Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Com., 5 avril 2023, n° 21-20.905, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Cautionnement – Mention manuscrite relative à la solidarité de l'article L. 341-3 du code de la consommation – Défaut – Formule prévoyant que la caution s'engage sur ses revenus ou ses biens

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2021), par un acte du 12 décembre 2011, la Société générale (la banque) a consenti à la société Chez [D] (la société) un prêt destiné à l'acquisition d'un fonds de commerce.

Par un acte du 30 novembre 2011, M. [W] s'est rendu caution solidaire de la société, en garantie du remboursement de ce prêt.

2. La société ayant cessé de régler les échéances du prêt, la banque a assigné en paiement la caution.

3. Le 3 août 2020, la banque a cédé sa créance au Fonds commun de titrisation Castanea (le FCT), ayant pour société de gestion Equitis gestion.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [W] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au FCT, ayant pour société de gestion Equitis gestion, représentée par la société MCS et associés, la somme de 41 750,66 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 octobre 2017 et capitalisation des intérêts, alors « que les erreurs et omissions affectant la mention manuscrite prévue par l'article L. 341-2 du code de la consommation entraînent la nullité de l'engagement de caution dès lors qu'elles sont de nature à affecter le sens et la portée de celle-ci ; qu'en l'espèce, il résulte des propres motifs de l'arrêt attaqué que la mention manuscrite figurant à l'acte de cautionnement comportait des phrases coupées et des erreurs de syntaxe rendant difficile son intelligibilité et plusieurs imprécisions, quant à la durée du prêt, la possibilité pour la banque d'engager à la fois les biens et les revenus de la caution et quant à l'identité du débiteur principal, lesquelles rendaient nécessairement ambigüe la portée de l'engagement ; qu'en refusant néanmoins d'annuler l'acte de cautionnement, la cour d'appel a violé l'article L. 341-2 du code de la consommation.»

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

5. Selon ce texte, toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : « En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même. »

6. Pour rejeter la demande de M. [W] tendant à l'annulation de son engagement de caution et le condamner à paiement, l'arrêt, après avoir relevé que la mention portée sur l'acte de cautionnement est la suivante : « En me portant caution de la SARL Chez [D], dans la limite de la somme de 71 500 euros (soixante et onze mille cinq cents euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités ou intérêts de retard et pour une durée (au lieu de la) de neuf années, Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus ou (au lieu de et) mes biens si la SARL Chez [D] n'y satisfait pas lui-même (le débiteur dans la formule légale).

En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec la SARL Chez [D]. Je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il puisse poursuivre préalablement la SARL Chez [D] », retient que les minimes altérations de la formule légale n'ont pas modifié la compréhension par M. [W] du sens et de la portée de son engagement et en déduit que sa demande de nullité du cautionnement ne peut être accueillie.

7. En statuant ainsi, après avoir constaté que la formule écrite de la main de la caution prévoyait que celle-ci s'engageait sur ses revenus ou ses biens, et non sur ses revenus et ses biens, conformément à la mention manuscrite légale, ce qui en modifiait le sens et la portée quant à l'assiette du gage du créancier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. La cassation du chef de dispositif condamnant M. [W] à payer au FCT la somme de 41 750,66 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 octobre 2017, entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif ordonnant la capitalisation des intérêts à compter du 5 mai 2018 et condamnant M. [W] aux dépens et à payer au FCT la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

9. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

10. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour statue au fond sur les points atteints par la cassation.

11. Pour les motifs exposés à l'occasion de l'examen du premier moyen, il y a lieu d'accueillir la demande de M. [W] d'annulation de son engagement de caution et, en conséquence, de rejeter les demandes du FCT de condamnation de M. [W] à lui payer la somme de 52 060,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2021, et de capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière.

