Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

PROCEDURES CIVILES D'EXECUTION

1re Civ., 13 avril 2023, n° 18-20.915, (B), FS

Rejet

Mesures d'exécution – Dettes nées à l'occasion de l'activité d'une succursale – Juge compétent – Lieu du siège de la société – Applications diverses – Dette fiscale

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2018), en novembre 2016, la société COMMISIMPEX a, en exécution d'une sentence arbitrale condamnant la République du Congo à lui payer diverses sommes, pratiqué une saisie-attribution de créances entre les mains de la société EDF Africa Services, redevable à la République du Congo de différents impôts et taxes.

2. La République du Congo a saisi un juge de l'exécution en nullité et mainlevée de la mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La République du Congo fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité et mainlevée de la saisie-attribution, alors « que si les Etats peuvent renoncer, par écrit, à l'immunité d'exécution dont ils disposent sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques, cette renonciation n'est valable qu'à la condition d'être expresse et spéciale, en mentionnant les biens ou catégories de biens pour lesquels la renonciation est consentie ; que les créances de nature fiscale ou sociale d'un Etat sont des biens qui sont par nature attachés à l'exercice de prérogatives de puissance publique, de sorte qu'elles ne peuvent faire l'objet de voies d'exécution exercées par un tiers qu'à la condition que l'Etat concerné ait renoncé spécifiquement à son immunité d'exécution sur ces créances ; que, pour valider la saisie-attribution litigieuse, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu que dès lors qu'il n'était pas soutenu que les biens saisis seraient utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de la République du Congo, de ses missions spéciales ou de ses missions auprès des organisations internationales, il s'en inférait que conformément aux principes du droit international coutumier, repris par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en présence d'une renonciation expresse de la République du Congo à son immunité d'exécution, ces créances pouvaient faire l'objet d'une mesure d'exécution, peu important que les biens saisis soient spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins spécifiques non commerciales, qu'il s'agisse de créances fiscales et que la créance cause de la saisie n'ait aucun lien avec l'objet de la saisie ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que la saisie-attribution du 15 novembre 2016 n'avait permis d'appréhender que des sommes dont la société EDF Africa Services, par le biais de sa succursale Hema Congo, était redevable envers la République du Congo au titre de dettes fiscales, de sorte que des mesures d'exécution forcée ne pouvaient être diligentées sur ces sommes qu'à la condition que la République du Congo ait spécifiquement renoncé à son immunité d'exécution sur ces créances, la cour d'appel a encore violé l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

4. Ayant relevé qu'il n'était pas soutenu que les biens saisis aient été spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des missions diplomatiques ou consulaires de la République du Congo, la cour d'appel en a exactement déduit que, selon les principes du droit international coutumier reflétés par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités des Etats et de leurs biens, la renonciation expresse à l'immunité d'exécution, consentie par cet Etat dans le litige l'opposant à la société COMMISIMPEX, suffisait pour que les actifs en cause puissent faire l'objet d'une mesure d'exécution, peu important qu'ils aient consisté en des créances fiscales, sans que soit en outre requise une renonciation spéciale.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. La République du Congo fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les principes de territorialité des voies d'exécution et de recouvrement de l'impôt excluent que des créances de nature fiscale puissent être appréhendées sur le territoire d'un Etat autre que l'Etat d'imposition ; qu'il s'en infère que la personne disposant d'un titre exécutoire contre un Etat ne peut procéder à la saisie-attribution sur le territoire d'un Etat étranger de sommes détenues par un tiers au titre de créances fiscales de l'Etat débiteur du saisissant ; qu'en retenant, pour valider la saisie-attribution litigieuse, que le litige ne concernait pas l'exercice en France de mesures de contraintes en vue du recouvrement par la République du Congo de créances fiscales et que les sommes saisies ne portent pas sur la ressource fiscale ou le produit de l'impôt en eux-mêmes, mais sur une dette fiscale d'un tiers, quand il résultait de ses propres constatations que la dette de la société EDF Africa Services, tiers saisi, étant exclusivement de nature fiscale, seule la République du Congo pouvait procéder à des voies d'exécution forcée sur les sommes détenues par cette société afin d'en obtenir le recouvrement, la cour d'appel a méconnu l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que les créances de nature fiscale et sociale sont localisées sur le territoire de l'Etat dans lequel l'activité économique qui en constitue le fait générateur a été exercée ; que les bénéfices réalisés par l'établissement stable d'une entreprise sont par principe imposés dans l'Etat dans lequel cet établissement exerce son activité, peu important qu'il n'ait pas la personnalité morale ou que sa comptabilité soit centralisée dans un autre Etat ; qu'en jugeant qu'en vertu du principe d'unicité du patrimoine, les créances du débiteur saisi, la société EDF Africa Services, devaient être localisées « au siège social de ce dernier, ainsi que celui-ci l'a bien compris puisqu'il a déclaré les dettes qu'il avait à l'égard de la République du Congo et dont il est seul redevable, sa succursale n'ayant pas la personnalité morale, peu important les réserves qu'il ait émises relatives à leur saisissabilité », la cour d'appel a violé l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, le principe d'unicité du patrimoine résultant de l'article 2284 du code civil implique que les dettes nées à l'occasion de l'activité d'une succursale puissent être poursuivies au lieu du siège de la société. Il n'en va pas différemment s'agissant d'une dette fiscale engendrée par l'activité exercée, sur le territoire d'un Etat étranger, par la succursale d'une société ayant son siège en France.

