Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

RESPONSABILITE DU FAIT DES PRODUITS DEFECTUEUX

1re Civ., 19 avril 2023, n° 21-23.726, (B), FRH

Cassation partielle

Domaine d'application – Rapports avec les autres régimes de responsabilité – Garantie des vices cachés – Atteinte au produit vendu – Applications diverses

Il se déduit des articles 1386-2, devenu 1245-1, et 1641 du code civil que la responsabilité du producteur peut être recherchée, d'une part, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au titre du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, d'autre part, sur le fondement de la garantie des vices cachés au titre notamment du dommage qui résulte d'une atteinte au produit qu'il a vendu.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Sunpower Energy Solutions France du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre les sociétés Smac, Engie et Tyco Electronics France.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Versailles, 28 mai 2019, 18 mai 2020 et 9 septembre 2021), en 2009, la société GDF Suez, devenue la société Engie, a confié la réalisation d'une centrale de production d'électricité photovoltaïque à la société Smac. Celle-ci a acquis des panneaux photovoltaïques à la société Tenesol, aux droits de laquelle vient la société Sunpower Energy Solutions France (la société Sunpower), qui avait assemblé les connecteurs fabriqués et fournis par la société Tyco Electronics Logistics AG, devenue la société TE Connectivity Solution (la société TE Connectivity).

3. Après la mise en service de l'installation en 2010, des interruptions de production d'électricité sont survenues.

4. Après avoir obtenu une expertise judiciaire attribuant ces désordres aux connecteurs, la société Engie a assigné les sociétés Smac, Sunpower et TE Connectivity en réparation de ses préjudices sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et de la garantie des vices cachés.

5. La société TE Connectivity a été condamnée sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux à payer à la société Engie une indemnité en réparation de son préjudice immatériel consécutif à la défectuosité des connecteurs et la société Smac, garantie par la société Sunpower, a été condamnée à réparer, sur le fondement de la garantie des vices cachés, le préjudice matériel subi par la société Engie à la suite de la dépose et la repose des panneaux photovoltaïques et des connecteurs.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident éventuel

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa première branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. La société Sunpower fait grief à l'arrêt du 28 mai 2019, tel que complété par l'arrêt du 18 mai 2020 et interprété par l'arrêt 9 septembre 2021, de rejeter l'appel en garantie formé contre la société TE Connectivity, alors « que le régime de la garantie du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra-contractuelle reposant sur des fondements différents, tels que la garantie des vices cachés ; qu'en écartant l'appel en garantie formé par l'exposante à l'encontre de la société TE Connectivity au motif que les conditions de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient réunies à son égard et que ce fondement était exclusif de tout autre et au motif, ajouté par l'arrêt du 9 septembre 2021, que sa responsabilité ne pouvait être recherchée que [lire « ne pouvait pas être recherchée »] sur le fondement de la garantie des vices cachés, quand la circonstance que la société TE Connectivity ait vu sa responsabilité engagée à l'égard de l'acquéreur final sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux n'excluait pas qu'elle puisse être déclarée tenue de garantir le vendeur intermédiaire sur le fondement de la garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé l'article 1386-2, devenu 1245-1, et 1641 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1386-2, devenu 1245-1, et 1641 du code civil :

8. Selon le premier de ces textes, les dispositions relatives à la responsabilité du fait des produits défectueux s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, sans préjudice de l'application des dispositions de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil.

9. Aux termes du second, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix.

10. Il s'en déduit que la responsabilité du producteur peut être recherchée, d'une part, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux au titre du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même, d'autre part, sur le fondement de la garantie de vices cachés au titre notamment du dommage qui résulte d'une atteinte au produit qu'il a vendu.

11. Pour rejeter l'appel en garantie formé par la société Sunpower contre la société TE Connectivity, l'arrêt du 28 mai 2019, complété par l'arrêt du 18 mai 2020 et interprété par l'arrêt du 9 septembre 2021, retient que, dès lors que la responsabilité de cette société a été retenue sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux et que ce fondement est exclusif de tout autre, sa responsabilité ne peut être recherchée sur un autre fondement et notamment celui de la garantie des vices cachés.

12. En statuant ainsi, alors que le fait que la société TE Connectivity, fournisseur, ait été déclarée responsable à l'égard de la société Engie, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux n'excluait pas qu'elle puisse être déclarée tenue de garantir la société Sunpower, vendeur intermédiaire, sur le fondement de la garantie des vices cachés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il rejette la demande de condamnation de la société TE Connectivity Solution à garantir la société Tenesol, devenue la société Sunpower Energy Solutions France, et statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile entre ces deux sociétés, l'arrêt rendu le 28 mai 2019 complété par l'arrêt du 18 mai 2020 et interprété par l'arrêt du 9 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Duval-Arnould (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Articles 1386-2, devenu 1245-1, et 1641 du code civil.