12. Dès lors que la demande formée à titre principal par M. [W] est accueillie, il n'y a pas lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi, qui fait grief à l'arrêt de rejeter la demande d'indemnisation fondée sur un manquement de la banque à son obligation de mise en garde, cette demande n'étant formée qu'à titre subsidiaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [W] à payer au Fonds commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion Equitis gestion, représentée par la société MCS et associés, la somme de 41 750,66 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 5 octobre 2017, en ce qu'il ordonne la capitalisation des intérêts à compter du 5 mai 2018 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 9 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule le cautionnement consenti par M. [W] par acte du 30 novembre 2011 au profit de la Société générale ;

Rejette les demandes du Fonds commun de titrisation Castanea, ayant pour société de gestion la société Equitis gestion, de condamnation de M. [W] à lui payer la somme de 52 060,36 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 17 mars 2021, et de capitalisation des intérêts dus pour au moins une année entière.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Vigneau - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat général : M. Lecaroz - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 341-2 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021.

Rapprochement(s) :

Sur la mention manuscrite en matière de cautionnement : 1re Civ., 9 juillet 2015, pourvoi n° 14-24.287, Bull. 2015, I, n° 182 (rejet).

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-14.540, (B) (R), FS

Cassation partielle

Clauses abusives – Caractère abusif – Office du juge – Etendue – Détermination – Portée

Par un arrêt du 26 janvier 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a notamment dit pour droit :

- que la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à une règle nationale qui interdit au juge national de réexaminer d'office le caractère abusif des clauses d'un contrat, lorsqu'il a déjà été statué sur la légalité de l'ensemble des clauses de ce contrat au regard de cette directive par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée ;

- qu'en revanche, en présence d'une ou de plusieurs clauses contractuelles dont le caractère éventuellement abusif n'a pas été examiné lors d'un précédent contrôle juridictionnel du contrat litigieux clôturé par une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, la directive 93/13 doit être interprétée en ce sens que le juge national, régulièrement saisi par le consommateur par voie d'opposition incidente, est tenu d'apprécier, sur demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif de celles-ci.

Il en résulte que lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif, pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, sauf s'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée qu'il a été procédé à cet examen.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 janvier 2021), sur le fondement d'un acte de prêt notarié du 25 juin 2008, ayant pour monnaie de compte le franc suisse et pour monnaie de paiement l'euro, la société BNP Paribas Personal Finance (la banque) a délivré, le 11 octobre 2013, à M. [M] un commandement de payer valant saisie immobilière sur le bien immobilier objet du prêt.

2. Par jugement d'orientation du 10 juillet 2014, un juge de l'exécution a fixé le montant de la créance du poursuivant à une certaine somme, et ordonné la vente forcée.

3. Après avoir perçu une somme le 19 octobre 2015 à la suite de la vente du bien, la banque a fait pratiquer, le 4 septembre 2018, une saisie-attribution sur les comptes de M. [M] à fin de paiement du solde du prêt, mesure que M. [M] a contestée devant un juge de l'exécution.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à voir constater la prescription de la créance de la banque et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 entre les mains de la Banque postale produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts alors « que l'effet interruptif de la prescription attaché à la délivrance de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation, consécutive à un commandement valant saisie immobilière, produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance introduite par cette assignation, laquelle résulte, lorsqu'il n'existe qu'un seul créancier et en l'absence de contestation, du jugement d'adjudication ; que la cour d'appel qui, en présence de la BNP pour seul créancier inscrit et en l'absence de contestation relative au versement du prix, a retenu, pour écarter la prescription de sa créance, que le délai biennal de prescription, qui avait été interrompu par l'assignation à l'audience d'orientation, avait recommencé à courir pour deux ans à compter du versement du prix à la banque le 19 octobre 2015, a violé les articles 2242 du code civil et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

5. En application de l'article 2244 du code civil, le commandement valant saisie immobilière interrompt le délai de prescription.

6. L'assignation à l'audience d'orientation interrompt ensuite le délai de prescription par application de l'article 2241 du code précité, et, en application de l'article 2242, cette interruption produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance de la procédure de saisie immobilière.

