février 2012, prévoit de la même manière que les cotisations afférentes à des périodes antérieures à la date d'arrêt du compte, versées au régime d'assurance vieillesse complémentaire obligatoire après cette date d'arrêt du compte, ne sont pas productives de droits.

12. Ces deux dernières dispositions, en tant qu'elles excluent la prise en considération, pour le calcul de la pension de retraite de base et de la pension de retraite complémentaire, des cotisations d'assurance vieillesse acquittées par les travailleurs indépendants après la date d'entrée en jouissance de la pension, même lorsqu'elles se rapportent à une période antérieure à cette entrée en jouissance, constituent une ingérence dans le droit de propriété des assurés affiliés à ce régime en portant atteinte à la substance de leurs droits à pension.

13. Cette ingérence, qui repose sur des dispositions légales et réglementaires de droit interne, accessibles, précises et prévisibles, poursuit un motif d'intérêt général dès lors qu'elle contribue à assurer l'intangibilité des droits à pension liquidés.

14. En outre, le défaut de prise en compte des cotisations payées par les travailleurs indépendants après la liquidation du droit à pension, qu'elles se rapportent à une période postérieure ou à une période antérieure à la date d'arrêt des comptes, ménage un juste équilibre entre les intérêts en présence en ce qu'il neutralise les effets sur le montant de la pension de l'annualité des cotisations d'assurance vieillesse des travailleurs indépendants, que ces effets soient favorables ou défavorables à l'assuré, de sorte que les dispositions litigieuses ne portent pas une atteinte excessive au droit fondamental garanti au regard du but d'intérêt légitime qu'elles poursuivent.

15. Ayant constaté que la pension de retraite de l'assuré avait pris effet au 1er juillet 2014 et que des cotisations de régularisation pour l'année 2013, exigibles au 5 novembre 2014, avaient été versées par celui-ci après la date d'entrée en jouissance de la pension, la cour d'appel en a exactement déduit que la caisse était fondée à ne retenir, pour le calcul des droits à pension de l'assuré, que les seules cotisations provisionnelles versées pour l'année 2013 avant la date d'entrée en jouissance de la pension.

16. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Taillandier-Thomas (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 634-2 et D. 634-1 du code de la sécurité sociale ; article 1er du Protocole additionnel n°1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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