Com., 13 avril 2023, n° 20-17.368, (B), FS

Rejet

Producteur – Applications diverses – Gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité

Le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1, du code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 février 2020), le 28 juillet 2010, des dysfonctionnements sont apparus sur des appareils électriques équipant une agence de la société Cafpi, qu'une expertise amiable a attribué à une surtension provoquée par une rupture du circuit neutre du réseau de distribution.

2. La société Aviva assurances (la société Aviva) a partiellement indemnisé la société Cafpi.

3. Le 27 mai 2015, soutenant que les dommages étaient imputables à la société Enedis, les sociétés Cafpi et Aviva l'ont assignée en indemnisation sur le fondement des articles 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et L. 121-12 du code des assurances.

La société Enedis, faisant valoir que seules les règles de la responsabilité du fait des produits défectueux étaient applicables, leur a opposé la prescription triennale de leur action.

4. Par un arrêt du 10 novembre 2021, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 2 et de l'article 3, § 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999 (la directive 85/374/CEE).

5. La CJUE a répondu à la question préjudicielle par un arrêt du 24 novembre 2022 (CJUE, arrêt du 24 novembre 2022, Cafpi et Aviva assurances, C-691/21).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Les sociétés Cafpi et Aviva font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable, comme prescrite, leur action en responsabilité du fait des produits défectueux, alors « que selon l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante ; que selon l'article 1386-3, devenu 1245-2 du même code, l'électricité est considérée comme un produit ; qu'en retenant la qualité de producteur de la société Enedis cependant que celle-ci, en sa qualité de gestionnaire du réseau électrique, est chargée de transporter et de distribuer l'électricité en provenance du producteur de celle-ci et que sa seule intervention sur la puissance de l'énergie transportée ne fait pas d'elle le producteur d'un produit fini nouveau, « l'électricité distribuée », distinct de l'électricité qui lui est ainsi fournie, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 1386-6, devenu 1245-5, du code civil, ensemble l'article 1386-3, devenu 1245-2, du même code. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article 2 de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, pour l'application de cette directive, le terme « produit » désigne également l'électricité et, selon l'article 3, § 1, le terme « producteur » désigne le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première ou le fabricant d'une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

8. La directive 85/374/CEE a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 aux articles 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17, du code civil.

9. Aux termes de l'article 1386-3, devenu 1245-2, du code civil, l'électricité est considérée comme un produit et, aux termes de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1, du même code, est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante.

10. Répondant à la question préjudicielle précitée, la CJUE a dit pour droit :

« L'article 3, § 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 1999, doit être interprété en ce sens que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme étant un « producteur », au sens de cette disposition, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final. »

11. Elle a, à cet effet, précisé qu'un gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité ne se limite pas à livrer de l'électricité, mais participe au processus de sa production en modifiant une de ses caractéristiques, à savoir sa tension, en vue de la mettre en état d'être offerte au public aux fins d'être utilisée ou consommée (point 45).

12. Il en résulte que le gestionnaire d'un réseau de distribution d'électricité doit être considéré comme un « producteur », au sens de l'article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1, du code civil, dès lors qu'il modifie le niveau de tension de l'électricité en vue de sa distribution au client final.

13. Le moyen, qui postule le contraire, n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

14. Les sociétés Cafpi et Aviva font le même grief à l'arrêt, alors « que le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extra contractuelle, pourvu que ceux-ci reposent sur des fondements différents de celui d'un défaut de sécurité du produit litigieux, tels notamment la faute ; qu'en retenant, pour statuer comme elle l'a fait, que la localisation de la surtension et la rupture du neutre étaient une question distincte relevant de la question du lien de causalité entre le défaut de sécurité du produit et le dommage cependant qu'il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ces éléments, tels que constatés par les experts, n'étaient pas de nature à caractériser un manquement de la société Enedis à ses obligations et à entraîner sa responsabilité contractuelle, exclusive du régime de prescription propre à la responsabilité du fait des produits défectueux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1386-6, devenu 1245-5 et 1386-17, devenu 1245-16, du code civil, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

15. Il résulte de l'article 1386-18, devenu 1245-17, du code civil, que, si le régime de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas l'application d'autres régimes de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, c'est à la condition que ceux-ci reposent sur des fondements différents.

16. Ayant retenu, en premier lieu, que l'électricité constitue au sens de l'article 1386-3 du code civil un produit, en deuxième lieu, qu'il était établi que le dommage était consécutif à une surtension, liée elle-même à une rupture du neutre du réseau de distribution triphasé d'[Enedis], en troisième lieu, que cette surtension était constitutive d'un défaut de sécurité, ce dont elle a déduit que le litige ressortait du seul régime de la responsabilité pour produits défectueux, dès lors que l'action était dirigée contre Enedis, qui est un producteur, en raison d'un défaut de sécurité du produit litigieux, la cour d'appel, qui a ainsi exclu que le manquement invoqué à l'obligation de résultat d'entretien des branchements du réseau constitue un fondement distinct du défaut du produit en cause et procédé à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Bellino - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 1386-6, devenu 1245-5, alinéa 1, du code civil.

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