7. Or, la saisie immobilière et la distribution du prix constituent les deux phases d'une même procédure.

8. Dès lors, l'instance engagée par la saisine du juge de l'exécution à l'audience d'orientation ne s'éteint que lorsque ce dernier ne peut plus être saisi d'une contestation à l'occasion de la saisie immobilière.

9. Lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier, le débiteur peut, en application des articles R. 311-5 et R. 332-1 du code des procédures civiles d'exécution, contester le paiement dans le délai de quinze jours à compter de la notification qui lui en est faite.

10. Il résulte de ce qui précède que l'effet interruptif de prescription d'une instance de saisie immobilière, qui n'a pas pour terme le jugement d'adjudication, se poursuit, lorsqu'il n'y a qu'un seul créancier répondant aux critères de l'article L. 331-1 du code des procédures civiles d'exécution, jusqu'à l'expiration du délai de quinze jours suivant la notification du paiement ou, le cas échéant, jusqu'à la date de la décision tranchant la contestation formée dans ce délai.

11. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. M. [M] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes et de dire que la saisie-attribution pratiquée à son préjudice à la requête de la banque le 4 septembre 2018 produira son plein et entier effet à concurrence de la somme de 39 459,82 euros en principal, intérêts, alors « que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose ; que bien qu'il résultait des éléments de fait et de droit débattus devant elle que, selon le contrat litigieux, les mensualités étaient susceptibles d'augmenter, sans plafond, lors des cinq dernières années, la cour d'appel qui, nonobstant l'absence d'appel incident sur ce point, s'est abstenue de rechercher d'office, notamment, si le risque de change ne pesait pas exclusivement sur les emprunteurs et si, en conséquence, la clause litigieuse n'avait pas pour objet ou pour effet de créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment des consommateurs, a violé l'article L. 132-1, devenu L. 212-1 et L. 241-1, du code de la consommation. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen, contestée par la défense

13. La banque conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est incompatible avec la thèse soutenue par M. [M] devant la cour d'appel, selon laquelle les poursuites n'étaient pas fondées sur le contrat de prêt notarié mais sur un jugement doté de l'autorité de la chose jugée, s'étant substitué au contrat.

14. Cependant, le moyen, en ce qu'il invoque l'obligation pour le juge d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle, est né de la décision attaquée.

15. Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, L. 132-1, alinéa 1er, devenu L. 212-1, alinéa 1er, du code de la consommation :

16. Aux termes du premier de ces textes, les États membres veillent à ce que, dans l'intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l'utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.

17. Aux termes du second de ces textes, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives et réputées non écrites les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.

18. Il incombe au juge national d'examiner d'office si, au regard des critères posés par les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), les clauses insérées dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs ne revêtent pas un caractère abusif.

19. Le moyen conduit la chambre à s'interroger sur l'office du juge de l'exécution en matière de clauses abusives.

20. La Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que le juge national est tenu d'examiner d'office le caractère abusif d'une clause contractuelle dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu'il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l'applique pas, sauf si le consommateur s'y oppose (CJCE, arrêt du 4 juin 2009, Pannon, C-243/08).

21. Ensuite, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a dit pour droit que, dans l'hypothèse où, lors d'un précédent examen d'un contrat litigieux ayant abouti à l'adoption d'une décision revêtue de l'autorité de la chose jugée, le juge national s'est limité à examiner d'office, au regard de la directive 93/13, une seule ou certaines des clauses de ce contrat, cette directive impose à un juge national, régulièrement saisi par le consommateur, d'apprécier, à la demande des parties ou d'office dès lors qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, le caractère éventuellement abusif des autres clauses dudit contrat (CJUE, arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus, C-421/14).

22. Toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé les contours de cet office tel qu'il s'impose au juge national en retenant que l'article 6, paragraphe 1, et l'article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une législation nationale qui n'autorise pas une juridiction nationale, agissant d'office ou sur demande du consommateur, à examiner le caractère éventuellement abusif de clauses contractuelles lorsque la garantie hypothécaire a été réalisée, le bien hypothéqué vendu et les droits de propriété à l'égard de ce bien transférés à un tiers, à la condition que le consommateur dont le bien a fait l'objet d'une procédure d'exécution hypothécaire puisse faire valoir ses droits lors d'une procédure subséquente en vue d'obtenir réparation, au titre de cette directive, des conséquences financières résultant de l'application de clauses abusives (CJUE, arrêt du 17 mai 2022, C-600/19, Ibercaja Banco).

23. Il résulte de ce qui précède que, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à la créance dont le recouvrement est poursuivi sur le fondement d'un titre exécutoire relatif à un contrat, le juge de l'exécution est tenu, même en présence d'une précédente décision revêtue de l'autorité de la chose jugée sur le montant de la créance, sauf lorsqu'il ressort de l'ensemble de la décision revêtue de l'autorité de la chose jugée que le juge s'est livré à cet examen, et pour autant qu'il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, d'examiner d'office si les clauses insérées dans le contrat conclu entre le professionnel et le non-professionnel ou consommateur ne revêtent pas un caractère abusif.

24. Or, en matière de contrat de prêt libellé en devise étrangère, par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que :

 - l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat ;

 - l'article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d'un contrat de prêt qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change, sans qu'il soit plafonné, sur l'emprunteur, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s'attendre, en respectant l'exigence de transparence à l'égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d'une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.

25. C'est à ce titre, sur le fondement de cet arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne, que la Cour de cassation a cassé l'arrêt d'une cour d'appel qui, statuant dans un litige portant sur un contrat de prêt libellé en francs suisses et remboursable en euros, a dit que la clause de monnaie de compte ne présentait pas un caractère abusif (1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.600).

26. Après avoir rejeté l'exception de nullité de la saisie attribution et la fin de non-recevoir prise de la prescription de la créance, l'arrêt, sans examiner le caractère abusif des clauses du prêt libellé en devises étrangères, retient que la saisie attribution est justifiée dans son quantum.

27. En statuant ainsi, alors que, disposant des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, il lui appartenait d'examiner d'office si les clauses du prêt notarié libellé en devise étrangère, fondement de la saisie-attribution, revêtaient ou non un caractère abusif, au sens de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a confirmé le jugement en tant qu'il a débouté M. [M] de sa demande tendant à la prescription de la créance, l'arrêt rendu le 7 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Latreille - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : Me Laurent Goldman ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

2e Civ., 13 avril 2023, n° 21-18.121, (B), FRH

Rejet

Surendettement – Commission de surendettement – Mesures recommandées – Mesure de rééchelonnement – Inexécution par le débiteur – Effets – Caducité – Condition – Mise en demeure du créancier – Nécessité d'une mise en demeure avant le terme du plan (non)

Il résulte de l'article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003, alors applicable, que lorsque par l'effet d'une inexécution, le plan devient de plein droit caduc en application d'une clause de caducité, le créancier recouvre son droit de poursuite individuel à la suite d'une mise en demeure infructueuse, fût-elle délivrée au débiteur après le terme du plan.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 novembre 2020) et les productions, par jugement du 25 mai 2004, un tribunal d'instance a condamné M. [C] à payer à la société [2] une certaine somme au titre d'une offre préalable de crédit.

2. Le 5 octobre 2007, une commission de surendettement a recommandé au bénéfice de M. [C] des mesures prévoyant le versement à la société [3] de mensualités d'un certain montant pendant une période de 120 mois, avec un effacement du solde de la dette à l'issue de ces mesures, et leur caducité en cas d'inexécution.

3. Sur la contestation formée par un autre créancier, une cour d'appel a confirmé les mesures recommandées.

4. Par requête reçue au greffe le 1er juin 2018, la [5] (la [5]), venant aux droits de la société [3], a sollicité d'un tribunal d'instance la saisie des rémunérations de M. [C].

