Numéro 4 - Avril 2023

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 4 - Avril 2023

ETAT

1re Civ., 13 avril 2023, n° 18-20.915, (B), FS

Rejet

Etat étranger – Immunité d'exécution – Exclusion – Renonciation expresse de l'Etat – Cas – Créances fiscales

Dès lors que les biens d'un Etat ne sont pas spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des missions diplomatiques ou consulaires, la renonciation expresse de cet Etat à l'immunité d'exécution suffit pour que les actifs en cause puissent faire l'objet d'une mesure d'exécution, peu important que ceux-ci aient consisté en des créances fiscales, sans que soit en outre requise une renonciation spéciale.

Le principe d'unicité du patrimoine implique que les dettes nées à l'occasion de l'activité d'une succursale puissent être poursuivies au lieu du siège de la société, y compris s'agissant d'une dette fiscale engendrée par l'activité exercée, sur le territoire d'un Etat étranger, par la succursale d'une société ayant son siège en France.

Par ailleurs, si l'établissement de l'impôt et son recouvrement sur son propre territoire constituent des prérogatives de puissance publique d'un État souverain et si le principe de territorialité des voies d'exécution fait obstacle à ce qu'un Etat recouvre ses créances fiscales sur le territoire d'un autre Etat par d'autres voies que celles de la coopération inter-étatique, en revanche, dès lors qu'un Etat étranger renonce à son immunité d'exécution, aucun principe ne s'oppose à ce que les créances fiscales que celui-ci détient sur des redevables domiciliés en France fassent l'objet de mesures d'exécution de droit commun de la part du créancier bénéficiaire de cette renonciation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 mai 2018), en novembre 2016, la société COMMISIMPEX a, en exécution d'une sentence arbitrale condamnant la République du Congo à lui payer diverses sommes, pratiqué une saisie-attribution de créances entre les mains de la société EDF Africa Services, redevable à la République du Congo de différents impôts et taxes.

2. La République du Congo a saisi un juge de l'exécution en nullité et mainlevée de la mesure.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. La République du Congo fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en nullité et mainlevée de la saisie-attribution, alors « que si les Etats peuvent renoncer, par écrit, à l'immunité d'exécution dont ils disposent sur des biens ou des catégories de biens utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques, cette renonciation n'est valable qu'à la condition d'être expresse et spéciale, en mentionnant les biens ou catégories de biens pour lesquels la renonciation est consentie ; que les créances de nature fiscale ou sociale d'un Etat sont des biens qui sont par nature attachés à l'exercice de prérogatives de puissance publique, de sorte qu'elles ne peuvent faire l'objet de voies d'exécution exercées par un tiers qu'à la condition que l'Etat concerné ait renoncé spécifiquement à son immunité d'exécution sur ces créances ; que, pour valider la saisie-attribution litigieuse, la cour d'appel, par motifs propres et adoptés, a retenu que dès lors qu'il n'était pas soutenu que les biens saisis seraient utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des fonctions de la mission diplomatique ou des postes consulaires de la République du Congo, de ses missions spéciales ou de ses missions auprès des organisations internationales, il s'en inférait que conformément aux principes du droit international coutumier, repris par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en présence d'une renonciation expresse de la République du Congo à son immunité d'exécution, ces créances pouvaient faire l'objet d'une mesure d'exécution, peu important que les biens saisis soient spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés à des fins spécifiques non commerciales, qu'il s'agisse de créances fiscales et que la créance cause de la saisie n'ait aucun lien avec l'objet de la saisie ; qu'en statuant de la sorte, quand il résultait de ses propres constatations que la saisie-attribution du 15 novembre 2016 n'avait permis d'appréhender que des sommes dont la société EDF Africa Services, par le biais de sa succursale Hema Congo, était redevable envers la République du Congo au titre de dettes fiscales, de sorte que des mesures d'exécution forcée ne pouvaient être diligentées sur ces sommes qu'à la condition que la République du Congo ait spécifiquement renoncé à son immunité d'exécution sur ces créances, la cour d'appel a encore violé l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