8. En second lieu, si l'établissement de l'impôt et son recouvrement sur son propre territoire constituent des prérogatives de puissance publique d'un État souverain et si le principe de territorialité des voies d'exécution fait obstacle à ce qu'un Etat recouvre ses créances fiscales sur le territoire d'un autre Etat par d'autres voies que celles de la coopération inter-étatique, en revanche, dès lors qu'un Etat étranger renonce à son immunité d'exécution, aucun principe ne s'oppose à ce que les créances fiscales que cet Etat détient sur des redevables domiciliés en France fassent l'objet de mesures d'exécution de droit commun de la part du créancier bénéficiaire de cette renonciation.

9. La cour d'appel a retenu à bon droit, d'une part, que le principe de territorialité de recouvrement de l'impôt ne s'appliquait pas dès lors que le litige ne concernait pas l'exercice, en France, de mesures de recouvrement de créances fiscales par la République du Congo, d'autre part, qu'en vertu du principe d'unicité du patrimoine, les créances de la République du Congo sur la société EDF Africa Services pouvaient être appréhendées au siège de celle-ci.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ; article 2284 code civil.

1re Civ., 13 avril 2023, n° 22-16.060, (B), FS

Cassation

Mesures d'exécution forcée – Titre – Titre exécutoire – Bénéfice – Personne subrogée dans les droits du bénéficiaire initial – Exclusion – Versement antérieur au titre exécutoire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 janvier 2022), la société Crédit commercial de France (la banque) a consenti à M. [W] et à Mme [V], son épouse, un prêt garanti par le cautionnement solidaire de la société Crédit logement (la caution).

2. M. [W] ayant été placé en liquidation judiciaire, la banque a déclaré sa créance au passif, prononcé la déchéance du terme et assigné Mme [V] en paiement du solde. Un jugement réputé contradictoire du 20 février 2003, signifié le 28 mars 2003, a accueilli sa demande.

3. La caution, qui a réglé à la banque une première somme, selon quittance subrogatoire du 26 novembre 2002, et une seconde somme le 15 juillet 2003, a engagé une procédure de saisie des rémunérations de Mme [V] en se prévalant de la quittance subrogatoire et du jugement du 20 février 2003.

4. Mme [V] a saisi un tribunal d'instance en mainlevée de la saisie et en restitution des sommes perçues en invoquant l'absence de titre exécutoire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [W] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement ayant rejeté ses demandes, alors « que la subrogation transmet, à la date du paiement qu'elle implique et dans la mesure de la somme ainsi versée, la créance et ses accessoires au subrogé ; que pour débouter Mme [W], qui faisait valoir le défaut de titre exécutoire, de ses demandes tendant à obtenir la mainlevée de la saisie de ses rémunérations et la restitution des sommes prélevées, l'arrêt retient que le jugement du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence du 20 février 2003, signifié le 28 mars 2003, constitue un titre de créance exécutoire au profit de la banque qui, n'ayant pas été remis en cause en temps utile, est aujourd'hui définitif, de sorte que la caution qui n'avait pas été associée au débat judiciaire à l'époque, est, « par l'effet d'une subrogation légale dans laquelle la chronologie des paiements n'a pas lieu d'être invoquée, [...] en tant que subrogataire, à même d'exercer les droits et actions du subrogé qu'il a désintéressé au titre d'une créance titrée en justice » ; qu'en statuant ainsi quand, à la date du premier paiement partiel avec subrogation, intervenu le 26 novembre 2002 à hauteur de 153 536,82 euros, la société Crédit commercial de France ne pouvait transmettre à la caution subrogée un titre dont elle n'était pas encore titulaire, le jugement invoqué n'ayant été rendu en faveur du subrogeant que le 20 février 2003, la cour d'appel a violé l'article 2029 du code civil dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 relative aux sûretés applicable en la cause, ensemble les articles 1251 et 1252 du même code, dans leur version antérieure, respectivement, à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités et à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1251 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, et 2029 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 :

6. Selon le premier de ces textes, la subrogation a lieu de plein droit au profit de celui qui, étant tenu avec d'autres au paiement de la dette, avait intérêt de l'acquitter.

7. Selon le second, la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur.

8. Il en résulte que la subrogation investit le subrogé de la créance primitive, avec tous ses avantages et accessoires existant à la date du paiement.

9. Pour rejeter la demande en mainlevée de la saisie, l'arrêt retient que le jugement du 20 février 2003 signifié le 28 mars 2003 constitue un titre de créance exécutoire au profit de la banque, qui ne l'a pas remis en cause en temps utile, de sorte que la caution, qui n'avait pas été associée au débat judiciaire, par l'effet d'une subrogation légale dans laquelle la chronologie des paiements n'a pas lieu d'être invoquée, est, sur le fondement de l'article 2309 du code civil, à même d'exercer les droits et actions du subrogeant qu'elle a désintéressé au titre d'une créance titrée en justice.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le premier paiement subrogatoire avait eu lieu antérieurement au prononcé du jugement constitutif du titre exécutoire dont la caution se prévalait, de sorte qu'il ne pouvait avoir eu pour effet d'investir le subrogé du bénéfice de ce titre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dumas - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles 1251 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 ; article 2029 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006.

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