5. Par jugement du 9 mai 2019, le tribunal d'instance a rejeté cette demande.

6. Le 17 juin 2019, la [5] a fait délivrer à M. [C] une mise en demeure afin de se prévaloir de la caducité des mesures recommandées.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

7. M. [C] fait grief à l'arrêt attaqué d'ordonner la saisie de ses rémunérations, pour une somme totale de 7 192,39 euros, au profit de la société [5], alors :

« 1°/ si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond et le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée ; que la partie qui ne conclut pas ou qui, sans énoncer de nouveaux moyens, demande la confirmation du jugement, est réputée s'en approprier les motifs ; qu'en l'espèce, le premier juge avait relevé que, le 24 février 2009, la cour d'appel de Paris avait confirmé les mesures recommandées au profit de M. [C] le 11 octobre 2007, qui prévoyaient, concernant la créance de la société [3] le remboursement à taux zéro de la créance à hauteur de 7 euros pendant 120 mois et un effacement du solde de 6 862,41 euros à l'issue et que les mesures recommandées, en ce compris l'effacement de la créance, étaient opposables au créancier, de sorte que la créance dont disposait [5] était de 840 euros ; que pour ordonner la saisie des rémunérations de M. [C] pour une somme totale de 7.192,39 euros, la cour d'appel s'est bornée à constater que la société [5] était fondée à poursuivre l'exécution de son titre exécutoire, ayant dénoncé les mesures recommandées du 5 octobre 2007 par lettre de mise en demeure du 17 juin 2019 et que M. [C] n'avait pas contesté ne pas avoir respecté ces mesures ; qu'en s'abstenant de rechercher si l'inexécution de la mesure recommandée n'impliquait pas que le créancier ne puisse recouvrer que la somme mise à la charge du débiteur par cet arrêt revêtu de la chose irrévocablement jugée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 472 et 954 alinéa 6 du code de procédure civile ;

2°/ que la cour d'appel a constaté que par un arrêt du 24 février 2009, la cour d'appel de Paris avait confirmé les mesures recommandées par la commission de surendettement le 5 octobre 2007 au profit de M. [C], qui prévoyaient, concernant la créance de la SA [3], le remboursement à taux zéro de la créance à hauteur de 7 euros pendant 120 mois et un effacement du solde de 6 862,41 euros ; qu'elle a constaté que par un courrier du 17 juin 2019 adressé au débiteur, le créancier s'était prévalu de la caducité des mesures à raison de leur inexécution ; qu'il en résultait que la dénonciation était privée d'effet pour être intervenue alors que les mesures n'étaient plus en cours ; qu'en retenant, pour ordonner la saisie des rémunérations, que le créancier avait dénoncé les mesures et recouvré son droit de poursuite, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 331-9 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable. »

Réponse de la Cour

8. Aux termes de l'article L. 332-1 du code de la consommation, alors applicable, les créanciers, auxquels les mesures recommandées en application de l'article L. 331-7 et rendues exécutoires par application de l'article L. 332-1 ou de l'article L. 332-2 sont opposables, ne peuvent exercer des procédures d'exécution à l'encontre des biens du débiteur pendant la durée d'exécution de ces mesures.

9. Il résulte de ce texte que lorsque par l'effet d'une inexécution, le plan devient de plein droit caduc en application d'une clause de caducité, le créancier recouvre son droit de poursuite individuel à la suite d'une mise en demeure infructueuse, fut-elle délivrée au débiteur après le terme du plan.

10. Ayant relevé que l'appelante versait aux débats une mise en demeure afin de se prévaloir de la caducité des mesures recommandées, et que devant le premier juge M. [C] n'avait pas contesté ne pas avoir respecté ces mesures, la cour d'appel en a exactement déduit que la créancière était fondée à poursuivre l'exécution forcée de son titre exécutoire, sans qu'il importe que celles-ci soient arrivées à leur terme au jour où elles sont dénoncées.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Martinel (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Latreille - Avocat général : M. Adida-Canac - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 332-1 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-710 du 1er août 2003.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.