Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

Soc., 20 avril 2023, n° 23-40.003, (B), FS

QPC - Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Travail réglementation, durée du travail – Liberté syndicale – Action en justice du syndicat dans l'intérêt collectif de la profession – Action pour la régularisation de droits personnels des salariés – Participation à la détermination collective des conditions de travail et à la gestion des entreprises – Principe de responsabilité – Caractères nouveau et sérieux – Défaut – Non-lieu à renvoi au Conseil constitutionnel

Faits et procédure

1. La société Valljet (la société) est une compagnie d'aviation de plus de cinquante salariés opérant sur des vols courts, moyens et longs courriers.

2. Invoquant une violation de la législation relative à la durée du travail, au temps de vol et de repos du personnel navigant, le syndicat national des pilotes de ligne France Alpa (le syndicat) a fait assigner, le 26 mars 2021, la société devant le tribunal judiciaire aux fins notamment de lui faire interdiction d'établir la planification des vols des personnels navigants techniques en application de l'article D. 422-2 du code des transports et de lui enjoindre, sous astreinte, d'établir les plannings de vols des personnels navigants techniques garantissant le respect des temps de service de vol maximum, le respect des temps d'arrêt visés aux articles D. 422-5-1 du code de l'aviation civile et L. 6525-4 du code des transports, le respect de la planification et de la durée des astreintes, et de procéder à la régularisation, sous forme monétaire, des droits des personnels navigants techniques concernés, correspondant aux jours de repos dont ils auraient été privés jusqu'à la date de signification du jugement à intervenir.

3. Par ordonnance du 7 avril 2022, statuant sur incident, le juge de la mise en état a, pour l'essentiel, rejeté la fin de non-recevoir relative à la demande de régularisation des droits des salariés de la société sous forme monétaire, dit que la demande relative à l'irrecevabilité de la demande du syndicat d'enjoindre à la société d'établir les plannings selon les temps de vol, temps de repos et temps de service en vigueur est une exception d'incompétence, déclaré la société irrecevable à soulever une telle exception et renvoyé l'affaire pour les conclusions au fond.

4. La société a, le 2 mai 2022, interjeté appel de cette ordonnance et a fait valoir que les demandes du syndicat, en ce qu'elles tendaient à la régularisation des prétendus droits des salariés, étaient nécessairement irrecevables dès lors que la Cour de cassation avait jugé (Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189, publié au Bulletin), sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail, que, si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, au regard des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, de prise des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait ou résultant de l'utilisation de droits affectés à un compte épargne-temps, sa demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits, ce qui implique de déterminer, pour chacun d'entre eux, le nombre exact de jours de repos que l'employeur a utilisés au titre des mesures dérogatoires, qui n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, n'est pas recevable.

5. Le syndicat a déposé, le 6 septembre 2022, une requête aux fins de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

6. Le procureur général près la cour d'appel de Rennes a été avisé le 9 septembre 2022 de la question prioritaire de constitutionnalité proposée et a exprimé son avis le 18 octobre 2022.

Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité

7. Par arrêt du 2 février 2023, la cour d'appel de Rennes a transmis une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :

« L'interprétation par la Cour de cassation de l'article L. 2132-3 du code du travail porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ainsi qu'aux alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution de 1958 ? »

8. Toutefois, la question posée par le syndicat dans son mémoire distinct est : « L'application de l'article L. 2132-3 du code du travail, dans la portée effective que lui confère l'arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet 2022 (Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189, publié au Bulletin) est-elle conforme à la liberté syndicale, à la liberté pour tout travailleur de participer à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises et au principe de responsabilité, tels que définis, protégés et garantis par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? »

9. Si la question peut être reformulée par le juge à l'effet de la rendre plus claire ou de lui restituer son exacte qualification, il ne lui appartient pas d'en modifier l'objet ou la portée. Dans une telle hypothèse, il y a lieu de considérer que la Cour de cassation est régulièrement saisie et se prononce sur le renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité telle qu'elle a été soulevée dans le mémoire distinct produit devant la juridiction qui l'a transmise.

Examen de la question prioritaire de constitutionnalité

10. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne l'action engagée par le syndicat en se prévalant de l'intérêt collectif de la profession pour demander d'enjoindre à la société de régulariser sous forme monétaire des droits personnels des salariés que l'employeur n'aurait pas respectés.

11. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

12. Cependant, d'une part, la question posée, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

13. D'autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

14. D'abord, la disposition contestée, telle qu'interprétée de façon constante par la Cour de cassation (en dernier lieu : Soc., 6 juillet 2022, pourvoi n° 21-15.189, publié au Bulletin), dont il résulte que, si un syndicat peut agir en justice pour contraindre un employeur à mettre fin à un dispositif irrégulier, au regard des articles 2 et 4 de l'ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020, de prise des jours de repos acquis au titre de la réduction du temps de travail ou d'une convention de forfait ou résultant de l'utilisation de droits affectés à un compte épargne-temps, sa demande tendant à obtenir que les salariés concernés soient rétablis dans leurs droits, ce qui implique de déterminer, pour chacun d'entre eux, le nombre exact de jours de repos que l'employeur a utilisés au titre des mesures dérogatoires, qui n'a pas pour objet la défense de l'intérêt collectif de la profession, n'est pas recevable, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale consacrée par l'alinéa 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ni à l'alinéa 8 du même préambule sur le droit à la participation de tout travailleur à la détermination collective des conditions de travail, dont elle concilie l'exercice avec le respect de la liberté personnelle des salariés et de leur droit d'agir en justice, lesquels ont valeur constitutionnelle.

15. En effet, le Conseil constitutionnel a jugé (Cons. const., 25 juillet 1989, décision n° 89-257 DC, Loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion), que les modalités de mise en oeuvre des prérogatives reconnues aux organisations syndicales doivent respecter la liberté personnelle du salarié qui, comme la liberté syndicale, a valeur constitutionnelle et que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action.

16. Ensuite, la disposition contestée ne méconnaît pas le principe de responsabilité découlant de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que les salariés concernés peuvent agir individuellement pour obtenir réparation et qu'il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 25 septembre 2013, pourvoi n° 11-27.693, Bull. 2013, V, n° 206) que le délai de prescription de l'action en paiement de créances salariales ne commence à courir qu'à compter de l'issue de la procédure engagée par un syndicat devant la juridiction civile ayant mis les salariés en mesure de connaître le statut collectif applicable.

17. En conséquence, il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Sommer - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Alinéas 6 et 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; article L. 2132-3 du code du travail.

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