4. Ayant relevé qu'il n'était pas soutenu que les biens saisis aient été spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés dans l'exercice des missions diplomatiques ou consulaires de la République du Congo, la cour d'appel en a exactement déduit que, selon les principes du droit international coutumier reflétés par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur les immunités des Etats et de leurs biens, la renonciation expresse à l'immunité d'exécution, consentie par cet Etat dans le litige l'opposant à la société COMMISIMPEX, suffisait pour que les actifs en cause puissent faire l'objet d'une mesure d'exécution, peu important qu'ils aient consisté en des créances fiscales, sans que soit en outre requise une renonciation spéciale.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

6. La République du Congo fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que les principes de territorialité des voies d'exécution et de recouvrement de l'impôt excluent que des créances de nature fiscale puissent être appréhendées sur le territoire d'un Etat autre que l'Etat d'imposition ; qu'il s'en infère que la personne disposant d'un titre exécutoire contre un Etat ne peut procéder à la saisie-attribution sur le territoire d'un Etat étranger de sommes détenues par un tiers au titre de créances fiscales de l'Etat débiteur du saisissant ; qu'en retenant, pour valider la saisie-attribution litigieuse, que le litige ne concernait pas l'exercice en France de mesures de contraintes en vue du recouvrement par la République du Congo de créances fiscales et que les sommes saisies ne portent pas sur la ressource fiscale ou le produit de l'impôt en eux-mêmes, mais sur une dette fiscale d'un tiers, quand il résultait de ses propres constatations que la dette de la société EDF Africa Services, tiers saisi, étant exclusivement de nature fiscale, seule la République du Congo pouvait procéder à des voies d'exécution forcée sur les sommes détenues par cette société afin d'en obtenir le recouvrement, la cour d'appel a méconnu l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que les créances de nature fiscale et sociale sont localisées sur le territoire de l'Etat dans lequel l'activité économique qui en constitue le fait générateur a été exercée ; que les bénéfices réalisés par l'établissement stable d'une entreprise sont par principe imposés dans l'Etat dans lequel cet établissement exerce son activité, peu important qu'il n'ait pas la personnalité morale ou que sa comptabilité soit centralisée dans un autre Etat ; qu'en jugeant qu'en vertu du principe d'unicité du patrimoine, les créances du débiteur saisi, la société EDF Africa Services, devaient être localisées « au siège social de ce dernier, ainsi que celui-ci l'a bien compris puisqu'il a déclaré les dettes qu'il avait à l'égard de la République du Congo et dont il est seul redevable, sa succursale n'ayant pas la personnalité morale, peu important les réserves qu'il ait émises relatives à leur saisissabilité », la cour d'appel a violé l'article L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, le principe d'unicité du patrimoine résultant de l'article 2284 du code civil implique que les dettes nées à l'occasion de l'activité d'une succursale puissent être poursuivies au lieu du siège de la société. Il n'en va pas différemment s'agissant d'une dette fiscale engendrée par l'activité exercée, sur le territoire d'un Etat étranger, par la succursale d'une société ayant son siège en France.

8. En second lieu, si l'établissement de l'impôt et son recouvrement sur son propre territoire constituent des prérogatives de puissance publique d'un État souverain et si le principe de territorialité des voies d'exécution fait obstacle à ce qu'un Etat recouvre ses créances fiscales sur le territoire d'un autre Etat par d'autres voies que celles de la coopération inter-étatique, en revanche, dès lors qu'un Etat étranger renonce à son immunité d'exécution, aucun principe ne s'oppose à ce que les créances fiscales que cet Etat détient sur des redevables domiciliés en France fassent l'objet de mesures d'exécution de droit commun de la part du créancier bénéficiaire de cette renonciation.

9. La cour d'appel a retenu à bon droit, d'une part, que le principe de territorialité de recouvrement de l'impôt ne s'appliquait pas dès lors que le litige ne concernait pas l'exercice, en France, de mesures de recouvrement de créances fiscales par la République du Congo, d'autre part, qu'en vertu du principe d'unicité du patrimoine, les créances de la République du Congo sur la société EDF Africa Services pouvaient être appréhendées au siège de celle-ci.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Salomon - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ; article 2284 code civil.

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